05/07/2025
Armand Robin, Le Monde d'une voix
Tous Prisonniers
Tous les vivants en rang (plus ou moins en rang)
Fusils derrière, fusils devant.
Plus le droit de vivre de la rivière !
On a mis sous séquestre les prairies ;
On demande de marcher affamé dans la poussière,
On est traîné.
On donnera plus tard
D’autres villages, d’autres ruisseaux,
D’autres haltes, d’autres repos,
On nous dira de répéter les mêmes mots,
De nous tromper.
On ne nous laisse pas de papier
Où crier : « Nous voulons espérer ! »
Armand Robin, Le Monde d’une voix,
Gallimard, 1968, p. 69.
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Armand Robin, La Monde d'une voix
En tout, partout je tiens debout
Je veux jusqu’à ma tombe qu’on me calomnie,
Je veux qu’après ma tombe encore on me nie.
Grande source inaltérée
Mes beaux cris
Arabes, russes, chinois, japonais
Vous ne pourrez me sauver !
Jamais je n’ai séparé les terres,
Tous les cris bafoués dans ma bouche ont remué,
Ont repris vie
Furent à neuf sur mon sang respectés.
J’eus une âme d’amour et de pureté,
Mes passions furent la brume, les fleurs la lune.
J’ai fait mon âme menue
Pour que la plus faible lune, lorsqu’une nue
L’assiège, puisse chez moi trouver demeure
Humble, amie,
Pour sa grande face incertaine.
Et la nuit, malgré ses étoiles messagères,
Est une étrangère.
Armand Lubin, Le Monde d’une voix,
Gallimard, 1968, p. 9.
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04/07/2025
Armand Robin, Le Monde d'une voix
Un homme
Je ne serai jamais à la mode
Je ne serai jamais commode.
Aragon passe très bien ;
C’est un petit homme de rien,
Mi-bourgeois et mi-malin.
Armand Lubin, Le Monde d’une voix,
Gallimard, 1968, p. 59 .
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03/07/2025
James Sacré, Des objets nous accompagnent (ou l'inverse)
Dans l’agréable fraîcheur de la matinée
Puces de la Mosson, le gris des arbres
Un thé avec un brin de menthe
La vieille dame qui va le servir
Essuie soigneusement le fond du verre
Table fragile en plastique vert sombre
Un bruit de souvenirs vient dans la tête ;
On est au Café Populaire à Sidi Slimane
Frappe des dominos et des verres sur les tables
Ou quelque part à Dar Belamri
Dans un matin tranquille
Verre de thé, méloui, c’est plutôt bruits de mots qui sont
Comme autant d’objets dépareillés qui te racontent
On se demande bien quoi dans ce marché de plein air.
James Sacré, Des objets nous accompagnent (ou l’inverse),
PUHR, 2025, p. 128.
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02/07/2025
James Sacré, Des objets nous accompagnent (ou l'inverse)
Une bibliothèque prend peu à peu beaucoup de place ;
Toute une pièce pour les livres de poésie. Deux grands murs pour les autres
Et dans un troisième endroit, de beaux livres (comme on dit)
À cause de voyages qu’on a faits,
Un rayonnage pour les revues dans le garage.
Le temps dispersé de la bibliothèque.
Le corps dispersé de la bibliothèque.
Autant dans la maison que dans le temps d’une vie.
Quelque chose dont la forme se perd
En des livres venus là par hasard ou qu’on n’a pas lus
Et d’autres qui n’y sont pas, qu’on empruntait
Là où pendant longtemps on travaillait.
Une bibliothèque de lectures oubliées.
Chaque livre somme un miroir sans tain
On y regarde dans le vide d’avoir vécu
Sans rien relire de ce qu’on a lu.
James Sacré, Des objets nous accompagnent
(ou l’inverse), PURH, 2025, p. 82-83.
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01/07/2025
James Sacré, Des objets nous accompagnent (ou l'inverse)
De petites croix, fines ou trapues,
Elles sont pour la plupart fabriquées au Mexique
(C’est indiqué au verso comme on le dirait
Pour une page écrite ou pour une peinture)
Des croix avec un message (au recto donc)
Peintes qu’elles sont avec des figurines d’étain ou de fer blanc :
Milagris dijes ou promesas, sortes d’ex-voto
Ou seulement des charmes porte-bonheur, porte-chance.
