02/01/2023
René Char, Chants de la Balandrane
Ne viens pas trop tôt
Ne viens pas trop tôt, amour, va encore ;
L’arbre n’a tremblé que sa vie ;
Les feuilles d’avril sont déchiquetées par le vent.
La terre apaise sa surface
Et referme ses gouffres.
Amour nu, te voici, fruit de l’ouragan !
Je rêvais de toi décousant l’écorce.
René Char, Chants de la Balandrane,
Gallimard, 1977, p. 55.
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25/12/2022
Volker Braun, Poèmes choisis
Le petit déjeuner
Aimée, qui si facilement à moi s’est donnée
Comme si toute ma vie n’était que ce challenge
Car hésiter n’eût fait que retarder l’échange :
Ce que je possède, je l’ai vraiment liquidé.
Quand vint le matin nous barbouillâmes nos lèvres
De miel et de lait au restaurant si correct
Dans le couloir les serveurs étaient en alerte
C ‘était cette substance désirée avec fièvre.
Nous nous étions cherchés et trouvés. Et dès lors
Je n’avais donc plus qu’à l’absorber pour guérir
Prise régulière : elle me sauverait sans coup férir
Mais le fier navire a soudain viré de bord.
La substance de la vie, à la saveur de l’amour
Et de sel et de mort, je l’ai léchée un jour.
Volker Braun, Poèmes choisis, traduction J.-P. Barbe
et A. Lance, Gallimard, 2018, p. 66.
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19/10/2022
Ambrose Bierce, Épigrammes
Le premier homme que vous croiserez est un imbécile. Si vous pensez le contraire, interrogez-le et il vous le prouvera.
Des deux types de folie passagère, l’une s’achève dans le suicide, l’autre dans le mariage.
Faute d’yeux derrière la tête, nous nous voyons au seuil de l’horizon. Seul celui qui accomplit cet acte remarquable consistant à se retourner sait qu’il est le personnage central de l’univers.
L’amour est une charmante balade d’un jour. À la toute fin, embrassez votre compagnon et prenez congé de lui.
Si vous voulez lire un livre parfait, écrivez-le.
Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction Thierry Gillybœuf, éditions Allia, 2014, p. 13, 15, 19, 20, 21.
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26/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
L’adieu
Sans adieu tu m’as laissé et sans pleurs ;
dois-je m’en affliger .
Tu ne pleurais pas parce que tu avais tant,
tant de baisers à me donner.
Certaines ententes amoureuses durent assurément
autant qu’une vie et davantage.
Je connais un amour qui a duré un mois
et qui fut un amour véritable.
Umbero Saba, l Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 198.
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31/01/2022
John Donne, Poésie
Adieu : sur mon nom gravé sur un verre
I
Mon nom gravé sur cette vitre
Communique ma fermeté au verre même
Rendu par ce charme aussi dur
Que l’instrument qui l’a gravé.
Ton œil lui donnera plus de prix qu’aux diamants
Extraits de l’une et l’autre roche.
II
Pour le verre, tout confesser
Et être autant que moi transparent, c’est beaucoup ;
Plus encore, te montrer à toi-même,
Offrant à l’œil l’image claire ;
Mais la magie d’amour abolit toute règle :
Là tu me vois et je suis toi.
III
De même que nul point, nul trait
(De ce nom pourtant les simples accessoires),
Averses ou tempêtes n’effacent,
Tous les temps me verront de même :
Mais tu peux mieux encore intègre demeurer,
Ayant près de toi ce modèle.
[...]
John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt,
Imprimerie nationale, 1994, p. 161.
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29/11/2021
Robert Desnos, Domaine public
Comme une main à l’instant de la mort
Comme une main à l’instant de la mort et du naufrage se dresse comme les rayons du soleil couchant, ainsi de toutes parts jaillissent tes regards.
Il n’est plus temps, il n’est plus temps peut-être de me voir,
Mais la feuille qui tombe et la roue qui tourne te diront que rien n’est perpétuel sur terre,
Sauf l’amour,
Et je veux m’en persuader.
