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24/01/2024

Pierre Chappuis, Muettes émergences

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                         Noir et blanc

 

La lumière, non les couleurs. 

Chaleur et lumière pleinement, passées les dunes et les dernières traces de végétation, les derniers chardons à moitié enfouis dans le sable. Exclusif, l’œil ne retient, noir et blanc, que l’ombre portée d’une de ces barrières à claire-voie qui partout courent le long du rivage, plus ou  moins usées par le  vent.

 

Pierre Chappuis, Muettes émergences, José Corti, 2023, p. 141.

28/06/2023

Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes

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Il y a des gens qui croient que tout ce qui se dit avec un visage sérieux est raisonnable.

La plupart des hommes ont rarement dans la tête plus de lumière qu’il n’en faut pour qu’on s’aperçoive qu’elle est précisément complètement vide.

Pour décrire avec sensibilité, il faut plus que des larmes et un clair de lune.

Mettre la dernière main à son œuvre, c’est la brûler.

Si tout à coup n ne pouvait plus reconnaître les sexes aux vêtements et qu’on soit obligé de deviner même les sexes, un nouveau monde de l’amour naîtrait. Ceci mériterait d’être traité dans le roman avec sagesse et connaissance du monde.

 Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 1985, p. 138, 153, 158, 165.

08/03/2023

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux

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Tous les blés flambent

et la brève alouette

est un fragment ascendant de ce feu.

Elle ne gravit tous les paliers de l’air

que parce que le sol est trop brûlant.

 

Il est une beauté que les yeux et les mains touchent

et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant.

Mais l’autre et dérobe et il faut s’élever plus haut

jusqu’à ce que nous autres ne voyions plus rien,

la belle cible et le chasseur tenace

confondus dans la jubilation de la lumière.

 

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,

Gallimard, 2021, p. 30.

04/02/2023

Antoine Emaz, Erre

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9.08.18

 

on n’a pas trop prise

sur ce qui vient les mots

prennent au passage

ou parfois rien

 

et ce n’est pas plus important

qu’une ligne de plus ou de moins

dans une dictée d’enfance

 

cela peut-être qui remonte

dans la nuit ou le vieux rose

d’une branche de tamaris en fleurs

 

ce qui ne tient à rien

dans la mélasse du temps un balancement

d’acacia ou de pin

le bleu passé au gris d’une lavande

 

quelque chose en tout cas

de presque silencieux

et doux

« regret souriant » ou deuil calme

d’un passé sans heurt

juste passé

poussière en suspension dans la lumière

pas plus

 

Antoine Emaz, Erre, Tarabuste,

2023, p. 89.

 

 

15/09/2022

Pierre Reverdy, Cravates de chanvre

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                  Adieu

 

    La lueur plus loin que la tête

                               Le saut du cœur

 

Sur la pente où l’air roule sa voix

                  les rayons de la roue

                  le soleil dans l’ornière

 

                  Au carrefour

près du talus

                 une prière

Quelques mots que l’on n’entend pas

                  Plus près du ciel

     Et sur ses pas

        le dernier carré de lumière

 

Pierre Reverdy, Cravates de chanvre, dans Œuvres

complètes, I, Flammarion, 2010, p. 342.

27/12/2021

Esther Tellermann, Sous votre nom

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Peut-être j’avais

voulu défaire

les écueils dans la

     syllabe

voir où tu

     dors

Si étions le même

     arceau

même mèche

     de l’incendie `

à l’un l’autre

l’épuisement de la

     lumière ?

 

Voulus que corps

     ait hâte.

 

Esther Tellermann, Sous votre nom,

Poésie/Flammarion, 2015, p. 163.

26/12/2021

Esther Tellermann, Carnets à bruire

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Quelle première

     fois

chaque fois

     reprise

irise la ligne

où se reflète

     l’incendie ?

Je voulais

resserrer

la déchirure

rouges      rouges

seraient les aubes

et les lampes

     vous adossé

aux écarts

de la lumière.

 

Esther Tellermaznn, Carnets à bruire,

La Lettre volée, 2014, p. 67.

13/03/2021

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux

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Là-bas, les tentes bleues des montagnes semblent vides.

 

Qu’ourdissez-vous de sombre sur vos fils,

oiseaux nerveux, mes familières hirondelles ?

 

Qu’allez-vous, à vous toutes, m’enlever ?

 

Si ce n’était que la lumière de l’été,

j’attendrais bien ici votre retour.

 

Si ce n’était que ma vie, emportez-la.

 

Mais la lumière de ma vie, oiseaux cruels,

laissez-la-moi pour éclairer novembre.

 

Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,

Gallimard, 2021, p. 38.

