04/02/2023
Antoine Emaz, Erre
9.08.18
on n’a pas trop prise
sur ce qui vient les mots
prennent au passage
ou parfois rien
et ce n’est pas plus important
qu’une ligne de plus ou de moins
dans une dictée d’enfance
cela peut-être qui remonte
dans la nuit ou le vieux rose
d’une branche de tamaris en fleurs
ce qui ne tient à rien
dans la mélasse du temps un balancement
d’acacia ou de pin
le bleu passé au gris d’une lavande
quelque chose en tout cas
de presque silencieux
et doux
« regret souriant » ou deuil calme
d’un passé sans heurt
juste passé
poussière en suspension dans la lumière
pas plus
Antoine Emaz, Erre, Tarabuste,
2023, p. 89.
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01/12/2022
Louise Warren, Bleu de Delf : archives de solitude
Commencement
L’été, alors qu’enfant j’allais à la campagne, j’aimais franchir ce lieu interdit que nous appelions tantôt le château, tantôt les ruines, mais jamais la maison brûlée. Une vaste demeure, qui, construite en retrait de notre avenue, semblait reculer tout au fond du paysage. Le sol et les murs de plusieurs pièces de cette maison avaient été recouverts de mosaïque turquoise, vertes ou bleues, ainsi que de grands miroirs, puisque nous trouvions partout de ces éclats de feu que nous ne cessions de retourner au soleil. Tout m’apparaissait possible pour cette maison qui laissait entrer les mauvaises herbes, les chats et chiens errants, le ciel et les enfants. Elle correspondait à la maison de mes rêves. Une maison où l’intérieur et l’extérieur habitent ensemble, où les framboises poussent dans le salon. Un lieu plein d’étrangeté et où le paysage se berce doucement dans les tiroirs, où les escaliers ne mènent nulle part ailleurs que devant soi.
Les années passaient et, dans ce fouillis de mauvaises herbes, on ne voyait plus rien briller que les guêpes. Il n’y eut bientôt ni entrée ni escalier, les ruines furent rasées pour faire place à une série de maisons basses, chacune collée à un jardinet de banlieue. J’ai longtemps établi un lien entre ces ruines, les maisons en démolition du centre-ville, mon appartement brûlé de la rue Hutchinson, et la poésie. Un fil sacré qui déterminerait un périmètre dans l’imaginaire. La poésie a cette force de traversée, celle de commencer par les ruines.
Louise Warren, Bleu de Delf : archives de solitude, éditions Trait d’union, Montréal, 2003, p. 28.
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29/10/2022
Jacques Lèbre, À bientôt
Qui n’a jamais erré longtemps dans une ville inconnue à la recherhce d’un café à son goût dans lequel il puisse enfin entrer ne peut pas vraiment savoir ce qu’est l’exil.
Une enfance sera toujours vécue de plein fouet.
Bouffées de larmes, parfois proches des yeux ; parfois plus enfouies, dans l’âme.
Le soir, une fois couché, le réveil posé sur le parquet, l’aiguille des secondes cavalcade sans aucune possibilité de retour en arrière. Si l’on y pense, c’est à la fois la catastrophe la plus naturelle et la plus absolue.
Jacques Lèbre, À bientôt, Isolato, 2022, p. 50, 55, 56, 70.
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28/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
Quand se levait le rideau
Quand se levait le rideau sur le monde
de mon enfance, j’accourus comme
à une fête promise. Une à une
sont tombées les merveilles.
Des espérances conçues, nulle
qui vaille à m’en souvenir, même une larme
et même un seul soupir. Mais il me reste
ton baiser, jeune amie, qu’absences
et respect de nous-mêmes font plus rares.
C’était cela la vie, une gorgée amère.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 461.
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31/03/2022
Jean Daive, Monoritmica
Monoritmica
Épisode VII
LEÇON VIII
Nous sommes entremêlés et ne formons plus
qu’un seul être. Nous savons ce que le
monde sait. Nous savons et gardons
la bouche fermée. Nous dégageons
une odeur de céleri. MINUIT dans l’escalier
de La Splendeur des Amberson.
Serions-nous deux personnes. Protégées
de toute séparation ?
LEÇON IX
Célébrer la chance
sans la corriger.
Et tout est à craindre.
Revenue-revenante frappe dan s la nuit.
