24/03/2021
Fernando Pessoa, Poèmes jamais rassemblés
En écoutant mes vers quelqu’un m’a dit : en quoi c’est nouveau ? »
Tout le monde sait qu’une fleur est un fleur et qu’un arbre est un arbre.
Moi j’ai répondu : pas tout le monde, personne.
Tout le monde aime les fleurs parce qu’elles sont belles, moi je suis différent.
Tout le monde aime les arbres parce qu’ils sont verts et qu’ils donnent de l’ombre, pas moi.
Moi j’aime les fleurs parce que ce sont des fleurs, tout simplement.
J’aime les arbres parce que ce sont des arbres, sans que j’y pense.
29 mai 1918
Fernando Pessoa, Poèmes jamais rassemblés d’Alberto Caeiro, traduction J-L. Giovannoni, I. Hourcade, R. Hourcade et F. Vallin, éditions Unes, 2019, p. 31.
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02/09/2020
Emily Dickinson, Un ciel étranger
La Vérité — est immobile —
Une autre forme — se déplace peut-on présumer —
Cela — donc — est mieux pour la confiance —
Quand les plus vieux Cèdres ploient —
Et que les chênes dénouent leurs poings —
Et les montagnes — faibles — penchent —
Un corps si parfait
Qu’il se tient sans un Os —
Une Force si vigoureuse
Qu’elle se maintient sans Support —
La Vérité reste Elle-même — et chaque homme
Qui se fie à Elle — fièrement dressé —
Emily Dickinson, Un ciel étranger, traduction
François Heusbourg, éditions Unes, 2019, p. 85.
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04/01/2020
André du Bouchet, Air
Amarre
La grosse corde des jours de campagne
m’a lié
je m’use
couvet d’un écorce de fer
et comme moi
le jour s’est fermé
ma plaie
enterrée
la bande d’arbres
en diagonale
et l’air
au croc
qui nous faisait trembler
la surface de la terre
je suis sourd
et lisse
je ne comprends pas les mots de l’arbre
qui par moments continue de parler
au-dessus de la baignoire
posée dans le pré
comme une auge froide
d’où le jour sera sorti
entier.
André du Bouchet, Air, Clivages, 1977, np.
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07/09/2019
Virgile, Le souci de la terre
La terre ouverte par le croc de la bêche donne assez d’humidité, et par le soc, des fruits lourds
Nourrir ainsi l’olive grasse, si chère à la paix
Les arbres fruitiers aussi, ils sentent s’affirmer la vigueur d e leur tronc puissant, ils se tendent vigoureusement vers les étoiles, sans besoin de notre aide
Et c’est toujours la forêt qui se charge de fruits
Les bois sauvages qui rougissent de baies de sang
Les troupeaux dévorent les cytises
Les hautes forêts fournissent des torches et alimentent les feux de la nuit pour répandre la lumière
Oh les hommes hésitent à planter des arbres et à en prendre soin
Virgile, Le souci de la terre, traduction du latin Frédéric Boyer, Gallimard, 2019, p. 138.
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06/06/2018
Aurélie Foglia, Grand-Monde : recension
Bien des poètes ont célébré les arbres, de Ronsard à Supervielle, mais un livre entier déborde l’idée même d’éloge. Il ne s’agit pas seulement des arbres et de la manière dont les humains les utilisent, mais du lien étroit, intime que la narratrice entretient avec eux ; elle est surtout présente à partir de la troisième des six parties de Grand-Monde(le néologisme désigne le monde des arbres) et, ensuite, c’est ce lien qui engage sa vie qui occupe une place prépondérante.
