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15/12/2021

Olivier Apert, Le point de voir

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Veille 2

à table, l’assiette du Dr D est constamment vide , il s’en plaint et se lamente que la serveuse de la place François Jaumes ne le regarde pas. « je dois lui faire peur » dit-il en ricanant non sans fierté avant de chausser ses Ray-ban vintage. il ira s’en consoler devant la Mulata de Delacroix sans doute à cause des craquelures qui lézardent la toile. au pont d’Issenssac, l’un qui enjambait le parapet pour impressionner l’autre est encore mort.

Sommeil

(une partie de cartes à l’ombre d’un jardin luxuriant dans son abandon. Il est 1 heure du matin et le ciel est parfaitement bleu. Tapie dans un bosquet, une girafe dépose sa tête sur le sol, ouvre sa gueule à l’hippopotame en mastiquant un chat de chair & de plastique).

 

Olivier Apert, Le point de voir, éditions Lanskine, 2021, p. 10.

 

20/04/2021

Henri Michaux, La vie dans les plis

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Écriture d’épargne

 

Portrait

 

Foreuse

Perceuse

habitacle de sel

dedans une tourterelle

Hérisson de frissons

 

Sommeil

 

Bouche de la nuit, qui délie le juge

Sommeil, vice, auge des abreuvements

Viens, sommeil

 

Adolescence

 

Entraves, enfance, landes basculées

nage dans les nénuphars

vers l’adulte tirant des poulies

Balcon, balcon lourd où à son tour

enfin avec jeune fille jouer le jeu des cactus...

 

La notion révélée

 

Les seconds s’associent

grelots de la cadette

 

Le peintre et le modèle

 

Sous les couilles du taureau s’appuie l’Espagnol

et il piétine la Duse

Paix rompue par cupide prise

Taillée sans le citron,

Peigne de cris

Visage éternué

du sommet de la femme insurmontée

éternelle hébétée,

face à l’iniquité.

Sur les triangles de la femelle défaite

il campe alors une robe verte.

 

Henri Michaux, La vie dans les plis, dans Œuvres, II, 2001, p. 199-200.

 

20/04/2020

Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir

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                       Sonnet

 

Ministre du repos, sommeil père des songes,

Pourquoi t’a-t-on nommé l’Image de la Mort ?

Que ces faiseurs de vers t’ont jadis fait de tort,

De le persuader avecque leurs mensonges !

 

Faut-il pas confesser qu’en l’aise où tu nous plonges,

Nos esprits sont ravis par un si doux transport,

Qu’au lieu de raccourcit, à la faveur du sort,

Les plaisirs de nos jours, sommeil tu les prolonges.

 

Dans ce petit moment, ô songes ravissants !

Qu’Amour vous a permis d’entretenir mes sens,

J’ai tenu dans mon lit Élise toute nue.

 

Sommeil, ceux qui t’ont fait l’Image du trépas,

Quand ils ont peint la mort ils ne l’ont point connue :

Car vraiment son portrait ne lui ressemble pas.

 

Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir,

Œuvres choisies, Poésie/Gallimard, 2003, p. 117.

11/09/2019

Jean-Baptiste Para, Une semaine dans la vie de Mona Grembo

 

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Sommeil du temps, de l’espace. Des entailles de corde, des cordes de poussière. Si loin déjà le soir, où gorge et couteau face à face se cabrent.

Oiseau, l’oiseau des cahiers d’enfance. Les ailes étaient une accolade. Mais aucun vol ne se bâtit dans le regret.

 Si je dois dédier mon vol, est-ce aux hommes nus, poings fermés, qui cherchent des poches dans leurs flancs ?

Mieux que les poings, le vent s’engouffre.

Jean-Baptiste Para, Une semaine dans la vie de Mona Grembo, Arcane 17, 1985, p. 50, 51, 57.

 

21/06/2019

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines

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Plus solitaire oiseau, qui donc le vit ?

Sur quel toit ? ou bête par monts et prés ?

Vide je suis de moi, car m’a laissé

 mon âme même en larmes anéanti.

