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09/07/2022

Guillaule Apollinaire & André Salmon, Correspondance 1903-1918 : recension

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 « Une amitié qui ne peut finir »

 

Guillaume Apollinaire (1880-1918) et André Salmon (1881-1969) se sont rencontrés dans un caveau littéraire le 25 avril 1903 et, rapidement, sont devenus amis. Salmon, journaliste, vivait à Paris, Apollinaire y était alors employé de banque et logeait chez sa mère dans la banlieue, ce qui explique que leur correspondance soit peu abondante. Des lettres ont peut-être été perdues, aucune n’est donnée de novembre 1905 à juin 1906. L’éditrice de l’ensemble a ajouté divers documents : des dédicaces, des textes que l’un écrivait pour saluer une publication de l’autre. Le florilège rassemble les proses et poèmes que Salmon, tout au long de sa vie, a publiés autour d’Apollinaire et de son œuvre.

 

Bien des lettres sont des témoignages d’amitié, ainsi, Apollinaire envoyant à Salmon des épreuves de poèmes pour une revue qu’il n’a pu relire, précise « si recopiant (...) il m’était échappé quelque erreur, corrige comme ton bon goût te l’inspirera ». La dédicace de L’Héresiarque & Cie du même à son ami est le témoignage d’un lien très fort, « Hommage d’une amitié qui ne peut finir », comme celle de Salmon pour Monstres choisis, « Ton vieil ami qui t’admire » Dans le même sens, Apollinaire envoie à Jeanne Salmon une lettre protestant de son amitié et s’excusant de ses possibles maladresses. Aucune surprise donc à lire les comptes rendus que les deux amis font de leurs ouvrages respectifs ; on note que Salmon voit justement dans Les peintres cubistes que « les plus belles pages du livre sont incontestablement celles consacrées à Pablo Picasso » — tous deux avaient rencontré le peintre en 1905. Les lettres d’Apollinaire étaient parfois sous forme de poème : on retient en particulier celui du 13 juillet 1909, jour du mariage de Salmon, où il écrit : « On a pavoisé Paris parce que mon ami André Salmon s’y marie ». La dernière lettre est de Jean Cocteau à Salmon, « Le pauvre Apollinaire est mort. Picasso est trop triste pour écrire — il me demande de le faire ».

 

Les vingt textes du florilège abordent plusieurs aspects de la vie et de l’œuvre d’Apollinaire, l’ensemble débutant par l’annonce de son décès, puis continuant par son rôle pour faire connaître les jeunes peintres.  Dans un tombeau poétique, Le jour et la nuit, Salmon rapporte les honneurs militaires rendus à Apollinaire et donne aux douze soldats et au lieutenant des professions toutes à des degrés divers liées aux goûts d’Apollinaire ; le poème s’achève avec le nom d’Ungaretti qu’Apollinaire avait rencontré à Paris et dont il avait traduit quelques poèmes. Salmon revient sur les années de la création des Mamelles de Tirésias et développe à propos des « intentions radicales » d’Apollinaire homme de théâtre. La reprise par une jeune troupe en 1938 de la pièce est l’occasion de prendre ses distances vis-à-vis des « débordements surréalistes », mais Salmon note justement dans ses Souvenirs sans fin le rôle de précurseur d’Apollinaire : le poème "Lundi rue Christine" (publié dans Calligrammes) a été composé à partir de propos « ou idiots en plein, ou incohérents » recueillis et assemblés, bien avant « la première intuition surréaliste ».  Dans un passage des Souvenirs sans fin, il fait la chronique de « celui qui ne sut pas jouer avec l’Amour », rendant ailleurs hommage à l’épouse, Jacqueline, qui « administrera pieusement, scrupuleusement la carrière posthume de Guillaume Apollinaire. ». En 1952, il préface un recueil de poèmes inédits, Le Guetteur mélancolique, en 1954 il relate quelques traits de la vie d’Apollinaire depuis leur rencontre jusqu’au 9 novembre 1918. Il suit également l’activité de journaliste de son ami, qui le remplace à L’Intransigeant, fondant la rubrique "La Vie artistique" tenue de 1910 à 1914.