C’est essentiellement dans la première partie, titrée "Les Longtemps", la plus développée, que la narratrice précise la manière dont elle perçoit les arbres ; non pas vision de botaniste : ce qu’ils sont au-delà de leur apparence physique. Le nom "Les Longtemps", « au visage vert tendre », leur est donné parce que le temps ne semble pas avoir de prise sur eux — caractéristique classique de la symbolique des arbres, régulièrement reprise (par exemple par Verhaeren, « [l’arbre] voit les mêmes champs depuis cent et cent ans / Les mêmes labours et les mêmes semailles »), mais qui, ici, n’est pas dissociée d’autres aspects qui font des arbres des êtres singuliers. Leur singularité est dite d’entrée : « Ils n’ont pas bougé », notation dans un contexte qui renvoie à des éléments mobiles ; l’absence de mouvement est suggérée comme un choix, répété ensuite avec l’insistance de l’allitération, ils « miment mal le maigre / exploit de marcher ». La majuscule de "Ils" et leurs traits spécifiques les distinguent des humains ; ils forment une communauté, sans qu’il soit question de telle ou telle espèce, dont l’organisation a exclu toute distinction entre les membres : aucun des éléments n’a de prise sur un autre. Sans doute ne parlent-ils pas, ce qui n’empêche pas qu’ils s’expriment de manière non articulée (« un arbre à l’oral est un raclement qui s’éclaircit »), qu’ils peuvent crier (« leurs cris de joie d’oiseaux ») et, quand ils ont perdu leurs feuilles, de faire entendre « des soupirs d’insectes ». En somme, les arbres cumulent ce qui appartient à l’humain, à l’oiseau et à l’insecte ; en outre, s’ils se multiplient grâce aux oiseaux, existent cependant « les femmes des arbres ».
L’arbre serait à sa manière un être complet, opposé en cela à la narratrice qui, par comparaison, se vit comme inachevée, ce que souligne la coupure des mots :
je ne devrais pas avoir droit
à la nudit
é me
réduire à une cuir
rasse casque barbe
lé
[etc.]
Êtres complets également parce qu’ils sont intégrés à un ensemble plus vaste qui comprend, outre les insectes et les oiseaux, l’eau où ils se reflètent « comme peints par Apelle », le ciel puisque par leur position ils vont « vers la lumière dont se faire verts », le ciel et la terre qui ont des qualités complémentaires : les arbres « ont tressé la terre avec l’instable // en brassant le ciel immeuble », le vent avec qui ils ont un rapport de complicité — il les fait « ré / fléchir » — et grâce auquel ils adoptent parfois la figure de la mer — ce qu’appuie l’assonance dans :
tel ancrage de mer vague
sous l’élan caressant du vent cassant
l’ombre
de falaises frémissantes de temps
en temps frénétiques
[etc]
Aurélie Foglia construit une symbolique de l’arbre en inversant un discours dominant à propos des forêts, encore perçues comme des espaces opaques, à l’écart du civilisé, pour l’essentiel ayant une fonction utile : elles sont, d’abord, lieux à exploiter, ce qui les fait disparaître ; les arbres deviennent manches de haches, meubles, etc., ils sont à la disposition des hommes qui y installent une balançoire et laissent leurs chiens uriner contre eux. Que dire d’autre ? Les arbres « sont animaux / qui ne craignant pas l’homme / sauvages / ils ont tort ». Contrairement à lui, ils ignorent ce qu’est la mort et, est-ce bienveillance ?, ils l’aident à se pendre.
Dans la construction de Grand-Monde, les arbres sont étroitement liés à la narratrice, et d’abord par le jeu des mots, "feuille" ne renvoyant pas qu’au végétal, par exemple dans « des mains froissent des feuilles déchirées », et l’arbre pouvant devenir papier : « il paraît / que je viens d’un long voyage de papier » — on ne peut pas ignorer que fogliasignifie « feuille » en italien. Le je, dans la quatrième partie titrée "Hors lieu", déclare « je n’ai pas lieu / la banlieue aveugle », constatant sa rupture avec arbres et terre, se souvenant d’un lieu perdu, le clos des rosiers de la grand-mère, pour ensuite entrer dans une fiction, celle de devenir arbre, ce qui s’opposerait à « je n’ai nulle part ». Entrer dans l’imaginaire, écrire que l’on souhaiterait devenir ce qui dans une grande partie du livre a été présenté comme une forme accomplie, pleine, sans aspérités, cela n’implique pas que l’on quitte la réalité, seulement qu’il faut penser l’impossible — on sait bien que « représenter est théâtral est tuant ». Il y a dans le désir (donc dans ce qui ne peut s’accomplir sans cesser d’être désir) de devenir arbre (« on se demandera // je ne sais pas vous// ce que ça fait d’être / arbre » ; etc.) une aspiration à abandonner les oripeaux du quotidien pour rejoindre le silence des arbres et de l’herbe, confondus en un mot valise : « sous les berces et les ombelles j’ai / jeté mon corps et l’ai laissé / là roulé dans l’harbre à la merci / du soleil et des mouches ».