 

Je pleurerai toujours si grand profit,

peine et fiel me sera chaque bouchée ;

fièvre la nuit et le calme anxiété,

et champ de bataille sera mon lit.

 

Le sommeil, cette image de la mort,

surpasse en moi la mort, tant il est dur,

lui qui de ta vue m’ôte le trésor.

 

Car telle est ta grâce et ta beauté pure

que, si Nature a pu te donner corps,

c’est que miracle a pu faire Nature.

 

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines,

traduction Jacques Ancet, Poésie / Gallimard,

2010, p. 157.

13/02/2019

Henri Thomas, Poésies

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Le temps n’est qu’un noir sommeil

bienheureux qui sut garder

les images de l’éveil.

 

Vallée blanche, mes hivers,

 bois pleins d’ombre, mes étés,

 belle vue des toits déserts,

 

jours d’automne, et je marchais

recueilli, seul, ignoré,

dans l’or pâle des forêts,

 

déjà moutonnait la mer

perfide des accidents,

petits flots, petits éclairs,

 

bien malin qui s’en défend.

 

Henri Thomas, Poésies, Poésie / Gallimard,

1970, p. 132.

01/10/2018

Albert Cohen, Carnets, 1978

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  Lorsque je me couche sur ma droite et que je ferme les yeux pour m’endormir, j’ai peur de ma mort et je suis scandalisé. Je n’accepte pas de  perdre mes yeux qui étaient une partie de mon âme. Mon âme n’est pas un impalpable ectoplasme à gogos. Mon âme, c’est moi. Ce n’est pas de la philosophie, cette filandreuse toile d’araignée toute de tromperies, mais une grenue et indestructible petite vérité tout à fait vraie. Oui, tout ce que vous voudrez, dites tout ce que vous voudrez, mais ma petite vérité est bon teint. Mon âme, c’est mon corps et non un magique souffle. Or, je n’accepte pas de ne plus bouger, moi dont la main droite en cette minute studieusement bouge. Je n’accepte pas que moi qui suis ne soit plus, et bientôt plus. Quelle aventure que ce mobile que je suis soit bientôt immobile et de toute éternité.

 

Albert Cohen, Carnets, 1978, Gallimard, 1979, p. 89.

14/06/2018

Christiane Veschambre, Ils dorment

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Ils dorment.

Leurs corps reposent l’un contre l’autre, l’un dans la présence de l’autre.

Lui ouvre les yeux, tend un bras vers un bracelet montre posé sur la table de chevet.

 

Il l’approche, avec lui on lit l’heure sur le cadran 6h ¼.

Il lève doucement le drap, il est en tee-chirt et caleçon, il se tourne vers elle qui dort, la regarde, l’effleure, un fable son incertain sort de sa bouche fermée. Il se lève.

 

Il est à la table de la cuisine. La cuillère prend dans le bol les céréales en forme de petits anneaux. Sa main tient la cuillère. Il voit sur la table la petite boîte d’allumettes.

 

Il est dehors. Il marche, il est habillé d’une combinaison de travail dont j’ai oublié la couleur. Il tient à la main une sorte de petite mallette semi-sphérique. Il longe des bâtiments de brique. Il tourne à l’angle, sous un porche.

 

Il est assis au volant d’un autobus à l’arrêt, vide, porte ouverte. Il écrit sur un petit carnet posé sur le volant. On approche de la page et on peut lire ce qu’il y écrit. On le lit aussi en bas à gauche de l’écran. C’est un poème qui dit la petite boîte d’allumettes, le dessin des mots sur son couvercle.

[…]

 

Christiane Veschambre, Ils dorment, L’Antichambre du Préau, 2017, np.

