25/10/2021
André Frénaud, Hæres
Rumination du paysan
Je veux grossir pour défendre ma vie.
Contre la mort il faut prendre du poids,
il me faut boire des six litres
et pisser,
pour ma santé,
pour honorer ma santé et ma vie.
Il me faut vivre pour accroître mon bien,
peser les bêtes, arroser les clôtures,
renforcer les semences, affûter les outils,
bourrer le temps,
— Mais le dimanche on peut fanfaronner
avec l’alouette et la violette.
André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1982, p. 105.
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24/10/2021
André Frénaud, Hæres
L’orateur
(d’après Picasso)
S’effilochaient tous les blasons
en bouts de ficelle — amulettes et allumettes.
Le rayon de miel affleure à la bouche,
la plus haute entaille sur le cep vieil.
Le peuple est là, qui parle de ses lèvres têtues,
berger des agneaux affamés
en marche vers les banlieues en détritus,
manteau de laine antique en carton ondulé,
il talonne fort la terre, il appelle à l’aide,
il crie le tocsin, épouvantail pour les maîtres prédateurs,
innocent innocent
Qui se croit l’avenir.
André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1982, p. 261.
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23/10/2021
André Frénaud, Hæres
Sur la route
Douce détresse de l’automne,
des abois très lointains,
une échauffourée de nuages, comme un remuement
de souvenirs qui se cachent.
Et la lisière des peupliers pour donner figure
à la lumière qui va venir.
André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1982, p. 91.
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20/12/2020
André Frénaud, La Sainte Face
La femme de ma vie
Mon épouse, ma loyale étoffe,
ma salamandre, mon doux pépin,
mon hermine, mon gros gras jardin,
mes fesses, mes vesses, mes paroles,
mon chat où j’enfouis mes besoins,
ma gorge de bergeronnette.
Ma veuve, mon essaim d’helminthes,
mes boules de pain pour mes mains,
pour ma tripe sur tous mes chemins,
mon feu bleu où je cuis ma haine,
ma bouteille, mon cordial de nuit,
le torchon pour essuyer ma vie,
l’eau qui me lave sans me tacher.
Ma brune ou blanche, ma moitié,
nous n’aurions fait qu’une couleur,
un soleil-lune à tout casser,
à tous les deux par tous les temps,
si un jour je t’avais reconnue.
André Frénaud, La Sainte Face, Poésie /
Gallimard, 1985, p. 61.
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19/12/2020
André Frénaud, Haeres
Ce si peu
Ce si peu. La tendresse qui me consolait parfois,
et pour toujours la vie traversière,
les échos précoces et les équipées,
les vains obstacles à la mort et la mort même.
André Frénaud, Haeres, dans Nul ne s’égare,
précédé de H, Poéssie/Gallimard, 2006, p. 177.
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26/07/2020
André Frénaud, HÆRES
Mais qui a peur ?
Les arbres mouillés,
les armes rouillées,
l’astre dérobé,
le cœur engourdi,
chevaux encerclés,
château disparu,
forêt amoindrie,
accès délaissé,
lisière éperdue,
source dessaisie,
— La neige sourit.
André Frénaud, HÆRES,
Poésie/Gallimard, 2006, p. 147.
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25/07/2020
André Frénaud, La Sainte Face
Comptine à la moustache
La virgule qui s’en, qui s’en va
clopin-clopant, c’est la moustache, adieu papa.
C’est la moustache au rat qui s’en va. C’est la moustache,
c’est la moustache.
Oh ! S’en reviendra-t-il, s’en ressouviendra-t-il
en tronçons de... Ahah, le gros rat, le gros roi ?
C’est la question... La question, c’est la moustache.
André Frénaud, La Sainte Face, Poésie/ Gallimard,
1985, p. 195.
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24/07/2020
André Frénaud, Il n'y a pas de paradis
Un par deux
J’ai maintenant deux corps,
le mien et le tien,
miroir où se fait beau
celui que je n’aimais pas.
Qui ne me portait pas chance
Des succès qui ne m’accordaient rien.
L’amour que nous nous rendons
nous a délivrés des rencontres,
aussi des vertus inutiles.
André Frénaud, Il n’y a pas de paradis,
Poésie/Gallimard, 1967, p. 50.
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14/07/2020
André Frénaud, Il n'y a pas de paradis
14 juillet
C’est le jour de fête de la Liberté
Nous avions oublié la vieille mère
Dont les anciens ont planté les arbres.
Il est des morts vaincus qu’il faut précipiter
Encore un coup du haut des tours en pierre.
Il est des assauts qu’il faut toujours reprendre.
Il est des chants qu’il faut chanter en chœur,
Des feuillages à brandir et des drapeaux
Pour ne pas perdre le droit des arbres
De frémir au vent.
Nous allons en cortège comme une noce solennelle.
Nous portons le feu débonnaire des lampions.
Soumis à notre humble honneur, le geste gauche.
Les bals entrent dans la troupe et les accordéons.
Le génie de la Bastille a sauté parmi nous.