 

Les événements, les lieux et les personnes évoqués sont pour nous fort éloignés dans le passé et, souvent, il faudrait avoir recours à une documentation dont on ne dispose pas immédiatement pour éclairer la lecture. Jacqueline Gojard a annoté tout ce qui pouvait apparaître obscur, suivant ainsi  les principes des éditions précédentes de correspondances, mais elle apporte au lecteur quantité de renseignements supplémentaires qui aident à suivre la vie littéraire et artistique d’une partie du XXe siècle. Deux exemples. Dans une lettre de Salmon à son ami, deux phrases restent incompréhensibles pour le lecteur : « Lis ce soir les Échos. Je suis au courant par Picasso » ; il s’agit, ce qui est relaté en détail dans deux notes, du fait que Braque n’a pu exposer au Salon d’Automne en 1908, refusé par certains organisateurs, dont Matisse qui avait « fait exclure les transfuges du fauvisme, ralliés à Cézanne et proches de Picasso ».

"Vie ancienne", souvenirs de Salmon dans un volume d’hommage à Apollinaire en 1923, est repris dans le florilège : Salmon y raconte qu’ils avaient écrit ensemble une « folie-opérette » (Le Marchand d’anchois, 1906) dont il donne un refrain, « je suis le phoqu’comique / Palmé au nouvel an / D’palm’s académiques / Par le duc d’Orléans » : une note précise qu’il s’agit d’une « allusion plaisante à une expédition au pôle Nord, entreprise par le duc Philippe d’Orléans, fils du comte de Paris, en 1905 ». Rien dans l’érudition des éclaircissements n’est pesant et certains ajouts à des faits anecdotiques peuvent amuser l’amoureux de littérature. Rapportant que Salmon allait régulièrement passer la fin de semaine chez ses parents à Chelles, dans la banlieue est de Paris, l’éditrice du texte ajoute la référence au poème "Chelles" de Victor Hugo dans les Chansons des rues et des bois.

 

La densité de cette édition critique conduit à revenir régulièrement à la lecture des notes : mine que l’on n’épuise pas. On retrouve les index propres aux éditions Claire Paulhan et les illustrations ; elles sont cette fois très nombreuses, plus d’une centaine : photographies et portraits d’Apollinaire et de Salmon, dessins et peintures de Salmon (Picasso, son épouse Jeanne, natures mortes), reproductions de couvertures de revues et de livres, de journaux, d’enveloppes, de cartes postales, de lettres. Un régal !

Guillaume Apollinaire & André Salmon, Correspondance 1903-1918, & Florilège 1918-1959, édition établie, présentée et annotée par Jacqueline Gojard, éditions Claire Paulhan, 2022, 486 p., 39 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 8 juin 2022.

28/03/2022

Apollinaire, Calligrammes

                                                    

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                                                       Les fenêtres

 

Du rouge au vert tout le jaune se meurt

Quand chantent les arts dans les forêts natales

Abatis de pihis

Il y a un poème à faire sur l’oiseau qui n’a qu’une aile

Nous l’enverrons en message téléphonique

Traumatisme géant

Il fait couler les yeux

Voilà une jolie jeune fille parmi les jeunes Turinaises

Le pauvre jeune homme se mouchait dans sa cravate blanche

Tu soulèveras le rideau

Et maintenant voilà que s’ouvre la fenêtre

Araignées quand les mains tissaient la lumière

Beauté pâleur insondables violets

Nous tenterons en vain de prendre du repos

On commence à minuit

Quand on a le temps on a la liberté

Bigorneaux Lotte multiples Soleils et l’Oursin du couchant

Une vieille paire de chaussures jaunes devant la fenêtre

Tours

Les Tours ce sont les rues

Puits

Arbres creux qui abritent les Câpresses vagabondes

Les Chabins chantent des airs à mourir

Aux Chabines marronnes

Et l’oie oua-oua trompette au nord

Où les chasseurs de ratons

Raclent les pelleteries

Étincelant diamant

Vancouver

Où le train blanc de neige et de feux nocturnes fuit l’hiver

O Paris

Du rouge au vert tout le jaune se meurt

Paris Vancouver Hyères Maintenon New York et les Antilles

La fenêtre s’ouvre comme une orange

Le beau fruit de la lumière

 

Apollinaire, Ondes, dans Calligrammes [1918], dans Œuvres poétiques,  Pléiade/Gallimard, 1965, p. 168-169.

