17/04/2024
Ossip Mandelstam, Simple promesse
Le poirier a tiré sur moi, le merisier,
De leur force friable, sans jamais me rater.
Les rappes et les étoiles, les étoiles et le feuillage,
Dans quelle floraison le vrai ? quel est ce pouvoir en partage ?
Que ce soit aile ou fleur — blancheur d’air, cela frappe
Contre l’air, assommé par la massue des grappes.
Et de ce parfum double la farouche suavité
Bataille, se prolonge, mélangée, fragmentée.
4 mai 1937, Voronèje
Ossip Mandelstam, Simple promesse
(choix 1908-1937), traduction P. Jaccottet,
L.Martinez, J-C/ Schneider, La Dogana, p. 140.
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17/03/2024
André du Bouchet, Air
Amarre
La grosse corde des jours de campagne
m’a lié
je m’use
couvert d’une écorce de fer
et comme moi
le jour s’est fermé
ma plaie
enterrée
la bande d’arbres
en diagonale
et l’air
au croc
qui nous faisait trembler
la surface de la terre
je suis sourd
et lisse
je ne comprends pas les mots de l’arbre
qui par moments continue de parler
au-dessus de la baignoire
posée dans le pré
comme une auge froide
d’où le jour sera sorti
entier.
André du Bouchet, Air,
Clivages, 1977, np.
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02/04/2023
Jules Supervielle, Gravitations
Tiges
Un peuplier sous les étoiles
Que peut-il ?
Et l’oiseau dans le peuplier
Rêvant, la tête sous l’exil
Tout proche et lointain de ses ailes,
Que peuvent-ils tous les deux
Dans leur alliance confuse
De feuillages et de plumes
Pour gauchir la destinée ?
Le silence les protège
Et le cercle de l’oubli
Jusqu’au moment où se lèvent
Le soleil, les souvenirs.
Alors l’oiseau de son bec
Coupe en lui le fil du songe
Et l’arbre déroule l’ombre
Qui va le garder tout le jour.
Jules Supervielle, Gravitations, dans
Œuvres poétiques complètes,
Pléiade/Gallimard, 1996, p. 179.
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01/01/2023
Jours d'hiver
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04/09/2021
Denise Le Dantec, Ô Saisons
la fenêtre s’ouvre comme un hymne sur un sentier
— les tables de ferme fleurissent
tête la première dans l’eau de la citerne
les pommiers portent un double fruit
mon cœur vieillit
toujours plus loin là-bas
au-delà du pont
parmi les cris
la splendeur des tournesols
autour des pieux
réparer
dormir
fermer
marcher à travers les arbres
le choral des rameaux des rosiers d’autrefois
comme quand on s’en va
Denise Le Dantec, Ô Saisons, éditions des instants,
2021, p. 73.
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24/06/2021
Cole Swensen, Poèmes à pied
(Thoreau)
(...)
Ainsi les arbres vivent pour toujours
un ami de quiconque
est aussi un ami à tes côtés
un arbre révèle
au long de ses marches quotidiennes
de plus âpres voyages
comme la présence
a toujours été
plus intrusive que le sens
et ainsi
un paysage en sa persévérance
est un déploiement sans mesure, permettant
un assaut de lumière renouvelée
par un après-midi qui mène à un autre
et que celui-ci quelque part achève
Cole Swensen, Poèmes à pied, traduction de l’américain
Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Corti, 2021, p. 33.
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10/05/2021
James Sacré, Si peu de terre tout
Portrait du paysan à travers les arbres
Paysan comme un arbre en colère
mouvements grands, tant de cris pourquoi ?
on sait mal peu à peu le temps l’apaise
demain la campagne est belle avec les foins
coupés les outils qu’on entretient
ça donne du tonus au paysage l’éloignement de ces cris
dans le profond bleu calme
James sacré, Si peu de terre tout, le dé bleu, 2000, p. 65.
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24/03/2021
Fernando Pessoa, Poèmes jamais rassemblés
En écoutant mes vers quelqu’un m’a dit : en quoi c’est nouveau ? »
Tout le monde sait qu’une fleur est un fleur et qu’un arbre est un arbre.
Moi j’ai répondu : pas tout le monde, personne.
Tout le monde aime les fleurs parce qu’elles sont belles, moi je suis différent.
Tout le monde aime les arbres parce qu’ils sont verts et qu’ils donnent de l’ombre, pas moi.
Moi j’aime les fleurs parce que ce sont des fleurs, tout simplement.
J’aime les arbres parce que ce sont des arbres, sans que j’y pense.
29 mai 1918
Fernando Pessoa, Poèmes jamais rassemblés d’Alberto Caeiro, traduction J-L. Giovannoni, I. Hourcade, R. Hourcade et F. Vallin, éditions Unes, 2019, p. 31.
