01/10/2025
La langue est un grand étonnement, rntretien avec Étienne Faure, 2
Pour revenir à la langue, le goût, l’emploi de mots « rares » ou archaïques est-il lié à cette nécessité pour vous de sauver quelque chose du passé, de refuser la perte ?
Très certainement.
Non pas pour je ne sais quel goût passéiste, non… mais le fait est qu’il ne reste, après certainesdisparitions, que la possibilité d’en parler, de nommer. Le mot « musette », par exemple, qui apparaît dans un texte de Vues prenables que vous citez dans votre note de lecture (la mémoire déménage) est presque aussi désuet que l’objet. Or cette disparition,
de l’un et de l’autre, ne date pas de si longtemps à échelle d’homme. Elle est encore dans les mémoires :
ainsi disant musette, un sac en tissu vert-de-gris
toujours ressurgira en bandoulière,
porté par un aïeul en allé au combat
Pour la « rareté » peut-être y a-t-il un risque de préciosité. Par exemple, Guy Goffette me demandait pourquoi je parlais de « cutine » des feuilles dans Légèrement frôlée quand j’aurais pu dire « vernis » pour ces mêmes feuilles rendues brillantes par cette substance. Évidemment. Mais le fait est qu’il y a toujours cette tentation de maintenir ces mots un peu inusités et qui cependant existent et restent employés dans de nombreux domaines techniques. On serait tenté de dire que tous les mots sont possibles (techniques, anciens, rares, etc.) dès lors qu’ils sont « habités », « endossés », « portés » depuis un temps par leur utilisateur. Différent serait sans doute le cas où les mots seraient simplement importés, fraîchement sortis du dictionnaire pour un emploi immédiat…Avoir plusieurs formations peut être de ce point de vue bénéfique. La fréquentation de plusieurs répertoires ou lexiques selon les filières dans lesquelles on se trouve projeté (par les études, la profession..) favorise l’ouverture effective de l’éventail des mots. On les côtoie pour de bon, c’est-à-dire qu’on les emploie assez pour en être familier et songer à les insérer un beaumatin dans un poème, avec ce qui paraît alors être leur place.
C’est également une grande préoccupation des traducteurs, j’imagine, qui doivent connaître assez le sens, mais aussi la portée d’un mot, son halo.
Vous vivez si fort avec la littérature que parfois l’on retrouve des mots de tel ou tel dans vos poèmes. Dans l’un, dédié à Réda, on découvre même ses mots et le vers de 14 syllabes, avec le e pneumatique qu’il affectionne...
Il y a sans doute toujours un effet de mimétisme avec ceux que l’on aime…Pour le poème dédié à Réda, le vers de 14 syllabes était mon cadeau, ma façon de lui faire signe. L’élément de mimétisme est certainement très accentué quand on commence à écrire ; on commence par imiter pour d’autant mieux savoir ce que l’on écarte − et trouver sa voie. Ensuite il peut rester ce plaisir de faire appel à nos amis, à ceux qui nous ont accompagnés dans les lectures.
J’ai cité Max Jacob, qui n’est pas dans mes deux livres. Le calendrier des repères évolue, certains reviennent, c’est le vécu qui gouverne la nécessité de certains retours. Des citations, des écrits, des auteurs nous parlent à nouveau après certaines expériences. Les chemins que l’on suit pour arriver à des rencontres sont parfois curieux. Par exemple, Jude Stéfan est un des auteurs que j’ai découvert assez tardivement un peu après des auteurs anciens comme Catulle et Properce. La leçon principale que je retire de cette lecture, très assidue, c’est l’énergie.
L’énergie vous caractérise aussi. Et la jubilation à être dans la langue ; un poème, par exemple, s’étend sur une seule phrase de 25 vers...
