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29/12/2021

André Breton, Jean Paulhan, Correspondance

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La correspondance entre André Breton et Jean Paulhan, remarquable par sa durée, introduit le lecteur à des aspects mal connus des relations des surréalistes avec l’institution littéraire représentée par la Nouvelle Revue Française et permet de comprendre, malgré l’absence d’un grand nombre de ses lettres, combien les liens d’amitié avec Paulhan ont été essentiels pour Breton. En outre, on retrouve à diverses occasions le polémiste vigoureux qui a dirigé le mouvement surréaliste. Les premières années de la correspondance, les lacunes empêchent de suivre les réactions de Paulhan aux propos de Breton, c’est pourquoi l’éditrice, Claire Barthélémy, reconstruit précisément le contexte des échanges et rappelle le parcours des deux écrivains et, pour Breton, la mise en œuvre de la revue Littérature, ses relations avec Jacques Rivière qui dirigeait la NRF. Les notes nécessaires pour éclairer le contexte sont précieuses ; le sont aussi les fac-similés de lettres dans le volume et les annexes (textes de Breton, de Paulhan et de Jouhandeau liés à la correspondance), et l’on n'oublie pas les très utiles appendices (index des noms, des titres, table des illustrations).

 

La première lettre publiée de Breton (18 juin 1918) répond à une offre d’amitié de Paulhan, offre recopiée et envoyée à Aragon. Breton souhaite se lier avec son aîné (douze années les séparent) et l’exprime nettement ; « Vous ne savez pas encore le prix que j’attache à ce qui me vient de vous », écrit-il et, un peu plus tard, en juillet, « Vous êtes précisément l’ami que j’attendais à cette époque de ma vie ». Il considère alors que Paulhan, à qui il a dédié son premier texte publié, peut dans leurs échanges apporter des réponses à des questions littéraires qu’il se pose ; lecteur attentif de Valéry (dont il recopie des poèmes dans ses lettres), il admet les lacunes de sa lecture : « Vous tenez le sens total du poème quand je fais encore, moi, le jeu des mots ». Le premier numéro de la revue Littérature, qu’il dirige avec Aragon et Philippe Soupault, ouvre son sommaire avec un texte de Gide ("Les Nouvelles nourritures") et un poème de Valéry ("Cantique des colonnes"), mais aussi avec "La Guérison sévère" de Paulhan qui publiera dans trois numéros en 1920 "Si les mots sont des signes ou Jacob Cow le pirate". Cette étude rencontre des préoccupations de Breton, « ces pages sur les mots me sollicitent en tous sens », écrit-il à Paulhan.

De son côté, Paulhan, ce que relève Clarisse Barthélémy, « dans cette ardeur vitale, initiatique, radicale qui caractérise Breton, (...) retrouve son goût de la liberté et une forme de pureté, — ainsi, sans doute, que ses premières convictions anarchistes ». Ils avancent tous deux avec des questions analogues concernant l’expression ; cependant, la transformation progressive de la revue, qui devient le 1erdécembre 1924 La Révolution surréaliste éloigne Paulhan du surréalisme. Le projet lui-même, énoncé dans le premier numéro, ne pouvait lui convenir : « Le procès de la connaissance n'étant plus à faire, l’intelligence n’entrant plus en ligne de compte, le rêve seul laisse à l’homme tous ses droits à la liberté ».

Jacques Rivière, qui dirigeait la Nouvelle Revue Française, meurt en février 1925 et Paulhan, qui assurait le secrétariat depuis 1920, prend sa place. Les divergences entre la revue, Paulhan et les surréalistes, tant pour les choix esthétiques que politiques, s’accroissent jusqu’à la rupture, consommée par une brève lettre de Breton le 4 mars 1926, « J’ai l’honneur de vous informer que je vous tiens pour un con et un lâche » ; l’intéressé répond sur le même ton par pneu, « Il y a longtemps que vous m’emmerdez. Vous auriez dû comprendre plus tôt que je vous tiens pour aussi lâche que fourbe ». Un an plus tard, l’adhésion du surréalisme au Parti communiste, justifiée dans un tract, Au grand jour, entraîne dans la NRF une réponse d’Antonin Artaud, À la grande nuit, et un commentaire de Paulhan, sous le pseudonyme de Jean Guérin. Breton réagit par une lettre ordurière, Paulhan lui envoie ses témoins mais il refuse le duel. La rupture durera jusqu’en 1935.

