20/09/2024
Novalis, L'Encyclopédie
Du caractère musical de toute association et société. Des rapports musicaux seraient-ils la source de tout plaisir et de tout déplaisir ?
Le rêve est souvent signifiant et prophétique, parce qu’il est un effet naturel de l’âme — et repose par conséquent sur un ordre associatif. Il signifie à la manière de la poésie — mais, par là même, sans règle — de façon absolument libre.
Les hommes vraiment actifs sont ceux que —les difficultés stimulent.
On ne doit prend aucune garde (ne prêter aucune attention) à ce qui est désagréable.
Novalis, L’Encyclopédie, traduction Maurice de Gandillac, éditions de Minuit, 1966, p.278, 279, 280, 280.
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19/04/2024
Paul Klee, Paroles sans raison
Rêve
Je trouve ma maison vide,
et tout le vin bu
détournée, la rivière
ma nudité volée, —
effacée l’épitaphe.
Blanc sur blanc.
Paul Klee, Paroles sans raison, traduction
Pierre Alferi, éditions Hourra, 2022, p. 20.
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14/01/2024
Henri Michaux, Façons d'endormi, façons d'éveillé
Le rêve, on le sait, donne des équivalences ; assez avilissantes le plus souvent, et terre à terre.
On n’y reconnaît très mal ce qui, de jour, est considéré avec enthousiasme ou idéalisme. L’amour n’y échappe pas. Le sentiment qui en faisait l’unité, qui en donnait le sens et l’atmosphère disparaît, comme s'il ne comptait pas. La matérialité est mise au premier plan. Non pas que le rêve salisse nécessairement l’amour. Mais plutôt il ne le voit pas, ni du reste la haine, ou l’aversion. Les sentiments le font songer à des objets, les objets ordinaires de notre vie quotidienne, de notre ordinaire le plus ordinaire. Il faut qu’il dénature, qu’il passe à des choses, et les choses mêmes, qu’il les fasse passer dans une autre catégorie.
Henri Michaux, Façons d’endormi, façons d’éveillé, dans Œuvres complètes, III, Pléiade/Galimard, 2004, p. 495.
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25/07/2022
Les poèmes d’Edgar Poe traduits par Stéphane Mallarmé,
Un rêve dans un rêve
Tiens ! ce baiser sur ton front ! et, à l’heure où je te quitte, oui, bien haut, que je te l’avoue : tu n’as pas tort, toi qui juges que mes jours ont été un rêve ; et si l’espoir s’est enfui en une nuit ou en un jour — dans une vision ou aucune, n’en est-il pas pour cela pas moins PASSÉ ? Tout ce que nous voyons ou paraissons, n’est qu’un rêve dans un rêve.
Je reste en la rumeur d’un rivage par le flot tourmenté et tiens dans la main des grains du sable d’or ! bien peu ! encore comme ils glissent à travers mes doigts à l’abîme, pendant que je pleure ! pendant que je pleure ! Ô Dieu ! ne puis-je les serrer d’une étreinte plus sûre ? Ô Dieu ! ne puis-je pas en sauver un de la vague impitoyable ? Tout ce que nous voyons ou paraissons, n’est-il qu’un rêve dans un rêve.
Les poèmes d’Edgar Poe traduits par Stéphane Mallarmé, Gallimard, 1928, p. 55-56.
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15/03/2022
Marie de Quatrebarbes, Aby
Le rêveur, lorsqu’il se réveille, transporte avec lui un peu de son rêve, et les mots que le rêve lui donne pour le dire disent ce que le rêve donne par devers soi comme petit peu contenant le rêve à transporter. Un trouble léger survient alors, qui déborde le sens qu’il prête au rêve et le dévie. Le mot, la phrase se brouillent comme l’eau se trouble, la mare se strie de rondes sous le jet du caillou et s’obscurcit, car les mots du rêve sont ceux du trouble, ils sont vivants comme les grives, les petits pains en miettes qui flottent à la surface. Le caillou a des arêtes tranchantes qui coupent tout ce qu’elles trouvent. Elles coupent le rêve à l’endroit où se reflète le visage du rêveur.
Marie de Quatrebarbes, Aby, P.O.L, 2022, p. 169.
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23/01/2021
Unica Zürn, L'Homme-Jasmin
L’Homme-Jasmin
Une nuit, au cours de sa sixième année, un rêve l’emmène derrière un haut miroir, pendu dans un cadre d’acajou au mur de sa chambre. Ce miroir devient une porte ouverte qu’elle franchit pour parvenir à une longue allée de peupliers menant tout droit à une petite maison. La porte en est ouverte. Elle entre et se trouve devant un escalier qu’elle monte. Elle ne rencontre personne ; La voilà devant une table sur laquelle il y a une petite carte blanche. Quand elle la prend pour y lire le nom, elle s’éveille. Ce rêve lui fait une si forte impression qu’elle se lève pour pousser le miroir sur le côté Elle trouve bien le mur mais pas de porte.
