04/11/2023
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Pourquoi se déplacer ? D’une certaine hauteur de rêve, on voit tout.
À relire des vieilles lettres, j’éprouve déjà un plaisir de vieux.
Métro : on entre dans la gueule populaire.
Travailler à n’importe quoi, c’est-à-dire faire de la critique.
La mort ne nous prend peut-être que tout à fait développés : ma lenteur à croître me rassure.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 1097, 1097, 1103, 1104, 1108.
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08/10/2023
Eugène Savitzkaya, Cochon farci
Comment vais-je mourir demain, par miracle,
aussi brusquement qu’apparu, dans un demi-souffle,
en puanteur commune, avec les roses sur le ventre
et délivré par une fée, né et mort
au même instant, dans l’articulation
de la phrase ?
Eugène Savitzkaya, Cochon farci, éditions de
Minuit, 1996, p. 31.
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11/07/2023
Joseph Joubert, Carnets
Et se précipiter dans la mort comme dans un fleuve, où s’engloutissent tous les soins et où l’on boit l’oubli des maux.
La liberté. C’est-à-dire l’indépendance de son corps.
Les enfants veulent toujours regarder derrière les miroirs.
Personne ne voulait être le second.
Ne pas juger les gens par leurs affaires.
Joseph Joubert, Carnets, Gallimard, 1994, p. 152, 155, 165,173, 183.
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14/06/2023
Robert Desnos, État de veille
Aujourd’hui je me suis promené avec mon camarade,
Même s’il est mort,
Je me suis promené avec mon camarade.
Qu’ils étaient beaux les arbres en fleurs,
Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.
Avec mon camarade je me suis promené.
Jadis mes parents
Allaient seuls aux enterrements
Et je me sentais petit enfant.
Maintenant je connais pas mal de morts,
J’ai vu beaucoup de croque-morts
Mais je n’approche pas de leur bord.
C’est pourquoi tout aujourd’hui
Je me suis promené avec mon ami.
Il m’a trouvé un peu vieilli,
Un peu vieilli, mais il m’a dit :
Toi aussi tu viendras où je suis,
Un Dimanche ou un Samedi,
Moi, je regardais les arbres en fleurs,
La rivière passer sous le pont
Et soudain j’ai vu que j’étais seul.
Alors je suis rentré parmi les hommes.
Robert Desnos, État de veille
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17/02/2023
Jude Stéfan, Que ne suis-je Canule
Stéfan est mort
et Jude aussi
pour les Amis épars
avecque lui mourra Emma
sa jeune ou belle égérie
(ne furent qu’
étang gelé
- un datura ouvert –
phare isolé
en fausses métaphores)
pauvres hères dans nos campagnes
qui l’hiver vous pendiez
à raison
Vous nous communiez
vous nous en conjurez
Ne Plus Écrire
Jude Séfan, Que ne suis-je Catulle,
Gallimard, 2010, p. 97.
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27/10/2022
Jacques Lèbre, À bientôt
À partir de l’écluse de Fleury, un jeune chat a participé un moment à la promenade sur le chemin de halage, tantôt nous suivant tantôt nous précédant. Nous ne nous étions nullement concertés, c’était visiblement un accord tacite.
Comme si vous mouriez toujours, au beau milieu d’un carrefour. Des vêtements sont peut-être restés en désordre sur une chaise, un bol sur une table.
Les rendez-vous notés dans les agendas d’une personne disparue ? Tels ces piquets qui indiquent le tracé d’un chemin pris sous une épaisse couche de neige.
Je peux sans doute lire deux recueils d’un même poète dans une journée, mais passser d’un poète à un autre, non, je ne peux pas. Il faut un certain laps de temps, comme de traverser un tunnel pour passer d’un paysage à un autre.
Jacques Lèbre, À bientôt, Isolato, 2022, p. 19, 20, 22, 29.
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18/04/2022
Jack Kerouac, Mexico City Blues
103e Chorus
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- Mon Père dans le rouge de la basse ville
- Se promenant comme une ombre
- D’encre noire, avec chapeau, hochant la tête,
- Dans les lumières immémoriales de nos rêves.
