06/09/2023
Li Bai, Florilège
Trois, cinq, sept mots
Par le vent de l’automne
Dont la lune rayonne
Feuilles, tombant, s’assemblent et s’en vont ;
Le corbeau froid se perche puis frissonne.
Pour nous aimer et pour nous voir, quel jour ? le connait-on ?
En ce moment, en cette nuit, ce qu’on sent s’emprisonne.
*
Sentiment de peine
Une beauté lève un store fluide,
S’assoit, et fronce un sourcil papillon.
Si de ses pleurs on voit la trace humide,
À qui son cœur en veut-il ? Le sait-on ?
Li Bai, Florilège, traduit du chinois, présenté
et annoté par Paul Jacob, Connaissance de
l’Orient/Poésie /Gallimard, 2023, p. 97 et 99.
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10/11/2022
Jacques Réda, Amen
Automne
Ah je le reconnais, c’est déjà le souffle d’automne
Errant, qui du fond des forêts propage son tonnerre
En silence et désempare les vergers trop lourds ;
Ce vent grave qui nous ressemble et parle notre langue
Où chante à mi-voix un désastre.
Offrons-lui le déclin
Des roses, le charroi d’odeurs qui verse lentement
Dans la vallée, et la strophe d’oiseaux qu’il dénoue
Au creux de la chaleur où nous avons dormi.
Ce soir,
Longtemps fermé dans son éclat, le ciel grandi se détache
Qui fut notre seuil coutumier s’éloigne à longues enjambées
Par les replis du val ouvert à la lecture de la pluie.
Jacques Réda, Amen, Gallimard, 1968, p. 55.
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23/10/2021
André Frénaud, Hæres
Sur la route
Douce détresse de l’automne,
des abois très lointains,
une échauffourée de nuages, comme un remuement
de souvenirs qui se cachent.
Et la lisière des peupliers pour donner figure
à la lumière qui va venir.
André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1982, p. 91.
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11/05/2021
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers
La fleur de la morelle
La fleur de la morelle (douce amère ou noire)
Donne des baies aux buissons ; l’automne est poison
Nourri de mauvais rouge au fond de la mémoire.
Mais plaisir ! (trop naïf) ah ! j’entends la saison
Qui revient, ses fruits mous, pourriture mais gloire
Et bonheur ! (rouilles, soleil) au bord des buissons.
Alors la saison flambe au faîte des grands ormes ;
Fourche, paille jetée : c’est le goret qu’on tue.
Il brûle dans l’automne et l’enfance perdus.
Je m’en souviens du goût des nèfles et des cormes.
Il brûle dans l’automne et l’enfance est perdue (l’enfance éperdue).
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993, p. 15.
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08/04/2020
Bashô, Le Faucon impatient
Un éclair soudain
dans les ténèbres s’en va
le cri du héron
Champignons des pins
des feuilles d’arbres inconnus
sont restées collées
Automne s’en va
quand elle a ouvert le main
bogue de châtaigne
Dans sa robe de plumes
emmitouflées bien au chaud
pattes du canard
Ah le feu de braise
du visiteur sur le mur
l’ombre se profile
Bashô, Le Faucon impatient, traduction
René Sieffert, POF, 1994, p. 203, 207,
215, 241, 245.
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23/10/2019
Issa, Sous le ciel de Shinano
mon éventail
rien que de la prendre en main
et de nouveau j’ai envie de partir
herbes échevelées
le froid se sent
rien qu’à vue d’œil
nuit d’automne
le papier troué d’une cloison
joue de la flute
juste de quoi faire un feu
les feuilles mortes
que le vent m’a apportées
la neige doucement descend
qui urait encore le cœur de rire
sous le ciel de Shinano
Issa, Sous le ciel de Shinano,
traduction Alain Gouvret et
Nobuko Imamura,Arfuyen, 1984, np.
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13/02/2019
Henri Thomas, Poésies
Le temps n’est qu’un noir sommeil
bienheureux qui sut garder
les images de l’éveil.
Vallée blanche, mes hivers,
bois pleins d’ombre, mes étés,
belle vue des toits déserts,
jours d’automne, et je marchais
recueilli, seul, ignoré,
dans l’or pâle des forêts,
déjà moutonnait la mer
perfide des accidents,
petits flots, petits éclairs,
bien malin qui s’en défend.
Henri Thomas, Poésies, Poésie / Gallimard,
1970, p. 132.
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11/12/2018
Takuboku, Ceux que l'on oublie difficilement
J’ai compté les années d’espérance
et je fixe mes doigts
je suis fatigué du voyage
Il m’a donné la nourriture
et je me suis retourné contre lui
que ma vie est lamentable
Le soir au moment de se séparer
à la fenêtre du wagon j’ai bâillé
de tout cela je n’ai que regret
Calmement sur une large avenue
une nuit en automne
respirer l’odeur du maïs que l’on grille
Takuboku, Ceux que l’on oublie difficilement,
Traduction Yasuko Kudaka et Gérard Pfister,
Arfuyen, 1989, p. 8, 12, 17, 19.
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04/10/2018
Jacques Moulin, L'Épine blanche
Un mois sans toi
Sans feu ni lieu de toi
Sans mère ni voie
Cheval perdu
Sans voix sans toi
Corne de brume
Mouillure aux yeux
L’humeur des vitres après l’embrun
Du brou en gorge
L’automne des noix
Et coque vide
Jacques Moulin, L’Épine blanche, L’Atelier
contemporain, 2018, p. 37.