14/04/2018

Paul Éluard, Le front couvert

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Le battement de l'horloge comme une arme brisée

La cheminée émue où se pâme la cime

D'un arbre dernier éclairé

 

L'habituel vase clos des désastres

Des mauvais rêves

Je fais corps avec eux

 

Des ruines de l'horloge

Sort un animal abrupt désespoir du cavalier

À l'aube doublera l'écrevisse clouée

Sur la porte de ce refuge

 

Un jour de plus j'étais sauvé

On ne me brisait pas les doigts

Ni le rouge ni le jaune ni le blanc ni le nègre

On me laissait même la femme

Pour distinguer entre les hommes

 

On m'abandonnait au-dehors

Sur un navire de délices

Vers des pays qui sont les miens

Parce que je ne les connais pas

 

Un jour de plus je respirais naïvement

Une mer et des cieux volatils

J'éclipsais de ma silhouette

Le soleil qui m'aurait suivi

 

Ici j'ai ma part de ténèbres

Chambre secrète sans serrure sans espoir

Je remonte le temps jusqu'aux pires absences

Combien de nuits soudain

Sans confiance sans un beau jour sans horizon

Quelle gerbe rognée

 

Un grand froid de corail

Ombre du cœur

Ternir mes yeux qui s'entr'ouvrent

Sans donner prise au matin fraternel

 

Je ne veux plus dormir seul

Je ne veux plus m'éveiller

Perclus de sommeil et de rêves

Sans reconnaître la lumière

Et la vie au premier instant.

 

Paul Éluard, Le front couvert (1936), dans Œuvres complètes, tome I, édition Lucien Scheler, Pléiade / Gallimard, 1968, p. 467-468.

 

 

18/10/2017

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline

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Dodo, l’enfant ut

 

Enfants qui déchiffrez dans l’ambre des agathes

Des entrailles le miel des lapins étendues

Sur l’étal du marchand avec leurs quatre pattes

Pour qu’ils ne courent pas deux ensemble cousues

 

Enfants qui préférez le goût des aromates

Au vol des papillons sur les pousses touffues

Y semant le pollen de leurs corps antennates

Exemples confondants des ères révolues

 

Enfants qui déchiffrez dans le cercle de lune

Un bûcheron bossu qui porte sa fortune

Quelque fagot de bois valant bien quatre sous

 

Enfants qui dans la nuit apercevez la hune

De bateaux sinistrés recouverts par la hune

Enfants vous qui rêvez enfants endormez-vous

 

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,

Gallimard, 1965, p. 221-222.

29/07/2017

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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               Sonnet posthume

 

Dors : ce lit est le tien… Tu n’iras plus au nôtre.

— Qui dort dîne. — À tes dents viendra tout seul le foin.

Dors : on t’aimera bien. — L’aimé c’est toujours l’Autre…

Rêve : La plus aimée est toujours la plus loin…

 

Dors : on t’appellera beau décrocheur d’étoiles !

Chevaucheur de rayons ! … quand il fera bien noir ;

Et l’ange du plafond, maigre araignée, au soir,

—Espoir — sur ton front vide ira filer ses toiles.

 

Museleur de voilette ! un baiser sous le voile

T’attend… on ne sait où : ferme les yeux pour voir.

Ris : les premiers honneurs t’attendent sous le poêle.

 

On cassera ton nez d’un bon coup d’encensoir,

Doux fumet !... pour le trogne en fleur, plein de moelle

D'un sacristain très bien, avec son encensoir.

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,

C., Œuvres complètes, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 849.

 

16/04/2016

Jean Ristat, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup

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              La chasse au loup

 

À cette heure incertaine où l’obscur dispute

Au jour son royaume la déesse repue

Rappelle ses valets avant que de céder

Au sommeil tous les oiseaux se sont tus et les

Pâles enfants des hommes tremblent dans leurs draps blancs

Lorsqu’un rêve très ancien vient les visiter

À la vitre étoilée de la chambre l’ombre

Bleue de la bête qui regarde et attend

 

                               *

 

À l’enclume de la nuit apollon martèle

La lune vieille casserole cabossée

Et blanchie aux feux ronflants de l’empire des

Morts voici l’heure des métamorphoses et des

Enchantements Ô théâtre où tout s’échange et

Se déplie les mots comme fleurs de papier

 

[...]

 

Jean Ristat, Artémis chasse à courre le sanglier, le cerf et le loup,

Gallimard, 2007, p. 43.

 

08/12/2015

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

                        Tristan Corbière, Les Amours jaunes, poète, pipe, fumée, sommeil, rêve

La pipe au poète

 

Je suis la Pipe d’un poète,

Sa nourrice et : j’endors sa Bête.