On les trouve parmi d’autres objets,
Ou c’en est tout un assortiment dans un panier
Colorado Nouveau Mexique et l’Arizona,
Boutiques pour les touristes et pas que
Et dans les musées. Elles sont de la couleur et des matières
Agréables devant les yeux, dans les mains :
Bois, céramique, une en cuivre,
Quelque chose de solide et de vécu.
On se souvient que Jésus
Sans doute a travaillé
Avec son père artisan charpentier.
James Sacré, Des objets nous accompagnent (ou l’inverse),
PURH, 2025, p. 53-54.
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30/06/2025
James Sacré, Des objets nous accompagnent (ou l'inverse)
Quelque part en Galicie.
Le tour permet aux mains du potier
De monter une grande quantité de bols, les voilà mis
Dans presque tout l’espace de l’atelier, comme si
L’obscur z la terre nue
Fleurissait par-dessus le ciment.
Sur le haut d’un meuble chez moi
D’autres bols de fabrication marocaine :
Les regarder met du plaisir
Dans les mots silencieux.
James Sacré, Des objets nous accompagnent (ou l’inverse),
PURH, 2025, p. 21.
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29/06/2025
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Aux Champs Élyséens
Sur les Champs Élysées de Marcel Proust
les marronniers endurent une foule
hétéroclite et veule il eût dit : oust !
l’enfant au cerceau dont perdu le moule
il narra la fin d’un monde qui croule
sous la poussée de barbares nouveaux
ont fait depuis longtemps rôtir le veau
d’or pour convertir tout en marchandise
tout jusques à vos rêves vous est vo
lé reste une uniforme bâtardise
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?,
La Rumeur libre, 2025, p. 95.
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28/06/2025
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Compte tenu des mots
Deux perdrix font un trou dans la poussière
du hangar s’y vautrant en un nid
la faune vous a de ces mœurs princières
dommage qu’on en ait été bannis
ce non pas suite d’un décret éni
gmatique mais du fait de la parole
vu qu’elle abstrait on n’est plus à la colle
avec le « monde muet » qu’il prisait
Ponge remonté contre le symbole
pas pour autant le gars qu’il se taisait
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Le Merle moqueur, 2025, p. 54.
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27/06/2025
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Hors de question d’aller sur fesse bouc
où se débonde libre un tombereau
d’accablantes niaiseries c’est un souk
nauséabond où se montrent les crocs
où s’exhibent les fesses des héros
du jour mais tenez-vous voici le pire
on se soumet de facto à l’empire
des sens prostitués : à la canto
nade on divulgue son minable dire
version abâtardie du bel canto
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Le Merle moqueur, 2025, p. 34.
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26/06/2025
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Rosebud
Regard de qui reconnaît son désir
après avoir troué les subterfuges
comme il s’embue qui voulait se durcir
tant qu’il n’avait remémoré sa luge
- s’arcbouter sur sa lésine vous gruge
serré dans son bouton la rose attend
que l’enclos de ses larmes se déten
de et les laisse s’écouler et les laisse
l’ouvrir elle la rose tant et tant
que la haine de soi plus ne la presse
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Le Merle moqueur, 2025, p. 43.
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25/06/2025
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
La messe est dite
L’espère humaine occupe tout l’espace
urbain ses maisons ses rues tout rempli
à bloc elle est le seul grand rapace
flingués autres vivants jusqu’à l’oubli
mais voilà qu’à la fin elle faiblit
les animaux refoulés lui refilent
un truc à décimer les grandes villes
rongées jusqu’au trognon de passions viles
où ça pullule avec obscénité
l’a-t-on assez dédaignée la sibylle
que peut-elle dire sinon : ite
missa est ?
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Le Merle moqueur, 2025, p. 47.
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24/06/2025
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
I Sonnet avec la manière de s’en servir
Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton,
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.
Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,
— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.
— Télégramme sacré — 20 mots. — Vite à mon aide…
(Sonnet — c’est un sonnet —) ô Muse d’Archimède !
— La preuve d’un sonnet est par l’addition :
— Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède
En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô… » — Sonnet — Attention !
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, Pléiade, Gallimard, 1970, p. 718.
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23/06/2025
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Le crapaud
Un chant dans une nuit sans air…
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
… Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif…
— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…
— Un crapaud ! Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… — Horreur !
… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.
Ce soir, 20 juillet.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, Pléiade, Gallimard, 1970, p. 735.
