06/01/2021
Bernard Noël, L'été langue morte
L’été langue morte
Chant I
le monde n’est pas fini
et quand le vent se ève
notre visage est différent
l’amour défait l’amour
pour devenir plus que lui-même
qui va mourir
sait que la beauté est inexorable
je regarde ton souffle
tu t’évapores
l’obscur du temps est un ongle
derrière l’œil
il faudrait tenir sa langue
jusqu’au commencement du monde
la lumière est terrible
la mer ressasse
tu cherches un point parmi le jour
le présent est sans but
sans contour
et le sommet des pierres
ne connaît pas leur ombre
(...)
Bernard Noël, L’été langue morte, dans
Les Plumes d’Éros, Œuvres I, P.O.L, 2010, p. 87.
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22/07/2020
Bernard Noël, Le Mal de l'espèce
Le Mal de l’espèce
......Elle envoya des recommandations : il s’agissait de les suivre avec ponctualité. Elle exigeait que le désir soit préservé à l’extrême et outré autant que possible. Elle comptait sur ta volonté pour qu’ainsi soit ouverte dans la limite une brèche qui, certes, ne la romprait pas mais la repousserait encore et encore jusqu’à l’illusion de l’avoir dépassée. Elle aimait, tu l’as tout de suite compris, l’au-delà, c’est-à-dire cette région que nous portons à fleur de peau et que, pourtant, nous ne savons pas envahir pour nous abandonner simplement à la floraison du bonheur. Elle écrivit donc avec précision qu’elle attendait beaucoup de réserve le premier jour — une réserve passionnément tendue et qui, sûrement, aurait pour effet de créer un appétit beaucoup plus vif que la précipitation vers le plaisir.
Bernard Noël, Le Mal de l’espèce, dans La Comédie intime, Œuvres IV, 2015, p. 289.
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21/07/2020
Bernard Noël, Qu'est-ce qu'écrire
Qu’est-ce qu’écrire ? III
Il y a ce mouvement que je n’arrive pas à fixer.
Dans la vie courante, ce serait un élan qu’un geste traduirait. Il n’est pas moins présent dans le corps, et cependant il y demeure insaisissable, comme toujours en train de fuir devant. Devant quoi ? Devant ce qu’il ouvre ou attire ou entraîne. Il laisse le goût de sa trajectoire sans laisser une trace : un goût que j’essaie sur un sens puis l’autre sans réussir à le percevoir clairement. C’est... me dis-je en décidant de mettre un nom dessus pour en finir, mais le nom glisse et se dérobe. Il s’agit d’une germination instantanée qui précède une activité si mince, si rapide qu’elle a tout juste eu lieu pour s’effacer. En vérité, je devrais ne pas l’avoir même remarquée.
Bernard Noël, Qu’est-ce qu’écrire ? III, dans La Place de l’autre, Œuvres III, P.O.L, 2013, p. 213.
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20/07/2020
Bernard Noël, De Gauche, autrement
De gauche, autrement
Depuis toujours, la pensée politique est orientée vers la prise du pouvoir, et par conséquent vers sa conservation. Cela s’exprimait autrefois par l’hérédité du pouvoir absolu. La succession démocratique a introduit la relativité — jusqu’à quel point ? Et l’instauration du pouvoir économique ne rétablit-elle pas le pouvoir absolu, mais masqué ?
Le comble du génie politique est de faire admettre à l’opprimé la nécessité de son oppression. Le chômage remplit très bien cette fonction. Rien n’est plus terrible dans l’Histoire que d’y observer la permanence d’un complexe de servilité, qui a toujours permis l’exploitation consentante de la majorité. La logique de cette permanence aboutit à ce pouvoir économique intelligent, brutal et universel.
Bernard Noël, De gauche, autrement, dans L’Outrage aux mots, Œuvres, II, P.O.L, 2011, p. 387.
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19/07/2020
Bernard Noël, Des formes d'elle
Des formes d’elle
I
vivre dis-tu
c’est la venue
d’un mystère il s’empare
de nous tu vois cette ombre
sur le corps
tu vois
ce fantôme en dessous
la matière a besoin
de matière
ce besoin
est notre infini
ma langue
touche en toi une serrure
intime
tu fais de moi
un moi par-dessus les morts
par-delà les vivants
Bernard Noël, Des formes d’elle, dans
Les Plumes d’Éros, Œuvres I, P. O. L,
2009, p. 279.
