21/12/2023
Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus
6.4311. La mort n’est pas un événement de la vie. La mort ne peut être vécue.
Si l’on entend pas éternité, non pas une durée temporelle infinie, mais l’intemporalité, alors celui)là vit éternellement qui est dans le présent.
Notre vie est tout autant sans fin que notre champ de vision est sans limite.
Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus, traduction Pierre Klossowski, préface Bertrand Russel, Gallimard, 1961, p. 104.
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12/09/2023
Tristan Tzara, L'homme approximatif
XII
le temps laisse choir de petits poucets derrière lui
il fauche les fines molécules sur les prairies d’eau
il dompte les poches d’air traverse leur jungle
il coupe le verde la vague et de chaque moitié s’illumine un papillon
dans le volcan il se faufile le long d’une note de violon
il boucle le cours filant du verre dans les fines heures de transparence
là où nos sommeils bousculent la chantante nourriture de lumière
Tristan Tzara, L’homme approximatif, dans Œuvres complètes 2, 1925-1933,
édition Henri Béhar, Flammarion, 1977, p. 131.
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31/07/2023
Jean Tardieu, Histoires obscures
Mémoire morte
Près des lambris dorés des bureaux
où les corridors filent dans les miroirs sans fin
chaque porte, chaque pilier
cache un tueur qui s’ennuie et bâille ;
le temps est long et le gage est mince.
Cependant au dehors dans l’ombre des immeubles
plus d’un portail abrite de la pluie
une femme debout brillante comme une vitrine
qui regarde avec des yeux vides.
— Allô ? — Oui c’est moi ! ... — Il est temps
— Écoutez... Où êtes-vous ?... Où êtes-vous ?
— Qui parle ? ... qui est là ?... Je n’entendds pas !
La mer a annulé ses avenues :
demain le sable sous le pas des caravanes.
Alors l’archéologie dans les roches
confondra nos siècles et nos jours
et la conque d’un téléphone rouillé
ne livrera aucun secret
sur le bourdonnement de nos paroles.
Jean Tardieu, Histoires obscures, dans
Œuvres, Quarto/Gallimard, 2005, p. 884
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29/07/2023
Jean Tardieu, Accents
Les dangers de la mémoire
Ils s’assemblent souvent pour lutter
Contre des souvenirs très tenaces
Chacun dans un fauteuil prend place
Et ils se mettent à raconter
Les accidents paraissent les premiers
Puis l’amour, puis les sordides regrets,
Enfin les espérances mal éteintes.
Toutes ces images sont peintes
Au mur entre les fleurs du papier.
Ils pensent ainsi s’habituer
Aux poisons que leur mémoire transporte.
Moi cependant, derrière la porte,
Je vois le PRÉSENT fuir avec ses secrets.
Jean Tardieu, Accents, dans Œuvres, Quarto/
Gallimard, 2005, p. 89-90.
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10/04/2023
Gustave Roud, Journal
Pourquoi, pourquoi ? Pourquoi cette destinée qui se développe et semble s’achever dans le temps ? qui a besoin d’une périssable vêture corporelle ? Cernée ainsi dans sa figure matérielle, dans sa présence de chair qui commence et finit entre deux chiffres précis, je sais bien qu’une vie demeure entièrement inexplicable. Mais je crois que le cœur seul peut comprendre qu’il y a une éternité de l’amour. Certains élans du cœur, leur puissance ne peut prendre fin.
Gustave Roud, Journal 1916-1976, Œuvres complètes, volume 3, éditions Zoé, 2022, p. 484.
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26/01/2022
Pascal Quignard, Sur le jadis
La formulation archaïsante des proverbes soudain surgissant dans le discours actuel renvoie à un passé sans détermination et de ce fait dont l’autorité peut passer pour absolue.
Cette absence de détermination dans le passé linguistique rend la phrase abyssale.
Ce langage coalescent se concrétionne peu à peu sous la voûte du crâne et s'y suspend.
Petites voix hallucinogènes qui, glissant goutte à goutte, creusent petit à petit des chemins sur la pente vide du temps que le langage découvre.
Cette mise hors du temps du temps est un placement dans le temps des contes.
Le proverbe est de l’Il était une fois à l’instant où il se fragmente.
Pascal Quignard, Sur le jadis, Folio/Gallimard, 2004, p. 180.
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01/01/2022
Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer, ce qui nous soulève 2
Dire il est temps, c’est tout autre chose que de dire on a le temps, par exemple. Celui qui croit pouvoir affirmer qu’il « a le temps », croit, en réalité, disposer du temps ou le posséder, l’« avoir » en quelque sorte, ce qui lui permettra toutes les manœuvres subjectives, toutes les procrastinations, tous les calculs, toutes les fuites, toutes les lâchetés politiques. Mais quand il est temps — et plus encore quand il est grand temps, façon d’« intensifier ou d’accentuer l’expérience de ce temps ci — nous ne disposons plus de rien, c’est plutôt le temps lui-même qui dispose de nous, nous entraîne dans son tourbillon et nous « possède », nous investit de sa force qui est souveraineté du kairos, irruption ou éruption de l’urgence historique... La question demeurant de savoir, à chaque fois, quand et comment les subjectivités accordent leurs désirs, depuis le temps où ils se sont psychiquement formés pour comprendre, pour décider qu’il leur faut agir à temps, et donc se soulever maintenant ou jamais.
Georges Didi-Huberman, Imaginer recommencer, ce qui nous soulève 2, éditions de Minuit, 2021, p. 12.
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05/06/2021
Christine Lavant, « Terre, si tu avais deux lèvres »
« Terre, si tu avais deux lèvres »
Terre, si tu avais deux lèvres
et une langue, et une heure amicale,
voudrais-tu parler avec moi
même quand je piétine avec colère
mon chicot de raison parmi les flocons de n eige ?