Il chante dans la foule, sa voix mâle nous emplit.
Au faubourg s’est gonflé le levain de Paris.
Dans la pâte, nous trouverons des guirlandes de verdure,
Quand nous défournerons le pain de la justice…
C’est aujourd’hui ! Nous le partageons en un banquet,
Sur de hautes tables avec des litres.
Le monde est en liesse, buvons et croyons !
Je bois à la joie du peuple, au droit de l’homme
De croire à la joie au moins une fois l’an.
À l’iris tricolore de l’œil apparaissant
Entre les grandes paupières de l’angoisse.
A la douceur précaire, à l’illusion de l’amour.
André Frénaud, Il n’y a pas de paradis, Gallimard, 1967.
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05/03/2020
André Frénaud, Les Rois mages
La création de soi
Mes bêtes de la nuit qui venaient boire à la surface,
j’en ai harponné qui fuyaient,
je les ai conduites à la maison.
Vous êtes ma chair et mon sang.
Je vous appelle par votre nom, le mien.
Je mange le miel qui fut venin.
J’en ferai commerce et discours, si je veux.
Et je sais que je n’épuiserai pas vos dons,
vermine habile à me cribler de flèches.
André Frénaud, Les Rois mages (1977),
Poésie/Gallimard, 1987, p. 67.
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06/10/2019
André Frénaud, Hæres
Le grand masque
Le grand masque, il cache
l’escalier sans retour, aboi des chiens d’enfer,
le miroir toujours vide — le roi des masques,
celui qui rit à gorge déployée
au plus fort de la fête.
André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1982, p. 232.
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16/06/2019
André Frénaud, Nul ne s'égare
Pour apurer les comptes
Ce n'est rien, donne-moi l'addition, c'est gratuit.
C'est toujours rien, tout est payé, ta vie aussi.
Tout est donné et tout repris. Mais va-t-en donc.
Pourquoi trembler, ou te vanter, t'émerveiller ?
Pourquoi mentir et ressasser, pourquoi rougir ?
Pourquoi vouloir, ou bien valoir ? Pour être qui ?
Ce n'est rien, ce ne fut jamais rien, c'est la vie.
Céder, chanter. Tout vient, s'en va, pourquoi te plaindre
Si le dieu qui n'est pas paie tout ? Mais pourquoi vivre ?
André Frénaud, Nul ne s'égare [1982], précédé de Haeres 1986],
Poésie / Gallimard, 2006, p. 273.
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05/04/2019
André Frénaud, La Sainte Face
L’irruption des mots
Je ris aux mots j’aime quand ça démarre,
qu’ils s’agglutinent et je les déglutis
comme cent cris de grenouilles en frai.
Ils sautent et s »appellent, s’éparpillent et m’appellent
et se rassemblent et je ne sais
si c’est Je qui leur réponds ou eux
encore dans un tumulte intraitablement frais
qui vient sans doute de mes profondes lèvres.
là -bas où l’eau du monde m’a donné vie.
Je me vidange quand m’accouchent ces dieux têtards.
Je m’allège et m’accrois par ces sons qui dépassent,
issus d’un au-delà, presque tout préparés.
J’en fais le tour après, enorgueilli,
ne me reconnaissant qu’à peine en ce visage
qu’ils m’ont fait voir et qui parfois m’effraie,
car ce n’est pas moi seul qui par eux me démange.
André Frénaud, La Sainte Face, Poésie/Gallimard, 1985, p. 72.
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09/02/2019
André Frénaud, Les Rois mages
La vie morte, la vie
À Jean Tardieu
Ma vie morte, ô mon poids fertile,
la rivière qui me conduit,
ma seule part de toute présence,
la consistance de mon défaut,
mon entrave ardemment ourdie,
mon étrave que je maudis,
glacier qui absorbes mes flammes,
néant coloré qui l’inondes,
tache à flanc de si lourde absence,
aqueduc au rebours de l’eau vive,
c’en est assez, ma vie, merci.
Quand me perdrai-je hors de ma vue ?
André Frénaud, Les Rois mages, Poésie /
Gallimard, 1987, p. 160.
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29/10/2018
André Frénaud, HÆRES, poèmes 1968-1981
Les expressions de la physionomie
Celui qui sans raison prétend au sacrifice,
celui dont les dons ne valent plus,
celui qui s’entête, celui qui écourte,
celui qui fait la roue — qui fait semblant —
celui qui s’est détourné, qui est là encore
quand il sourit sans plus récriminer,
celui qui s’encourage par des billevesées
à défaut de mieux,
celui qui hurle parce qu’il ne sait plus dire,
celui dont le cri s’est étranglé,
celui qui s’entrouvrait à la rumeur
qu’il n’entend plus,
celui-ci, le même,
sous différents jeux de physionomie,
dans la bonne direction décidément,
et qui atermoie, qui atermoie,
conserve-t-il de la bonté, je le voudrais.
André Frénaud, HÆRES, poèmes 1968-1981,
Gallimard, 1982, p. 253.
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