Prise d’un inexplicable sentiment de solitude elle se rend, le matin même, dans la chambre de sa mère — comme s’il était possible de retourner dans ce lit, là d’où elle est venue — pour ne plus rien voir.
Une montagne de chair tiède où l’esprit impur de cette femme est enfermé s’abat sur l’enfant épouvantée. Elle s’enfuit, abandonnant à tout jamais la mère, la femme, l’araignée !
Unica Zürn, L’Homme-Jasmin, traduction Ruth Henry et Robert Valançay, préface André Pieyre de Mandiargues, Gallimard, 1971, p. 13.
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07/05/2020
Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood
Quel sens donner au mauvais rêve de la mère putain,
Du père centenaire et du frère déserteur
Comme retranchés chacun dans une solitude amère,
Lequel aux fermages touchés, aux lettres sans réponse,
Sinon qu’on est trois fois coupable de survivre,
Volant aux morts leur dû, et pour justifier l’héritage
Profanant en songe celle qui fut la plus chère.
Mais une barque bleue enlisée dans la neige,
Le chahut de cinq cloches déréglée et fêlées,
Un train roulant à toute vapeur sur un pont de fer,
La façade en feu d’une forteresse qui s’effondre,
De ces obsessions nocturnes aux formes si précises
Rien ne laisse deviner la provenance et la clé.
Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood, Fata
Morgana, 1988, p. 9.
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28/04/2020
Franz Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn
Robert Kahn, traducteur de Kafka, avec À Milena (2015), les Derniers cahiers (2017) et, cette année, les Journaux, tous livres publiés aux éditions NOUS, est mort le 6 avril 2020.
Quatrième extrait des Journaux pour lui rendre hommage.
Troisième cahier
J’ai rêvé aujourd’hui d’un âne ressemblant à un lévrier qui était très réservé dans ses mouvements. Je l’observai avec précision parce que j’étais conscient de la rareté de l’apparition, mais je ne conservai que le souvenir que de ce que sess pieds étroits, ceux d’un humain, ne purent me plaire à cause de leur longueur et de leur symétrie. Je lui offris des bottes de cyprès frais, vert foncé, que je venais juste de recevoir d’une vieille dame de Zürich (toute la scène se passait à Zürich), il n’en voulait pas, es reniflant à peine ; mais dès que je les eus posées sur la table il les dévora si complètement qu’il n’en resta qu’un noyau semblable à une châtaigne et à peine reconnaissable. On raconta plus tard que cet âne n’était jamais allé sur ses quatre pattes, mais qu’il se tenait toujours debout comme un homme et qu’il montrait sa poitrine brillante et argentée, ainsi que son petit bedon. Mais en fait cela n’était pas exact .
Franz Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 178.
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16/03/2020
Julien Bosc, Neige d'avril
ce matin sept heures trente
la mésange bleue est la première dans le cerisier
de peu suivie par la nonnette
— ça ne vole pas bien haut
— peut-être bien mais c’est fort réjouissant
ces découvertes de petit jour après
le froid du lit la nuit
des rêves mi-figue mi-raisin
les poussières du réveil
le poêle en bas ici hésitant à reprendre
ça ne vole pas bien haut moquiez-vous supérieur
mais tout de quoi
sachez
délier le dehors du dedans
Julien Bosc, Neige d’avril, dans Des Pays habitables,
N° 1, printemps 2020.
Photo T. H., juillet 3017.
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30/12/2019
Yanette Delétang-Tardif, Vol des oiseaux
Désir
De ces chants, de ces danses, de ces jeux
Liés à la terre en notre pesanteur
Nul chant ne monte, assez voluptueux,
Nulle forme perdue en elle-même
Ne rejoindra sa naissance de sève
Dont un esprit veut trouver la fraîcheur
Mais vous, oiseaux, image d’un désir,
Partez, glissez, plus légers que ce rêve
Où notre corps veut sentir qu’il s’élève,
Où notre cœur chante pour s’accomplir !
Yanette Delétang-Tardif, Vol des oiseaux,
Aristide Quillet, 1931, p. 20-21.
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24/09/2019
Julien Bosc, De la poussière sur vos cils
En hommage à Julien Bosc, décédé le 24 septembre 2018
(...)
— Puis-je vous faire le récit d’un rêve ?
— D’un rêve ?
