11/11/2023
Jules Supervielle, Les Amis inconnus
L'âge
Mains fraîches, et ces yeux si légers et couleur
Des ruisseaux clairs que le ciel presse…
Ce que je nomme encore aujourd’hui ma jeunesse
Quand nul ne peut m’entendre et que même mon cœur
Plein de honte pour moi, fait le sourd, se dépêche,
Me laisse sans chaleur.
Jules Supervielle, Les Amis inconnus
Pléiade/Gallimard, 1999, p. 319.
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17/10/2014
Jules Supervielle, Les Amis inconnus
L'oiseau
« Oiseau, que cherchez-vous, voletant sur mes livres,
Tout vous est étranger dans mon étroite chambre.
— J'ignore votre chambre et je suis loin de vous,
Je n'ai jamais quitté mes bois, je suis sur l'arbre
Où j'ai caché mon nid, comprenez autrement
Tout ce qui vous arrive, oubliez un oiseau.
— Mais je vois de tout près vos pattes, votre bec.
— Sans doute pouvez-vous approcher les distances
Si vos yeux 'ont trouvé ce n'est pas de ma faute.
— Pourtant vous êtes là puisque vous répondez.
— Je réponds à la peu que j'ai toujours de l'homme
Je nourris mes petits, je n'ai d'autre loisir,
Je les garde en secret au plus sombre d'un arbre
Que je croyais touffu comme l'un de vos murs.
Laissez-moi sur ma branche et gardez vos paroles,
Je crains votre pensée comme un coup de fusil.
— Calmez donc votre cœur qui m'entend sous la plume.
— Mais quelle horreur cachait votre douceur obscure
Ah ! vous m'avez tué, je tombe de mon arbre.
— J'ai besoin d'être seul, même un regard d'oiseau !...
— Mais puisque j'étais loin au fond de mes grands bois ! »
Jules Supervielle, Les Amis inconnus, dans Œuvres poétiques complètes, édition sous la direction de Michel Collot, Pléiade, Gallimard, 1996, p. 300-301.
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17/03/2012
Jules Supervielle, Les Amis inconnus
L'escalier
Parce que l'escalier attirait à la ronde
Et qu'on ne l'approchait qu'avec des yeux fermés,
Que chaque jeune fille en gravissant les marches
Vieillissait de dix ans à chaque triste pas,
— Sa robe avec sa chair dans une même usure —
Et n'avait qu'un désir ayant vécu si vite
Se coucher pour mourir sur la dernière marche ;
Parce que loin de là une fillette heureuse
Pour en avoir rêvé au fond d'un lit de bois
Devint, en une nuit, sculpture d'elle-même
Sans autre mouvement que celui de la pierre
Et qu'on la retrouva, rêve et sourire obscurs,
Tous deux pétrifiés mais simulant toujours...
Mais un jour l'on gravit les marches comme si
Rien que de naturel s'y était passé.
Des filles y mangeaient les claires mandarines
Sous les yeux des garçons qui les regardaient faire.
L'escalier ignorait tout de son vieux pouvoir
Vous en souvenez-vous ? Nous y fûmes ensemble
Et l'enfant qui venait avec nous le nomma.
C'était un nom hélas si proche du silence
Qu'en vain il essaya de nous le répéter
Et, confus, il cacha sa tête dans les larmes
Comme nous arrivions en haut de l'escalier.
Jules Supervielle, Les Amis inconnus, dans Œuvres poétiques complètes,
édition publiée sous la direction de Michel Collot, Bibliothèque
de la Pléiade, 1996, p. 318.
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