Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/07/2023

Antoine Emaz, Erre

  antoine emaz, erre, sombre, ombre

délesté

on descend pourtant

c’est bizarre

mais pas en rêve

 

on a fait ce qu’il fallait

pour rester en surface

prendre part au bruit produire

les paroles et le reste les paroles

tout le nécessaire du jour

 

on s’en va maintenant comme si

on n’avait plus que son poids de corps

il glisse dans le soir s’enfonce

dans l’ombre de plus en plus sombre

des arbres et du jardin

jusqu’au ciel

 

on respire

 

Antoine Emaz, Erre, Tarabuste,

2023, p. 44.

Photo T. H., 2007.

02/07/2023

Antoine Emaz, Erre

antoine emaz, erre, choses de la vie

11.09.18

 

le bilan court d’un jour le soir

ou plus long d’une vie les nuits

c’est assez vain

 

souvent on avance par une odeur de fleurs

ou de cheveux un sourire un ciel

le bruit d’un arbre une gelée de mûres

le bois d’une table une lettre

un livre du pain frais

tout un courant de détails qui portent

vers plus loin

ou bloquent là où

le savoir des mots l’âge du capitaine

sa prestance à la barre

n’importent pas

 

Antoine Emaz, Erre, Tarabuste, 2023, p. 133.

01/07/2023

Antoine Emaz, Erre

antoine emaz,erre,corps,vieillesse

                                    29.08.18

 

le temps va le corps

suit son cours peine un peu à poursuivre

mais c’est le même refus posé

 

on reprend seulement une poignée de sable

dans les mots

toujours rien à céder

sur ce terrain d’être vieux

pour la misère ou pour le désir

 

au bout peut-être on n’aura pas bougé grand-chose

plutôt la vie s’est chargée de changer

la lumière et les angles les êtres les lieux un peu

 

sans bruit on rassemble

un peu de joie sèche

pour aller à demain

 

qui demande autre chose

 

Antoine Emaz, Errz, Tarabuste, 2023, p. 111.

04/02/2023

Antoine Emaz, Erre

emaz_par_tristan_profil_copie.jpg

9.08.18

 

on n’a pas trop prise

sur ce qui vient les mots

prennent au passage

ou parfois rien

 

et ce n’est pas plus important

qu’une ligne de plus ou de moins

dans une dictée d’enfance

 

cela peut-être qui remonte

dans la nuit ou le vieux rose

d’une branche de tamaris en fleurs

 

ce qui ne tient à rien

dans la mélasse du temps un balancement

d’acacia ou de pin

le bleu passé au gris d’une lavande

 

quelque chose en tout cas

de presque silencieux

et doux

« regret souriant » ou deuil calme

d’un passé sans heurt

juste passé

poussière en suspension dans la lumière

pas plus

 

Antoine Emaz, Erre, Tarabuste,

2023, p. 89.

 

 

03/02/2023

Antoine Emaz, Calme

                          DSC_0004.JPG

au fond  

c’est plus simple qu’en surface

 

il ne reste presque

que du silence

 

on a tout l’espace

 pour laisser filer

quelques étoiles pâles

 

fixer deux ou trois mots qui luisent

balises qui tremblent

lampes tempête

 

et tout le sombre n’est plus vide

plutôt nuit plaid

châle bleu noir

autour sans angles

 

quand tout se tait

sauf la vie son bruit faible

d’eau qui court

ou de cœur

 

le poème ne voudrait pas dire autre chose

 

Antoine Emaz, Calme, Faï fioc, 2016, np

02/02/2023

Antoine Emaz, Plaie

DSC_0004.JPG

laisser aller la tête dans le jardin

ce matin

il y a l’air libre et bleu

il y a l’envie

de laisser filer

dans les couleurs du jardin

se perdre

s’évacuer

se dissoudre

 

comme se laver

dans le vert

 

on y arrivera

 

on le sait maintenant

on y arrivera

quoi qu’il arrive

 

on a repris pied assez

même si

on n’est pas à l’abri

 

Antoine Emaz, Plaie, Tarabuste,

2009, p. 138.

