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17/01/2025

Alexis Pelletier, Là où ça veille

 

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nous sommes venus mon père et moi à l’appel

je l’ai vu embrasser  le front puis

                                             repartir                                                         

encore aujourd’hui je ne sais à quel moment

la douleur le saisit et quel

                                     sens prit la mort

de sa femme je me le demande

                                            aujourd’hui

après beaucoup d’années

                                     il y a un silence

                                                         et je

ne sais pas quand j’ai vraiment pris conscience que

c’était fini comme Myriam l’a dit et le

sens des mots reste sans aucune prise dans

la mort de l’autre et dans le deuil qui s’installe et

surtout quand celle-ci vient d’arriver pourquoi

avec la lumière

                     un souvenir

                                    assez sombre

 

Alexis Pelletier, Là où ça veille, Tarabuste, 32025, p. 11.

19/12/2024

Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : Quelque cose

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Au matin 

Je suis habitant de la mort idiote     la tête comme un porridge

Les oiseaux s’envolent     à l’avoine noire de fumée (il est quatre heures, il est cinq heures)

Les arbres s’habillent de fond en comble

Dans mon bol des archipels de boue noire   qui fondent

Je bois tiède

L’église, le sable, le vent irrésolu

J’avance d’une ligne, à deux doigts

Je voudrais nous coucher tête-bêche

Tes yeux sur ma bouche    à la place de ce rien

 

Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, p. 35.

27/11/2024

Jean Genet, Le condamné à mort

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Camilla Meyer était une Allemande. Quand je la vis, elle avait peut-être quarante ans. À Marseille elle avait dressé son. fil à trente mètres au-dessus des pavés, dans la cour du Vieux-Port. C’était la nuit. Des projecteurs éclairaient ce fil horizontal haut de trente mètres. Pour l’atteindre, elle cheminait sur un fil oblique de deux cents mètres qui partait du sol. Arrivée à mi-chemin sur cette pente, pour se reposer elle mettait un genou sur le fil, et portait sur sa cuisse la perche-balancier. Son fils (il avait peut-être seize ans) qui l’attendait sur une petite plate-forme, apportait au milieu du fil une chaise, et Camilla Meyer qui venait de l’autre extrémité, arrivait sur le fil horizontal. Elle prenait cette chaise, qui ne reposait que par deux de ses pieds sur le fil, et elle s’y asseyait. Seule. Elle en descendait, seule… En bas, sous elle, toutes les têtes s’étaient baisses, les mains cachaient les yeux. Ainsi le public refusait cette politesse à l’acrobate : faire l’effort de la fixer quand elle frôle la mort.

 

Jean Genet, Le funambule, dans Le condamné à mort, L’Arbalète, 1966, p. 147

04/09/2024

Jacques Roubaud, Octogone

                      jacques roubaud,octogone,douceur,mort

                                       Douce

 

le ruban de l’air roule autour de la lampe

l’acacia tombe sur elle doucement

le temps vient de l’est

temps de feutre à moitié aussi de crépitements

l’air l’enveloppe d’étamines

douce

mais morte

c’est tout à fait ça douce

mais morte

 

Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 279.

07/06/2024

Vadom Kosovoï, Correspondance Maurice Blanchot–Vadim Kosovoï

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Après la lecture de L’Instant de ma mort, de Maurice Blanchot :

 

La mort en instance, serait-elle toujours la même DEVANT le même jeune homme ou le même enfant ? Et EN lui toujours aussi légère ?

Je la vis sans peut-être la voir (car je fermai les yeux, on le sait) à l’âge de sept ans ou, pour être plus précis, de six ans et demi, dans une petite gare, devant notre train qui devait repartir. Ce fut un lourd obus d’artillerie, trop lourd pour moi, qui gisait à même le sol, couvert d’immondices, (je le remarquai au dernier instant), que je levai péniblement, puis jetai (ou plutôt laissai tomber). Et qui s’enfonça dans mon œil gauche, quasi déchiqueta ma jambe gauche, couvrit ma tête, ma poitrine et mes bras de maintes traces indélébiles de souffrance. Je m’assis, la tête penchée.