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08/06/2019
Bernard Noël, La Chute des temps
Sur un pli du temps
toujours le plus
aura manqué
la langue a touché
trop d’ombre
trop compté les lettres du nom
une fois
cent fois
mille fois
les mains
ont rebâti
la statue
des larmes
mot
tombé
d’un mot
l’être
a roussi
dans le souffle
quelle fin
la bouche
troue
un visage
l’ombre
gouverne
sous les yeux
une pierre
pousse
entre nous
(…)
Bernard Noël, dans
La Chute des temps,
Poésie/Gallimard,
1993, p. 225-226.
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13/04/2019
Bernard Noël, Le plaisir de lire
Le plaisir de lire
[•••] Lire est, pour commencer, une posture physique : le rassemblement d’un appétit de langue vivante qui vous pousse à vouloir du sens à partir du livre que vous venez de choisir. Dès lors, ce qui n’était que mots et papier devient mouvement du contact de votre vue, de votre attention, et porté par elles dans votre espace mental, ce mouvement le pénètre longuement et le comble par un acte dont vous assurez vous-même la continuité, le contrôle. Lire ne serait que suivre une longue ligne froide lancée en avant comme le temps si l’ouverture au texte et la conscience du lieu qui se crée ainsi en vous n’en métamorphosaient le parcours : la ligne se dilate, génère des dimensions, du volume, et voilà que — sans perdre de vue l’illusion — vous entrez dans la présence aérienne du verbe.
Bernard Noël, dans La Place de l’autre, Œuvres, III, P. O. L, 2013, p. 233.
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05/01/2019
Bernard Noël, La Chute des temps
Portrait
où est la lettre ?
cette question vient d’un mourant
puis il se tait
tant qu’un homme vit
il n’a pas besoin de compter sa langue
quand un homme meurt
il doit rendre son alphabet
de chaque mort
nous attendons le secret de la vie
le dernier souffle emporte
la lettre manquante
elle s’envole derrière le visage
elle se cache au milieu du nom
Bernard Noël, La chute des temps,
Poésie / Gallimard,1993, p. 219.
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14/08/2017
Bernard Noël, Le mal de l'intime
Le mal de l’intime
…….. Tu marches dans les ténèbres, la tête en l’air, cherchant les étoiles. Tu sens l’épaisseur de la nuit, qui se mêle en toi à tes pensées. Tu ne sais ni d’où tu viens ni où tu vas mais la certitude qu’une direction t’oriente rend ton pas léger. Tu attends quelque chose de décisif. Tu es dans cette attente depuis longtemps, mais ce soir l’éclaircie te paraît toute proche. Tu remontes la pente de la rue en te disant que, là-haut, elle se jette dans le ciel. Tu trébuches soudain contre un pavé mal enfoncé, mais te voilà persuadé d’avoir heurté une dent. Tu cherches aussitôt dans quelle bouche tu marches, et la légèreté qui réglait ton allure se fane tout à coup. Tu bats l’air de tes deux bras. Tu lances ta canne dans le ruisseau d’ombre qui s’est mis à couler sur ta gauche. Tu as peur de perdre pied d’un moment à l’autre dans la salive, qui huile peut-être quelques transmigrations invisibles. Tu devines des souffles, des battements spirituels. Tu voudrais non pas les accueillir, mais t’immerger en eux.
Bernard Noël, Le mal de l’intime, dans La Comédie intime, Œuvres iv, P.O.L, 2015, p. 353.
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29/03/2017
Bernard Noël, Des formes d'elle
Des formes d’elle
I
vivre dis-tu
c’est la venue
d’un mystère il s’empare
de nous tu vois cette ombre
sur le corps
tu vois
ce fantôme en dessous
la matière a besoin
de matière
ce besoin
est notre infini
ma langue
touche en toi une serrure
intime
tu fais de moi
un moi par-dessus les morts
par-delà les vivants
Bernard Noël, Des formes d’elle, dans
Les Plumes d’Éros, Œuvres I, P.O.L,
2010, p. 279.