Photo T. Hordé

01/02/2023

Antoine Emaz, De peu

emaz_par_tristan_profil_copie.jpg

Bleu très bleu

 

dans le ciel sans fin d’œil

toute histoire engouffrée

rien

quasi lisse vaste couleur quelle

espèce de bleu

sans honte

tant il est sans mémoire

 

              *

 

ciel plein ciel

sans anges

 

on rêve leurs battements d ‘ailes

leurs bruits de mouettes folles

d’envol

 

alors qu’on veut seulement des mots

pour ici

sous l’aplat de l’été

 

Antoine Emaz, De peu, Tarabuste,

2014, p. 269.

31/01/2023

Antoine Emaz, De l'air

emaz_par_tristan_profil_copie.jpg

dans la lumière brute

et le jaune des jonquilles

on est où ?

 

ricochets des mots

sur l’eau de tête

le temps

la masse tranquille d’un dimanche

océan c’est trop dire

plutôt mare étang borné

par la fin de semaine

étier

 

on ferait mieux

de s’atteler

à la semaine qui vient

 

Antoine Emaz, De l’air, Le dé bleu,

2006, p. 62.

07/11/2021

Antoine Emaz, Jours

Antoine E.JPG

2. 03. 08

 

la peur

la mémoire noire

on ne la rappelle paa 

elle vient

quand elle veut

ou peut-être un signal

d’un ultra son de vivre

 

elle remonte

on lui fait sa place

sans parler

 

on attend qu’elle reparte

par le premier train de nuit

 

                   *

 

le plus souvent

quand on l’entend venir

on commence par prendre un verre

et s’occuper de tout et rien

histoire

d’espérer qu’elle passera

à quelques pas

sans voir

 

ou la sale bête

taupe

 

parfois ça marche

on ne la revoit plus

 

elle ne faisait que passer

elle a jeté son froid

rappelé assez que l’on était

poreux

 

Antoine Emaz, Jours / Tage,

Éditions en forêt / Verlag im Wald,

2009, p. 109 et 111.

Photo T. H., 2007

06/11/2021

Antoine Emaz, Jours

Antoine, 2.JPG

24.03.07

 

et quoi vient

dans la nuit blanche du corps

quel rat grignote

 

entre douleur et malaise

 

comme si

importait

ce tas d’atomes

 

de fait oui

il crisse

et on supporte mal

 

            *

 

douleur seule

« capitale »

c’est beaucoup dire

 

on n’a pas vraiment de mots

sur ce qui fait mal

 

à qui le dire ou quoi

ça soignerait

 

on attend que le grain de sable

le papier de verre qui raie

dans l’épaule et la tête

s’en aille

 

le reste flotte

comme d’habitude

 (...)

 

Antoine Emaz, Jours / Tage,

Éditions En Forêt / Verlag im Wald,

2009, p. 23 et 25.

Photo T.H., 2007

05/11/2021

Antoine Emaz, Soirs

Antoine E.JPG

30.01.98

 

accorder la langue

sur peu de choses

 

là ce soir

seul

avec

le jour en vrac

 

tout est passé

 

        *

 

restent l’herbe

quelques feuilles tordues sèches

le froid clair encore le mur

 

entre l’herbe et le mur

la lumière glace

à chaque fois renvoie

une paroi de froid

 

à la fin le crépi

craque gris

dans le soleil qui baisse

 

voilà

 

Antoine Emaz,  Soirs,

Tarabuste, 1999, p. 74-75.

