09/12/2014
Bilhana, Poèmes d'un voleur d'amour
illustration pour Poèmes d'un voleur d'amour
48
Encore aujourd'hui
Il me souvient
Dans les jeux de l'amour
De ce combat qu'elle livrait,
Les mains nues,
Dans l'union, de ses étreintes,
Du sang
Sur ses lèvres qu'avaient meurtries mes dents
Et sur sa chair qu'avait blessée mes ongles
Et de la tyrannie qu'elle exerçait sur son amant.
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Encore aujourd'hui
Comment pourrais-je
Endurer la séparation d'avec ma bien-aimée
La plus accomplie d'entre les amantes ?
Ô mes frères, je vous le dis
À ma détresse la mort seule peut mettre un terme.
Qu'elle me cueille au plus vite !
Poèmes d'un voleur d'amour [XIème s., Cachemire], attribuées à Bilhana, traduit su sanskrit par Amina Okada, Connaissance de l'Orient, Gallimard / Unesco, 1988, p. 64-65.
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07/11/2014
Stamatis Polenakis, "Les escaliers d'Odessa", traduction de Myrto Gondicas
Viola d'amore
Olga, si je meurs aujourd'hui,
j'espère que demain tu m'oublieras.
Rappelle-toi seulement le bateau entre Odessa
et Trieste, un après-midi d'été
dans une vie lointaine, et, oublié même de Dieu,
l'orchestre qui jouait des chansons russes populaires
sur le port ; l'étudiant
Trofimov, qui voyageait avec nous
et qui plus tard a disparu en Sibérie.
Surtout rappelle-toi les mouettes,
elles étaient très blanches et elles nous ont accompagnés
tout au long du voyage, en volant plus vite
que les vagues même.
Ich sterbe, Olga.
Aujourd'hui je meurs pour toujours.
Stamatis Polenakis, "Les escaliers d'Odessa", traduction de Myrto Gondicas, dans la revue de belles-lettres, 2014, I, p. 71.
Annonce :
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NUMÉRO ZÉRO est une revue expérimentale à ciel ouvert qui s’intéresse à l’écriture comme processus de travail, en amont de sa formalisation définitive et sous toutes ses formes. C’est un laboratoire de création qui invite des écrivains et des artistes à participer pendant un an à des rencontres publiques mensuelles, à un site internet, à une édition papier, et à prendre en charge une rubrique dans chacun de ces formats. entrée gratuite Durée 1h L'entretien sera suivi d'une dégustation de vins en partenariat avec R'Vinum ACADEMIE D'ARCHITECTURE HOTEL DE CHAULNES 9 PLACE DES VOSGES 75004 PARIS |
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31/10/2014
Dino Buzzati, Bestiaire magique
Les mouches
Une antique légende qui circulait chez les mouches disait ceci : Quand les villes de l'homme seront devenues tellement vôtres et que cet homme vous sera soumis et que la voix du grand peuple s'étendra d'un horizon à l'autre, alors ce sera le temps de l'orgueil et de la fornication mais, au beau milieu de ce triomphe, les armées étrangères surviendront pour tenter de vous exterminer ; et ce sera aussi le temps de la mort. Elles vous lanceront leur souffle et la moitié di grand peuple tombera aussi dru que tombe la pluie. Elles continueront de souffler et le reste du peuple tombera à son tour et le silence s'installera. Alors, ô mouches, c'en sera fini de votre règne.
Mais ce n'était qu'une légende dont il ne convenait pas de s'effrayer. D'ailleurs les mouches n'y croyaient pas. Pas plus que n'y croyait l'inspecteur de la Salubrité publique des régions du Sud, le professeur Santi Liguori, homme de nature sceptique et fondamentalement pessimiste. Obtempérant aux ordres du gouvernement, il avait fait appliquer dans les villes et dans les bourgs les mesures prescrites pour l'élimination des insectes fâcheux. Sans aucune illusion toutefois. Au contraire, le dépérissement dû à l'âge et la renonciation à certains des rêves de sa jeunesse avaient provoqué en lui un fort ressentiment à l'encontre de la science qu'il était censé servir. Une joie amère le prenait même à la vue de la prolifération de ces bestioles qu'il aurait dû haïr, et dont il prenait en secret le parti. [...] Pendant ce temps, dans les cours de fermes, des nuées de mouches noires et visqueuses s'agglutinaient sur les petits enfants, formant de véritables grappes au bord de leurs paupières, se précipitaient sur le lait, sur la soupe, sur les bouteilles de vin, et on les sentait soudain entre ses dents pendant qu'on buvait, les mouches tourbillonnaient autour des mulets, des paysans, des curés, des femmes en couches. Du matin au soir, ce maudit bruissement. Point d'orgue de la misère humaine.