Aurélie Foglia, Grand-Monde, Corti, 2018, 144 p., 18 €. Cette note a été publiée sur Sitaudis le 15 mai 2018.
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22/03/2017
Paul Claudel, Connaissance de l'Est
Le pin
L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme.
Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste, mais son acte essentiel et la condition de sa stature.
La famille des conifères accuse un caractère propre. J’y aperçois non pas une ramification du tronc dans ses branches, mais leur articulation sur une tige qui demeure unique et distincte, et s’exténue en s’effilant. De quoi le sapin s’offre pour un type avec l’intersection symétrique de ses bois, et dont le schéma essentiel serait une droite coupée de perpendiculaires échelonnées.
(…)
Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974 (Mercure de France, 1900), p. 101-102.
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08/03/2017
Pierre Michon, Le Roi du bois
Tôt un matin, j’allais me couper des sifflets sous un taillis, dans un de ces fonds humides où viennent des essences tremblantes que le moindre souffle agite, saules et trembles, et qui recueillent à leur pied de pauvres espèces, les couleuvres, les grenouilles : on fait dans ces écorces les meilleurs sifflets, on en tire une plainte ténue mais exagérée comme le chant des crapauds. Oui, Dieu sait que je n’allai chercher là que de bons sifflets. L’odeur des feuilles pourries montait et penché là-dedans j’avançais avec précaution, très occupé, le regard à hauteur de terre. Le jour de juin me trouva dans ce sous-bois. À un détour par une trouée je vis au loin le front d’un palais dans le soleil levant en haut de la colline : rien n’y bougeait, nul n’était levé, c’était clair et inhabité comme un rocher ; ici les brumes de la nuit persistaient, les feuillages retombaient, tout était noir. J’étais bien.
Pierre Michon, Le Roi du bois, éditions infernales, 1992, p. 23.
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02/04/2016
Sarah Plimpton, extrait de Single Skies
Extraits de Single Skies
ombre brusque du soleil
froissée derrière l’arbre
le bleu du ciel
qui mène le vent
hors de la nuit
la porte
claque
le ciel
au sein de l’orage
a sudden shadow from the sun
upset behind the tree
the blue of the sky
driving the wind
off the night
the door
slams
the sky
inside the storm
Sarah Plimpton, traduit par Mathieu
Nuss, dans L’Étrangère, n° 40-41, p. 239 et 238.
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17/10/2014
Jules Supervielle, Les Amis inconnus
L'oiseau
« Oiseau, que cherchez-vous, voletant sur mes livres,
Tout vous est étranger dans mon étroite chambre.
— J'ignore votre chambre et je suis loin de vous,
Je n'ai jamais quitté mes bois, je suis sur l'arbre
Où j'ai caché mon nid, comprenez autrement
Tout ce qui vous arrive, oubliez un oiseau.
— Mais je vois de tout près vos pattes, votre bec.
— Sans doute pouvez-vous approcher les distances
Si vos yeux 'ont trouvé ce n'est pas de ma faute.
— Pourtant vous êtes là puisque vous répondez.
— Je réponds à la peu que j'ai toujours de l'homme
Je nourris mes petits, je n'ai d'autre loisir,
Je les garde en secret au plus sombre d'un arbre
Que je croyais touffu comme l'un de vos murs.