Photo T. H., 2007

04/11/2021

Antoine Emaz, De l'air

             Antoine.JPG

Froid ((5.12.04)

 

dans le gris de l’hiver comme feutre

devenir d’un coup très vieux

 

des couches de lumière pâle

les unes sur les autres

jusqu’à ce gris flottant

entre ce qui se passe

et celui qui regarde

 

grand calme là

 

s’enliser sans fin

dans le terne

 

         *

 

jour court

et rabot lent du froid

on ne s’habitue pas

 

un jardin de fer

 

le géranium finit son rouge

 

le pan de ciment non peint

à travers les branches du prunus

 

un ciel d’étain

bloque la neige

 

tout est gourd

 

Antoine Emaz, De l’air, le dé bleu,

2006, p. 56-57.

Photo T.H., 2010

23/07/2020

Antoine Emaz, Carnets

photoemaz2-5c7e54563fa2d.jpg

                        Carnets

 

Le moi n’a aucune importance — c’est ce qui le traverse, ou ce dont il est le lieu, qui peut amener à écrire.

Le moi est une page, il attend.

 

Art poétique

ne dire que du vrai

payé comptant

quel que soit l’angle

quelle que soit la débâcle de mots

et travailler ensuite

même le dégoût du vrai

même sa laideur

son insignifiance

 

Ce que je fabrique ne correspond à rien d’écrit, même si je peux entendre résonner dans mon travail d’autres travaux.

Définissons donc comme poème ce qui, écrit, ne correspond à rien... et cessons d’envier les définitions, fausses également parce que tyranniques, d’autres formes — je pense à la note, au roman, au récit.

 

Antoine Emaz, Carnets, dans Rehauts n° 45 juin 2020, p. 6, 16, 16.

18/06/2020

Antoine Emaz, Personne : recension

personne-d-antoine-emaz-1590564974.jpg

 

Le livre reprend quatre poèmes, dont trois parus chacun en édition limitée — deux en 2017, un en 2018 — le dernier dans une anthologie en 2018, et un poème plus ancien (1996), "Personne", lui aussi publié en tirage limité. Il s’ouvre par la question « et donc là qui », à laquelle Antoine Emaz refuse, comme il l’a toujours fait, « d’aboyer / moi moi moi ». Ce n’est pas nier la présence de celui qui écrit mais rappeler qu’il est, d’abord, comme « chaque un », « paquet de viande / bardé de peau » ; le "je" n’est pas ce qui importe, ici mis de côté, sous la forme « j’euh » ou placé entre deux termes — « quelqu’un je ou / personne » — qui renvoient à ce qui est le plus général, comme le "on", toujours adopté dans les poèmes. Refuser l’effusion n’est pas effacer le corps, qui sera « debout / parmi les corps-mots qui bougent » ; il s’en faut d’une lettre pour que l’on entende "corps-morts". Outre "debout", le lecteur reconnaît dans ce premier poème d’autres mots propres à Antoine Emaz, "mur" et, qu’il retrouvera sous une autre forme dans les poèmes récents,  le couple "dans (dedans)" / "dehors".

Il s’agit toujours de tenter de restituer quelque chose des émotions à partir de la saisie de la réalité extérieure, non de s’épancher, c’est par ce qu’il retient des choses vues que le sujet apparaît. Le poème "Passants" en est un exemple ; contrairement à la passante dont l’œil « fascine » Baudelaire ("À une passante") et qui suscite chez le "je" des images amoureuses, les passants sur la plage n’ont pas de visage, « passants / rien d’autre », et c’est la désignation elle-même qui entraîne des images et le retour aux « passés », ces temps retrouvés avec « l’œil dedans » : la scène du dehors, elle, est « vide, à nouveau ». À partir des mouvements du dehors naissent plus ou moins vivement des traces du vécu et, comparables aux mouvements des vagues à marée basse quand elles ont perdu leur « énergie », « les êtres passés » qui reviennent à la mémoire sont devenus des « ombres », les images donnent fugitivement l’illusion qu’on revient dans un autre temps, mais seules les vagues « effacent ramènent », parce que « les mêmes / pas les mêmes ».