La phrase est sans doute une tentation lointaine de la prose, mais avec aussi la recherche du blanc. Guillevic, dans son introduction de vingt poèmes de Georg Trakl, parle de la phrase de Proust, qu’il aime, et qui a selon lui volontairement « défait la phrase en l’éternisant ». « Au lieu d’employer le système de rupture par le blanc, cher aux poètes, il allonge la phrase d’une façon telle que le silence se met alors à l’intérieur même de la phrase. » Dans mes textes, c’est une espèce de mi-chemin puisque, à la fois, il y a des phrases entières qui constituent un poème, mais avec le souci de faire silence, de couper le souffle à un moment donné à la prose, de la casser avec des vers qui sont déhanchés ou de guingois, avec des vers parfois très longs, d’autres très petits.. D’arrêter la fuite en avant de la prose, sa linéarité. Et cependant il faut que la phrase arrive à se dérouler jusqu’au bout, tout en pariant sur une minuscule autonomie de chacun des vers. C’est
donc la volonté de concilier une phrase et un vers qui veut s’affirmer comme tel ; j’essaie de conserver le poids du vers mais à l’intérieur –souvent — d’une seule phrase.
D’où un certain souci de la métrique ? On relève sans peine des régularités, et il y a même chez vous des rimesintérieures dans un alexandrin (déchets artisanaux, cadavres d’animaux) et des alexandrins cachés, avec rimes :
dans l’encoignure d’un bouquin, jusqu’au soir quand
la chaleur retombant soudain,
Oui, la rime est cachée dans l’encoignure d’un bouquin... C’est là une sorte de troisième degré, comme un taillis à l’intérieur du bois, une petite surprise mais pas trop appuyée – pour rester léger. Je pense aux crispations qu’il y a eu à propos de l’alexandrin ; l’oreille est peut-être un peu fatiguée du vieil alexandrin, mais l’interdire complètement est ridicule, rien n’empêche de l’intégrer de temps en temps. Nous sommes peut-être à un moment de synthèse, et l’on trouvera du 14 syllabes, du 11, etc., chacun a sa boutique sur le sujet. J’essaie que l’alexandrin ne soit pas trop dominant, parce que c’est une musique que l’on connaît.
Vous brisez à l’occasion la syntaxe de sorte que le lecteur soit obligé de relire pour construire son sens, comme dans cette entrée de poème :
Accoudée périclite au comptoir
allemande dans sa chair, la blonde
pendant la guerre décolorée.
Oui, il y a parfois une manière d’acrobatie syntaxique, surtout dans les textes les plus anciens, mais tout en voulant rester lisible et que le tempo n’en souffre pas, que la lecture demeure possible. C’est une grande joie d’y arriver, souvent après de longues méditations, de longues hésitations sur ces voltiges, qui ne doivent pas pour autant virer à l’exercice complaisant, isolé du reste du texte.
Dans ce poème, après cette entrée, le lecteur se retrouve avec les images du vieillissement, de la douleur, etc.
Une entrée en matière qui ensuite se démultiplie en plusieurs collages... Cela résulte d’un parti pris et de la façon dont le texte se fabrique. Ça me faisait penser autrefois à Follain dont les textes
bifurquent et qui prennent fin un peu à côté, avec un léger décalage qui pourtant résonne avec le début... Sortir du linéaire, c’est un peu cela que je cherche, même si mes textes ont tendance à être un peu enfermés formellement ; c’est-à-dire que souvent le début se retrouve en écho à la fin, ce qui peut agacer parce qu’on a l’impression de choses qui se referment sur elles-mêmes. C’est un problème. Beaucoup d’auteurs prennent le parti pris d’arrêter abruptement, d’être dans
l’inachèvement − ce qui est éminemment moderne … Mais cela continue de tarauder, d’essayer de faire un texte qui parte d’une entrée un peu alerte et qui bifurque progressivement par le sujet
et par la forme, tout en veillant à ne pas être dans le relâchement que les longs poèmes peuvent amener. Il y a en effet toujours ce risque, ce côté "ventre mou" du cœur des textes ; on sait commencer et finir, mais le cœur du texte est le lieu le plus difficile, c’est là qu’il peut y avoir des ralentissements, une certaine mollesse, une perte de tension…
À suivre
La langue est un grandétonnement, entretien avec Étienne Faure, octobre 3009. Cet entretien a été publié par Poezibao en novembre 2009.
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