 

06/02/2022

Guillaume Apollinaire, Poèmes de guerre

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                 Pluie

 

La pluie argente mes beaux rêves

Ce long après-midi d’hiver

Le soleil darde ses petits glaives

Dont le reflet est gris et vert

 

Nîmes aux ruelles dormantes

Qu’entourent de longs boulevards

Les cafés y sont pleins de tantes

Et de vieux officiers bavards

 

Soupé de la Maison Carrée

Mais la Fontaine est de mon goût

J’aime la pierre à teinte ambrée

Lorsque le soleil luit partout

 

Mais c’est au temple de Diane

— Ô liberté de mes rognons

Faites qu’enfin mon cul se tanne —

Que je relis des compagnons

 

Les inscriptions anciennes

Je les aime mon cher André*

Engravant ces pierres romaines

Roses dans le jour gris cendré

 

                                        ton Guil Apollinaire

* André Billy

 

Guillaume Apollinaire, Poèmes de guerre, édition

Claude Debon, Les Presses du réel, 2018, p. 81.

20/12/2018

Apollinaire, Poèmes en guerre

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Le chant d’amour

 

Voici de quoi est fait le chant symphonique de l’amour

Il y a le chant de l’amour de jadis

Le bruit des baisers éperdus des amants illustres

Les cris d’amour des mortelles violées par les dieux

Les virilités des héros fabuleux érigées comme des pièces contre avions

Le hurlement précieux de Jason

Le chant mortel du cygne

Et l’hymne victorieux que les premiers rayons du soleil ont fait chanter à Memnon l’immobile

Il y a le cri des Sabines au moment de l’enlèvement

Il y a aussi les cris d’amour des félins dans les jongles [sic]

La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales

Le tonnerre des artilleries qui accomplissent le terrible amour des peuples

Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté

 

Il y a le chant de tout l’amour du monde

 

Apollinaire, Poèmes en guerre, édition Claude Debon, Les Presses du Réel, 2018, p. 331.

16/11/2018

Guillaume Apollinaire, Calligrammes

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L’avenir

 

Soulevons la paille

Regardons la neige

Écrivons des lettres

Attendons des ordres

 

Fumons la pipe

En songeant à l’amour

Les gabions sont là

Regardons la rose

 

La fontaine n’a pas tari

Pas plus que l’or de la paille ne

         [s’est terni

Regardons l’abeille

Et ne songeons pas à l’avenir

 

Regardons nos mains

Qui sont la neige

La rose et l’abeille

Ainsi que l’avenir

 

Guillaume Apollinaire, Calligrammes, avril

1918, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 300.

 

 

 

23/09/2017

Apollinaire, Enfance (Poèmes retrouvés)

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Enfance

 

Au jardin des cyprès je filais en rêvant

Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent

Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées

Jusqu’au bassin mourant que pleurent les saulaies

Je marchais à pas lents, m’arrêtant aux jasmins,

Me grisant au parfum des lys, tendant les mains

Vars les iris fées, gardés par les grenouilles.

Et pour moi les cyprès n’étaient que des quenouilles,

Et on jardin, un monde où je vivais exprès

Pour y filer un jour les éternels cyprès.

 

Apollinaire, Poèmes retrouvés, dans Œuvres poériques,

Pléiade / Gallimard, 1961, p. 651.

