25/04/2025
René Char, Le Poème pulvérisé
Marthe
Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’approprier, fontaine où se mire ma monarchie solitaire, comment pourrai-je jamais vous oublier puisque je n’ai pas à me souvenir de vous : vous êtes le présent qui s’accumule. Nous nous unirons sans avoir à nous aborder, à nous prévoir comme deux pavots font en amour une anémone géante.
Je n’entrerai pas dans votre cœur pour limiter sa mémoire. Je ne retiendrai pas votre bouche pour l’empêcher de s’entrouvrir sur le bleu de l’air et la soif du jardin. Je veux être pour vous la liberté et le vent de la vie qui passe le seuil de toujours avant que la nuit ne devienne introuvable.
René Char, Le Poème pulvérisé, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 260.
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24/04/2025
René Char, Feuillets d'Hypnos
41
S’il n’y avait pas parfois l’étanchéité de l’ennui, le cœur s’arrêterait de battre.
46
L’acte est vierge, même répété.
59
Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé.
62
Notre héritage n’est précédé d’aucun testament.
83
Le poète, conservateur des infinis visages du vivant.
René Char, Feuillets d’Hypnos, dans Œuvres complètes,
Pléiade/Gallimard, 1981, p. 185, 186, 187, 190, 193.
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23/04/2025
René Char, Dehors la nuit est gouvernée
Dent prompte
5
Comme midi fume un verre
Tout ce que j’aimais a fléchi
Tangible anodin familier
Un visage que je ressentais teneur d’arène
Un corps qui glaçait les dents du vent
Quelques voix festivales plus adroites que la création
Une parole d’immunité où s’empêtre toute audace
Je me suis accoutumé au mouvement perpétuel de la solitude
À son guidon décoré de poussière
À son belvédère aux marches d’escalier accablant.
René Char, Dehors la nuit est gouvernée, dans
Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p.119.
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22/04/2025
René Char, Les Loyaux Adversaires
Chaume des Vosges
Beauté, ma toute droite, par des routes si ladres,
À l’étape des lampes et du curage clos
Que je me glace et que tu sois ma femme de décembre,
Ma vie future c’est ton visage quand tu dors.
René Char, Les Loyaux adversaires, dans Œuvres complètes,
Pléiade/Gallimard, 1983, p. 239.
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21/04/2025
Aurélie Foglia, On•e
Un corps de rêve
On•e a un corps
de rêve. N’a qu’un
Corps de rêve. En a
plein sa penderie.
À travers son rêve
on passe la main
sans la toucher.
On ne la trouvera
Pas. Nul•le part.
On•e s’est déteint•e.
Pendu•e.
(…)
Aurélie Foglia, On•e,
Lanskine, 2025, p. 56.
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Aurélie Foglia, On•e
Un corps de rêve
On•e a un corps
de rêve. N’a qu’un
Corps de rêve. En a
plein sa penderie.
À travers son rêve
on passe la main
sans la toucher.
On ne la trouvera
Pas. Nul•le part.
On•e s’est déteint•e.
Pendu•e.
(…)
Aurélie Foglia, On•e,
Lanskine, 2025, p. 56.
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20/04/2025
Philippe Beck, Documentaires : recension
« Chaque prose est un documentaire »
Ce que l’on écrit sur les "réseaux sociaux" n’a pas vocation à être relu, un écrit chasse l’autre et tous sont voués à tomber dans l’oubli. Philippe Beck s’est livré à un « exercice de spéléologie électronique » pour rassembler plus de 180 textes, de dimension variable (de quelques lignes à trois pages) publiés en ligne du 22 mars 2015 au 7 juillet 2024 ; il y a joint, remaniée, une communication à un colloque, titrée Le poème intéressant, et une prose dédiée à Johan Faerber, Musique entre destin et caractèrequi, toutes deux, s’accordent avec l’ensemble des écrits regroupés. Un avertissement donne sans ambiguïté une manière de les lire, « Chaque prose est un documentaire, et non un pur et simple document d’existence et de témoignage à mesure qu’on existe ». Le substantif documentaire reprend, ici et dans le titre, l’usage à propos du cinéma, les proses s’entendent donc comme « des documents (…) sur des secteurs de la vie ou de l’activité humaine ou du monde naturel »*.