— Disons cela comme ça
— Oui
— J’étais assis, au bas de ce mur, mais un autre lui faisait pendant de telle sorte que j’étais dans un couloir... Je ne sais où le rêve avait commencé, je n’ai que la mémoire parcellaire de ce qui m’en reste, aussi ne puis-je pas vous dire qui ou quoi m’avait projeté dans ce couloir, si même on m’y avait projeté... J’y étais, seul, ni bien ni mal — il s’agissait d’autre chose... —, je ne pensais à rien de particulier mais confusément à tout lorsque soudain des chiens, je crois deux, oui deux chiens m’ont sauté à la figure, je veux dire au visage... Faible comme je l’étais après le trajet qu’on m’avait fait souffrir, je ne pus me défendre, vous vous en doutez. Et, en aurais-je eu la force, qu’aurais-je pu faire contre ces chiens dressés pour la haine ?... Je vous épargne les détails — à vous de même qu’à moi... je ne veux plus m’en souvenir... je dois m’en souvenir... je ne sais pas — mais j’eus le visage dévoré. Mon corps, non ! mes mains, non ! ma tête, non ! Ils n’avaient dévoré que mon visage. Mon visage et mon nom. Et je n’étais pas mort, pas même blessé.
Julien Bosc, De la poussière sur vos cils, éditons la tête à l’envers, 2015, p. 22-23. © Photo Tristan Hordé
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04/04/2019
Arp, L'Ange et la Rose
Comme l’étoile se réjouit
de l’ange d’argent.
L’ange est-il une rose d’argent ?
La rose est-elle une étoile ?
L’étoile est-elle un rêve ?
Le rêve rêve-t-il
de l’ange ou de la rose ?
Comme l’étoile se réjouit
de l’argent du rêve.
La rose d’argent est-elle un ange ?
Comme la rose se réjouit
de la lumière de l’ange.
Les roses d’argent entourent-elles les anges d’argent ?
Comme les étoiles sont parfumées.
Comme la rose se réjouit
du rêve de l’étoile.
Est-ce un rêve ?
Est-ce une lumière ?
Est-ce un ange ?
Arp, L’Ange et la Rose, traduction Maxime Alexandre,
Robert Morel, 1965, p. 18-19.
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07/02/2019
Fernando Pessoa, le violon enchanté
Sonnets
I.
Jamais nous n’avons d’apparence, que nous parlions
Ou que nous écrivions ; sauf quand nous regardons. Ce
que nous sommes
Ne peut passer dans un livre ou un mot.
Infiniment notre âme est loin de nous.
Et quelque forte soit la volonté que nos pensées
Soient notre âme, en imitent le geste,
Nous ne pouvons jamais communiquer nos cœurs ;
Nous sommes méconus dans ce que nous montrons.
Aucune habileté de la pensée, aucune ruse des semblants
Ne peut franchir l’abîme entre deux âmes.
Nous sommes de nous-mêmes un abrégé, quand nous voudrons
Clamer notre être à notre pensée.
Nous sommes les rêves des lueurs de nos âmes,
Et l’un l’autre des rêves les rêves des autres.
Fernando Pessoa, le violon enchanté, traduction Olivier Amiel pour
les sonnets, Christian Bourgois, 1992, p. 295.
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03/12/2018
Suzanne Doppelt, Rien à cette magie
la terre est ronde comme un œuf de poule ou d’autruche, un cercle imprécis dix-neuf fois plus grand que la lune d’où un jeune homme est tombé avec son double effronté, la jolie boule du monde, c’est son modèle réduit, de toutes les figures la plus semblable à elle-même, il doit se courber pour la reproduire puis la traverser. Une circumnavigation destinée à lui seul plus à quelques marins appointés, il faut du souffle et le sens de l’orientation car le commencement et la fin se confondent, un troisième œil électrique aussi afin de maintenir le fantôme en image, le ballon d’essai si bien gonflé et suspendu au bout d’un fil, une idée fixe toujours sur le point d’être emportée. Par le milieu un trop plein d’air ou un mauvais courant, un microclimat et plus rien ne tourne rond, il lui faudra des lunettes spéciales le laissant voir sans lui montrer grand-chose, le vide d’un rêve qui se déplie et se replie, neuf sphères qui composent le système du monde, moins une , peinte et cadrée avec grand art.
Suzanne Doppelt, Rien à cette magie, P. O. L, 2018, np.
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02/12/2018
Laurent Cennamo, L'herbe rase, l'herbe haute
Le mot "épinette" me revient, en lien d’abord avec cette minuscule église — une sorte de châsse géante, illuminée, au bord de l’Arno, à Pise : Chiesa della Spina. Ensuite avec un rêve de la nuit passée où, peut-être à Pise justement, je voyais, en gros plan, jaillissant de la terre, la partie centrale (une sorte de longue épine) en or (en tout cas dorée) d’une sorte de balance dont les deux plateaux étaient absents ou avaient disparu. Chose précieuse, antique, brillant de mille deux (un peu menaçante également), que je suis très fier de pouvoir nommer, presque doctement, à quelqu’un qui est là dans la nuit : « antene » (qui s’écrit peut-être avec un accent circonflexe — antêne— comme s’il s’agissait d’un mot grec). Mot très ancien, oublié, écrit sur le sable ou sur fond d’or, de feuillage de fin d’octobre bruissant, éblouissant.
(le mot "épinette")
Laurent Cennamo, L’herbe rase, l’herbe haute, Bruno Doucey, 2018, p. 73.
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