03/04/2023
Gustave Roud, Œuvres complètes
Gustave Roud (1897-1976), écrivain suisse, a publié une dizaine de livres de son vivant ; des rééditions de volumes épuisés et des écrits posthumes ont permis d’approfondir la connaissance de l’œuvre. Cependant, aucun regard sur l’ensemble n’était possible et, en outre, son travail de traducteur n’était plus disponible. On ne lit pas rapidement une telle somme dont l’appareil critique éclaire bien des aspects d’une œuvre protéiforme : pas de recension mais il semble utile de présenter cette belle édition.
Le premier volume réunit les dix recueils de poésie écrits entre 1928 et 1972, auxquels s’ajoutent quantité de textes parus en revue. « Roud a souvent insisté sur ce qui lui apparaissait comme le cœur de son entreprise poétique, la quête des signes et des messages inscrits dans l’univers et le vivant. » Le second volume donne l’ensemble de son travail de traducteur : il a traduit des poèmes de Trakl et a été l’un des premiers à traduire en français Hölderlin (en 1942, mais 1930 en revue), Novalis (1948), Rilke (1945) ; pour lui, la traduction devait être « la restitution d’un climat, d’un rythme, des sonorités ». Rappelons que Philippe Jaccottet a sollicité Roud, qu’il connaissait, quand il a préparé l’édition de Hölderlin dans la Pléiade, publiée en 1967.
Le troisième volume contient la totalité du Journal (1916-1976) : « événements du jour, réflexions sur soi, descriptions de paysages, propos sur l’art, poèmes, écriture automatique, récits de rêves, « dictées » ou encore projets liés à des textes ou à des recueils. ». L’œuvre critique occupe le quatrième volume, elle n’avait pas été rassemblée du vivant de Roud. Sa lecture des œuvres prolonge ses réflexions « sur le processus créatif en général » et « nourrit sa démarche de poète ». Chaque volume est présenté et annoté, pour la poésie par un collectif, pour les traductions par Raphaëlle Lacord, pour le Journal par Alexis Christen et pour la critique par Bruno Pellegrino dont le roman Là-bas est un jour d’automne (2018) repose sur la vie de Roud.
Roud a photographié la région où il a passé sa vie dans le Haut-Jorat (région de Vevey) et il est à souhaiter qu’un large choix de ses photographies, parmi les milliers de clichés conservés, soit rassemblé à côté des deux publications existantes.
Il est bon de citer un grand lecteur du XXe siècle, Jean Paulhan, qui écrivait, après la lecture de quelques livres de Roud :
« Gustave Roud regarde le monde à l’œil nu, et la nature ne le distrait pas. On ne sait quel espace amical, et tout à la fois défiant, le sépare des ciels et des moissons dont il nous entretient. Pourtant je vais et je viens à l’aise dans son univers. Je me dis : il se peut que tout ne soit pas mensonge et mythe dans les contes qu’on m’a faits. Il se peut qu’il existe en chacun de nous une langue silencieuse et secrète d’avant le langage bruyant ; et dans le monde à l’abri de notre esprit, un univers premier de coutumes joyeuses, où Gustave Roud s’est une fois pour toutes établi » (Jean Paulhan, Œuvres complètes, V, Critique littéraire II, p. 29). Gustave Roud,
Œuvres complètes, Sous la direction de Claire Jaquier et Daniel Maggetti, éditions Zoé, 2022, 4 vol., 5210 p., sous emboîtage, Cette présentation a été publiée par Sitaudis le 23 février 2023.
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07/10/2015
Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II, Poésie
Dans les yeux de la nuit
Une femme s’endort sur un toit c’est la nuit
Abandonnée antique au péril du vertige
Aux traîtrises rêveuses des gestes du sommeil
Songeuse ensevelie en glissades mortelles
Sur le haut toit déserte glace tendue face à l’espace
Sur le zinc oxydé de vieux soleil tueur
Et de lune ancienne empoisonneuse en larmes
La grande somnambule y crie de tous ses ongles
De ses doigts déments naissent des diamants crissants
Et des gouttes de sang qui chantent en dansant
La danse en perles du mercure
Vers la femme qui dort sur le monstre du vide
Une cheminée fume un nuage en haillons
Dans la soie noire de la suie le vent des nuits
Dresse une tente errante
Creuse l’antre céleste nomade
Pour l’adoration des yeux prodigieux
De la femme endormie aux paupières battantes
Ses trop longs cils vibrants émeuvent les rayons
Des étoiles rétractiles
C’est la nuit la dormeuse un œil clos l’autre ouvert
Tout le monde à jour contre ce qu’elle voit .
Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II, Poésie,
édition établie par Jean Bollery, Gallimard, 1977, p. 74.