Je la revis (si seulement ce « je » m’appartient) de nombreuses fois encore sur les corps mutilés de ces enfants qu’on apportait à l’hôpital, inertes et mugissants, pour les soigner un peu ou plutôt pour les laisser mourir. Je savais, me semble-t-il, que la douleur et l’agonie d’autrui me concernaient de près, qu’elles me promettaient ma propre fin.

Je la revis métamorphosée (mais toujours la même, celle que je croyais connaître, si ce n’est avoir connue) dans mes rêves illuminés, en prison, (deuxième ou troisième année), à travers le feu de plusieurs fins du monde les unes plus fantasmagoriques que les autres.

Je la vis une fois pour toutes (toujours en prison) bien plus calme, voire impassible, pendant une nuit d’adieu et d’extrême épouvante, après une expérience particulièrement lourde de hachisch, une mort qui me rendait mon MOI STRATÉGIQUE, affreusement émietté, dispersé par l’effet du poison [...].

 

Correspondance Maurice Blanchot –Vadim Kosovoï, Lettre à Maurice Blanchot du 3 novembre (1994 ?), dans PO&SIE, n° 112-113, éditions Belin, 2005, p. 110.

18/03/2024

André du Bouchet, Ici en deux

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... toute la nuit

 

comme

sur le point de mourir

 

sans

que ma mort appartienne alors

davantage

                  que la clarté

venue

de la nuit blanche

 

 

 

n’a

appartenu à la nuit

 

André du Bouchet, Ici en deux,

Poésie/Gallimard, 2011, p. 65.

21/12/2023

Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus

 

6.4311. La mort n’est pas un événement de la vie. La mort ne peut être vécue.

 

Si l’on entend pas éternité, non pas une durée temporelle infinie, mais l’intemporalité, alors celui)là  vit éternellement qui est dans le présent.

 

Notre vie est tout autant sans fin que notre champ de vision est sans limite.

 

Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus, traduction Pierre Klossowski, préface Bertrand Russel, Gallimard, 1961, p. 104.

04/11/2023

Jules Renard, Journal, 1887-1910

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Pourquoi se déplacer ? D’une certaine hauteur de rêve, on voit tout.

À relire des vieilles lettres, j’éprouve déjà un plaisir de vieux.

Métro : on entre dans la gueule populaire.

Travailler à n’importe quoi, c’est-à-dire faire de la critique.

La mort ne nous prend peut-être que tout à fait développés : ma lenteur à croître me rassure. 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 1097, 1097, 1103, 1104, 1108.

08/10/2023

Eugène Savitzkaya, Cochon farci

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Comment vais-je mourir demain, par miracle,

aussi brusquement qu’apparu, dans un demi-souffle,

en puanteur commune, avec les roses sur le ventre

et délivré par une fée, né et mort

au même instant, dans l’articulation

de la phrase ?

 

Eugène Savitzkaya, Cochon farci, éditions de

Minuit, 1996, p. 31.

11/07/2023

Joseph Joubert, Carnets

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Et se précipiter dans la mort comme dans un fleuve, où s’engloutissent tous les soins et où l’on boit l’oubli des maux.

La liberté. C’est-à-dire l’indépendance de son corps.

Les enfants veulent toujours regarder derrière les miroirs.

Personne ne voulait être le second.

Ne pas juger les gens par leurs affaires.

 

Joseph Joubert, Carnets, Gallimard, 1994, p. 152, 155, 165,173, 183.

14/06/2023

Robert Desnos, État de veille

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Aujourd’hui je me suis promené avec mon camarade,
Même s’il est mort,
Je me suis promené avec mon camarade.

Qu’ils étaient beaux les arbres en fleurs,
Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.
Avec mon camarade je me suis promené.

Jadis mes parents
Allaient seuls aux enterrements
Et je me sentais petit enfant.

Maintenant je connais pas mal de morts,
J’ai vu beaucoup de croque-morts
Mais je n’approche pas de leur bord.