On comprend que Documentaires aborde, au gré de l’actualité et des activités, rencontres, lectures de l’auteur dans des domaines variés : vivre dans le monde implique la diversité des échanges sociaux. On peut sans peine établir des listes des sujets documentés qui, de manière à engager la réflexion et le dialogue, peuvent être précédés de « Qu’est-ce que » — un enfant, la clarté, un intellectuel, un esthète, un pianiste, etc. On trouvera aussi aisément des points communs parmi les citations à quoi est parfois consacrée la prose de tel jour, que la citation se suffise à elle-même — sujet de réflexion pour le lecteur — ou soit point de départ d’un commentaire, bref ou étendu : Ashbery, Joubert, Swift, Celan, Tchekhov, Alain, Deleuze, Tom Waits, Imre Kertész, Robert Schumann (lettre à Clara), etc. Ce qui apparaissait lors de la publication de chacun de ces documentaires et qui, évidemment, est impossible de ne pas lire dans leur réunion, c’est une analyse politique des faits sociaux, quels qu’ils soient ; rien de surprenant pour le lecteur de Philippe Beck qui, depuis les premiers livres de poèmes, écrit, pour reprendre son vocabulaire, pour éclairer, clarifier, dialoguer, de là transmettre — ce qui devrait être le but de tout documentaire. On retiendra surtout les proses liées à la poésie, domaine essentiel pour qui réfléchit à la vie sociale, en sachant les limites d’une recension : les documentaires forment désormais un tout où les réflexions autour de la poésie sont liées aux observations à propos de la musique, de la lisibilité, de la publication des écrits, etc.
On peut d’abord lire un documentaire général, à propos de ce qu’est un esthète. L’esthète considère que la sensibilité est un « ordre autonome » et, ce faisant, sépare l’art des conditions matérielles dans lesquelles il existe et se développe, et efface les « décisions éthiques et politiques dont la vie quotidienne est tissée » .Toute œuvre d’art transforme celui qui la regarde, l’écoute, la lit ; c’est dire qu’elle a un rôle dans la cité, qu’elle modifie quelque chose dans une communauté, ce que comprennent bien les régimes totalitaires qui tentent de mettre l’art à leur service ou le bannissent. Par ailleurs, personne ne vit hors d’une société et la création solitaire n’existe pas si l’on entend par là qu’elle serait indifférente au contexte. Le formalisme revendiqué en poésie souffre d’oblitérer le contexte : il voudrait que la forme seule produise du sens « ou rejoigne la signification qu’atteste la communauté » ; or les mots d’un poème devraient aider le lecteur à comprendre des sentiments qu’il vit et qu’il n’a pu lui-même mettre en mots. L’émotion naît de reconnaître et de sentir dans les mots associés selon un rythme quelque chose de la nuit du monde où l’on vit. C’est pourquoi l’activité artificielle qui consiste à écrire un poème, si elle l’atteint, fait bouger, si peu que ce soit, la communauté ; en effet, « Aucun homme n’est une île, un tout complet en soi » (John Donne, traduit et cité par P. B.), ce qui l’atteint touche du même coup le groupe. La poésie aurait ainsi une fonction positive, politique, puisqu’elle est à la source de changements, de là d’échanges, de dialogue, sans pour autant imaginer qu’elle transformerait à elle seule une société : il faut inverser les termes et penser « qu’il faut changer le monde avant d’espérer que la poésie puisse le changer ou le rédimer ».
Un des documentaires consiste, sous le texte original, en la traduction non commentée d’un poème d’Emily Dickinson où la question de l’identité, plusieurs fois abordée par ailleurs, est posée.
Je suis Personne. Qui êtes-vous ?
Êtes-vous – Personne - aussi ?
Alors nous faisons la paire !
Ne le dites pas ! Ils le diraient – vous savez !
C’est si ennuyeux d’être – Quelqu’un !
Si public – comme une Grenouille
Dire son nom – tout le mois de juin
Au Marais qui vous admire !
« Personne » : « je » et « vous » seraient hors du lien social qui suppose un nom, mais leur existence entraîne la possibilité d’un dialogue, fondement d’une communauté, alors que « quelqu’un », ici, ne ferait que « dire son nom » sans attendre de retour, seulement pour être admiré de la foule (le « Marais »). C’est là un exemple du fait que « La poésie est documentaire ou n’est pas ».
L’illustration de John Tenniel pour la couverture est en relation avec le titre, soit avec l’ensemble du livre. Elle figurait dans l’édition de 1889 (1ère édition 1865) d’Alice au Pays des merveilles de Lewis Carroll. Alice est devant le chat de Cheshire qui, souriant, satisfera la demande de la petite fille, disparaîtra lentement en commençant par le bout de la queue et ne laissera de lui en suspens que son sourire. Il y a là l’impossibilité d’une expérience perceptive — un sourire sans chat — pour Alice, « la Citoyenne du Bon sens Étonné ». Leçon peut-être pour apprécier la nécessité du commentaire, ce « sourire doux et cruel s’impose à l’âme bousculée. Il représente une pure façon de déplacer la sagesse, car la sagesse ne sait que faire de ce qui la rend folle ». C’est un des plaisirs de Documentaires que de conduire le lecteur, comme dans Abstraite et plaisantine, poèmes récemment publiés, à réfléchir sur sa pratique de lecture de la poésie.
* Trésor de la langue française informatisé, article "Documentaire"
Philippe Beck, Documentaires,Le Bruit du temps, 2025, 48 p., 22 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 23 mars 2025.
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19/04/2025
Georg Trakl, Œuvres complètes
Rencontre
Sur le chemin du pays étranger — nous nous regardons
Et nos yeux fatigués interrogent :
Qu’as-tu fait de ta vie ?