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06/11/2014
Antonin Artaud, Œuvres complètes, I, L'art et la mort
L'art et la mort
Qui, au sein de certaines angoisses, au haut de quelques rêves n'a connu la mort comme une sensation brisante et merveilleuse avec quoi rien ne se peut confondre dans l'ordre de l'esprit ? Il faut avoir connu cette aspirante montée de l'angoisse dont les ondes arrivent sur vous et vous gonflent comme mues par un insupportable soufflet. L'angoisse qui se rapproche et s'éloigne chaque fois plus grosse, chaque fois plus lourde et plus gorgée. C'est le corps lui-même parvenu à la limite de sa distension et de ses forces et qui doit quand même aller plus loin. C'est une sorte de ventouse posée sur l'âme, dont l'âcreté court comme un vitriol jusqu'aux bornes dernières du sensible. Et l'âme ne possède même pas la ressource de se briser. Car la distension elle-même est fausse. La mort ne se satisfait pas à si bon compte. Cette distension dans l'ordre physique est comme l'image renversée d'un rétrécissement qui doit occuper l'esprit sur toute l'étendue du corps vivant.
Antonin Artaud, Œuvres complètes, I, nouvelle édition revue et corrigée, Gallimard, 1976, p. 123.
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30/10/2014
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction M. Petit & J.-. Schneider
La tristesse
Quelle violence, bouche sombre,
Au-dedans de toi, forme faite
Des années d'automne,
Du calme d'or du soir ;
Un torrent au reflet verdâtre
Dans les cercle d'ombre
Des pins fracassés ;
Un village
Qui meurt pieusement en des images brunes.
Voici que bondissent les chevaux noirs
Sur le pâturage brumeux.
O soldats !
De la colline où mourant le soleil roule
Se déverse le sang rieur —
Sous les chênes
Sans voix ! Ô tristesse grondante
De l'armée, un casque étincelant
Est tombé en sonnant d'un front pourpre.
La nuit d'automne vient si fraîche,
Avec les étoiles s'illumine
Au-dessus des débris d'os humains
La moniale silencieuse.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l'allemand
par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard,
1972, p. 155.
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08/07/2014
Georg Trakl, Œuvres complètes
Nuit d'hiver
De la neige est tombée. Passé minuit, tu quittes, enivré de vin pourpre, le quartier sombre des hommes, la flamme rouge de leur foyer. Ô les ténèbres !
Gel noir. La terre est dure, l'air a un goût d'amertume. Tes étoiles se ferment en signes mauvais.
À pas pétrifiés, tu longes lourdement la voie, les yeux écarquillés, comme un soldat à l'assaut d'un rempart noir. Avanti !
Amères, neige et lune !
Un loup rouge qu'un ange étrangle. Tes jambes tintent en marchant comme de la glace bleue et un sourire plein de tristesse et d'orgueil a pétrifié ton visage et le front blêmit dans la volupté du gel ;
ou bien il se penche, muet, sur le sommeil d'une sentinelle qui s'est écroulée dans sa cabane de bois.
Gel et fumée. Un blanc linge d'étoiles brûlent les épaules qui supportent et les vautours de Dieu lacèrent ton cœur de métal.
Ô la colline de pierre. En silence fond, et oublié, le corps froid dans la neige d'argent.
Noir est le sommeil. L'oreille suit longtemps les sentiers des étoiles dans la glace.
Au réveil, les cloches sonnaient dans le village. Le jour rose entra, à pas d'argent, par la porte de l'est.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l'allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 125.
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21/02/2014
Étienne de la Boétie, Œuvres complètes, Sonnets
Sonnets
X
Ores je te veux faire un solennel serment,
Non serment qui m'oblige à t'aimer davantage,
Car meshuy je ne puis ; mais un vrai tesmoignage
À ceux qui me liront, que j'aime loyaument.
C'est pour vrai, je vivrai, je mourrai en t'aimant.
Je jure le hault ciel, du grand Dieu l'héritage,
Je jure encor l'enfer, de Pluton le partage,
Où les parjurs auront quelque jour leur tourment ;
Je jure Cupidon, le Dieu pour qui j'endure ;
Son arc, ses traicts, ses yeux & sa trousse je jure :
Je n'aurois jamais fait : je veux bien jurer mieux,
J'en jure par la force & pouvoir de tes yeux,
Je jure ta grandeur, ta douceur & ta grace,
Et ton esprit, l'honneur de cette terre basse.
Étienne de la Boétie, Œuvres complètes, II, introduction, bibliographie et notes de Louis Desgraves, Conseil général de la Dordogne / William Blake ans Co, 1991, p. 120.
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