07/03/2017

Apollinaire, Le Guetteur mélancolique

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La nudité des fleurs c’est leur odeur charnelle

Qui palpite et s’émeut comme un sexe femelle

Et les fleurs sans parfum sont vêtues par pudeur

Elles prévoient qu’on veut violer leur odeur

 

La nudité du ciel est voilée par des ailes

D’oiseaux planant d’attente émue d’amour et d’heur

La nudité des lacs frissonne aux demoiselles

Baisant d’élytres bleus leur écumeuse ardeur

 

La nudité des mers je l’attire de voiles

Q’elles déchireront en gestes de rafale

Pour dévoiler au stupre aimé d’elles leurs corps

 

Au stupre des noyés raidis d’amour encore

Pour violer la mer vierge douce et surprise

De la rumeur des flots et des lèvres éprises

 

Apollinaire, Le Guetteur mélancolique, dans Œuvres

poétiques, Pléiade :Gallimard, 1965, p. 574.

01/08/2016

Guillaume Apollinaire, La tzigane

 

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La tzigane

 

La tzigane savait d’avance

Nos deux vies barrées par les nuits

Nous lui dîmes adieu et puis

De ce puits sortit l’Espérance

 

L’amour lourd comme un ours privé

Danse debout quand nous voulûmes

Et l’oiseau bleu perdit ses plumes

Et les mendiants leurs Ave

 

On sait très bien que l’on se damne

Mais l’espoir d’aimer en chemin

Nous fait penser main dans la main

À ce qu’a prédit la tzigane

 

Guillaume Apollinaire, Alcools, dans

Œuvres poétiques, édition M. Adéma et

M. Décaudin, Pléiade / Gallimard,

1967, p. 99.

 

 

 

 

 

12/06/2016

Laurent Fourcaut, Alcools de Guillaume Apollinaire : recension

 

laurent fourcaut,alcools de guillaume apollinaire

 

   Il est bon aujourd’hui de relire Wilhelm Apollinaris de Kostrowistky, naturalisé français, né en Italie de père inconnu et d’une mère polonaise, elle-même née en Lituanie province russe ; aujourd’hui, c’est-à-dire à un moment où les migrants, plus largement l’ « autre » (Rrom, Syrien, Irakien, Éthiopien— liste qui ne peut se clore), est ‘’invité’’ à repartir chez lui. Cela a à voir avec les années 1900, où le rejet de qui n’était pas français de souche ( ?) existait : Apollinaire eut à en souffrir et ce n’est pas hasard si les exilés ont une grande place dans son œuvre.

   Plusieurs pages sont consacrées à rappeler ce qu’était Paris au début du xxe siècle, au moment de la publication d’Alcools en 1913, tant du point littéraire que musical — Du côté de chez Swann sort la même année, comme Le Sacre du Printemps — et pictural : toutes les avant-gardes sont dans la capitale. Il n’est pas non plus indifférent de se souvenir qu’Apollinaire vit au moment où toute une série d’innovations voient le jour : l’automobile, l’avion, le métro, le cinéma…, où l’empire colonial s’étend. À côté de ce contexte large, Laurent Fourcaut appelle que l’œuvre d’Apollinaire se caractérise par sa diversité (poésie, contes, romans, théâtre, chroniques d’art), précise ce qu’a été la formation du poète, détaille la genèse et la composition d’Alcools, commente la versification et l’emploi d’un vocabulaire rare (un lexique est donné en annexe), étudie le rythme fondé sur la marche et le chant, « dans les pulsions mêmes du corps. »

Mais que pouvons-nous donc encore apprendre à propos d’Alcools, recueil qui a suscité de nombreux essais ? Laurent Fourcaut, qui connaît fort bien la poésie contemporaine et anime la revue Place de la Sorbonne, poète lui-même, a lu toutes les études dont il donne une liste commentée. Son but est de lire Alcools à partir d’un fil rouge : sans père, sans nom, sans patrie, sans langue, Apollinaire représente une « espèce de forme pure de l’abandon et du manque », et l’on peut suivre dans son œuvre sa quête d’une identité. Non pas pour recouvrer un ‘’je’’ entier, sans faille : l’unicité n’existe pas et « la poésie [d’Apollinaire] consiste à donner forme — donc mille formes changeantes, mille tons divers, mille sens éclatés — à ce mouvant et polyglotte gisement du moi que Freud au même moment appelle inconscient ». C’est donc un ‘’moi’’ éclaté qui apparaît, et cette dispersion se manifeste par le biais de la multiplication des références : Apollinaire mêle les époques et les lieux, l’histoire et les mythologies, emprunte aux religions et aux littératures. Mais s’il s’empare de l’héritage culturel qu’il a assimilé, c’est pour le secouer, y prendre son bien : l’héritage est une assise, mais aussi ce qui contraint, et même asservit, et dont il faut s’affranchir ; on y apprend des formes nouvelles et la multiplicité des figures que l’on y rencontre permet de forger sa voie / voix.

