20/11/2024
Kafka, Fiches
5.
À partir d’un certain point il n’y a plus de retour. Ce point est atteindre.
13.
Un premier signe d’un début de connaissance est le désir de mourir. Cette vie semble insupportable, une autre, hors d’atteinte. On n’a plus honte de vouloir mourir ; on demande à quitter l’ancienne cellule, que l’on hait, pour être placé dans une nouvelle, que l’on commencera à apprendre à haïr. Un reste de croyance s’y ajoute, pendant le transfert le Seigneur passerait par hasard dans le couloir, il regarderait le prisonnier et dirait : « Celui-là, ne l’emprisonnez pas de nouveau. Il vient chez moi. »
15.
Comme un chemin en automne : à peine est-il entièrement balayé qu’il se couvre à nouveau de feuilles mortes.
16.
Une cage alla chercher un oiseau.
Kafka, Fiches, éditions NOUS, 2024
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04/01/2024
James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine
Oiseaux qui sont dans l’herbe en automne
Une caille est un geste
lancé dans le bleu un carré
de petit lotier (dessin
d’un village hangar et des tuiles
entre deux branches) geste lancé
par-dessus le buisson derrière
caillou tombé de la grande herbe
une ombre où dans le silence
bat son cœur d’ombre où ?
La perdrix elle pourrait être un bruit
dans ce poème (silence un automne et la
couleur des regains) si les mots...
rien qu’un motif
au bord de l’imagination : tache automne
orangé en (silence) d’un coq de roche — Brésil
ou braise en mon trou natal ; perdrix
rouge dans un regain (pas d’Amazonie) parlé
de plus en plus gris.
Une caille est tellement loin mais
presque sous mon pied (luzerne
en septembre le temps doré des
petits cailloux blancs) autrefois aujourd’hui
quelle trace : un poème aussi soudain (blanc
de la page rempli derrière la vitre un autre
espace en automne un arbre et des
petits mots noirs) aujourd’hui demain
quelle trace. Le mot caille est tellement
Loin. Poème comme un fusil.
[...]
James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine,
repris dans Les Mots longtemps, Qu’est-ce que le
poème attend ?, Tarabuste, 2003, p. 81-82.
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02/04/2023
Jules Supervielle, Gravitations
Tiges
Un peuplier sous les étoiles
Que peut-il ?
Et l’oiseau dans le peuplier
Rêvant, la tête sous l’exil
Tout proche et lointain de ses ailes,
Que peuvent-ils tous les deux
Dans leur alliance confuse
De feuillages et de plumes
Pour gauchir la destinée ?
Le silence les protège
Et le cercle de l’oubli
Jusqu’au moment où se lèvent
Le soleil, les souvenirs.
Alors l’oiseau de son bec
Coupe en lui le fil du songe
Et l’arbre déroule l’ombre
Qui va le garder tout le jour.
Jules Supervielle, Gravitations, dans
Œuvres poétiques complètes,
Pléiade/Gallimard, 1996, p. 179.
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18/03/2023
égéries, un oiseau fin de moi
Un oiseau loin de moi
Un oiseau loin de moi
Une fleur sous la neige
Une maison qui brûle
Un noir mourant de soif
Un blanc mourant de faim
Un enfant qui appelle
Le vent dans le désert
La ville abandonnée
L’étoile solitaire
En voilà bien assez
Pour que je vous ignore
Beaux jours de mon été
Jean Tardieu, Margeries,
Gallimard, 1986, p. 167.
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19/01/2023
Jacques Moulin, Corbeline : recension
Ne cherchez pas "Corbeline" dans un dictionnaire contemporain, ni même dans le Littré, il faut remonter à l’ancien français pour trouver trace du mot. Sans préciser de quelle herbe il s’agit, le dictionnaire de Frédéric Godefroy (1880-1895, ancien et moyen français), donne un exemple d’emploi : « Les corbeaux, quand il se sentent empoisonnez de la graine de Naples, cherchent l’herbe nommée corbeline pour leur remede et garison ». C’est cet emploi que conserve Jacques Moulin dans le premier quatrain du livre : « La corbeline est herbe de gravité / Corbeau la cueille / À la nuit tombée / Pour la mort déjouer » ; il propose ensuite d’en découvrir la nature qui ne peut être que liée à la mort, ce serait « l’herbe noire qui pousse au pied des gibets », antidote pour l’ensemble des corvidés.
Non, le livre n’est pas une enquête autour d’un remède propre à certains oiseaux, mais, pour commencer, une suite de variations autour de la corbeline et d’un oiseau en général peu apprécié, le corbeau, variations en courtes proses et en vers souvent rimés, parfois comptés et formant strophes. L’ensemble occupe la moitié du livre, l’autre consacrée à d’autres oiseaux, de la grue au martinet, du héron au vautour et à la mésange. Les notations à propos des uns et des autres, toujours précises, prouvent un observateur averti de la nature, même si elles sont souvent données comme en passant, tout comme les tableaux plus larges de l’espace : « C’est encore nuit petite. Avril repose sur l’étang. La lune est ronde. Le taillis inextricable. Les ronces agressives. Premières lueurs du jour. [etc.] » Jacques Moulin, attentif aux oiseaux comme à la faune observable* ne cherche pas à écrire en naturaliste : les oiseaux ne sont pas qu’un prétexte, ils sont bien présents, mais cette présence conduit à des combinaisons de mots des plus variées.