La mer, le sable et le vent sont les motifs des poèmes des dernières années d’écriture. L’espace se définit fortement par sa stabilité — le sol « serré / sous le pas » —, familier, rassurant parce que paraissant toujours identique à lui-même, les pas s’impriment dans le sable, disparaissent avec les vagues et il suffit de reprendre la marche pour qu’ils soient à nouveau visibles. Ressassement, toutes choses semblant ne jamais se transformer, « sable mer ciel » identiques ici ou ailleurs, ce qui accroît le sentiment d’être seul, dans la solitude, au milieu du paysage. Quand on passe de la plage à la page, les mots échouent à restituer l’apparence d’immobilité du paysage, il est là et cependant manque ce qui le fait vivant, il est maintenant « un lieu sûr sans lieu / nulle part / ici », on peut le répéter mais le vent — le mouvement de la vie —   y sera toujours absent.

C’est le mouvement du vent dans des branches, alors images du désordre, qui fait aussi surgir, elles aussi désordonnées, les images du passé, fouillis, avec tout ce qui aurait dû être dit. Rien de ce qui a été vécu ne peut être retrouvé par les mots, de quelque manière que ce soit, et c’est cette illisibilité qui domine quand on cherche à classer ce qui fut, parce que « passent la vie et le sable des gens ».

Quelque chose de la maladie d’Antoine Emaz passe dans les poèmes, mais ce ne sont pas tant les défaillances du corps, la difficulté à se déplacer normalement qui l’indiquent que le sentiment de ne pouvoir restituer ce que le regard perçoit, « on ne sait plus // sans avoir peur », ou de ressaisir autre chose que des bribes dans la mémoire. De là sans doute dans un poème la reprise de la fin du premier vers, « tristesse étrange », de "Semper eadem" de Baudelaire. "Plein air" s’ouvre aussi avec Baudelaire, les premiers mots, « long linceul », venus de "Recueillement" ; "linceul" est, plus avant dans le texte associé à « suaire » ; ces mots sont liés à la mort, tout comme la proximité ensuite de "linge" et de "face" — comment ne pas penser au Christ ? Mais que la vie s’éloigne semble s’inscrire dans la construction même des séquences du poème : le verbe en disparaît presque complètement, comme dans ce fragment, « mots face rien dans leur peu presque vide bleu ». L’allitération du début (rare chez Antoine Emaz), « le bleu du linge qui bat l’air là », est comme un adieu aux ressources de la langue pour le choix d’un dépouillement beckettien, bien lisible dans la fin du poème, « de l’air au bout rien d’être que bruit de langue qui passe dans le vent sous le ciel // c’est encore dire ».

La préface de Ludovic Degroote n’est pas seulement l’hommage d’un ami ; reposant sur une connaissance approfondie des livres d’Antoine Emaz, elle y situe précisément les poèmes de Personne et, suggérant sans pesanteur une interprétation, elle est une invitation à explorer une œuvre brutalement interrompue.

 

Antoine Emaz, Personne, éditions Unes, 2020, 64 p., 16 64 p., 16 €. Cette note de elcture a été publiée par Sitaudis le 27 mai 2020.

19/05/2020

Antoine Emaz, Personne

349057970.9.jpeg

Passants

 

loin sur le sable au matin

des passants qui semblaient

ressembler

 

passants

rien d’autre

 

mais assez pour lever zn tête

après leur passage

d’autres passés

que l’on poursuit de l’œil dedans

alors que l’espace est devant

vide

à nouveau

 

on ne sait comment faire

pour bloque rles deux yeux

dedans dehors

 

malgré tout l’effort

ça passe

 

trop poreux

 

revenir seulement aux vagues

leur calme lancinant fatigué

à marée base

leur énergie qui se replie

 

tirer dedans comme un drap

lourd d’écume et de sel

du ciel un peu aussi

et dans les plis

les êtres

passés

pas plus

des ombres

des bouts

[...]

 

Antoine Emaz, Personne, éditions

Unes, 2020, p. 21-23. 

© Photo Tristan Hordé, 2012