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30/08/2018
Yosa Buson, Haïku (traduction Joan Titus-Carmel)
La pauvreté
m'a saisi à l'improviste
ce matin d'automne
Près d'un poirier
je suis venu solitaire
contempler la lune
Le batelier —
sa perche arrachée des mains
tempête d'automne
Il brama trois fois
puis on ne l'entendit plus
le cerf sous la pluie
Une solitude
plus grande que l'an dernier
fin d'un jour d'automne
Le mont s'assombrit
éteignant le vermillon
des feuilles d'érables
Yosa Buson, Haiku, traduits du japonais et
présentés par Joan Titus-Carmel, Orphée/
La Différence, 1990, n.p.
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01/08/2017
Basho, Seigneur ermite, L'intégrale des haïkus
Quel idiot de penser
que l’autre monde serait
tel un soir d’automne !
Battant les vagues
le bruit d’une rame glace mes entrailles —
Pleurs dans la nuit
L’âme d’un saule pleureur
devient-elle celle d’un rossignol
dans son sommeil ?
Poètes émus par les cris des singes,
entendez-vous l’enfant abandonné
dans le vent d’automne ?
Basho, Seigneur ermite, L’intégrale des haïkus, édition bilingue par Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 80, 81, 94, 99
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08/06/2016
Bashô, Seigneur ermite
Espérant le chant du coucou,
j’entends les cris
du marchand de légumes verts
L’automne est venu —
sur l’oreiller
le vent me salue
Sous une couverture de gelée,
un enfant abandonné
sur un matelas de vent
Ah ! le printemps, le printemps,
que le printemps est grand !
et ainsi de suite
Les pierres semblent fanées
et même l’eau s’est tarie —
l’hiver à son comble
Bashô, Seigneur ermite, édition bilingue
par Makoto Kemmoku et Dominique
Chipot, La Table ronde, 2012, p. 64,
66, 69, 77, 82.
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26/05/2016
Rachel Blau Duplessis, Brouillons
Non et non à tout ça,
non, personne
n’a le droit,
ne l’aura jamais, nous n’avons
jamais compris, il n’y avait là
rien de tout cela ; rien de rien,
mais d’autres atrocités
ont lieu, peuvent et ont pu avoir lieu, et vont avoir lieu
justifiées par des mots creux, faisant écho
comme du fond d’un domaine d’ombres.
Une à une
les feuilles tombent
là, sur l’herbe
tournoiement au hasard
destination dans le brouillard
la journée a été
consacrée
au silence sans réconciliation
tant il y avait de feuilles, autant
que d’ossements.
Rachel Blau DuPlessis, Brouillons, traduction
Auxeméry avec Chris Tysh, Corti, 2013, p. 127.
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02/03/2016
Basho, Seigneur ermite
ma vie de voyageur,
le va-et-vient
d’un paysan labourant la rizière
Rides sur l’eau
et brise parfumée
en rythme
Un éclair —
le cri d’un héron bihoreau
dans le noir
L’automne s’en va —
une bogue de châtaigne fendue
comme des mains entrouvertes
Cet automne,
pourquoi ai-je vieilli ?
Oiseaux dans les nuages
Basho, Seigneur ermite, édition bilingue par
Mahoto Kemmoku et Dominique Chipot,
La Table ronde, 2012, p. 330, 336, 340,
343, 348.
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24/11/2015
Georg Trakl, Poèmes, traduits par Guillevic —— Écrire après ?
Dans un vieil album
Tu reviens toujours, mélancolie,
O douceur de l’âme solitaire.
Pour sa fin s’embrase un jour doré.
Humblement devant la douleur
S’incline celui qui s’est fait patience.
Résonnant d’harmonie et de tendre folie.
Vois ! Il va faire noir déjà.
La nuit revient, quelque chose de mortel se plaint
Et quelque autre souffre avec elle.
Tremblant sous les étoiles d’automne
Chaque année la tête penche davantage.
Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés
par Guillevic, Obsidiane, 1981, p. 11.
Écrire après ?
Face à des innocents lâchement assassinés par d'infâmes fanatiques, la poésie peut peu, pour le dire à la façon de Christian Prigent. Ça, le moderne ? Quoi, la modernité ? Cois, les Modernes… Face à l'innommable, seul le silence fait le poids ; comme à chaque hic de la contemporaine mécanique hystérique, ironie de l'histoire, l'écrivain devient de facto celui qui n'a rien à dire. Réduit au silence, anéanti par son impuissance, son illégitimité. Son être-là devient illico être-avec les victimes et leurs familles.Nous tous qui écrivons ne pouvons ainsi qu'être révoltés par l'injustifiable et nous joindre humblement à tous ceux qui condamnent les attentats du 13 novembre. Et tous de nous poser beaucoup de questions.
Surtout à l'écoute des discours extrémistes, qu'ils soient bellicistes, sécuritaires, islamophobes ou antisémites sous des apparences antisionistes. C'est ici que ceux dont l'activité – et non pas la vocation – est de mettre en crise la langue comme la pensée, de passer les préjugés et les idéologies au crible de la raison critique, se ressaisissent : le peu poétique ne vaut-il pas d’être entendu autant que le popolitique ? Plutôt que de subir le bruit médiatico-politique, le spectacle pseudo-démocratique, les mises en scène scandaculaires – si l'on peut dire -, ne faut-il pas approfondir la brèche qu'a ouverte dans le Réel cet innommable, ne faut-il pas appréhender dans le symbolique cette atteinte à l'entendement, ce chaos qui nous laisse KO ? Allons-nous nous en laisser conter, en rester aux réactions immédiates, aux faux-semblants ? Une seule chose est sûre, nous CONTINUERONS tous à faire ce que nous croyons devoir faire. Sans cesser de nous poser des questions.
Ce communiqué, signé de Pierre Le Pillouër et Fabrice Thumerel, est publié simultanément sur les sites :
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