L’éditrice trace à grands traits l’histoire du surréalisme pendant les années 1930. C’est la séparation d’avec le Parti communiste, dont Breton explique les raisons en 1935 dans la préface de Position politique du surréalisme, qui permet à nouveau le dialogue avec Paulhan ; il accuse notamment le pouvoir soviétique d’avoir trahi les espoirs de la révolution de 1917. Les échanges épistolaires reprennent mais, surtout, Paulhan publie Breton dans la NRF et dans Mesures, la revue amie d’Henry Church, puis prend L’Amour fou dans sa collection "Métamorphoses". Le silence reprend avec l’exil de Breton aux États-Unis à partir de 1941. Il revient en France en juillet 1946, sans pourtant rencontrer Paulhan ; ils ne se verront qu’au cours de leur engagement, pour un temps, dans l’organisation pacifiste "Citoyens du monde" initiée par Robert Sarrazac, qui fera connaître à Breton le village de Saint-Cirq-Lapopie où le poète s’installera. Ils se retrouvent pleinement sur des questions de critique littéraire, en 1949, avec la publication le 19 mai d’un faux de Rimbaud, La Chasse spirituelle, avec une préface de Pascal Pia ; le faux est défendu par une partie de la critique, par exemple avec force par Maurice Nadeau. Dès le 21 mai, Breton dénonce dans une lettre au journal Combat le « caractère particulièrement méprisable » du pastiche — la lettre n’est publiée que le 26 ; il publie la même année sur cette affaire Flagrant délit, Rimbaud devant la conjuration de l’imposture et du trucage, salué par Paulhan, « c’est une grande joie de l’esprit et du cœur que donne Flagrant délit ». Une autre affaire les rapprochera en 1960, celle de l’élection du "Prince des poètes" pour succéder à Paul Fort ; malgré ses efforts Breton, qui déteste Cocteau, n’empêchera pas qu’il soit choisi. Il semble que les échanges cessent dans le courant de l’année 1962 — Breton meurt en décembre 1966, Paulhan en octobre 1968 —, sans que l’on en connaisse vraiment la raison.

 

L’un et l’autre, intransigeants dans leurs choix intellectuels, se sont reconnus et rencontrés sur des questions littéraires essentielles pour eux. Breton a souvent regretté de trop peu rencontrer Paulhan et il lui écrivait en 1959, « Je mourrai sans avoir compris pourquoi vous et moi nous ne serons vus, pourtant parfois de si près, que par intermittences mais seul le sentiment de chance demeurera ». Dans le numéro de la NRF en hommage à Breton, Paulhan concluait son article par ces mots « il n’est pas toujours possible à un homme de dire ce qu’il sait. Breton est mort. Tout est à recommencer ». On lit souvent dans cette correspondance de précieux témoignages d’une vraie amitié.

Correspondance André Breton-Jean Paulhan, 1918-1962, présentée et éditée par Clarisse Barthélémy, Gallimard, 2021, 268 p., 22 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 2 décembre 2021.