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02/09/2020
Emily Dickinson, Un ciel étranger
La Vérité — est immobile —
Une autre forme — se déplace peut-on présumer —
Cela — donc — est mieux pour la confiance —
Quand les plus vieux Cèdres ploient —
Et que les chênes dénouent leurs poings —
Et les montagnes — faibles — penchent —
Un corps si parfait
Qu’il se tient sans un Os —
Une Force si vigoureuse
Qu’elle se maintient sans Support —
La Vérité reste Elle-même — et chaque homme
Qui se fie à Elle — fièrement dressé —
Emily Dickinson, Un ciel étranger, traduction
François Heusbourg, éditions Unes, 2019, p. 85.
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04/01/2020
André du Bouchet, Air
Amarre
La grosse corde des jours de campagne
m’a lié
je m’use
couvet d’un écorce de fer
et comme moi
le jour s’est fermé
ma plaie
enterrée
la bande d’arbres
en diagonale
et l’air
au croc
qui nous faisait trembler
la surface de la terre
je suis sourd
et lisse
je ne comprends pas les mots de l’arbre
qui par moments continue de parler
au-dessus de la baignoire
posée dans le pré
comme une auge froide
d’où le jour sera sorti
entier.
André du Bouchet, Air, Clivages, 1977, np.
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07/09/2019
Virgile, Le souci de la terre
La terre ouverte par le croc de la bêche donne assez d’humidité, et par le soc, des fruits lourds
Nourrir ainsi l’olive grasse, si chère à la paix
Les arbres fruitiers aussi, ils sentent s’affirmer la vigueur d e leur tronc puissant, ils se tendent vigoureusement vers les étoiles, sans besoin de notre aide
Et c’est toujours la forêt qui se charge de fruits
Les bois sauvages qui rougissent de baies de sang
Les troupeaux dévorent les cytises
Les hautes forêts fournissent des torches et alimentent les feux de la nuit pour répandre la lumière
Oh les hommes hésitent à planter des arbres et à en prendre soin
Virgile, Le souci de la terre, traduction du latin Frédéric Boyer, Gallimard, 2019, p. 138.
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06/06/2018
Aurélie Foglia, Grand-Monde : recension
Bien des poètes ont célébré les arbres, de Ronsard à Supervielle, mais un livre entier déborde l’idée même d’éloge. Il ne s’agit pas seulement des arbres et de la manière dont les humains les utilisent, mais du lien étroit, intime que la narratrice entretient avec eux ; elle est surtout présente à partir de la troisième des six parties de Grand-Monde(le néologisme désigne le monde des arbres) et, ensuite, c’est ce lien qui engage sa vie qui occupe une place prépondérante.
C’est essentiellement dans la première partie, titrée "Les Longtemps", la plus développée, que la narratrice précise la manière dont elle perçoit les arbres ; non pas vision de botaniste : ce qu’ils sont au-delà de leur apparence physique. Le nom "Les Longtemps", « au visage vert tendre », leur est donné parce que le temps ne semble pas avoir de prise sur eux — caractéristique classique de la symbolique des arbres, régulièrement reprise (par exemple par Verhaeren, « [l’arbre] voit les mêmes champs depuis cent et cent ans / Les mêmes labours et les mêmes semailles »), mais qui, ici, n’est pas dissociée d’autres aspects qui font des arbres des êtres singuliers. Leur singularité est dite d’entrée : « Ils n’ont pas bougé », notation dans un contexte qui renvoie à des éléments mobiles ; l’absence de mouvement est suggérée comme un choix, répété ensuite avec l’insistance de l’allitération, ils « miment mal le maigre / exploit de marcher ». La majuscule de "Ils" et leurs traits spécifiques les distinguent des humains ; ils forment une communauté, sans qu’il soit question de telle ou telle espèce, dont l’organisation a exclu toute distinction entre les membres : aucun des éléments n’a de prise sur un autre. Sans doute ne parlent-ils pas, ce qui n’empêche pas qu’ils s’expriment de manière non articulée (« un arbre à l’oral est un raclement qui s’éclaircit »), qu’ils peuvent crier (« leurs cris de joie d’oiseaux ») et, quand ils ont perdu leurs feuilles, de faire entendre « des soupirs d’insectes ». En somme, les arbres cumulent ce qui appartient à l’humain, à l’oiseau et à l’insecte ; en outre, s’ils se multiplient grâce aux oiseaux, existent cependant « les femmes des arbres ».
L’arbre serait à sa manière un être complet, opposé en cela à la narratrice qui, par comparaison, se vit comme inachevée, ce que souligne la coupure des mots :
je ne devrais pas avoir droit
à la nudit
é me
réduire à une cuir
rasse casque barbe
lé
[etc.]