   C’est dire que le ‘’je’’ n’a pas « d’autre réalité […] que celle que lui [confère] le défilement indéfini, sur la page, des mots, des motifs, des images, des formes », et Laurent Fourcaut suggère de lire Alcools comme « un théâtre où le poète met en scène la tragédie […] de son identité problématique, insaisissable, égarée. » Cette lecture, il la propose en s’appuyant sans cesse sur le texte, en analysant les motifs qui se chevauchent dans le recueil, ceux du temps qui passe, de l’ombre — de l’inconstance, du dédoublement —, de la folie, du rêve, de la « bouche-sexe » de la mère, de « la femme impossible », de l’amour enfui, de l’exilé.

   Dans un dernier chapitre passionnant, Laurent Fourcaut met en parallèle la vision de la ville dans Alcools, un tableau de Chagall et trois autres perceptions (Rimbaud, Verhaeren, Aragon) ; la ville est objet poétique, image de l’ère nouvelle pour Apollinaire, par excellence pour tous l’espace des métamorphoses, une « métaphore de la poésie ». Ce n’est peut-être pas ce que les lecteurs du xxie siècle lisent dans Apollinaire, plus séduits dans Alcools par la tradition élégiaque — il faut rappeler que ses contemporains étaient très sensibles à la diversité des thèmes et des tons, au caractère baroque de l’œuvre.

 

Laurent Fourcaut, Alcools de Guillaume Apollinaire, Calliopées, 2015, 144 p., 15, 60 €.

Cette recension a été publiée sur Sitaudis le 19 mai 2016.

 

 

 

 

07/05/2016

Guillaume Apollinaire, Le Guetteur mélancolique

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La nudité des fleurs c’est leur couleur charnelle

Qui palpite et s’émeut comme un sexe femelle

Et les fleurs sans parfum sont vêtues par pudeur

Elles prévoient qu’on veut violer leur odeur

 

La nudité du ciel est voilée par des ailes

D’oiseaux planant d’attente émue d’amour et d’heur

La nudité des lacs frissonne aux demoiselles

Baisant d’élytres bleus leur écumeuse ardeur

 

La nudité des mers je l’attife de voiles

Qu’elles déchireront en gestes de rafale

Pour dévoiler au stupre aimé d’elles leurs corps

 

Au stupre des noyés raidis d’amour encore

Pour violer la mer vierge douce et surprise

De la rumeur des flots et des lèvres éprises

 

Guillaume Apollinaire, Le Guetteur mélancolique, dans

Œuvres poétiques, édition M. Adéma et M. Décaudin,

Pléiade / Gallimard, 1965, p. 574.

12/01/2016

Apollinaire, Funérailles

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       Funérailles

 

Plantez un romarin

Et dansez sur la tombe

Car la morte est bien morte

C’est tard et la nuit tombe

 

     Dors bien dors bien

 

C’est tard et la nuit tombe

Dansons dansons en rond

La morte a clos ses yeux

Que les dévots prient Dieu

 

Dors bien dors bien

 

Que les dévots prient Dieu

Cherchons des prie-dieu

La mort a fait sa ronde

Pour nous plus tard demain

 

Dors bien dors bien

 

Pour nous plus tard demain

Plantons un romarin

Et dansons sur la tombe

La mort n’en dira rien

 

Dors bien dors bien

 

La mort n’en dira rien

Priez les dévots mornes

Nous dansons sur les tombes

La mort n’en saura rien

 

Dors bien dors bien

 

Guillaume Apollinaire, Pèmes divers, dans

Œuvres poétiques, Pléiade / Gallimard,

1965, p. 575.