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08/02/2021

Michel Leiris, Marcel Jouhandeau, Correspondance, 1923-1977

 

Michel Leiris à Marcel Jouhandeau

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[Beni-Ounif] Dimanche 10 mars [1940]

 

   En ce qui concerne les gens, j’ai eu la chance inouïe — de par la nature même de la formation dont je fais partie — de me trouver en contact avec la foule la plus diverse qui se puisse imaginer : métropolitains, Africains du Nord, gens de toutes régions, de toutes classes, de toutes armes, de tous métiers. Ce que j’ai perçu clairement, c’est que ce qui fait la qualité humaine d’un individu (c’est-à-dire ce qu’il peut y avoir de séduisant, d’émouvant, de respectable) est tout à fait indépendant de sa position sociale, de ses croyances, de ses opinions. Pour m’exprimer dans un autre langage : il y a en chacun quelque chose qui lui est essentiel — une sorte de « part de Dieu » —, radicalement distinct de ce qu’il représente sur le plan des choses purement humaines.

 

Michel Leiris, Marcel Jouhandeau, Correspondance 1923-1977, éditions Denis Hollier et Louis Yvert, Les cahiers de la nrf, Gallimard, 2021, p. 157.

07/02/2021

Catherine Pozzi, Paul Valéry, La flamme et la cendre, Correspondance

 

À Catherine Pozzi

Paris, vendredi 25 février 1921

 

Catherine Pozzi, Paul Valéry, Correspondance, aimer, lettre

(...) Tu comprends, mon petit nigaud, que je t’aime comme sœur et comme femme et comme Psyché et comme Éros, comme infiniment intime, et je ne puis rien ôter de ton adorable collier. Je ne peux pas briser le fil qui retient les perles. La rareté incomparable du joyau vient de cette réunion. Une perle considérée me jette à l’autre, et d’orients en orients je te parcours indéfiniment. C’est t’aimer chérie trop complète trop nécessaire trop fermée autour de L.

   Donnez-moi mon souci quotidien. N’est-ce pas mon petit et de quoi voulez-vous que je vive ? Je ne pense pas que tu comprennes ce besoin impossible qui tout à coup après une nuit et un demi-jour de peine tendre et sombre, se soulève et me brise contre moi-même car c’est moi aussi qui suis obstacle à moi vers toi, puisque si j’étais autre, peut-être il n’y aurait pas d’obstacle.

 

Catherine Pozzi, Paul Valéry, La flamme et la cendre, Correspondance, édition Lawrence Joseph, Gallimard, 2006, p. 133.

06/02/2021

Honoré de Balzac, Correspondance

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À Helmina de Chézy,

Paris, vers le 10 octobre 1833

 

Je serais bien ingrat, Madame, si je ne répondais à votre aimable lettre ; mon dieu, je désirerais bien avoir l’honneur et le plaisir de vous voir, les âmes nobles sont si rares, qu’il faut se serrer en faisceau, quand on les rencontre et tâcher de les retenir dans la sphère où l’on vit, même quand on est loin d’elles ; mais en ce moment, je plie comme toujours sous mon fardeau de pensées, sous les obligations que je me suis imprudemment faites — Quand vous voyez une pauvre bête prise par la patte, vous allez à elle, mais quand l’animal est un homme, comme ses liens sont moraux, sa cage, une idée, il est difficile d’être pris de la pitié physique qui vous saisit à l’aspect de l’autre.

 

Honoré de Balzac, Correspondance, I (1809-1835), Pléiade/Gallimard, 2006, p. 870.

05/02/2021

Jonathan Swift, Correspondance avec le Scriblerus Club

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À Alexander Pope,

Dublin, 20 septembre 1723

 

(...) J’ai souvent tenté d’établir une amitié entre les hommes de génie, et j’aimerais tellement que cela soit fait. Il y en a rarement plus de trois ou quatre dans une époque, et s’ils pouvaient être unis, ils chasseraient le monde devant eux. Je pense qu’il en était ainsi entre les poètes du temps d’Auguste, mais l’envie, l’esprit de partie et l’orgueil l’ont empêché parmi nous. Je compte pour rien les subalternes, desquels on est rarement sans avoir une vaste tribu, sous les noms de poètes et d’auteurs ; ceux-là même, je suppose, que vous dites vous accommoder de voir quelquefois lorsqu’ils se trouvent être modestes ; ce qui n’était pas fréquent parmi eux quand j’étais dans le monde.