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09/01/2017
Bernard Noël, Monologue du nous
Monologue du nous
… Nous avons perdu nos illusions, et chacun de nous se croit fortifié par cette perte, fortifié dans sa relation avec les autres. Nous savons cependant que nous y avons égaré quelque chose car la buée des illusions nous était plus utile que leur décomposition. Nous oublions ce gain de lucidité dans son exercice même. Nous n’en avons pas moins de mal à mettre plus de raison que de sentiment dans notre action. Nous aurions dû depuis longtemps donner sa place au durable, mais la séduction s’est toujours révélée plus immédiatement efficace. Nous avions toutes els raisons de penser grâce à notre époque qu’un approbation, si elle est massive, ne peut qu’assurer l’avenir. Nous avons vite déchanté sans comprendre d’abord qu’il n’en va pas de l’engagement collectif comme du commerce, et que les lois de ce dernier ne provoquent que des excitations éphémères.
Bernard Noël, Monologue du nous, dans La Comédie intime, Œuvres iv, P.O.L, 2015, p. 383.
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17/12/2016
Bernard Noël, Qu'est-ce qu'écrire, I
Qu’est-ce qu’écrire, I
(…)
Nous écrivons avec des mots. Nous savons tous qu’écrire, c’est d’abord rassembler des mots. Nous le faisons sans savoir ce qu’ils sont, ni quel type d’outillage ils représentent, ni de quelle partie de nous ils sortent avec un tel naturel. Parfois, ce naturel tombe en panne, et une maladie s’ensuit dans le corps. Parfois, celui qui écrit ne supporte plus que son texte ne soit qu’un texte, et il fait tomber en panne ce naturel.
L’amour, l’écriture, le jeu, etc., déclenchent un emportement dans le mouvement duquel leur acteur touche l’autre : un autre qui peut être réellement l’autre, mais qui peut aussi être une figure que nous ne touchons qu’en nous.
L’amour, l’écriture, le jeu, etc., ont ainsi dans leur activité même un sens qui nous suffit et qui fait, par exemple, que nous ne cherchons pas à sentir dans la main qui écrit une main plus ancienne, pas plus que nous cherchons à connaître la besogne qu’elle pourrait secrètement poursuivre sous le masque de l’écriture.
(…)
Bernard Noël, La Place de l’autre, Œuvres, III, P.O.L, 2013, p. 203.
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08/10/2015
Bernard Noël, Poèmes, I, espace pour ombre
espace pour ombre
espace
de quelle eau lente
fait
un sourire s’épuise
trop devenu sourire
tu
déchires la glace
et
la surface tombe
*
qui parle
si le temps est désert
si ta place gelée
on
pose un souvenir
la nuit écume
le corps se fend
hier
comme une pierre au fond de l’eau
*
regard
de quel regard tombé
cette durée t’exile
l’amour te traverse
et
l’intouchable
la vitre refuse l’ongle
le miroir boit le visage
le rire même
s’éparpille cassé
[...]
Bernard Noël, Poèmes I, Textes / Flammarion,
1983, p. 139-141.
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15/05/2015
Bernard Noël, Monologue du nous : recension
On n’oublie pas que Bernard Noël a publié un Dictionnaire de la Commune en 1971, heureusement réédité en 2000 par Mémoire du Livre, ouvrage « pour inviter le présent à rejouer le passé » puisqu’il rassemble les noms des acteurs de ce qui fut une tentative de transformation radicale des rapports sociaux. Bernard Noël n’a pas cessé depuis d’écrire pour représenter, autant que faire se peut, la complexité du réel tel qu’il le vivait et l’on peut prendre aujourd’hui la mesure de ce travail d’éclaircissement grâce aux trois premiers volumes de son œuvre publiés chez P.O.L. Monologue du nous poursuit à sa manière une tâche qui ne peut avoir de fin.
Qu’est ce "nous" ? Un groupe de 4 militants qui rejettent la société telle qu’elle est. Symboliquement, le nous est un refus du "je", ce je qui s’est imposé au cours des années 1970 chez les dirigeants des partis dits de gauche pour commenter les faits politiques. Le nous est une petite structure de dialogue pour décider et agir : Bernard Noël construit une fiction dont les personnages et leurs projets évoquent les Brigades rouges ou Action directe. Tout se passe à Paris et dans la banlieue proche, après 2012 selon certains indices — voir une allusion transparente avec le « galant péteux tapi à l’arrière d’un scooter ». À la fin d’une manifestation, un policier entre dans la camionnette du groupe, est assommé et emmené dans une maison : son enlèvement semble passer inaperçu et la question se pose : quoi en faire ? À la suite d’une lutte, il est tué et enterré, et naît alors le projet d’abattre des dirigeants d’institutions qui participent activement au développement du capitalisme. Divers éléments se greffent sur ce récit : le nous publie un journal, accepte un contact avec la préfecture pour mieux approcher ses cibles, abat un banquier ; un autre nous de 4 militants s’est formé qui exécute un autre banquier ; etc. La trame, fort simple, importe moins que les principes qu’exposent ce nous.