Terre, pourrais-tu rire ?
Je me suis vantée des ton amitié,
Racontant que j’aime habiter près des racines,
Que je parle du temps avec les pierres
Et que, ton sang, je peux l’interpeller.
Mentir était comme ces maladies
qu’on attrape souvent avant les grandes pestes,
et mon cœur a toujours tout gobé de moi.
Maintenant le voilà pestiféré
qui ne sait plus rien que crier vers toi,
il ne veut pas mourir, ni dire à personne d’autre
ce qu’il mijote, ce qui le tourmente,
ni qui il voudrait bénir encore à la fin.
Terre, accepte ma langue,
de grâce, terre et mes deux lèvres !
Viens me parler sous les flocons de neige
de la chaleur fidèle de l’amour.
Christine Lavant, traduction de l’allemand
Philippe Jaccottet, dans la revue de belles-lettres, 2020, 1-2, p. 57.
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30/01/2021
Rose Ausländer, Pays maternel
Dépassé I
Temps
Magicien
Je fus autre jadis
Dis-tu au miroir
Il ne te croit pas
Toi aux allures d’escargot
Toi aux allures de lièvre
Dépassé
Par le pas du sablier
Rose Ausländer, Pays maternel,
Traduction Edmond Verroul,
Héros-Limite, p. 64.
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11/12/2020
Jean Tardieu, Jours pétrifiés
Souvenir imaginaire
Vous qui avez de grands sourires
c’était pour vous pour vous que le jour était là ;
il passait par vos yeux
comme l’eau dans le sable,
il brillait, il fuyait et l’un de nous
laissait pendre ses mains au fil de la lumière,
l’autre écoutait la plus belle
se taire lentement.
Dans la campagne aux longues ombres
ces îlots de statues
c’était peut-être vous peut-être les moissons.
C’était au temps où tout recommence,
le temps qui n’a jamais été,
celui qui est dans mes paroles.
Jean Tardieu, Jours pétrifiés, dans Œuvres,
Quarto / Gallimard, 2003, p. 271.
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23/10/2020
Esther Tellermann, Corps rassemblé
Je la vis
suspendue sur
le temps
ou le bord
des orages
parfois le contour
du sein
fut la viole où
s’étire
ce qui
doucement
souligne
la forme
d’un destin
Esther Tellermann, Corps rassemblé,
éditions Unes, 2020, p. 46.
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05/07/2020
Jean Tardieu, Obscurité du jour
Tandis que la notation des sons musicaux (pour ne parler que de l’Occident) naissait puis se précisait comme écriture particulière, lue par des yeux qui ont des oreilles, ce qui s’écoute était aussi « regardé » par les peintres.
Je pense à Sofonisba Anguissola, à Vermeer, aux Caravagesques, à Renoir, à tant d’autres. Leurs personnages sont là, ouvrant la bouche pour chanter, les doigts posés sur un luth, sur le clavier d’une épinette ou d’un piano, mais on dirait qu’ils se sont arrêtés au seuil d’un monde interdit.
(Il est vrai que l’instant du peintre, coup de couteau dans le fruit ouvert sous nos yeux, saisit et bloque la durée. Et il est vrai aussi qu’à l’inverse, la musique, enchaînée par son propre sortilège, n’est jamais qu’un souvenir perpétuel, puisqu’elle ne peut passer et « se passer » que dans le monde de la disparition, même si elle cherche, comme souvent aujourd’hui, à dresser dans l’espace immédiat une série de constructions verticales et ponctuelles.)
Jean Tardieu, Obscurité du jour, Les Sentiers de la création / Skira, 1974, p. 77-78.
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31/05/2020
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Où est l’exil,
en sueur, en train jadis accompli
si les avions, presque
à la vitesse du mensonge nous déposent
en des lieux prémédités de loin,
transmis par la parole, des papiers
traduits ou rédigés dans la langue des mères,
où est l’exil, un écart temporel
réduit à rien — espace crânien
où l’on revient sur ses pas pour retrouver
l’idée perdue en route —
histoire de seconde main aujourd’hui effacée
devant l’entrée des morts sur le seuil,
par politesse ultime de la mémoire
ici trahie, en creux, quand l’avion atterrit
qui ne comblera donc rien, jamais
l’amplitude de la perte.
il revient les mains vides
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon,
2007, p. 90.
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21/05/2020
Jacques Roubaud, Strophes reverdie
49 Qui ne veut plus savoir ce qui se passe
Arrête ta mémoire
Personne ne viendra
Conclure cette histoire
Ni du cœur ni du bras
Tu ne tireras gloire
50 Plaine perdue
Je me suis élongué longtemps
Dans l’herbe arasée de la plaine
Au loin vont les collines molles
Tout ce que j’étais je l’étais
Mais tout ce qui viendra n’est rien
Jacques Roubaud, Strophes reverdie,
L'usage, 2019, p. 45.
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13/04/2020
Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène
Bonjour, ma douce vie, autant remply de joye,
Que triste je vous dis au departir adieu :
En vostre bonne grace, hé, dites moy quel lieu
Tient mon cœur, que captif devers vous je r’envoye ?
Ou bien si la longueur du temps & de la voye
Et l’absence des lieux ont amorty le feu
Qui commençoit en vous à se monstrer un peu :
Au moins, s’il n’est ainsi, trompé je le pensoye.
Par espreuve je sens que les amoureux traits
Blessent plus fort de loing qu’à l’heure qu’ils sont pres,
Et que l’absence engendre au double le servage.
Je suis content de vivre en l’estat où je suis,
De passer plus avant je ne dois ny ne puis :
Je deviendrois tout fol, où je veux estre sage.
Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, dans Les
Amours, Garnier, 1963, p. 429.
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