03/10/2020

Jacques Roubaud, C

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1994

 

Il n’y a pas de ciel

pas d’yeux

pas de voix 

rien qu’une lampe

une lampe dont la lumière

s’écoule

et ne reviendra pas

même si elle semble

posée

en permanence

sur la photographie au mur

sur les livres

en l’absence de ciel

d’yeux

et de voix

 

Jacques Roubaud, C, NOUS,

2015, p. 308.

29/09/2020

Philippe Jaccottet, Airs

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        Monde

 

Poids des pierres, des pensées.

 

Songes et montagnes

n’ont pas même balance

 

Nous habitons encore un autre monde

Peut-être l’intervalle

 

 

Fleurs couleur bleue

bouches endormies

sommeil des profondeurs

 

Vous pervenches en foule

parlant d’absence au passant

 

 

Sérénité

 

L’ombre qui est dans la lumière

pareille à une fumée bleue

 

Philippe Jaccottet, Airs, dans Œuvres,

Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,

2014, p. 438.

22/09/2020

Jacques Réda, La course

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                 Gitans à Montreuil

 

Dans les vergers à l’abandon qui dominent Montreuil,

Les filles des Gitans fument près des roulottes.

Sous des cordes à linge où sèchent leurs culottes,

Elles rodent avec la grâce du chevreuil.

 

On n'ose jeter en passant qu’un rapide coup d’œil :

Des vieilles à l’affût suspendent leurs parlottes

(Les hommes sont allés vendre des camelotes

Dans le grand déballage, en bas). Pourquoi ce deuil

 

Au fond de la lumière alors qu’elle irradie,

Et dans l’air vif ce goût fade de maladie ?

Les filles des Gitans ont beau se déhancher,

 

L’espace fourbu gît sous ses propres décombres :

Cabanes à lapins, potagers à concombres

Sous la fumée inerte et sans feu d’un pêcher

Rose.

 

Jacques Réda, La course, Gallimard, 1999, p. 46.

04/09/2020

Johannes Bobrowski, Ceci vit encore

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Et voici que

 

Et voici que

 nous avons les deux mains pleines de lumière —

les strophes de la nuit, les eaux

agitées heurtent de nouveau

la rive, le sentiment âpre, sans regard,

des bêtes dans les roseaux

après l’étreinte — puis

nous voilà debout contre la pente

dehors, contre le ciel

blanc, qui vient

par-dessus la montagne,

froid, cascade-splendeur,

et demeure figé, glace

qui descendait des étoiles.

 

Sur ta tempe

je veux vivre cette petite

saison, oublieux, sans bruit

laisser errer

mon sang à travers ton cœur.

 

Johannes Bobrowski, Ce qui vit encore,

traduction de l’allemand Ralph Dutli et

Antoine Jaccottet, L’Alphée, 1987, p. 73.

14/12/2019

Yves Bonnefoy, Ce qui fut sans lumière

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                La neige

 

Elle est venue de plus loin que les routes,

Elle a touchz le pré, l’ocre des fleurs,

De notre main qui était en fumée,

Elle a vaincu le temps apr le silence.

 

Davantage de lumière ce soir

À cause de la neige.

On dirait que des feuilles brûlent, devant la porte,

Et il y a de l’eau dans le bois qu’on rentre.

 

Yves Bonnefoy, Ce qui fut sans lumière, Poésie/Gallimard,

2007, p. 67.

26/08/2019

Cédric Demangeot, Pour personne

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Pourquoi certains poètes sombrent dans le noir. Sinon parce qu’ils sont seuls. Seuls, j’entends non pas comme en leur romantique adolescence mais plus simplement, plus crûment aussi, qu’ils sont seuls à voir trembler la lumière qu’il leur est possible et donné de voir. Seuls dans l’exercice de voir la vie se vivre en eux. Et cette indéfectible solitude, forte d’un pouvoir absorbant au sens mathématique et total, fait s’abattre leur état naturel de grâce en son néant conjoint— néant d’autant plus béant que le mouvement de joie a pu, un instant, tenter de s’appuyer sur lui.

 

Attention quand je parle de lumière. Pas d’illumination, pas d’intervention divine, pas de coup monté. C’est seulement dans le regard que nous posons sur le monde qu’est la lumière. Ce n’est peut-être pas de là qu’elle procède physiquement, mais c’est bien là qu’elle tremble ou non. Sur ce fil de feu, de poussière. Et sa vivacité dépend de moi.

 

Cédric Demangeot, Pour personne, L’Atelier contemporain, 2019, p. 51.

23/04/2019

Roger Munier, Le moins du monde

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Faire un texte

que la lecture efface

à mesure

 

La lumière a peut-être désir du jour,

comme la nuit de l’ombre,

le silence du silence…

 

Est-ce le vide

entre les choses

qui fait qu’elles sont choses,

ou les choses

en étant choses

qui font le vide ?

 

Maisons à l’aube,

aux volets clos.

Témoins aveugles.

 

Roger Munier, Le moins du monde,

Gallimard, 1982, p. 15, 16, 17, 19.