Il y a d’abord un constat, « toute opposition est désarmée par l’élection d’une gauche aussitôt passée à droite », et une certitude : la révolte est inefficace, seulement « mouvement sentimental ». Ce qui n’exclut pas que s’impose « la nécessité de l’illusion » d’être des acteurs dans la société. Seule cette illusion peut donner le goût de vivre, cependant il ne s’agit pas de penser que l’action changera quoi que ce soit au cours des choses ; dans un manifeste publié dans leur journal, le nous explique : « notre action est désespérée et c’est du seul désespoir qu’elle tire sa force et sa nécessité ». Tuer des banquiers, ou des dirigeants d’un gouvernement, ne changera en rien « la dissolution de tous les repères sociaux », et cela n’échappe pas au nous, mais le choix des privilégiés qui le constituent est de préférer « les actions désespérées au salut », et parallèlement la destruction de soi par l’alcool et la drogue. Un rejet, donc, de tout ce qui pourrait ressembler à la vie sociale acceptée par la majorité. Une volonté aussi de sacrifice qui a quelque chose de religieux : le groupe projette de se faire sauter au milieu de dirigeants, assurant par ce « sacrifice » son « effacement » et son anonymat.
L’aboutissement des actions isolées, c’est l’ « abîme », puisque leur seul résultat est de « nuire » au pouvoir, sans que rien d’autre ne bouge. Si elles ne modifient rien, le récit ne peut se poursuivre : il ne ferait que décrire des assassinats successifs ; la seule issue pour Bernard Noël était de faire disparaître, d’une façon ou d’une autre, le nous : il choisit leur arrestation : « démembré en quatre suspects, [le groupe] se voit contraint, sous bonne escorte, à mettre fin au Nous. » C’est aussi la fin de l’idée que le type de violence retenu par le nous puisse être légitime — et le lecteur reste devant la question : Que faire ?
Bernard Noël, Monologue du nous, P.O.L, 112 p., 8,90 €.
Cette recension a été publiée sur Sitaudis le 4 mai 2015
05:04 Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Noël Bernard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bernard noël, monologue du nous, politique, militant, capitalisme, révolte | Facebook |
22/04/2015
Bernard Noël, "De gauche autrement" [1991], dans L'Outrage aux mots
De gauche autrement [1991]
[...]
Il y a de quoi mourir de rire à la pensée que nos grands-pères se sont battus pour le droit au travail — seul droit que les régimes totalitaires de l’Est ont respecté au grand dommage apparemment de l’économie — et que la première conséquence de la liberté, à l’Est, est la mise au chômage d’une partie de la population.
Depuis toujours, la pensée politique est orientée vers la prise du pouvoir, et par conséquent vers sa conservation. Cela s’exprimait autrefois par l’hérédité du pouvoir absolu. La succession démocratique a introduit la relativité — jusqu’à quel point ? Et l’instauration du pouvoir économique ne rétablit-elle pas le pouvoir absolu, mais masqué ?
Le comble du génie politique est de faire admettre à l’opprimé la nécessité de son oppression. Le chômage remplit très bien cette fonction. rien n’est plus terrible dans l’Histoire que d’y observer la permanence d’un complexe de servilité, qui a toujours permis l’exploitation consentante de la majorité. la logique de cette permanence aboutit à ce pouvoir économique intelligent, brutal et universel.
Comment être de gauche autrement ? Peut-être une pensée politique nouvelle doit-elle se placer dans le déchirement absolu qui, au lieu de la conduire vers l’ordre et la gestion, lui ferait supporter le point de vue de sa propre destruction ? Une telle pensée ne saurait conduire à l’appropriation. [...] Toute pensée forte travaille dans la vision de sa propre mort et non dans le développement de son pouvoir, qui l’aveuglerait.
Bernard Noël, « De gauche autrement » [1991], dans L’Outrage aux mots, Œuvres III, P.O.L, 2011, p. 386-387.
05:00 Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Noël Bernard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bernard noël, "de gauche autrement", dans l'outrage aux mots, chômage, explooitation | Facebook |