De mur en mur
montant ou ne montant plus
en pente avec marches pavées, inégales
des décors se confondent avec
grosse fumée noire
enfant je n’ai pas voulu
dire, tout dire
parmi eux, à ma mère
qui ne s’accommode pas
en elle de la présence
de ma sœur. Tout dire
et masquer l’architecture
d’elle et de moi si
toutefois nous étions
objets
d’une conversation
alors commence
notre personne
avec dedans
une pensée et des idées.
Jean Daive, Monoritmica, Poésie/
Flammarion, 2022, p. 221-222.
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23/03/2022
Emmanuel Hocquard, Une Grammaire de Tanger
Des espaces qui ne communiquent pas
Un jour, enfant, au cours d’une promenade estivale dans la campagne en fin d’après-midi, j’ai vu des coquelicots en bordure d’un champ, au bout d’une petite route, quelque part entre la villa Harris et le cap Malabata.
Rn dépit de sa banalité, l’impression que m’a laissée cette vision est l’une des plus fortes qu’il m’ait jamais été donné d’éprouver. Chauqe fois que je vois des coquelicots, c’est cette image qui revient et me fait battre le cœur.
Coquelicot ; onomatopée du cri du coq (coquerico, cocorico). Petit pavot sauvage à fleur d’un rouge vif, ainsi nommé par référence à la couleur de la crête du coq ;
L’émotion (la sensation, aurait dit Matisse). Coquelicots contiennent été et quelque part.
{...]
Emmanuel Hocquard, Une Grammaire de Tanger, P.O.L, 2022, p. 93.
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26/02/2022
James Sacré, Figures de solitudes
Les vaches qu’on allait garder
Les animaux qui sont dans les poèmes
Si un peu
C’est pas comme au zoo,
Comme au cirque, ou pareil
Qu’à la ferme où je les ai connus
On fait semblant de les aimer
On les aime, on les enferme.
Tout ce qu’ils m’ont donné :
Rêveries, mots, savoir et désir.
Le fond sale et somptueux du cœur
Et d’autres organes,
Bougent ton poème, tes pensées mal pensées
Animaux parlés mal vivants
Dans l’écriture qui les enferme
Quelle amitié leur est donnée ?
James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste,
2022, p. 52.
Photo T. H.
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12/02/2022
Paul de Roux, Entrevoir
L’enfance
La nuit dans les grands arbres on entendait le vent
ou pour ainsi dire rien, et c’était pire :
comme un bruit de pas trop près des murs
puis escaladant la façade — est-ce possible ?
Les volets sont fermés
la lourde porte verrouillée
mais la peur tombe en piqué sur le cœur
qui bat soudain plus fort que tout.
Paul de Roux, Entrevoir, Poésie / Gallimard, 2014, p. 143.
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28/09/2021
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Le cœur serré sans préavis
entre les murs du bâtiment gris public
d’où les cris fusent, on croirait une enfance
à cause des barreaux qui restreignent
la vue du ciel
les origines restituées
comme on s’en trouve à même les livres
enracinés dans la mémoire
avec l’ennui et les récitations
— craie, encrier, cire d’abeille —
la cour d’école au gravier jaune où crisse
une espèce de véracité française,
racines, à force d’être lues, plausibles
et crues finalement, oui, avec effet rétroactif
tant le désir de croître est commun aux souvenirs
d’une enfance implantée au hasard des sols,
l’autre en papier relue, comme apprise.
Papier relu
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007, p. 88.
Photo Chantal Tanet
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16/07/2021
James Sacré, Broussaille de bleus
Fontaine de mémoire
Une fontaine fait son bruit de fontaine
Donne son eau claire
Au silence des buissons, on ne sait plus
Si le jour est grand bleu ou larges avancées de nuées
Tout s’efface ou brille un peu
Parmi des débris de mémoire.
Des pays traversés s’emmêlent
En quelques mots familiers qui furent
Ceux donnés par une enfance oubliée.
Quels paysages reviendraient dans le courant d’une écriture ?
Un poème fait son bruit de poème, son bruit de poème.
James Sacré, Broussaille de bleus, dessins de Jacques Barral, Le Réalgar, 2021, p. 43.
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11/05/2021
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers
La fleur de la morelle
La fleur de la morelle (douce amère ou noire)
Donne des baies aux buissons ; l’automne est poison
Nourri de mauvais rouge au fond de la mémoire.
Mais plaisir ! (trop naïf) ah ! j’entends la saison
Qui revient, ses fruits mous, pourriture mais gloire
Et bonheur ! (rouilles, soleil) au bord des buissons.