[...]
Dino Buzzati, Bestiaire magique, traduit de l'italien par Michel Breitman, 10/18, 1997, p. 88-89.
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30/10/2014
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit & J.-. Schneider
La tristesse
Quelle violence, bouche sombre,
Au-dedans de toi, forme faite
Des années d'automne,
Du calme d'or du soir ;
Un torrent au reflet verdâtre
Dans les cercle d'ombre
Des pins fracassés ;
Un village
Qui meurt pieusement en des images brunes.
Voici que bondissent les chevaux noirs
Sur le pâturage brumeux.
O soldats !
De la colline où mourant le soleil roule
Se déverse le sang rieur —
Sous les chênes
Sans voix ! Ô tristesse grondante
De l'armée, un casque étincelant
Est tombé en sonnant d'un front pourpre.
La nuit d'automne vient si fraîche,
Avec les étoiles s'illumine
Au-dessus des débris d'os humains
La moniale silencieuse.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l'allemand
par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard,
1972, p. 155.
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26/10/2014
Gilles Jallet, Contre la lumière, Œuvres poétiques
Partout nous voyageons depuis toujours
et nous sommes fourvoyés à cause de la certitude
que cela donne une ressemblance entre les lieux,
d'exister partout ailleurs que là où nous vivons,
sous un ciel vide, abandonné, la terre
creusée de trous noirs et la langue, elle aussi,
portant les stigmates de ceux qui disparurent
sans voir la mort. Ainsi partent-ils tous
emportant avec eux le secret de leurs paroles
et cette parole aujourd'hui nous manque :
c'est pourquoi nous n'avons plus de pays,
plus de ciel, plus de chez moi à regarder.
Gilles Jallet, Contre la lumière, Œuvres poétiques, La
Rumeur libre, 2014, p. 155.
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17/10/2014
Jules Supervielle, Les Amis inconnus
L'oiseau
« Oiseau, que cherchez-vous, voletant sur mes livres,
Tout vous est étranger dans mon étroite chambre.
— J'ignore votre chambre et je suis loin de vous,
Je n'ai jamais quitté mes bois, je suis sur l'arbre
Où j'ai caché mon nid, comprenez autrement
Tout ce qui vous arrive, oubliez un oiseau.
— Mais je vois de tout près vos pattes, votre bec.
— Sans doute pouvez-vous approcher les distances
Si vos yeux 'ont trouvé ce n'est pas de ma faute.
— Pourtant vous êtes là puisque vous répondez.
— Je réponds à la peu que j'ai toujours de l'homme
Je nourris mes petits, je n'ai d'autre loisir,
Je les garde en secret au plus sombre d'un arbre
Que je croyais touffu comme l'un de vos murs.
Laissez-moi sur ma branche et gardez vos paroles,
Je crains votre pensée comme un coup de fusil.
— Calmez donc votre cœur qui m'entend sous la plume.
— Mais quelle horreur cachait votre douceur obscure
Ah ! vous m'avez tué, je tombe de mon arbre.
— J'ai besoin d'être seul, même un regard d'oiseau !...
— Mais puisque j'étais loin au fond de mes grands bois ! »
Jules Supervielle, Les Amis inconnus, dans Œuvres poétiques complètes, édition sous la direction de Michel Collot, Pléiade, Gallimard, 1996, p. 300-301.
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24/09/2014
Emily Dickinson, Le Paradis est au choix, traduction Patrice Reumaux
L'Amour — est antérieur à la Vie —
Postérieur — à la Mort
Le Paraphe de la Création, et
L'Exposant de la Terre —
*
Ceux qui ont été le plus longtemps dans la —
Ceux qui arrivent aujourd'hui —
Échappent également à nos usages —
La Mort est l'autre chemin —
*
Un long — long Sommeil — un merveilleux — Sommeil —
Qui ne tient pas compte du Matin —
En Étirant un membre — ou en soulevant une Paupière —
Un Somme indépendant —
Vit-on jamais Semblable oisiveté ?
