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18/10/2023

Paul Verlaine, Chair

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    Les méfaits de la lune

 

Sur mon front, mille fois solitaire,

Puisque je dois dormir loin de toi,

La lune, déjà maligne en soi

Ce soir jette un regard délétère.

 

Il fit ce regard — pût-il se taire !

Mais il prétend ne pas rester coi,

Qu’il n’est pas sans toi de paix pour moi ;

Je le sais bien, pourquoi ce mystère,

 

Pourquoi ce regard, oui, lui, pourquoi ?

Qu’ont de commun la lune et la terre ?

Ha, reviens vite, assez de mystère i

Toi, c’est le soleil, luis clair sur moi !

 

Paul Verlaine, Chair, dans Poésies complètes,

Bouquins/Robet Laffont, 2011, p. 840.

26/03/2023

Judith Chavanne, De mémoire et de vent

Judith Chavanne, de mémoire et de vent, tristesse, chair

Un corps navré ; à terre les feuilles ternes.

 

Jours de défaite ? Ou est-ce

que l’on a simplement désarmé ?

 

D’autres feuilles dans la dernière lumière

sur le bouleau orange illuminées.

 

Une rose pâle, comme décolorée.

 

Faut-il être jusque dans sa chair la tristesse,

le champ piétiné d’insondables batailles ?

 

Au-dessus, rose et or, le ciel

éblouissant avant l’obscurité.

 

Judith Chavanne, De mémoire et de vent,

L’herbe qui tremble, 2023, p. 27.

 

17/05/2021

Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle

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De pierre sont les uns, d’argile d’autres sont.—

Moi je scintille, toute argentine !

Trahir est mon affaire et Marine ô mon nom.

Je suis fragile écume marine.

 

D’argile sont les uns, les autres sont de chair —

À eux : tombes et dalles tombales !

— Baptisée dans la coupe marine — et en l’air

Sans fin brisée, je vole et m’affale.

 

À travers tous les cœurs, à travers tout filet

Mon caprice s’infiltre, pénètre.

De moi — ces boucles vagabondes : vise-les ! —

On ne fera pas du sel terrestre.

 

Contre vos genoux de granit je suis broyée

Et chaque vague me — réanime !

Vive l’écume, gloire à l’écume joyeuse,

Vive la haute écume marine !

                                                   23 mai 1920

 

Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle, traduction Pierre Léon et Ève Malleret, Poésie/Gallimard, 1999, p. 103.

29/09/2019

Paul Éluard, Médieuses

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Au premier mot limpide

 

Au premier mot limpide

 Au premier rire de ta chair

La route épaisse disparaît

Tout recommence

 

La fleur timide la fleur sans air du ciel nocturne

Des mains voilées de maladresse

Des mains d’enfant

 

Des yeux levés vers ton visage et c’est le jour sur terre

La première jeunesse close

Le seul plaisir

 

Foyer de terre foyer d’odeurs et de rosée

Sans âge sans saisons sans liens

 

L’oubli sans ombre.

 

Paul Éluard, Médieuses, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1968, p. 911.

28/07/2019

Paul Éluard, Médieuses

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Au premier mot limpide

 

Au premier mot limpide au premier rire de ta chair

La route épaisse disparaît

Tout recommence

 

La fleur timide la fleur dans air du ciel nocturne

Des mains voilées de maladresse

Des mains d’enfant

 

Des yeux levés vers ton visage et c’est le jour sur terre

La première jeunesse close

Le seul plaisir

 

 

Foyer de terre foyer d’odeurs et de rosée

Sans âge sans liaisons sans liens

 

L’oubli sans ombre

 

Paul Éluard, Médieuses, dans Œuvres complètes, I,

Pléiade / Gallimard, 1968, p. 911.

22/03/2019

Sergueï Essenine, Journal d'un poète

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Heureux qui par un frais automne

largue son âme comme pomme au vent

et contemple le soc du soleil

fendre l’eau bleue de la rivière.