Alors la saison flambe au faîte des grands ormes ;
Fourche, paille jetée : c’est le goret qu’on tue.
Il brûle dans l’automne et l’enfance perdus.
Je m’en souviens du goût des nèfles et des cormes.
Il brûle dans l’automne et l’enfance est perdue (l’enfance éperdue).
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993, p. 15.
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03/04/2021
Nathalie Sarraute, Enfance
J'ai l'embarras du choix, il y a des livres partout, dans toutes les pièces, sur les meubles et même par terre, apportés par maman et Kolia ou bien arrivés par la poste... des petits, des moyens et des gros...
J'inspecte les nouveaux venus, je jauge l'effort que chacun va exiger, le temps qu'il va me prendre... J'en choisis un et je m'installe avec lui sur mes genoux, je serra dans ma main le large coupe-papier en corne grisâtre et je commence... D'abord le coupe-papier, tenu horizontalement, sépare le haut des quatre pages attachées l'une à l'autre deux par deux, puis il s'abaisse, se redresse et se glisse entre les deux pages qui ne sont plus réunies que sur le côté... Viennent ensuite les pages "faciles" : leur côté est ouvert, elles ne doivent être séparées que par le haut, puis quatre "difficiles", et ainsi de suite, toujours de plus en plus vite, ma main se fatigue, ma tête s'alourdit, bourdonne, j'ai comme un léger tournis... « Arrête-toi maintenant, mon chéri, ça suffit, tu ne trouves vraiment rien faire de plus intéressant ? Je le découperai moi-même en lisant, ça ne me gêne pas, je le fais machinalement...»
Nathalie Sarraute, Enfance, Gallimard, 1983, p. 79.
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14/12/2020
Edmond Jabès, La Clef de voûte
Nous sommes invisibles
Quant tu es loin
il y a plus d’ombre
dans la nuit
il y a
plus de silence
Les étoiles complotent
dans leurs cellules
cherchent à fuir
mais ne peuvent
Leur feu blesse
il ne tue pas
Vers lui quelquefois
la chouette lève la tête
puis ulule
Une étoile est à moi
plus qu’au sommeil
et plus qu’au ciel
distant absent
prisonnière hagarde
héroïne exilée
Quand tu es loin
il y a plus de cendres
dans le feu
plus de fumée
Le vent disperse
tous les foyers
Les murs s’accordent
avec la neige
Il était un temps
où je ne t’imaginais pas
où hanté par ton visage
je te suivais dans les rues
Tu passais étonnée à peine
J’étais ton ombre dans le soleil
J’ignorais le parc silencieux
où tu m’as rejoint
Seuls nous deux
rivés à nos rêves
au large de nos paroles abandonnées
Je dors dans un monde
où le sommeil est rare
un monde qui m’effraie
pareil à l’ogre de mon enfance
[...]
Edmond Jabès, La Clef de voûte,
GLM, 1950, p. 25-26.
05:00 Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Jabès Edmond | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : edmond jabès, la clef de voûte, invisible, ogre, enfance | Facebook |
10/01/2020
Bernard Vargaftig, Dans les soulèvements
L’effroi se sauve
Un mouvement incliné dont l’envol se dénoue
Pourtant rien n’est trop loin l’insatiable
Acceptation respirait
La rapidité et l’absence de ressemblance
Qu’avec l’abîme
L’enfance fait chanceler
Dans l’étonnement sous le désir
Aucun nuage
Et c’est brusquement comme à travers moi tu m’emmènes
Où ton saisissement s’assombrit
Le temps redevient langage
Bernard Vargaftig, Dans les soulèvements, André Dimanche, 1996, p. 29.
05:00 Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bernard vargaftig, dans les soulèvements, effroi, enfance, désir | Facebook |
Bernard Vargaftig, Dans les soulèvements
L’effroi se sauve
Un mouvement incliné dont l’envol se dénoue
Pourtant rien n’est trop loin l’insatiable
Acceptation respirait
La rapidité et l’absence de ressemblance
Qu’avec l’abîme
L’enfance fait chanceler
Dans l’étonnement sous le désir
Aucun nuage
Et c’est brusquement comme à travers moi tu m’emmènes
Où ton saisissement s’assombrit
Le temps redevient langage
Bernard Vargaftig, Dans les soulèvements, André Dimanche, 1996, p. 29.
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