Laissez-moi sur ma branche et gardez vos paroles,
Je crains votre pensée comme un coup de fusil.
— Calmez donc votre cœur qui m'entend sous la plume.
— Mais quelle horreur cachait votre douceur obscure
Ah ! vous m'avez tué, je tombe de mon arbre.
— J'ai besoin d'être seul, même un regard d'oiseau !...
— Mais puisque j'étais loin au fond de mes grands bois ! »
Jules Supervielle, Les Amis inconnus, dans Œuvres poétiques complètes, édition sous la direction de Michel Collot, Pléiade, Gallimard, 1996, p. 300-301.
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02/07/2014
J. M. G. Le Clézio, L'inconnu sur la terre
On sait ce qu'il y a à l'intérieur des arbres; On ne le voit pas vraiment avec les yeux, mais on le sent. C'est là, devant moi, comme une armature raidie à l'intérieur du tronc. Les arbres sont immobiles, bien calmes, dans le vent, dans la lumière. Oui, ils sont ainsi. Et pourtant, on sent les flammes dures et brillantes qui sont à l'intérieur de leurs troncs. Jamais on n'a senti à ce point la force cruelle et obstinée de l'existence. Les arbres sont droits et solides. Partout, sur la terre sèche, brûlent les flammes solitaires. Elles sont dressées, debout, pareilles à des flammes, pareilles à des statues, et ces flammes brûlent, à la fois chaudes et froides, denses, faisceaux de lumière concentrée. Autour d'elles, l'espace est nu, vide, silencieux. Toute la vie organique est dans ces flammes qui brûlent sans vaciller.
J. M. G. Le Clézio, L'inconnu sur la terre, "Le Chemin", Gallimard, 1978, p. 102.
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19/06/2014
Lou Raoul, Else avec elle
L'or Else
la campagne parfois ne dit pas un mot
et les voitures, toutes, s'éloignent
les animaux furtivement dans les taillis, tapis
puis le sifflement des rapaces nocturnes tout près, Else, de ton sommeil
parfois la campagne ne dit pas un mot
mais le matin, Else, tu regardes l'arbre du bout du champ, il vieillit aussi
mais tu rassembles des cailloux
des tas très petits c'est pas grand-chose ça ne pèse pas lourd
ou même c'est rien
mais toi tu vois, Else, leur or
l'or des cailloux
pour que ta vie te serve un peu
Lou Raoul, Else avec elle, éditions isabelle sauvage, 2012, p. 25.
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18/05/2014
Les 99 haïku de Ryokan
Dans la touffeur verte
une fleur de magnolia
en pleine floraison
Le ciel clair d'automne
des milliers de moineaux —
le bruit de leurs ailes
La fenêtre ouverte
tout le passé me revient —
bien mieux qu'un rêve !
Allons, c'est fini !
et moi aussi je m'en vais —
crépuscule d'automne
Sur la branche encore
aujourd'hui — mais plus demain —
le fleurs du prunier
Le vent de l'été
apporte dans ma soupe
des pivoines blanches
Les 99 haïku de Ryokan (1758-1831),
traduits par Joan Titus-Carmel,
Verdier, 1986, np.
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21/12/2013
Jean-Paul de Dadelsen, Gœthe en Alsace
La folie de Hölderlin
Anecdote
Sur ce dernier rebord
On le voit poser une main qui ne tremble pas
La gentillesse de ce fleuve retrouvé
Ne plus se pencher vers elle, mais rester droit
Sébastien stupéfait de patience.
Les peupliers de Bordeaux
Et la rive glissante de la Garonne
Que suivent les femmes aux dimanches de soie
Maintenant sont plantés sans vibrer
Dans le flanc maintenant immobile
Ce nœud coulant ajuste deux poignets sans les mordre.
Même le soleil
N'est plus ce poignard qui sonne.
Il faut à celui-ci
Un regard qui fraîchisse son front comme une aube
Si tu posais ta main sur ces mains jointes
Le poids tendrait cette corde affilée.