Sur une Rive de Pierre
Se chauffer au fil des Siècles —
Sans jamais regarder une fois — s'il est Midi ?
*
Love — is anterior to Life —
Posterior — to Death —
Initial of Creation, and
The Exponent of Earth —
*
Those who have been in the Grave the longest —
Those who begin Today —
Equally perish from our Practice —
Death is the other way —
Foot of the Bold did least attempt it —
It — is the White Exploit —
Once to achieve, annuls the power
Once to communicate —
*
A long — long Sleep — A famous —Sleep —
That makes no show for Morn —
By Stretch of Lib — or stir of Lid —
An independant One —
Was ever idleness like This?
Upon a Bank of Stone
To bask the Centuries away —
Not once look up — for Noon ?
Emily Dickinson, Le Paradis est au choix, traduit et
présenté par Patrick Reumaux, Librairie Élisabeth
Brunet, 1988, p. 323, 323, 241 et, pour l'anglais, 322, 322, 240.
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09/09/2014
Emily Jane Brontë, Poèmes (1836-1846), traduction Pierre Leyris
Viens-t’en avec moi
Viens-t’en avec moi
Il n’est plus que toi
Dont mon cœur puisse se réjouir ;
Nous aimions par les nuits d’hiver
Errer dans la neige :
Si nous renouvelions ces vieux plaisirs ?
Noires et folles, les nuées
Tachent d’ombre, là-haut, les terres élevées
Comme elles faisaient autrefois,
Et ne s’arrêtent que là-bas,
À l’horizon confusément amoncelées,
Tandis que les rayons de lune
Si prestement luisent et fuient
Qu’à peine pouvons-nous dire qu’ils ont souri.
Viens avec moi — viens te promener avec moi ;
Nous étions bien plus autrefois,
Mais la Mort nous a dérobés nos compagnons
Comme le Soleil la rosée ;
Oui, la Mort les a pris un à un, nous laissant
Tous deux seuls désormais ;
Aussi mes sentiments se voudraient-ils aux tiens
Nouer étroitement, n’ayant d’autre soutien.
« Non, ne m’appelle pas, cela ne saurait être ;
L’Amour serait-il si constant ?
La fleur de l’Amitié peut-elle dépérir
Pour revivre après de longs ans ?
Non, quand même le sol est humide de larmes
Et si belle qu’elle ait pu croître ;
Car la sève une fois tarie, son flux vital
Ne s’épanchera jamais plus :
Mieux encore que ne fait l’étroit cachot des morts
La Terre sépare le cœur des hommes. »
[Printemps 1844]
Come, walk with me
Come, walk with me ;
There only thee
To bless my spirit now ;
We used to love on winter nights
To wander throw the snow.
Can we not woo back old delights ?
The clouds rush dark and wild ;
They fleck with shade our mountain heights
The same as long ago,
And on the horizon rest at last
In looming masses piled ;
While moonbeams flash and fly so fast
We scarce can say they smiled.
Come, walk with me — come, walk with me ;
We were not once so few ;
But Death has stolen our company
As sunshine steals the dew :
He took them one by one, and we
are left, the only two ;
So closer would my feelings twine,
Because they have no stay but thine.
« Nay, call me not ; it may not be ;
Is human love so true ?
Can Friendship’s flower droop on for years
And then revive anew ?
No ; though the soil be wet with tears,
How fair soe’er it grew ;
The vital sap once perished
Will never flow again ;
And surer than that dwelling dread,
The narrow dungeon of the dead,
Time parts the hearts of men. »
[Spring 1844]
Emily Jane Brontë, Poèmes (1836-1846), choisis
et traduits d’après la leçon des manuscrits par
Pierre Leyris, édition bilingue, Poésie / Gallimard,
1963, p. 144-147.
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07/09/2014
André Frénaud, Parmi les saisons de l'amour
Les fils bleus du temps
Les fils bleus du temps
t'ont mêlée à mes tempes.,
toujours je me souviendrai
de ta chevelure.