 

Quand ses chimères éborgnées

Viennent se heurter à son front,

Je fume... et lui, dans son plafond,

Ne peut plus voir les araignées.

 

... Je lui fais un ciel, des nuages,

La mer, le désert, des mirages ; 

— Il laisse errer là son œil mort...

 

Et, quand lourde devient la nue,

Il croit voir une ombre connue,

— Et je sens mon tuyau qu’il mord...

 

— Un autre tourbillon délie

Son âme, son carcan, sa vie !

... Et je me sens m’éteindre... — Il dort —

.............................................................

— Dors encor : la Bête est calmée,

File ton rêve jusqu’au bout...

Mon pauvre !... la fumée est tout.

— S’il est vrai que tout est fumée...

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,

T. C., Œuvres complètes, édition Pierre-Olivier-Walzer pour T. C., Pléiade / Gallimard, 1970, p. 734.

 

 

05/12/2015

Pierre Silvain, Assise devant la mer

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   Maintenant qu’il se soulève au-dessus du lit, il voit sa mère debout devant la table de toilette, en combinaison légère, ses épaules dénudées, et dans le miroir incliné son visage de profil tandis que par petites touches, d’une houppette en cygne, elle se poudre les joues, le front. Quand son regard rencontre soudain le sien qu’un reflet lumineux parmi les piqûres couleur de rouille lui renvoie, elle s’arrête, interdite, honteuse peut-être d’avoir oublié la présence de l’enfant, ou bien troublée par l’interrogation qu’elle découvre dans les yeux sombres qui ne se détournent pas. Elle va prendre aussitôt sur le dos d’une chaise sa robe bleue imprimée de pois blancs qu’elle-même a coupée et cousue, droite, sans plis, décolleté en pointe, la revêt, la lisse doucement du plat de la main sur les hanches, le ventre. Il observe chacun de ses gestes sans un cillement et lorsqu’elle vient s’asseoir au bord du lit, il sent la poudre de riz l’envelopper d’un faible nuage de rose, mais il reste aussi tendu que s’il se défendait de respirer un parfum interdit. Un instant indécise ou désarmée devant l’enfant transi par une crainte puérile, la mère ouvre ses bras, l’attire contre elle, contre ses seins qui s’écartent sous la pression de la tête de plus en plus pesante, abandonnée. Pourtant, il ne dort pas, il est tout entier ce corps sans défense qu’il laisse retourner au corps maternel dont le même mouvement berceur qu’autrefois, quand il ne savait rien du monde autour de lui, rien d’autre que l’effleurement d’un souffle ou le duvet d’un baiser de lèvres sur ses lèvres, l’endort, tandis qu’il entend les paroles d’une chanson — un peu triste — s’éloigner, se brouiller et enfin mourir là-bas où sa mère l’attend.

 

Pierre Silvain, Assise devant la mer, Verdier, 2009, p. 37-38. © Photo Marina Poole.

07/10/2015

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II, Poésie

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Dans les yeux de la nuit

 

Une femme s’endort sur un toit c’est la nuit

Abandonnée antique au péril du vertige

Aux traîtrises rêveuses des gestes du sommeil

Songeuse ensevelie en glissades mortelles

Sur le haut toit déserte glace tendue face à l’espace

Sur le zinc oxydé de vieux soleil tueur

Et de lune ancienne empoisonneuse en larmes

La grande somnambule y crie de tous ses ongles

De ses doigts déments naissent des diamants crissants

Et des gouttes de sang qui chantent en dansant

La danse en perles du mercure

Vers la femme qui dort sur le monstre du vide

Une cheminée fume un nuage en haillons

Dans la soie noire de la suie le vent des nuits

Dresse une tente errante

Creuse l’antre céleste nomade

Pour l’adoration des yeux prodigieux

De la femme endormie aux paupières battantes

Ses trop longs cils vibrants émeuvent les rayons

Des étoiles rétractiles

C’est la nuit la dormeuse un œil clos l’autre ouvert

Tout le monde à jour contre ce qu’elle voit .

 

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II, Poésie,

édition établie par Jean Bollery, Gallimard, 1977, p. 74.