Tais-toi ! Tais-toi ! Cesse ces plaintes !
Il fait déjà plus froid autour de nous,
Les nuages se défont dans les lointains,
Nous n’interrogerons plus longtemps, il me semble,
Et nul ne nous accompagnera dans la nuit.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction
Marc Petit et Jean-Claude Schneider,
Gallimard, 1972, p. 309.
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18/04/2025
Georg Trakl, Œuvres complètes
Le long des murs
Un vieux chemin s’en va le long
Des jardins sauvages et des murs solitaires.
Des ifs millénaires frissonnent
Dans le chant montant tombant du vent.
Les phalènes dansent près de mourir,
Mon regard boit en pleurant les ombres et lumières.
Au loin flottent des visages de femmes
Fantomatiquement peintes sur le bleu.
Un sourire tremble dans l’éclat du soleil,
Tandis que je poursuis lentement mon chemin ;
Un amour infini m’accompagne.
En silence verdit le roc dur.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction
Marc Petit et Jean-Claude Schneider,
Gallimard, 1972, p. 183.
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17/04/2025
Georg Trakl, Œuvres complètes
Dans un vieil album
Toujours tu reviens, mélancolie,
Ô douceur de l’âme solitaire.
Un jour d’or embrase sur sa fin.
Humble se couche à sa douleur le patient
Résonnant d’harmonies et de tendre folie.
Vois ! Le soir déjà s’est assombri.
Revient la nit, et lamente un destin mortel,
Avec lui un autre endure.
Tressaillant sous les étoiles d’automne
Penche plus profond chaque année la tête.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction
Marc Petit et Jean-Claude Schneider,
Gallimard, 1972, p.42.
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16/04/2025
Pierre Reverdy, Nord-Sud
Littérature
Dans un coin de petits personnages se dont face. Derrière chacun d’eux, il y a une glace. Et ils se retournent pour écrire, car ils écrivent. Plus énorme à leurs yeux que l’actualité — qui pourtant leur est chère (de quoi s’occuperaient-ils ?) — chacun parle de soi et se félicite. Ils se félicitent même l’un l’autre… humblement. Il y a aussi ce petit concert de voix d’enfants encore naïfs qui trépignent de joie. On entend des applaudissements nombreux. Les acteurs eux-mêmes applaudissent.
Quand on a fini de parler de soi-même quelqu’un prend l’encensoir et le promène sous le nez de quelque faux grand homme en forme de mannequin. À l’enseigne de … la boutique est fermée.
La muflerie est un courage autant qu’encourir les rigueurs de la censure (celui-ci très recherché). Et on travaille ferme pour la littérature.
Pierre Reverdy, Nord-Sud, dans Œuvres
complètes, Flammarion, 2010, p. 486.
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15/04/2025
Pierre Reverdy, Le cadran quadrillé
Le temps demain
La flamme au cadre
Et le visage au fond du puits
À son rebord
On entend la musique sourde
l’esprit s’endort
Le chemin dans le ciel bordé de briques rouges
La rampe où se suivent les mains
Devant les paupières fermées
Près du jardin
Les armes suspendues
La lune sur la tête
Et l’heure qui sort de la croisée
En même temps qu’une voix claire
Peut-être rien
Pierre Reverdy, La cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, Flammarion, 2010, p. 833.
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14/04/2025
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit
Et là
Quelqu’un parle et je suis debout
Je vais partir là-bas à l’autre bout
Les arbres pleurent
Parce qu’au loin d’autres choses meurent
Maintenant la tête a tout pris
Mais je ne l’ai pas encore compris
Je marche sur tes pas sans savoir qui je suis
Il faut passer par une porte où personne n’attend
Pour un impossible repos
Tout s’écarte et montre le dos
Un peu de vide reste autour
Et pour revivre d’anciens jours
Une âme détachée s’amuse
Et traîne encore un corps qui s’use
Le dernier temps d’une mesure
Plus tendre et plus déchirant
Plus tenace et plus déchirant
Un chagrin musical murmure
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit, dans Œuvres
complètes, Flammarion, 2010, p. 229.
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13/04/2025
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit
Carrefour
«’arrêter devant le soleil
Après la chute ou le réveil
Quitter la cuirasse du temps
Se reposer sur un nuage blanc
Et boire au cristal transparent
De l’air
De la lumière
Un rayon sur le bord du verre
Ma main déçue n’attrape rien
Enfin tout seul j’aurai vécu
Jusqu’au dernier matin
Sans qu’un mot m’indiquât quel fut le bon chemin
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit, dans Œuvres
complètes, Flammarion, 2010, p. 201.
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12/04/2025
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit
Minute
Il n’est pas encore revenu
Mais qui dans la nuit est entré
La pendule les bras en croix
S’est arrêtée
Pierre Reverdy, Leq Ardoises du toit, dans
Œuvres complètes, I, Flammarion 2010, p. 185.
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