 

Jonathan Swift, Correspondance avec le Scriblerus Club, traduction David Bosc, Allia, 2005, p. 133.

04/02/2021

Paul Claudel, Lettres à Ysé

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Légation de France au Brésil

Rio de Janeiro, 4 août 1917

 

(...) Chère R. il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été /aimée/ par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimée, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entraînait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule et véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.

 

Paul Claudel, Lettres à Ysé, Gallimard, 2017, p. 112-113.

03/02/2021

Josseph Joubert, Correspondance générale

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          À Chateaubriand, septembre 1819

 

      1. Maillet-Lacoste, vrai métromane en prose et en vers et qui est l’homme du monde le plus capable de bien écrire s’il ne voulait pas écrire trop bien et s’il pouvait quelquefois s’occuper d’autre chose que de ce qu’il écrit ; M. Maillet-Lacoste, qui sera jeune jusqu’à cent ans et qui est le meilleur, le plus sensé, le plus honnête, le plus incorruptible et le plus naïf de tous les jeunes gens de tout âge, mais qui donne, par ses manières, un air de théâtre à sa candeur même, parce que sa chevelure hérissée, ses attitudes et le son même de sa voix se ressentent des habitudes qu’il a prises sur le trépied où il est sans cesse monté, quand il est seul, et d’où il ne descend guère, quand il ne l’est pas ; M. Maillet, à qui il ne manque que de la paresse, du relâche et de la détente de tête pour travailler admirablement et avec facilité et qui a travaillé avec autant d’éloquence que de courage, il y a vingt ans, contre la tyrannie du temps, comme l’attestent des opuscules que je vous ai remis, il y a dix ans, un exemplaire qui vous aurait fait connaître son mérite moral, politique et littéraire, si vous l’aviez lu, et que vous n’avez pas lu, parce que, occupé comme vous l’êtes, vous ne lisez rien, et je crois que vous faites bien, par une exception et une prérogative qui n’appartiennent qu’à vous ; (...) M. Maillet qui, avec les plus hautes, mais les plus innocentes prétentions, met à ses fonctions absurdes de professeur autant d’importance que s’il n’était qu’un sot et qui en remplit tous les devoirs avec la conscience et le dévouement d’un Rollin ; M. Maillet, qui excelle à tout enseigner, qui enseigne tout ce qu’on veut, depuis le rudiment jusqu’à l’arithmétique, en passant par tous les degrés intermédiaires, humanités, rhétorique et philosophie ; (...)

         

Joseph Joubert, Correspondance générale, III, édition Rémi Tessonneau, Art et arts, William Blake and Co, 1996, p. 64-65.

02/02/2021

Madame du Deffand, Correspondance avec Voltaire

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Voltaire, 9 mai 1764

(...) Quant à la mort, raisonnons un peu, je vous prie : il est très certain qu’on ,ne la sent point, ce n’est point un moment douloureux, elle ressemble au sommeil comme deux gouttes d’eau, ce n’est que l’idée qu’on ne se réveillera plus qui fait de la peine, c’est l’appareil de la mort qui est horrible, c’est la barbarie de l’extrême-onction, c’est la cruauté qu’on a de nous avertir que tout est fini pour nous. À quoi bon venir nous prononcer notre sentence ? Elle s’exécutera bien sans que le notaire et les prêtres s’en mêlent. Il faut avoir fait ses dispositions de bonne heure, et ensuite n’y plus penser du tout. On dit quelquefois d’un homme, il est mort comme un chien, mais vraiment un chien est très heureux de mourir sans tout cet abominable attirail dont on persécute le dernier moment de notre vie. Si on avait un peu de charité pour nous on nous laisserait mourir sans nous en rien dire.

 

Madame du Deffand, Correspondance avec Voltaire, des femmes, 1987, p. 140.