- Car j’ai depuis rêvé de Lowell
- Et de l’image de mon père,
- Chapeau de paille, journal dans la poche,
- Sentant l’alcool, cirages-coiffeur,
- Est l’image de l’Homme Ignorant
- Se hâtant vers sa destinée qui est la Mort
- Quoiqu’il le sache.
- C’est pourquoi ils appellent Santé,
- une bouteille, un verre, une rasade,
- Une Coupe de Courage.
- Les hommes savent que le brouillard n’est pas leur ami —
- Ils sortent des champs et mettent leurs manteaux
- Ils deviennent des hommes d’affaires et meurent rassis
- La même mort rassise et écœurante
- Ils auraient pu mourir à la campagne
- Collines de fumier
- Mes souvenirs de mon père
- dans la basse ville de Lowell
- homme en carton marchant
- dans les lumières perdues
- faits de la même matière vide
- que mon père dans sa tombe.
- Jack Kerouac, Mexico City Blues, traduction
- Pierre Joris, Poésie/Gallimard, 2022, p. 119.
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02/03/2022
Joyce Mansour, Carré Blanc
Lèvres acides et luxurieuses
Lèvres aux fadeurs de cire
Lobes boudeurs moiteurs sulfureuses
Rongeurs rimeurs plaies coussins rires
Je rince mon épiderme dans ces puits capitonnés
Je prête mes échancrures aux morsures et aux mimes
La mort se découvre quand tombent les mâchoires
La minuterie de l’amour est en dérangement
Seul un baiser peut m’empêcher de vivre
Seul ton pénis peut empêcher mon départ
Loin des fentes closes et des fermetures à glissière
Loin des frémissements de l’ovaire
La mort parle un tout autre langage
Joyce Mansour, Carré blanc, éditions Le Soleil noir,
1961, p. 121.
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22/02/2022
Joseph Joubert, Carnets, II
Ils se tiennent aux portes et ne voient que les barreaux.
La grande affaire de l’homme c’est la vie, et la grande affaire de la vie c’est la mort.
La vie entière est employée à s »’occuper des autres ; nous en passons une moitié à les aimer, l’autre moitié à en médire.
Qui est-ce qui pense pour le seul plaisir de penser ? qui est-ce qui examine pour le seul plaisir de savoir ?
Tous ceux enfin pour qui le style n’est pas un jeu, mais un travail.
Joseph Joubert, Carnets, II, Gallimard, 1994, p. 95, 100, 100, 117, 118.
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07/02/2022
Charles Pennequin, Dehors Jésus
Petit Jésus est nostalgique des premiers instants qu’il vit mais qu’il ne connaît pas. Il st nostalgique de la vie qui pousse sans s’arrêter. La vie pousse devant lui et autour de lui, partout la vie elle pousse et elle ne s’arrête jamais et pourtant il lui semble qu’elle n’est que mort. La vie elle ne s’arrête jamais pour échapper à la mort, mais en réalité c’est parce qu’elle continue qu’elle est dans la mort, c’est ce que petit Jésus pense, car petit Jésus pense que la vie c’est la nostalgie, c’est-à-dire le moment où tout s’arrête. La vie, c’est le moment où l’on voudrait tout noter de la vie et qu’on ne peut pas, on ne peut pas noter la vie qu’on vit pense alors petit Jésus, et petit Jésus voudrait accrocher la vie pour pouvoir tout goûter des moments qu’il est en train de vivre, ce qu’il vit file à toute allure, elle file de partout tout autour du petit Jésus la vie.
Charles Pennequin, Dehors Jésus, P. O. L, 2022, p. 113-114.
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29/11/2021
Robert Desnos, Domaine public
Comme une main à l’instant de la mort
Comme une main à l’instant de la mort et du naufrage se dresse comme les rayons du soleil couchant, ainsi de toutes parts jaillissent tes regards.
Il n’est plus temps, il n’est plus temps peut-être de me voir,
Mais la feuille qui tombe et la roue qui tourne te diront que rien n’est perpétuel sur terre,
Sauf l’amour,
Et je veux m’en persuader.
Des bateaux de sauvetage peints de rougeâtres couleurs,
Des orages qui s’enfuient,
Une valse surannée qu’emportent le temps et le vent durant les longs espaces du ciel.