 

 

18/03/2020

Simone Debout & André Breton, Correspondance 1958-1966

 

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                           L’Atelier d’André Breton

 

Derrière la lourde table bureau, le mur que l’on a célébré et finalement transporté dans un espace public, comme si l’on pouvait séparer ce mur de l’atelier qu’à la fois il clôturait et portait jusqu’aux confins de la terre. Là, étaient juxtaposées des pièces d’art primitif, une écorce aborigène, des planches sculptées de Nouvelle-Calédonie, un tableau de Picabia et la grande peinture d’une tête de Miró. Plus bas, une foule de statuettes des Marquises, de l’Île de Pâques, des masques, de sombres fétiches parés de coquillages ou d’écorces et de plumes, et des petits tableaux de Jarry, de Miró, d’Arp, une photo-portrait d’Élisa et une grande volière d’oiseaux aux brillantes couleurs et des crânes surmodelés. Le passé et le présent le plus proche et le plus lointain, un tout dont la véhémence et la cohérence étaient celles du désir, de regard qui les avait choisis un à un, et que cette commune élection accordait.

 

Simone Debout, Mémoire, d’André Breton à Charles Fourier, dans S. D. & André Breton, Correspondance, 1958-1966, éditions Claire Paulhan, 2020, p. 170-171.

 

13/03/2020

André Breton, Paul Éluard , Correspondance 1918-1939 : recension

           André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938,

Quelques volumes de la correspondance d’Éluard et de Breton ont déjà paru (1) ; ce nouvel ensemble a été préparé par Étienne-Alain Hubert, qui a collaboré à l’édition des œuvres d’André Breton par Marguerite Bonnet dans la Pléiade. Après une présentation détaillée des lettres, il retrace dans sa préface l’évolution des deux poètes après leur rupture. Bien que des lettres aient été perdues, ces échanges épistolaires constituent une chronique passionnante, même si partielle et partiale, d’une période littéraire essentielle, celle de la formation et du développement du surréalisme, avec quelques-unes des querelles qui l’ont agité. On lit aussi les débuts et l’épanouissement d’une amitié, la richesse des échanges affectifs et intellectuels entre les deux poètes — ils écrivirent d’ailleurs ensemble L’immaculée conception (1930) — et comment des divergences politiques quant aux moyens de vivre un idéal ont provoqué leur éloignement. Comme pour les volumes déjà parus les notes, indispensables au lecteur d’aujourd’hui, restituent le contexte des lettres et précisent la position et le rôle de personnes proches ou non de Breton et Éluard — l’index compte plus de 400 noms — écrivains, peintres, marchands, directeurs de revues, personnel politique, etc. Ajoutons que des fac-similés de lettres et cartes postales, et quelques photos, illstrent le volume.

 La rencontre est d’abord liée à la littérature ; Breton écrit (4 mars 1919) à Éluard après avoir lu Le Devoir et l’inquiétude, court ensemble de poèmes publiés en 1917, et l’invite à collaborer à la revue Littérature, « Jean Paulhan me dit que sans doute vous écririez dans Littérature ». Leur amitié se construit notamment par l’envoi de livres et Breton exprime rapidement son affection, en septembre 1919, « Peu de choses me tiennent à cœur, cependant votre amitié et quelques autres » et en décembre’ 1920, « Je m’ennuie bien de vous » — le tutoiement n’intervient qu’en août 1923. Cette relation affective est dite tout au long des années par l’un et l’autre, aussi bien au début des lettres que dans leur conclusion (A. B. « A toi comme à personne », P. E. « A toi très affectueusement »). Entente quant à ce que devrait être la poésie — Breton écrit un article laudatif à propos d’Éluard) —, engagement commun pour changer le monde, attitude générale partagée (plutôt prédatrice) vis-à-vis des femmes, toute une manière de vivre a longtemps rapproché les deux hommes.