Après l'amertume
tant d'autres pas vides,
loin par-delà l'oubli,
mort de tant de morts
si même vivant,
un éclat de ton œil clair
est monté dans mon regard,
toute l'ardeur de ta beauté
se répand même à voix basse
dans tous les jours de ma voix,
un signe épars dans le miroir transformé,
une douceur dans la confusion de mes songes,
une chaleur par les seins froids de ma nuit.
Je meurs de ma vie,
je n'ai pas fini.
Je te porterai encore,
mon feu amour.
André Frénaud, Parmi les saisons de l'amour, dans
Il n'y a pas de paradis, Poésie /Gallimard, 1967
[1962], p. 169.
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31/08/2014
Rachel Blau Duplessis, Brouillons, traduction Auxeméry
Midrush
Œuvres parmi
les morts pour cerner
le flot vivant des
espoirs envolés couronnes illuminées,
après avoir rejoint les couples toasts,
tremblant de peur clignotement des lampe
dans une arche goudronnée. autour des portes et des maisons.
Impossible de
donner aux détails
assez de
foi, assez de force
pour ce qui est
affirmation
cercles, pustules, charivari cercle jardin surveillé
varicelle l'Doc i'dit sale mourant sombrant et même
maladie avec assez de fil pour plat, vu les derniers com-
faire grincer une lyre acide promis
« des jours » « de vert »
[...]
Rachel Blau Duplessis, Brouillons, traduction de l'anglais et présentation par Auxeméry, avec la collaboration de Chris Tysh, Corti, 2013, p. 57.
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30/08/2014
Sylvia Plath, Ariel, traduction de Valérie Rouzeau
Mort & Cie
Deux, bien sûr, ils sont deux.
Ça paraît tout à fait évident maintenant —
Il y a celui qui ne lève jamais la tête,
L’œil comme une œuvre de Blake,
Et affiche
Les taches de naissance qui sont sa marque de fabrique —
La cicatrice d’eau bouillante,
Le nu
Vert-de-gris du condor.
Je suis un morceau de viande rouge. Son bec
Claque à côté : ce n’est pas cette fois qu’il m’aura.
Il me dit que je ne sais pas photographier.
Il me dit que les bébés sont tellement
Mignons à voir dans leur glacière
D’hôpital : une simple
Collerette,
Et leur habit funèbre
Aux cannelures helléniques,
Et leurs deux petits pieds.
Il ne sourit pas, il ne fume pas.
L’autre si,
Avec sa longue chevelure trompeuse.
Salaud
Qui masturbe un rayon lumineux,
Qui veut qu’on l’aime à tout prix.
Je ne bronche pas.
Le givre crée une fleur,
La rosée une étoile,
La cloche funèbre,
La cloche funèbre.
Quelqu’un quelque part est foutu.
Sylvia Plath, Ariel, présentation et traduction
de Valérie Rouzeau, Poésie / Gallimard, 2011,
p. 45-46.
Death & CO.
Two, of course they are two.
It seems perfectly natural now —
The one who never looks up, whose eyes are lidded
And balled, like Blake’s,
Who exhibits
The birthmarks that are his trademark —
The scald scar of water,
The nude
Verdigris of the condor.
I am red meat. His beak
Claps sidewise : I am not his yet.
He tells me how badly I photograph
He tells me how sweet
The babies look in their hospital
Icebox, a simple
Frill at the neck,
Then the flutings of their Ionian
Death-gowns,
Then two little feet.
He does not smile or smoke.
The other does that,
His hair long and plausive.
Bastard
Masturbating a glitter,
He wants to be loved.
I do not stir,
The frost makes a flower,
The dew makes a star,
The dead bell,
The dead bell.
Somebody’s done for.
Sylvia Plath, Ariel, Faber and Faber, London,
1988 [1965 by Ted Hughes], p. 38-39.
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19/08/2014
Christiane Veschambre, Fente de l’amour
au chemin creux
glaise et pierres
demeure
ma demeurée
m’attend
— pas moi
mais celle que la mort lavera
l’amour cherche
une chambre en nous
déambule dans nos appartements meublés
parfois
se fait notre hôte
dans la pièce insoupçonnée mise à jour par le rêve
creuse
entre glaise et pierres
un espace pour mon amour
n’ai que lui
pour osciller
comme la tige à l’avant de l’aube
au respir de l’amour
— la vaste bête
qui tient contre elle
embrassée
la demeurée du chemin creux
Christiane Veschambre, Fente de l’amour, illustrations de
Madlen Herrström, éditions Odile Fix (Bélinay, 15430
Paulhac), 2011, n.p.