Des bateaux de sauvetage peints de rougeâtres couleurs,
Des orages qui s’enfuient,
Une valse surannée qu’emportent le temps et le vent durant les longs espaces du ciel.
Paysages.
Moi je n’en veux pas d’autres que l’étreinte à laquelle j’aspire,
Et meure le chant du coq.
Comme une main à l’instant de la mort se crispe, mon cœur se serre.
Je n’ai jamais pleuré depuis que je te connais.
J’aime trop mon amour pour pleurer.
Tu pleureras sur mon tombeau,
Ou moi sur le tien.
Il ne sera pas trop tard.
Je mentirai. Je dirai que tu fus ma maîtresse
Et puis vraiment c’est tellement inutile,
Toi et moi nous mourrons bientôt.
Robert Desnos, Domaine public, Le point du jour/ Gallimard,
1953, p. 103-104.
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22/09/2021
Cioran, Syllogismes de l'amertume
Vitalité de l’amour : on se saurait médire sans injustice d’un sentiment qui a survécu au romantisme et au bidet.
Deux victimes besogneuses, émerveillées de leur supplice, de leur sudation sonore. À quel cérémonial nous astreignent la gravité des sens et le sérieux des corps !
Plus un esprit est revenu de tout, plus il risque, si l’amour le frappe, de réagir en midinette.
Les événements tumeur du Temps.
L’insomnie est la seule forme d’héroïsme compatible avec le lit.
Cioran, Les syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, p. 235, 237, 238, 242, 255.
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14/09/2021
Baudelaire, Fusées
À chaque lettre de créancier, écrivez cinquante lignes sur un sujet extra-terrestre et vous serez sauvés.
De la langue et de l’écriture, prises comme opérations magiques, sorcellerie évocatoire.
Il y a dans l’acte de l’amour une grande ressemblance avec la torture ou avec une opération chirurgicale.
Quand j’aurai inspiré le dégoût et l’horreur universels, j’aurai conquis la solitude.
Beaucoup d’amis, beaucoup de gants — de peur d’attraper la gale.
Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1250, 1256, 1257, 1258, 1258.
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06/09/2021
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie
Tu m’aimas dans la fausseté
Du vrai — dans le droit du mensonge
Tu m’aimas — plus loin : c’eût été
Nulle part ! Au-delà ! Hors songe !
Tu m’aimas longtemps et bien plus
Que le temps. — la main haut jetée ! —
Désormais :
-
-
-
-
-
- Tu ne m’aimes plus —
-
-
-
-
C’est en cinq mots la vérité.
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie,
La Découverte, 1986, p. 90.
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26/06/2021
Georges Perros, Une vie ordinaire
Il faut beaucoup d’indifférence
ou d’amour c’est selon les goûts
pour résister à ce que l’on trouve
aimable un jour un autre non
et que revient comme rengaine
ce même amour mêlé de haine
Mais l’amour a le dernier mot
pourvu qu’on fasse acte d’absence
quoique présent Ainsi les choses
arbres ciel mer pavés des rues
se foutent de nous comme peu
d’êtres sont capables de faire
et si vous vous mettez dessus
le nez en état touristique
elles font le paon
J’aimerais
vivre ici dit la jouvencelle
Quand la retraite aura sonné
aux flambeaux de nos deux pantoufles
lui répond son urbain mari
qui a d’autres chats à fouetter
que ceux qu’on rencontre la nuit
faisant l’amour dans la nature
Georges Perros, Une vie ordinaire, dans
Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,
Quarto/Gallimard, 2017, p. 758.
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21/04/2021
Henri Michaux, L'Infini turbulent
Ces quelques pages sont, je le voudrais, un commencement d’élucidation d’un sujet qu’il fallait tirer du vague mais que je laisse à d’autres le soin de traiter vraiment. Elles suffisent peut-être à faire comprendre comment généralement les drogues hallucinogènes, sans détourner de l’amour par déchéance physique, à la manière de l’héroïne ou de la morphine, ne lui sont pas bonnes non plus et lui font de bien des manières, par multiples déviations, assister à sa détronisation. Après quoi, il devient difficile de retrouver l’amour dans sa naïveté. Serait-ce pour cette raison vaguement soupçonnée, que d’instinct une certaine unanimité se fait contre les habitués de la drogue. Pour une fois d’accord, amoureux comme puritains, jeunes et vieux, hommes et femmes, ouvriers et bourgeois, se sentent spontanément de l’humeur, de l’hostilité, de l’indignation dès qu’il est question de ces scandaleux hérétiques de la sensation ?.