Les faits politiques sont rarement évoqués directement dans la correspondance, cependant la guerre du Maroc (1925-1926) y est présente, pour évoquer les manifestations violentes de juillet 1925 auxquelles des surréalistes participent ; Éluard, dans ce cadre, pense que les publications du groupe ont une importance révolutionnaire et feront entendre une voix différente, distincte notamment de celle des communistes. Il accorde d’ailleurs un rôle moteur à Breton ; quand celui-ci se désole de n’avoir rien écrit pour un numéro de la revue des surréalistes, en août 1925, Éluard le morigène avec humour (« Voyons, mon petit, un peu de courage ») et conclut sérieusement, « Ce numéro ne peut pas paraître sans toi ». Cette reconnaissance du rôle prépondérant de Breton est largement explicitée, en septembre 1925 :

 Je suis plein de force, plein d’espoir et tellement heureux d’avoir lu Lénine de Trotsky et de    la façon dont tu en parles. Voilà enfin un enseignement parce qu’entièrement révolutionnaire. Ce livre est un des plus grands que j’aie jamais lus. (...) Je crois que notre action peut tout gagner (en décision, en sûreté, en intelligence, en efficacité) de la lecture de ce livre.

 

Cette confiance dans les choix de Breton est répétée quelques années plus tard, en 1928, « Je n’ai d’espoir qu’en toi pour que notre position ne cesse pas d’être révolutionnaire ». Elle se maintient entière quand le parti communiste, en 1931, rejette les surréalistes, quand Aragon, en 1932, rompt avec le surréalisme : Éluard le qualifie notamment de « canaille », parle d’une « malhonnêteté crapuleuse » qui lui donne « envie de vomir ».

Au cours des années 30, le parti communiste parvient à empêcher les surréalistes d’être audibles politiquement. Pourtant, Éluard, en 1936, ne coupe pas les ponts avec les défenseurs de l’URSS. ; à Breton qui lui rappelle ce que sont les procès de Moscou, il redit sa certitude d’une « entente absolue sur le fond » et, à nouveau en avril 1938, affirme encore sa fidélité : « ce que nous aimons et défendons va trouver, sous ton influence, une nouvelle terre d’élection » en la revue Minotaure. Lors de son séjour au Mexique, en 1938, Breton est violemment diffamé par Commune, un des organes des communistes, et Éluard donne cependant un poème à la revue, ce qui laisse entendre pour Breton qu’il ne condamne pas les attaques, alors qu’il est impossible pour lui de ne pas dénoncer la réalité de l’URSS. Suit une rupture, définitive. Que reste-t-il ensuite entre eux ? Éluard s’éloigne des surréalistes mais écrit à celui qui fut son ami, « Je n’oublierai jamais ce que tu as été et ce que tu restes pour moi » ; Breton, en juin 1945, à propos d’un poème d’Éluard qui vient d’être publié, écrit « C’était toujours Toi (ou moi) ».

La correspondance donne de très nombreuses preuves d’une fraternité qui s’est renforcée par le travail commun dans le surréalisme. Elle explique les confidences de l’un et l’autre sur leur vie quotidienne. Éluard écrit souvent à propos de la reprise de sa tuberculose et de son état de faiblesse, qui entraînent la solitude, un sentiment d’inutilité (« Ma santé, mon cher André, est un désastre ») ; il se désole aussi de ne pas pouvoir aider financièrement Breton comme il le voudrait (« un de mes plus perpétuels soucis, un des plus importants est de ne pas mieux pouvoir t’aider, te soutenir, te servir ». Breton, lui, raconte volontiers ses difficultés sentimentales et ses bonheurs, il fait part aussi souvent de sa pauvreté et de sa lassitude, parfois de manière émouvante ; ainsi en mars 1930 :

Il est tard et je me trouve seul. Ce soir et dans la vie. Où tout cela va-t-il, autant ne pas y songer. Mais à coup sûr à sa fin, qui est la mienne. Non qu’il me tarde de mourir, je me découvre de temps à autre (...) le rand appétit de choses qui sont plutôt dans la vie ou plutôt non : il n’y en a plus qu’une, je n’aime plus la poésie, je n’aime plus la Révolution, je n’aime plus que l’amour, je n’ai peut-être jamais rien aimé que l’amour. Et sans doute n’ai-je jamais   aimé un être qu’en fonction de l’amour dont je le croyais capable. Par exemple toi.