Paysages.
Moi je n’en veux pas d’autres que l’étreinte à laquelle j’aspire,
Et meure le chant du coq.
Comme une main à l’instant de la mort se crispe, mon cœur se serre.
Je n’ai jamais pleuré depuis que je te connais.
J’aime trop mon amour pour pleurer.
Tu pleureras sur mon tombeau,
Ou moi sur le tien.
Il ne sera pas trop tard.
Je mentirai. Je dirai que tu fus ma maîtresse
Et puis vraiment c’est tellement inutile,
Toi et moi nous mourrons bientôt.
Robert Desnos, Domaine public, Le point du jour/ Gallimard,
1953, p. 103-104.
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10/04/2021
Albert Cohen, Carnets, 1978
Vingt-six février [1978]
Moi aussi je mourrai, est-ce possible ? Ces lignes, je les écris avec derrière moi la mort, compagne de ma vie, vieille compagne aux longs voiles derrière moi penchée, sur ma nuque penchée tandis que j’écris, une tristesse sur ma lèvre souriante, et je sens son souffle froid sur ma nuque tandis que je continue ces pages sans espoir où je me suis embarqué au hasard, hésitantes galères sur des vagues et ressacs, remous et soudains ressacs d’une mer, ô ma mère perdue, ô Marcel, mon frère perdu.
Albert Cohen, Carnets, 1978, Gallimard, 1979, p. 60.
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02/02/2021
Madame du Deffand, Correspondance avec Voltaire
Voltaire, 9 mai 1764
(...) Quant à la mort, raisonnons un peu, je vous prie : il est très certain qu’on ,ne la sent point, ce n’est point un moment douloureux, elle ressemble au sommeil comme deux gouttes d’eau, ce n’est que l’idée qu’on ne se réveillera plus qui fait de la peine, c’est l’appareil de la mort qui est horrible, c’est la barbarie de l’extrême-onction, c’est la cruauté qu’on a de nous avertir que tout est fini pour nous. À quoi bon venir nous prononcer notre sentence ? Elle s’exécutera bien sans que le notaire et les prêtres s’en mêlent. Il faut avoir fait ses dispositions de bonne heure, et ensuite n’y plus penser du tout. On dit quelquefois d’un homme, il est mort comme un chien, mais vraiment un chien est très heureux de mourir sans tout cet abominable attirail dont on persécute le dernier moment de notre vie. Si on avait un peu de charité pour nous on nous laisserait mourir sans nous en rien dire.
Madame du Deffand, Correspondance avec Voltaire, des femmes, 1987, p. 140.
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09/06/2020
Mathilde Vischer, Comme une étoile tombe dans la nuit
La mort est descendue sur la ville, lourde et lente, elle a ouvert les maisons, frôlé les arbres, baigné les corps. Elle est descendue, frêle, silencieuse, a vu les visages arrêtés. Elle glisse dans le souffle des rues, sur les tuiles de ciment, les clôtures de fer, les places trouées. Elle se serre dans le battement de la ville, sa pulsation blême. C’est le chant de la mort blessée, arrachée à sa propre force, à sa tâche la plus basse ; elle se terre, impuissante, ignare, implorante. C’est le chant de la mort blessée, la mort qui danse dans ses chaînes.
Mathilde Vischer, Comme une étoile tombe dans la nuit, Samizdat, 2020, p. 51.
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26/06/2019
Jean Clair, Terre natale
L’écriture est un nécrologe. Écrire suppose d’être seul. Seul vraiment, pas même, et surtout pas, avoir autour de soi la présence faussement complice et rassurante des habitués d’un bistrot, comme ce fut autrefois, paraît-il, la mode. Seul comme abandonné, perdu égaré, contraint de chercher ses mots et de les rassembler, le dernier des hommes, face à la mort, pour tenter de répondre. Parler est un discours désarmé avec les disparus, la seule adresse possible à ceux qui ne sont plus là, un mouvement de piété envers ceux qui n’en peuvent mais. La parole ne peut y être que singulière, et ne porter aucun espoir.
Jean Clair, Terre natale, exercices de piété, Gallimard, 2019, p. 59.
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