15/10/2024
Sanda Voïca, L'ère de santé
S’auto-prier
L’index
appuyé sur mes lèvres
humides vibrantes
est sans pourquoi :
sous l’explosion de joie
il s’en-chair-e
encore plus.
Frotter le corps,
frotter la tombe
avec le même tissu
— rideau en dentelle —
jusqu’au blanc.
Une couleur
en profondeur
en hauteur
jusqu’au trou blanc :
l’harmonie a été dite.
Dimanche, le 1 mai 2022
Sanda Voïca, L’ère de santé, Atelier rue
du soleil, 2024, p. 1.
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13/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
Tant que vous avez un futur, ne vivez pas trop dans la contemplation de votre passé : à moins que vous n’aimiez marcher à reculons, le miroir est un piètre guide.
La vie est une petite tache de lumière. Nous entrons, serrons une ou deux mains, et retournons chacun de notre côté dans les ténèbres. Le mystère est infiniment pathétique et pittoresque.
La mort est la seule prospérité que nous ne désirons pas pour nous-même et qui ne nous est pas contraire chez autrui.
Dans l’enfance, nous attendons, dans la jeunesse nous exigeons, à ‘âge adulte nous espérons et dans la vieillesse nous implorons.
Si les femmes se connaissaient, le fait que les hommes ne les connaissent pas les flatteraient moins et les contenteraient davantage.
Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction Thierry Gillybœuf, Alia, 2014, p. 53, 53, 55, 61, 61.
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12/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
Tout le monde est fou, mais celui qui sait analyser son illusion est appelé philosophe.
Le bonheur est perdu quand on le critique ; le chagrin, quand on l’accepte.
La vieillesse, avec ses yeux derrière la tête, pense que la sagesse, c’est de voir les marécages dans lesquels elle a pataugé.
Celui dont les mensonges ne trompent plus a perdu le droit de dire la vérité.
La langue d’un imbécile n’est pas si bruyante que le sage ne puisse entendre son oreille l’exhorter de se taire.
Ambrose Bierce, Épigrammes, Alia, 2014, p. 44, 47, 49, 50, 51.
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11/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
La seule distinction sue récompense la démocratie est un haut degré de conformité.
Quand tu te trouves parmi les tombes de tes semblables, marche avec circonspection : la tienne est ouverte à tes pieds.
L’amour est une attention détournée : de la contemplation d’un être on en vient à considérer son rêve.
Bien qu’on aime une douzaine de fois, le dernier amour n’en semble pas moins le premier. Celui qui dit avoir aimer deux fois n’a pas aimé une seule fois.
On peut se savoir laid, mais il n’existe pas de miroir pour le comprendre.
Ambrose Bierce, Épigrammes, Alia, 2014, p. 29, 30, 31, 36, 43.
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10/10/2024
Ambrose Bierce, Épigrammes
« Immoral » : tel est le jugement du bœuf dans son étable sur l’agneau qui gambade.
C’est vrai que l’homme ne connaît pas la femme. Mais la femme non plus.
L’amour est une charmante balade d’un jour. À la toute fin, embrassez votre compagnon et prenez congé de lui.
Si vous voulez lire un livre parfait, il n’y a qu’une seule solution : écrivez-le.
Nous sommes ce dont nous nous gaussons. La personne stupide est une pauvre farce, la personne intelligente une bonne farce.
Ambrose Bierce, Épigrammes, Arléa, 2014, p. 9, 9, 20, 21, 25.
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08/10/2024
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
Aller dans le monde est utile pour un écrivain, non seulement afin qu’il voie de nombreuses situations, mais pour qu’il les vive.
Une punition en rêve est à coup sûr une punition ; De l’utilité des rêves.
À tout instant : comment cela peut-il être amélioré ?
Se métamorphoser en bœuf, ce n’est pas encore se suicider.
Les professeurs d’université devraient prendre des enseignes comme les aubergistes.
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 2020, p. 57, 71, 77, 80, 82.
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07/10/2024
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
Une préface pourrait être intitulée : paratonnerre.
C’est grand dommage qu’on ne puisse voir les intestins des écrivains pour en déduire ce qu’ils ont mangé.
L’art, si bien calculé aujourd’hui, de rendre les gens mécontents de leur sort.
Combien la Bible peut-elle avoir nourri de gens, commentateurs, imprimeurs et relieurs ?
Un long bonheur s’affaiblit par le fait même de sa durée.
Gorg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 1985, p. 39, 40, 43, 45, 49.