C’est pourquoi tout aujourd’hui
Je me suis promené avec mon ami.
Il m’a trouvé un peu vieilli,

Un peu vieilli, mais il m’a dit :
Toi aussi tu viendras où je suis,
Un Dimanche ou un Samedi,

Moi, je regardais les arbres en fleurs,
La rivière passer sous le pont
Et soudain j’ai vu que j’étais seul.

Alors je suis rentré parmi les hommes.

 Robert Desnos, État de veille

 

17/02/2023

Jude Stéfan, Que ne suis-je Canule

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Stéfan est mort

et Jude aussi

   pour les Amis épars

avecque lui mourra Emma

         sa jeune ou belle égérie

         (ne furent qu’

         étang gelé

         - un datura ouvert –

phare isolé

en fausses métaphores)

pauvres hères dans  nos campagnes

         qui l’hiver vous pendiez

           à raison

         Vous nous communiez

         vous nous en conjurez

         Ne Plus Écrire

 

Jude Séfan, Que ne suis-je Catulle,

Gallimard, 2010, p. 97.

27/10/2022

Jacques Lèbre, À bientôt

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À partir de l’écluse de Fleury, un jeune chat a participé un moment à la promenade sur le chemin de halage, tantôt nous suivant tantôt nous précédant. Nous ne nous étions nullement concertés, c’était visiblement un accord tacite.

 

Comme si vous mouriez toujours, au beau milieu d’un carrefour. Des vêtements sont peut-être restés en désordre sur une chaise, un bol sur une table.

 

Les rendez-vous notés dans les agendas d’une personne disparue ? Tels ces piquets qui indiquent le tracé d’un chemin pris sous une épaisse couche de neige.

 

Je peux sans doute lire deux recueils d’un même poète dans une journée, mais passser d’un poète à un autre, non, je ne peux pas. Il faut un certain laps de temps, comme de traverser un tunnel pour passer d’un paysage à un autre.

 

Jacques Lèbre, À bientôt, Isolato, 2022, p. 19, 20, 22, 29.

18/04/2022

Jack Kerouac, Mexico City Blues

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                                               103e Chorus

          •  
          • Mon Père dans le rouge de la basse ville
          • Se promenant comme une ombre
          • D’encre noire, avec chapeau, hochant la tête,
          • Dans les lumières immémoriales de nos rêves.
          • Car j’ai depuis rêvé de Lowell
          • Et de l’image de mon père,
          • Chapeau de paille, journal dans la poche,
          • Sentant l’alcool, cirages-coiffeur,
          • Est l’image de l’Homme Ignorant
          • Se hâtant vers sa destinée qui est la Mort
          • Quoiqu’il le sache.
          •          C’est pourquoi ils appellent Santé,
          •           une bouteille, un verre, une rasade,
          •          Une Coupe de Courage.
          •  
          • Les hommes savent que le brouillard n’est pas leur ami —
          • Ils sortent des champs et mettent leurs manteaux
          • Ils deviennent des hommes d’affaires et meurent rassis
          • La même mort rassise et écœurante
          • Ils auraient pu mourir à la campagne
          •          Collines de fumier
          • Mes souvenirs de mon père
          • dans la basse ville de Lowell
          • homme en carton marchant
          • dans les lumières perdues
          • faits de la même matière vide
          • que mon père dans sa tombe.
          •  
          • Jack Kerouac, Mexico City Blues, traduction
          • Pierre Joris, Poésie/Gallimard, 2022, p. 119.

02/03/2022

Joyce Mansour, Carré Blanc

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Lèvres acides et luxurieuses

Lèvres aux fadeurs de cire

Lobes boudeurs moiteurs sulfureuses

Rongeurs rimeurs plaies coussins rires

Je rince mon épiderme dans ces puits capitonnés

Je prête mes échancrures aux morsures et aux mimes

La mort se découvre quand tombent les mâchoires

La minuterie de l’amour est en dérangement

Seul un baiser peut m’empêcher de vivre

Seul ton pénis peut empêcher mon départ

Loin des fentes closes et des fermetures à glissière

Loin des frémissements de l’ovaire

La mort parle un tout autre langage

 

Joyce Mansour, Carré blanc, éditions Le Soleil noir,

1961, p. 121.