20/03/2025
Hélène Dorion, Un visage appuyé contre le monde
Je vous écris, je ne comble rien. Un train s’en va encore et me laisse avec des milliers de solitudes resserrées en une seule.
Quelqu’un demande ce qui reste des départs et des arrivées, des appels persistants au fond de nous, de nos désirs tourmentés. Je revois l’immuable poussée d’une saison sur une autre, le glissement d’un avion sur le vide, un désert sous chaque pas, et partout votre visage comme une lumière sur mon chemin.
Hélène Dorion, Un visage appuyé contre le monde, Poésie/Gallimard, 2025, p. 84.
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19/03/2025
Hélène Dorion, Un visage appuyé contre le monde
Je ne sais pas encore
quel est ce trouble
qui commence avec les mots
les plus communs parmi ceux que j’écris
pour toi comme une route
où l’on marche loin devant nous
Je ne sais pas encore
où j’en suis
avec les minutes qui basculent en moi
ni où tu en es
avec ces événements souvent banals
qui font l’histoire et ne la font pas..
Hélène Dorion, Un visage appuyé contre le monde,
Poésie/Gallimard, 2025, p. 71.
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16/03/2025
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots
Première esquisse
La mer se tait
le ciel congestionné montre ses muscles de passe
sur la lande vaste et vague
où traverse la douleur et l’effroi
la lumière confuse dispersée
du petit jour est toujours la même
l’homme piètre quelconque boit
soigneusement son vin âpre et bleu
il ouvre la fenêtre un nuage
apatride et cucurbitacé s’avance il y a
des tilleuls au parfum d’énigme
une jument met bas dans une prairie rouge
le silence enfin commence
25 juin 2023
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,
Gallimard, 2025, p. 107.
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15/03/2025
age
Mirage
Ce jour-là la lumière ajuste ses malices
au ciel équarri rempaillé remue-ménage
d’impondérables inachevés nuages
bouquets de tarlatane et de papier crépon
la pluie auberge échauffourée rêverie
très lointaine et donc détresse
repasse à la va-vite
la luzerne est froide
les pampres verts
la beauté toute la beauté
crie
dans son nid tissé d’azur
l’enfant la mer aux poches s’émerveille
poursuit ses romances
« Dis veilleur
Où en est la nuit ?
Où la tempête
et la douleur ?
Où la vie ? »
10 avril 2023
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,
Gallimard, 2025, p. 92.
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14/03/2025
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots
Chimère
Quelque part vers d’instables confins
dans l’énormité taciturne
l’aridité minérale des collines chauves
et le ciel à la fin lavé
qui ne fait plus son âge
un nuage petit miroir à cendres
miroir à nuit
inconsistant furtif galvanisé
toujours presque le même
tout simplement s’exténue
l’air s’allège
un monstre inexistant mugit partout
parmi d’autres murmures
et la forêt à quelques pas grondante
n’est plus qu’un songe arraché au silence
le voyant pesé jeté
soufflé l’enfant provisoire
qui passait ici passait
là
toujours à pas d’heure
ne marche plus
26 novembre 2023
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,
Gallimard, 2025, p. 70.
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13/03/2025
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots
Intempestif
Insaisissable incolore le vent
longuement passe déborde
aux écheveaux plus noirs
que le noir édredons aveugles guenilles
une menue rivière va s’écoule
dans une lisière
et l’épais temps simplement perdu
l’enfant l’autre sans trace ni visage
étranger rebelle qui rêvasse encore
dans l’accès partagé
sous le grand ciel berceau caréné
il déchiffre et défriche
caresse son épave
son compte est rond
son compte est bon
20 septembre 2023
Henri Droguet, Petits arrangement avec les mots,
Gallimard, 2025, p. 62.
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12/03/2025
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots
Contremarche
Gisement buissonnier fouillis feuilleté
les nuages les impalpables courent
ke vent se produit il se précipite
dévore le mitoufle et la pontaine
c’est droit devant le noir à pluie passée
cœur à nus le figurant contrefait
ébloui s’engouffre bricole
et salue la beauté toute la beauté
un ange passe. On écoute
les eaux dans la nuit légères et fuyantes
l’automne sonore et le déferlement rentamé
de la mer bossue plus ou moins qui s’affuble
la route sera longue et rouge
7 mars 2022
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,
Gallimard, 2025, p. 47.
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11/03/2025
Gérard Macé, Silhouette parlante
Les portraits retouchés en rêve
dont les couleurs pâlissent au lever du jour.
Les dignitaires disparus, effacés
des photos où l’on refait l’histoire.
Les acteurs vampirisés par leur rôle
dont on a oublié le vrai visage.
Nous vivons entourés de trous noirs
où s’engouffre le réel,
mais nous avons les illusions des chercheurs d’or
attirés par ce qui brille au fond d’une bassine.
Gérard Macé, Silhouette parlante, Gallimard, 2025, p. 60.