Henri Michaux, L’Infini turbulent, dans Œuvres, II, Pléiade/Gallimard, 2001, p. 953.
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23/06/2020
Gaspara Stampa (1523-1554), Poèmes
Vous qui écoutez mes poèmes,
ces tristes, tristes voix, ces accents désolés
de mes lamentations, échos de mon amour,
et de mes tourments sans pareils,
si vous savez, en nobles cœurs,
apprécier la grandeur, j’attends de votre estime
pour mes plaintes ieux que pardon, acclamation
leur raison étant si sublime.
J’attends aussi que plus d’un dira : « Heureuse
est celle qui, pour le plus illustre idéal
a subi si illustre épreuve !
Ah ! que n’ai-je eu la chance de ce grand amour,
grâce à un si noble seigneur !
Je marcherais de pair avec telle héroïne ! »
Gaspara Stampa, Poèmes, traduction de l’italien Paul Bachman, Poésie / Gallimard, 1991, p. 57.
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23/04/2020
Étienne Jodelle, Les Amours et autres poésies
Ou soit que la clarté du soleil radieux
Reluise dessus nous, ou soit que la nuict sombre
Luy efface son jour, et de son obscure ombre
Renoircisse le rond de la voulte des cieux ;
Ou soit que le dormir s’escoule dans mes yeux,
Soit que de mes malheurs je recherche le nombre,
Je ne puis eviter à ce mortel encombre,
Ny arrester le cours de mon mal ennuyeux.
D’un malheureux destin la fortune cruelle
Sans cesse me poursuit, et tousjours me martelle :
Ainsi journellement renaissent tous mes maux.
Mais si ces passions qui m’ont l’ame asservie,
Ne soulagent un peu ma miserable vie,
Vienne, vienne la mort pour finir mes travaux.
Étienne Jodelle, Les Amours et autres poésies, édition
Ad. Van Bever, E. Sansot, 1907, p. 66-67.
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03/04/2020
Paul Valéry, Carnets, II
Éros
La passion de l’amour est la plus absurde. C’est une fabrication littéraire et ridicule.
De quoi un antique auteur pouvait-il parler ? après la guerre et les champs _ il tombait dans le vin et l’amour.
Mais si l’on sépare les choses indépendantes — on trouve bien un sentiment singulier devant l’être vivant, devant l’autre — mais ce n’est pas l’amour — quoique cela puisse finir dans certaines expériences de physique.
Paul Valéry, Carnets, II, Pléiade/Gallimard, 1974, p. 396.
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29/03/2020
Estienne de la Boétie, Sonnets
J’ai fait preuve des deux, meshui je le puis dire :
Soit je pres, soit je loing, tant mal traicté je suis,
Que choisir le meilleur à grand peine je puis
Fors que le mal present me semble tousjours pire.
Las ! En ce rude choix que me fault il dire ?
Quand je ne la voy point, le jours me semblent nuits ;
Et je sçay qu’à la voir j’ai gaigné mes ennuis :
Mais deusse je avoir pis, de la voir je desire.
Quelque brave guerrier, hors du combat surpris
D’un mosquet, a despit que de pres il n’aist pris
Un plus honneste coup d’une lance cogneue :
Et moy, sachant combien j’ay par tout enduré,
D’avoir mal pres & loing je suis bien asseuré ;
Mais quoy ! s’il faut mourir, je veux voir qui me tue.
Estienne de la Boétie, Sonnets, dans Œuvres complètes, II, édition Louis Desgraves, Conseil général de la Dordogne/William Blake ans Co, 1991, p. 127.
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