 

Heureux qui extrait de sa chair

l’incandescent clou des poèmes,

et revêt le blanc vêtement de fête

en attendant que l’hôte frappe.

 

Apprends, mon âme, apprends à garder

au fond des yeux la fleur de merisier ;

Avares sont les sens à s’échauffer

quand du flanc coule un filet d’eau.

 

Les étoiles carillonnent en silence

 telle la bougie à l’aube, telle la feuille blanche.

Nul n’entrera dans la chambre haute,

je n’ouvrirai la porte à personne.

 

Sergueï Essenine, Journal d’un poète, traduction

Christiane Pighetti, La Différence, 2014, p. 77.

08/02/2018

Michel Bourçon, À l'arbre que l'on devient

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Nulle empreinte dans cette nuit éblouissante, un val où se perdre dans le noir ponctué de réverbères, ce véhicule de chair dans lequel rien ne bat, l’oubli du sang en ses veines, solstice hivernal du cœur.

 

Par la fenêtre, parmi le balancement des arbres chahutés par le vent, il y a le livre qui attend d’être écrit, on distingue parmi les branches, la silhouette d’un poème, à pas menus, à pas comptés, se découvre et capitule en souriant au vainqueur.

 

Dans le jour de neige, seuls les flocons savent ce qu’ils font, pas une aile au ciel pour déchirer le blanc, les mots tourbillonnent en tête et se poseront ailleurs, pas sur la page où un feutre noir repose comme pain sur la planche.

 

Michel Bourçon, À l’arbre que l’on devient, le phare du cousseix, 2017, p. 3.

11/08/2015

Jean-Louis Giovannoni, Journal d'un veau

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Je n’ai pas honte de le dire : je ne veux pas que ma viande soit blanche. Je ne supporterais pas la moindre coloration interne. Tous ceux qui m’entourent ont beau faire les fiers-à-bras, les m’as-tu-vu, leur rêve secret, c’est l’immaculé de la chair. N’est-ce pas la seule façon de rendre hommage à nos maîtres ? Eux qui s’usent au travail pour nous permettre d’atteindre cette beauté : une viande blanche, ferme et légèrement rosée. Ce teint délicat fait ressortir la santé et la joie qui nous transportent. Comme le rose aux joues, si beau, si recherché sur le visage des petits d’homme. Moi, c’est dedans que je veux afficher cettesanté visible. La carnation du visage, nous la portons à même la chair, au plus profond. On nous désire pour cela. Il n’est pas facile de soutenir une telle constance. Un rien, le moindre faux pas alimentaire, et ce sont des jours d’efforts, de restriction avant de retrouver un visage de lait. Certains humains arrivent à une blancheur égale à la nôtre, mais est-ce vraiment naturel ?

 

Jean-Louis Giovannoni, Journal d’un veau, roman intérieur, éditions Léo Scheer, 2005, p. 23-24.

30/03/2015

Franck Venaille, Chaos

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Amères sont nos pensées sur la vie Amè-

Res sont-elles ! Il suffit — ô amertume ! —

D’un instant, tel celui où ce cerf-volant

Échappant à l’enfant se brises sur les gla-

Ciers du vent pour que disparaisse ce

Bonheur d’aller pieds nus sur le sable

Amers de savoir que ce sont sur des éclats

De verre que nous marchons. Que nous

Nous dirigeons, chair à vif, vers la mort —

 

                       *

 

On naît déjà mort

 

Ah ! ce mur d’anxiété

            qui

      peu à peu

      m’enserre

 

      ALORS

 

que

je demande simplement à quitter la scène

      fut-ce par la sortie bon secours

 

Ce sont toujours les mêmes qui pratiquent l’autopsie

De leur propre corps

Cela tient du cheval vapeur ouvert dégoulinant de viscères

noirs.

 

Rien !

     On naît rien.

 

     Vite on recoud vite le cadavre vite !

 

  déjà fané avant l’heure légale —

   

                 Vite !

 

Franck Venaille, Chaos, Mercure de France, 2006, p. 57 et 90.