Une fort belle correspondance, à tous égards, pour découvrir autrement Breton et Éluard

 

  1. Pour Éluard sa correspondance avec Paulhan, Bousquet et sa première épouse, Gala, est disponible ; Pour Breton, après leur publication par un éditeur (aujourd’hui, lettres à Péret, Bousquet, Tzara et Picabia, sa fille Aube, sa première épouse Simone Kahn), les lettres et cartes postales qu’il a envoyées et reçues, sont mises en ligne (voir : www.andrebreton.fr)

André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938, édition Étienne-Alain Hubert, Gallimard, 2019, 462 p., 32 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 11 février 2020.

 

 

06/02/2020

André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938

 

[à Paul Éluard] 7 mars 1930, 11 h soir

 

Mon cher petit Paul,

[...] Il est tard et je me trouve seul. Ce soir et dans la vie. Où tout cela va-t-il, autant ne pas y songer. Mais à coup sûr à sa fin, qui est la mienne. Non qu’il me tarde de mourir, je me découvre de temps à autre — et ceci dans des temps très courts — le grand appétit de choses qui sont plutôt dans la vie ou plutôt non : il n’y en a plus qu’une, je n’aime plus la poésie, je ‘aime plus la Révolution, je n’aime plus que l’amour. Je n’ai peut-être jamais rien aimé que l’amour. Et sans n’ai-je jamais aimé un être qu’en fonction de l’amour dont je le croyais capable. 

 

André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938, édition É-A. Hubert, Gallimard, 2019, p. 205.

28/01/2020

André Breton, Les Pas perdus

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                                                                 Les mots sans rides

 

On commençait à se défier des mots, on venait tout à coup de s’apercevoir qu’ils demandaient à être traités autrement que ces petits auxiliaires pour lesquels on les avait toujours pris ; certains pensaient qu’à force de servir ils s’étaient beaucoup affinés, d’autres que, par essence, ils pouvaient légitimement aspirer à une condition autre que la leur, bref, il était question de les affranchir. À  « l’alchimie du verbe » avait succédé une véritable chimie qui tout d’abord s’était employée à dégager les propriétés de ces mots dont une seule, le sens, spécifié par le dictionnaire. Il s’agissait : 1° de considérer le mot en soi ; 2° d’étudier d’aussi près que possible les réactions des mots les uns avec les autres. Ce n’est qu’à ce prix qu’on pouvait espérer rendre au langage sa destination pleine, ce qui, pour quelques-uns, dont j’étais, devait faire faire un grand pas à la connaissance, exalter d’autant la vie. Nous nous exposions par là aux persécutions d’usage, dans un domaine où le bien (bien parler) consiste à tenir compte avant tout de l’étymologie du mot, c’est-à-dire de son poids le plus mort, à conformer la phrase à une syntaxe médiocrement utilitaire, toutes choses en accord avec le piètre conservatisme humain et avec cette horreur de l’infini qui ne manque pas chez mes semblables une occasion de se manifester.

 André Breton, Les Pas perdus, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1988, p. 284.

12/01/2020

André Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1938

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Ucel, le dimanche 11 septembre 1932

(....)

Mon cher petit Paul,

(...) L’Ardèche est un département formidable, vraiment découpé sur la carte. Je devais passer par là un jour ou l’autre. Je ne sais presque plus où j’en suis, je veux de moins en moins le savoir. Autour de ce papier une petite pièce mi-tonnelle mi-chambre. Les murs de la chambre peints à la chaux mais piquetés de petits points bleus, la frise saumon piquetée de points blancs un peu plus gros, l’aile à claire-voie, garniture de fer gardée par des hortensias et des balsamines de la chute à vingt mètres au-dessous dans le fleuve Ardèche bourdonnant, sale, ensoleillé. C’est le café Nouzareth, sur la route d’Aubenas à Vals, je crois. Personne en dehors des propriétaires, qui me parlent, racontent le pays. Des gens rudes qui ont vu Paris une fois.

 

Abdré Breton, Paul Éluard, Correspondance 1919-1838, Gallimard, 2019, p. 253-254.