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04/10/2024
Jacques Réda, Les ruines de Paris
Une fois de plus c’est au coin de ce buffet de gare que je vais pleurer. Au moins les gens du quai d’en face peuvent croire que j’éternue. Ici je suis tout seul. Et je pleure de tout mon corps devant cette solitude, comme si quand même après des mois j’allais retrouver quelqu’un. C’était un autre soir, en octobre. Impossible de m’en empêcher mais ça ne durera pas. Je me demande ce qui dure. Je me le suis demandé pendant toutes ces heures d’autorail dans le Jura noir, ces correspondances sous la pluie, ces attentes dans des haltes aux pendules barrées d’une croix. Et me voilà de nouveau avec le saisissement de la réponse : il n’y a pas de mots ; rien que ce vide ténébreux qui n’est qu’un buffet de gare, la tête contre pour que de loin on suppose que je tousse ou que je rends. Peut-être.
Jacques Réda, Les ruines de Paris, Gallimard, 1978, p. 153.
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03/10/2024
Jacques Réda, Les ruines de Paris
Malgré son bébé cette jeune femme a l’œil en coin-du-bois. Je lui demande où trouver une gare ou le 196, et en retour je lui déconseille le sentier d’où je descends. Elle y perdrait certainement la poussette. Sur ses indications bien précises je trouve l’endroit, marqué comme à Paris d’un potelet à tête jaune et rouge, mais l’autobus ne passe jamais. J’écris en haut d’un mur d’où l’on voit s’emballer vers la forêt toute une plaine, qui fut des champs, et qui devient à présent une sorte de savane suburbaine en ondulations pâles au beau soleil. Des émeus, des girafes peut-être, n’étonneraient qu’à moitié.
Jacques Réda, Les ruines de Paris, Gallimard, 1978, p. 118.
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02/10/2024
Jacques Réda, Les ruines de Paris
Tant bien que mal enfin j’attends la place de la Concorde. L’espace devient tout à coup maritime. Même par vent presque nul, un souffle d’appareillage s’y fait sentir. Et, contre les colonnes, sous les balustrades où veillent des lions, montent en se balançant des vaisseaux à châteaux du Lorrain, dont tout le bois de coque et de mâts, et les cordes et les toiles sifflent et craquent, déchirant l’étendard fumeux qui sans cesse se redéploie au-dessus de la ville. Je vais donc comme le long d’une plage, par des guérets.
Jacques Réda, Les ruines de Paris, Gallimard, 1978, p. 10.
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01/10/2024
Paul Éluard, Donner à voir
Pauvre
C’est le mystère de l’air pur, celui du blé. C’est le mystère de l’orage, celui du pauvre. Dans les pauvres maisons, on aime le silence. On aime aussi le silence. Mais les enfants crient, les femmes pleurent, les hommes crient, la musique est horrible. On voudrait faire la moisson et l’on fait honte aux étoiles. Quel désordre noir, quelle pourriture, quel désastre ! Jetons ces langes au ruisseau, jetons nos femmes à la rue, jetons notre pain aux ordures, jetons-nous au feu, jetons-nous au feu !
Paul Éluard, Donner à voir, dans Œuvres complètes, I, Pléiade/Gallimard, 1968, pp. 924-5.
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30/09/2024
Paul Éluard, Les yeux fertiles
Hors de la masse
Une fenêtre en face
Est un trou noir
Un linge blanc s’en échappe
De perfection en perfection
De ciel en ciel
L’or têtu jette sa semence
Au son crevé des midis creux
Sur la fourchette des putains
Un bec de viande gonfle un air
D’usure et de cendre froides
La solitude des putains
Elles se cassent les vertèbres
À dormir debout et sans rêves
Devant les fenêtres ouvertes
Sur l’ombre coriace d’un linge.
Paul Éluard, Les yeux fertiles, dans
Œuvres complètes, I, Pléiade/Gallimard,
1968, p. 498.
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29/09/2024
Paul Éluard, Jeux vagues la poupée
Jeux vagues la poupée
IV
Où les oiseaux ne chantent pas, de quoi sommes-nous sevrés ? Où les blés ne poussent pas, que pouvons-nous espérer ? Ce monde sans amour, veuf du soleil, que nous est-il ?
Il avait fait très froid et l’on avait très faim. La peur était en nous, dans la maison, dehors, éteignant tout. La mort, dernier sursaut de l’imagination. Le serpent passa sous la maison qui s’effondra.
Paul Éluard, Jeux vagues la poupée, dans Œuvres complètes, I, Pléiade/Gallimard, 1968, p. 1008.
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28/09/2024
Erwann Rougé, Asile
est-ce la neige qui fait si mal
ou prendre un visage
une espèce de neige folle
une coulure de givre mise à bas
goutte après goutte
avec une saveur de craie
ou bien l’ardoise
les flaques de mots
où le gris de neige
et du crayon s’épuisent
Erwann Rougé, Asile, éditons Unes,
2024, p. 82.
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27/09/2024
Erwann Rougé, Asile
douche savon
gant de toilette
Elle devant le miroir
le miroir grimace
efface les peaux sèches
à quoi bon prononcer son nom
le temps se vide
de sa propre chaleur
se tord la bouche
laisse échapper l’éclat d’un rire
Erwann Rougé, Asile, éditions
Unes, 2024, p. 33 .
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