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22/06/2025
Silvia Majerska, Blancs-seings : recension
La quatrième de couverture propose une lecture des douze courts poèmes du livre ; chacun, en prose, occupe quelques pages, divisé en séquences précédées de chiffres romains ; aucun ne connaît la majuscule et la ponctuation est réduite au minimum. Chaque poème est consacré à une plante dont le nom en latin est donné en titre. Des éléments nés d’une vision personnelle alternent avec d’autres extérieurs et le tout est éloigné du (triste !) langage des fleurs tout autant que d’un discours sur un herbier. Il s’agit plutôt, comme l’écrit l’auteure, d’une « botanique intérieure » qui mêle constamment l’observation, celle que chacun pourrait faire, et l’imagination, qui transforme telle plante en être qui voit le monde. En exergue, une citation du Bon usage de Grévisse dit que l’astérisque (*) devant un mot signale une forme hypothétique, l’avertissement vaut ici pour le contenu qui suit le nom, pas pour la désignation en latin précédée de ce signe. La rose, fleur par excellence dans le monde occidental, ouvre le recueil.
La rose est reconnue comme le symbole de l’amour, culturellement très présente de la mythologie grecque et à la littérature, en France, du Moyen Âge à Ronsard et à Paul Éluard. C’est pourquoi elle est en ouverture, immédiatement identifiée bien que sous son nom latin, *Rosa. Ce qui n’est pas le cas des autres plantes du livre ; on lit d’ailleurs « il relèverait du miracle d’entrevoir tilia dans tilleul sans connaître un strict minimum de latin ». Le lien entre pinus et pin est encore lisible, comme peut-être celui entre viola et violette, mais l’ignorance de la langue morte ne permet pas de reconnaître dans Castanea, Trifolium, Taraxacum, Papaver, Bellis, Chamaemelum, Vitis et Lilium, respectivement Châtaigne, Trèfle, Pissenlit, Coquelicot, Pâquerette, Camomille, Vigne et Lys. On verra que c’est un motif, celui de la transformation, qui donne une unité particulière au livre : la rose aurait changé, de son passé violent (« sombre », avec ses piquants) au présent (fleur de l’amour), et elle change aussi de couleur hors de la nature.
Ici, la rose, comme vivante, « obéit : à la lumière, à la chaleur », et, avec les sentiments d’un humain, elle se comporte comme tel, douée de la faculté de rêver ; la narratrice comprend que les façons d’être d’un humain — comme la respiration — choquent la rose qui, elle, n’est pas soumise à l’air. La rose peut être transformée par la génétique et la dernière partie du poème rapporte qu’est née une rose bleue (précisément bleu violacé, bleu lavande) dans les laboratoires japonais, transformation destructrice d’un élément de la nature et de sa charge symbolique, de l’imaginaire qui lui est attaché. Toutes les plantes réunies dans Blancs-seings se modifient, chacune à sa manière ; pour les arbres ils grandissent et gardent quelque chose de leur histoire ; la châtaigne, qui semblait dans sa « cuirasse polie » avoir fait « vœu de silence » explose au sol ; le latex du pissenlit est comme du sang ; le pavot ressemble à une marmite, à une jupe et semble lié au feu ; la grappe de la vigne semble un fleur de glycine ; le poème consacré à la violette se termine par un palindrome, attribué parfois à Virgile et choisi comme titre par Guy Debord pour titre d’un de ses films, In girum imus nocte ecce et consumimur igni, « nous tournons dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu ». Pour la camomille,
« et pareil à l’eau chaude que nous versons sur les fleurs desséchées dans le but de ressusciter les cités perdues au fond de nos infusions,
la mémoire insuffle au passé recroquevillé dans le bol de l’esprit ses anciennes courbes et couleurs.
Il s’agit bien sûr d’une construction de l’imagination qui fait penser à la perception d’un bâton dans l’eau : nous ne voyons pas alors la réalité, déformée, ce que développe la fin du poème. On n’oublie pas non plus que le lys par sa blancheur s’apparente à la perle et le poème s’achève avec une explication détaillée à propos de la formation d’une perle dans l’huître, lieu par excellence de la transformation.
Une partie de la page (de chaque poème) reste blanche, comme un blanc-seing, en ce sens que l’on doit combler ce qui n’est pas explicitement donné à la lecture : les mouvements de transformation, de changement qui affectent chaque plante, preuve qu’elle est vivante. Ces douze courts poèmes le disent superbement.
Silvia Majerska, Blancs-seings, Gallimard, 2024, 72 p., 12, 90 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 21 mai 2025.
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