Feins de poser tes yeux avec lui
Sur cet orme qui n'ose plus lui faire signe
Pour ne pas l'éveiller de sa pitoyable divinité.
Ce miel est indulgent à ses lèvres brûlées
Sur la gorge de l'écorché le jour simule une douceur
Mais cet arc tombé de ses mains
L'homme immobile voit peut-être le fleuve où il danse
Le pilier de quel pont il frappe à cette minute
Quel chasseur aux yeux aigus
Le ramasse.
Le 22.IX.38
Jean-Paul de Dadelsen, Gœthe en Alsace et autres textes, Le temps qu'il fait, 1982, p. 23-24.
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14/04/2013
Tiphaine Samoyault, Bête de cirque
La première fois que j'ai vu tomber un arbre entier, quand le dernier coup porté l'a cassé en deux après que ses branches ont été déposées une à une et que son bruit a précédé sa chute, je ne crois pas avoir plaint l'arbre mais moi qui le voyais tomber. Tandis que debout il était un géant dont la crête m'apaisait, au sol il devenait sans ressemblance. Sa tête n'était plus l'ombre des nuages, il ne ferait plus l'ombre de cette ombre. Qu'est-ce qui tombe quand quelque chose tombe ? Peut-être toutes les ombres que cette chose a portées. La première fois que j'ai vu tomber un arbre, j'ai vu brusquement tomber du temps, pourtant si lent. On n'entend pas le temps passer dans l'arbre qui pousse mais on l'entend s'effondrer dans l'arbre qui tombe. Le tronc ouvert permet de compter les âges de cet arbre qui ne vieillira plus. Les yeux s'égarent dans cette spire si difficile à suivre qu'on en perd l'âge de l'arbre, de toute façon si vieux. Qu'est-ce qui tombe quand quelque chose tombe ? Un souvenir par seconde et l'âge que nous n'aurons jamais. La première fois que j'ai vu tomber un arbre, quand la perspective matinale d'une journée d'hiver fut soudain dévisagée par sa chute progressive, j'en ai vu tomber un deuxième peu après. Pareillement la cime puis le houppier puis en deux fois le tronc. On se bouche les oreilles pour ne pas voir, sans pouvoir malgré tout s'empêcher de regarder la stèle qui tombe. Et quand on voit combien aussi celui-là manque, on se dit qu'on a vécu près d'un arbre, qu'on n'y a pas été assez sensible.
Tiphaine Samoyault, Bête de cirque, "Fiction & Cie", Seuil, 2013, p. 151-153.
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29/01/2013
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé
Donner
I
Donner un arbre est-il possible ?
Cet arbre là, que j'avais sous la main,
Je l'ai donné ou j'ai cru le donner.
J'aurais donné des feuilles de laurier tout aussi bien.
J'ai demandé autour de moi
quelque chose à donner, la première venue.
J'ai vu l'arbre et j'ai dit : l'arbre.
Il résonnait comme un silence où la parole est prête.
L'ai-je coupé ? je ne l'ai pas coupé.
Ai-je parlé de chaque feuille ?
La nuit était di grande ! On aurait dit qu'avec son clair de lune,
elle avait chaque feuille à elle ;
et elle a emporté dans son silence mon silence intact.
Qu'ai-je donné ? Est-ce qu'on donne ?
La moindre pierre ne m'appartient pas.
C'est par la nuit que tu me tiens, ma belle.
C'est par la nuit que je disparaîtrai.
II
Qui ne s'est retourné dans sa nuit
étonné d'être noir aussi ?
J'ai reconnu l'immensité
sans être immense.
J'ai dit : venez puisque le ciel
semble sur moi pour qu'on en vienne !
Trop fort à quelques draps peut-être j'ai tenu ;
trop fort à ma chaleur contre les vents étranges.
Dans la nuit j'ai construit ma nuit,
j'ai couché mon ombre avec l'ombre.
Le plaisir a pris mon plaisir.
Mon souffle m'a donné au vent.
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé, Gallimard, 1966,
p. 112-113.
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