Êtres complets également parce qu’ils sont intégrés à un ensemble plus vaste qui comprend, outre les insectes et les oiseaux, l’eau où ils se reflètent « comme peints par Apelle », le ciel puisque par leur position ils vont « vers la lumière dont se faire verts », le ciel et la terre qui ont des qualités complémentaires : les arbres « ont tressé la terre avec l’instable // en brassant le ciel immeuble », le vent avec qui ils ont un rapport de complicité — il les fait « ré / fléchir » — et grâce auquel ils adoptent parfois la figure de la mer — ce qu’appuie l’assonance dans :
tel ancrage de mer vague
sous l’élan caressant du vent cassant
l’ombre
de falaises frémissantes de temps
en temps frénétiques
[etc]
Aurélie Foglia construit une symbolique de l’arbre en inversant un discours dominant à propos des forêts, encore perçues comme des espaces opaques, à l’écart du civilisé, pour l’essentiel ayant une fonction utile : elles sont, d’abord, lieux à exploiter, ce qui les fait disparaître ; les arbres deviennent manches de haches, meubles, etc., ils sont à la disposition des hommes qui y installent une balançoire et laissent leurs chiens uriner contre eux. Que dire d’autre ? Les arbres « sont animaux / qui ne craignant pas l’homme / sauvages / ils ont tort ». Contrairement à lui, ils ignorent ce qu’est la mort et, est-ce bienveillance ?, ils l’aident à se pendre.
Dans la construction de Grand-Monde, les arbres sont étroitement liés à la narratrice, et d’abord par le jeu des mots, "feuille" ne renvoyant pas qu’au végétal, par exemple dans « des mains froissent des feuilles déchirées », et l’arbre pouvant devenir papier : « il paraît / que je viens d’un long voyage de papier » — on ne peut pas ignorer que fogliasignifie « feuille » en italien. Le je, dans la quatrième partie titrée "Hors lieu", déclare « je n’ai pas lieu / la banlieue aveugle », constatant sa rupture avec arbres et terre, se souvenant d’un lieu perdu, le clos des rosiers de la grand-mère, pour ensuite entrer dans une fiction, celle de devenir arbre, ce qui s’opposerait à « je n’ai nulle part ». Entrer dans l’imaginaire, écrire que l’on souhaiterait devenir ce qui dans une grande partie du livre a été présenté comme une forme accomplie, pleine, sans aspérités, cela n’implique pas que l’on quitte la réalité, seulement qu’il faut penser l’impossible — on sait bien que « représenter est théâtral est tuant ». Il y a dans le désir (donc dans ce qui ne peut s’accomplir sans cesser d’être désir) de devenir arbre (« on se demandera // je ne sais pas vous// ce que ça fait d’être / arbre » ; etc.) une aspiration à abandonner les oripeaux du quotidien pour rejoindre le silence des arbres et de l’herbe, confondus en un mot valise : « sous les berces et les ombelles j’ai / jeté mon corps et l’ai laissé / là roulé dans l’harbre à la merci / du soleil et des mouches ».
Aurélie Foglia, Grand-Monde, Corti, 2018, 144 p., 18 €. Cette note a été publiée sur Sitaudis le 15 mai 2018.
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22/03/2017
Paul Claudel, Connaissance de l'Est
Le pin
L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme.
Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste, mais son acte essentiel et la condition de sa stature.
La famille des conifères accuse un caractère propre. J’y aperçois non pas une ramification du tronc dans ses branches, mais leur articulation sur une tige qui demeure unique et distincte, et s’exténue en s’effilant. De quoi le sapin s’offre pour un type avec l’intersection symétrique de ses bois, et dont le schéma essentiel serait une droite coupée de perpendiculaires échelonnées.
(…)
Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974 (Mercure de France, 1900), p. 101-102.
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08/03/2017
Pierre Michon, Le Roi du bois
Tôt un matin, j’allais me couper des sifflets sous un taillis, dans un de ces fonds humides où viennent des essences tremblantes que le moindre souffle agite, saules et trembles, et qui recueillent à leur pied de pauvres espèces, les couleuvres, les grenouilles : on fait dans ces écorces les meilleurs sifflets, on en tire une plainte ténue mais exagérée comme le chant des crapauds. Oui, Dieu sait que je n’allai chercher là que de bons sifflets. L’odeur des feuilles pourries montait et penché là-dedans j’avançais avec précaution, très occupé, le regard à hauteur de terre. Le jour de juin me trouva dans ce sous-bois. À un détour par une trouée je vis au loin le front d’un palais dans le soleil levant en haut de la colline : rien n’y bougeait, nul n’était levé, c’était clair et inhabité comme un rocher ; ici les brumes de la nuit persistaient, les feuillages retombaient, tout était noir. J’étais bien.
Pierre Michon, Le Roi du bois, éditions infernales, 1992, p. 23.
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02/04/2016
Sarah Plimpton, extrait de Single Skies
Extraits de Single Skies
ombre brusque du soleil
froissée derrière l’arbre
le bleu du ciel
qui mène le vent
hors de la nuit
la porte
claque
le ciel
au sein de l’orage
a sudden shadow from the sun
upset behind the tree
the blue of the sky
driving the wind
off the night
the door
slams
the sky
inside the storm
Sarah Plimpton, traduit par Mathieu
Nuss, dans L’Étrangère, n° 40-41, p. 239 et 238.
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