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09/03/2025
Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse
Dis-moi, petite, la réalité ne serait-elle
qu’un peu d’eau que l’on prend dans sa main
et qui s’évapore ? L’enfance était-elle ce paradis
où la mort n’existait pas, où tout était réel ?
Où retrouverions-nous un peu de cette innocence
sinon dans l’amour ? L’amour est comme le sol
qui écorchait, lorsqu’on le rencontrait, en tombant.
Jacques Lèbre, L’amour est comme le sol, dans
Sonnets de la tristesse, Le temps qu’il fait, 2025, p. 73.
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08/03/2025
Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse
À plat ventre sur un banc de pierre,
une petite fille émiette du pain.
Elle parle aux moineaux sous les branches
et les arbres acquiescent à cette source.
Le monde règne ans une fraîche unité.
Sauf que dans l’allée les passants s’en vont,
les arbres font de vastes gestes d’adieu
et je ne sais pas ce qui là se brise.
Jacques Lèbre, L’amour est comme le sol, dans
Sonnets de la tristesse,Le temps qu’il fait, 2025, p. 69.
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06/03/2025
Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse
Toutes les relations familiales, amicales,
nous tiennent par des fils plus ou moins tendus ,
cela dessine une sorte de toile, semblable
à celle que tissent les araignées silencieuses.
Mais si jamais il n’y a plus aucun de ces fils
l’âme tombe peu à peu en déshérence .
Quand elle n’est plus tenue par aucun lien,
alors, alors la tête tombe sur la poitrine.
C’est aussi qu’il n’y a plus d’horizon
où résiderait encore quelque espérance ténue
en route vers cet ici si désolant.
Je veux dire celui de la maison de retraite
où l’on parque tous ces vieillards, les uns
après les autres, mis là comme au rebut.
Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, Le Temps
qu’il fait, 2025, p. 33.
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05/03/2025
Jacques Lèbre , Sonnets de la tristesse
Et si tout était complètement faux ? Que sais-je au fond,
de la vie intérieure de ma mère ? Ce que j’imagine
n’est peut-être d’aucune vérité dans la réalité.
Alors on dira que c’est de la poésie, dans un sens péjoratif.
Soit je suis dans la justesse, soit je suis dans l’erreur,
mais une maison de retraite n’est pas un endroit très gai.
Je me souviens de l’une d’elles et de l’ami qui s’y trouvait,
elle était dans un cadre bucolique, c’était un mouroir.
L’ami laissé lui-même (il avait perdu la mémoire)
serait vite devenu grabataire s’il y était resté,
pour qu’il se lève de son lit, il fallait le soutenir.
Je ne sais s’il y a une parte de vérité dans ce que j’écris,
mais si j’écris, sans doute est-ce pour répondre à un choc,
faire ressentit peut-être, ce qui ressemble à une violence.
Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, Le Temps
qu’il fait, 2025, p. 40..
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04/03/2025
Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse
3
Quelle tristesse… Tous ces vieillards assis
sur des fauteuils ou des fauteuils roulants, immobiles,
en rangs d’oignons ou en cercle dans la salle commune,
menton qui tombe sur la poitrine et qui semblent
ne plus rien attendre — sinon la mort.
Et quand vous passez, quelques têtes, mais pas toutes,
se relèvent, se tournent lentement, à mesure,
vous suivent des yeux — telles des vaches dans un pré.
Une fin de vie peut durer très longtemps,
et si l’on a toujours la conscience du temps…
Quelle tristesse … Tous ces regards éteints,
ce silence des vies qui viennent ici finir
et dont on ne soupçonne même pas ce qu’elles furent
ailleurs en leurs lieux et en leur temps.
Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, Le Temps qu’il fait,
2025, p. 27.
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03/03/2025
Kafka, Journal
Le voisin fait pendant des heures la conversation à la logeuse. Tous les deux parlent bas, la logeuse est presque inaudible, ce n’en est que plus énervant. J’ai interrompu l’écriture qui était repartie depuis deux jours, qui sait pour combien de temps. Désespoir pur. En est-il ainsi dans chaque logement ? Une telle détresse ridicule et nécessairement mortelle m’attend-elle chez chaque logeuse, dans chaque ville ? (…) Mais cela n’a pas de sens de désespérer immédiatement, plutôt chercher des moyens d’action, si fortement que — non cela ne va pas contre mon caractère, il y a encore un reste de judaïsme coriace en moi mais voilà, le plus souvent il aide la partie adverse.
Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, 2020, NOUS, p. 745.
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02/03/2025
Kafka, Journal
Il ne veut pas de consolation, mais pas parce qu’il n’en veut pas — qui n’en voudrait pas — mais parce que chercher la consolation signifie : consacrer sa vie à ce travail, vivre toujours au bord de sa propre existence, presque en dehors d’elle, ne presque plus savoir pour qui on cherche la consolation et du coup ne même plus être capable de trouver une consolation efficace (efficace, pas vraie, celle-là il n’y en a pas).
Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, 2020, NOUS, p. 745.
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