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24/07/2014
Franck Venaille, Chaos
Amères sont nos pensées sur la vie Amè-
Res sont-elles ! Il suffit — ô amertume ! —
D’un instant, tel celui où ce cerf-volant
Échappant à l’enfant se brises sur les gla-
Ciers du vent pour que disparaisse ce
Bonheur d’aller pieds nus sur le sable
Amers de savoir que ce sont sur des éclats
De verre que nous marchons. Que nous
Nous dirigeons, chair à vif, vers la mort —
On naît déjà mort
Ah ! ce mur d’anxiété
qui
peu à peu
m’enserre
ALORS
que
je demande simplement à quitter la scène
fut-ce par la sortie bon secours
Ce sont toujours les mêmes qui pratiquent l’autopsie
De leur propre corps
Cela tient du cheval vapeur ouvert dégoulinant de viscères
noirs.
Rien !
On naît rien.
Vite on recoud vite le cadavre vite !
— déjà fané avant l’heure légale —
Vite !
Franck Venaille, Chaos, Mercure de France, 2006, p. 57 et 90.
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07/07/2014
Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud
E blanc
Scène 1
La mort couche dans mon lit elle a les dents blanches
Patauger dans la nuit appelle-t-on cela
Vivre O dans ma bouche l’ancolie amère
Des jours anciens mon vieux Verlaine rien ne sert
De pleurer au temps des souvenirs la partie
Est déjà perdue tu n’avais pas su le
Retenir il courait plus vite que le vent
Amants de la mort qu’attendiez-vous de la vie
Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être à ta lèvre
Dolente et non le chapelet à l’angélus
Ah l’ordre comme un petit serpent fourbe arrive
Toujours quad le clocher sonne douze au clair de
Lune le christ O vieille démangeaison
Pauvre lélian habité par un fantôme à
La jambe de bois l’autre en toi O moulin à
Prières
Scène 2
Que cherchais-tu en franchissant le saint-gothard
À demi enseveli dans la neige quelle
Porte par où t’enfuir encore et toujours
O toi l’ébloui sans sommeil dévoré par
Les mouches du rêve et que l’éclair divise à
Jamais hagard comme le faucon
Scène 3
Elle venait sans que j’y prenne garde à pas
De loup et ce cœur en moi s’usait peu à peu
À battre la chamade je ne l’avais pas
Reconnue tant son visage était pâle et
Ressemblait à s’y méprendre à la blanche nuit
Ses regards enjôleurs me grisaient doucement
O comme elle était tendre lorsqu’elle voulut
Me prendre par surprise au petit matin calme
J’aurais pu te quitter sans avoir baisé ta
Bouche tandis qu’à m’étreindre elle buvait mon
Sang O la camarde ma camarade attends
Encore un peu je n’ai pas fini d’inventer
Pour lui les mots du nouvel amour
Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud,
Gallimard, 2009, p. 39-41.
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11/06/2014
Aurélie Foglia, Gens de peine
Vies de
I
Souvent on entend froisser
les forêts de Gens
le grand vent
les forêts profondes de Gens
ce sont les Chevrotants les Désolés
aux troncs tordus les Abonnés aux branches
basses qui brament au fond des fossés
« nous ne sommes pas doués
pour la divinitude
apprends-nous comment
nous soustraire arrache-nous
d'entre nos frères la mort »
tordant leurs bras griffus
s'adressant à qui ? au vent absent
ce sont les Bafoués les Enterrés du pied
faune en costume de lichen à cornes
de brume les Passés sous silence
qui végètent sous
des loups de velours dévoré
II
quelques-uns nus d'autres non
Gens derniers
ainsi furent ainsi d'en furent
long loin
leurs notes mal tenues
pas un ne les rappelé
Gens de rien
perdus entre tous
les sons qui les émurent
dont nos noms ne sont pas
parvenus
eurent si peu de fourrure
par si grand froid
qu'ils en moururent
pas un ne les réchauffa
[...]
Aurélie Foglia, Gens de peine, NOUS, 2014, p. 11-14.
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