On ne saura pas ce qu’est exactement la corbeline, est repris le discours ancien qui définissait son action, « Herbe qui sauve », qui « lève le poison comme on lève la brûlure d’amour meurtri ». On apprendra l’existence de "corbelinier" et, dans l’une des premières proses, "corbeline" entraîne "cor(beau), "cour(bure), "or(be) , "cou", "(ja bot", à quoi s’ajoutent peu après "cro(assantes) et la proximité de "jabot et "bec" ; à d’autres moments du texte "corbin" (inusité pour "corbeau", et "corbine". Cette herbe aux corbeaux est associée à la jonquille — ce qui inspire une chanson ; elle vivrait au milieu d’autres plantes comme la panprée et le corblet : c’est là le plaisir particulier d’introduire des mots peu communs, ici le nom du panais sauvage et une désignation régionale du pavot cornu ; on lira aussi parmi d’autres "blaude", "tabard", "bollard", "cochoir".
On notera un développement où est imaginée une relation étroite entre l’oiseau et son nom, la séquence phonique K-R-B étant supposée restituer ce qu’est le corvidé, le [B] par exemple « par la saisie du bec braille et clabaude » ; le corbeau a perdu son "i" dans le mot "oiseau" : il est seulement « oseau » dont, remarque Jacques Moulin, on ne connaît « Ni gazouillis ni pépiement ni / Sifflotis ». Mais pour le cri des corvidés la liste des mots est étoffée, « croaillement, coraillement, craillement, [etc.] », et de courts descriptifs complètent une longue série, le cri comparé à « dans la nuit du gravier / le bruit d’évier », et ce cri est répété trois fois, « Trois trois trois / Lez corbeau fait nombre / Tierce / Dans sa voix ».
Le lecteur relève que le plaisir des sons guide souvent la construction des textes. À côté du (trop) classique « j’écris – je crie », on peut apprécier « corps vidé » ou « un chant a krâpella », ou encore quand on passe à la grue, « La grue n’est pas greluche ne grignote pas égraine avec soin le plant gobe des grenouilles (etc.] ». Un relevé exhaustif des jeux de mots nécessiterait de donner chaque fois le contexte, signalons-en cependant quelques-uns : « broyé-bruyant », « craille-braille », « graves-craves », « criarde-braillarde-raillarde », « Appeau appelle /appâts de mots » « la magie des oiseaux-la manie des corbeaux », etc. Par ailleurs, Jacques Moulin pratique régulièrement l’énumération — « Tu fais des listes sur ta page », reconnaît-il : liste de noms d’oiseaux chacun suivi d’une caractéristique, « La linotte mélodieuse / La mouette rieuse / Le bruant bruyant / Le martin triste [etc.] »
Les nombreuses remarques sur le cri des oiseaux sont souvent liées à la forme choisie pour l’écriture du poème ; ainsi, pour les grues :
« Se taire pour bien entendre. Effacer forme d’homme. N’être qu’un pavillon. Voir après. Un poème qui donne le son avant la forme. Une forme de cri en vol. Un envol d’onomatopées vivantes. Charivari. Tapagerie. »
Les formes choisies tendent à restituer quelque chose de la vivacité de l’oiseau ou de son cri, qu’il s’agisse du choix des phrases nominales ou de la fréquence de l’usage du rondel — pour le martinet, Jacques Moulin en écrit avec la rime -i- et commente : « Rondel en i / Pour le marti- / Net dans son cri ».
Jacques Moulin aime tous ces oiseaux, y compris le mal aimé corbeau ; couleur de charbon, certes, mais il faut percevoir sa lumière intérieure, comme s’il était peut-être oiseau de Soulages, et l’on comprend alors que « le corbeau est blanc au profond de la nuit ». On trouve cette lumière dans les monotypes d’Ann Loubert qui donne à voir des espaces possibles pour les oiseaux, le noir et blanc parfois subtilement rehaussé d’une couleur pastel.
Jacques Moulin, Corbeline, Monotypes d’Ann Loubert, L’Atelier contemporain, 2022, 176 p. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 27 décembre 2022.
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28/10/2022
Jacques Lèbre, À bientôt
Un jour on ne sera plus là. Ce là fait pour me retenir à chaque instant et qui, le moment venu, n’en fera rien.
Oiseaux, plus visibles l’hiver. Eux aussi à découvert.
Quand on est dans son propre appartement comme dans la salle d’attente d’une gare.
J’aimerais mourir la fenêtre ouverte, au début d’un printemps doux et nuageux, après qu’il a plu un peu, juste pour sentir encore l’odeur de la terre avant de partir.
Jacques Lèbre, À bientôt, Isolato, 2022, p. 28, 33, 44, 46.
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06/07/2022
Elke Erb, Sonance
Ça, on ne le sait pas.
On ne sait pas. Ça se pourrait bien.
Laisser tranquille.
Les oiseaux aussi de manière préexistante.
Le grand piano. Le grand piano ouvert
à tout. Pianogrosso. Lui,
le grand piano ouvert à tout et
omniscient. Grand. Lui. Grosso
piano.
Il est dans le coin. Front.
Les touches jaunes et bleu de Stockholm.
Ère glaciaire. On ne sait pas.
Ou ère glaciaire intermédiaire.
Régnant aussi de loin. Le merle retentit.
Les petits chats miaulent encore à peine.
Elke Erb, Sonance, traduction de l’allemand
Vincent Barras, dans L’Ours blanc, n°33, 2022.
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25/09/2021
Étienne Faure, Et puis prendre l'air
L’ennui léger à la fenêtre enduré dès l’enfance, à regarder passer dans le ciel quelque chose, attendre un événement venu des nues, infime : un nuage effilé par le vent, la vitesse de l’avion disparu par l’embrasure des arbres, un V d’oiseaux très haut en solitude rebroussant leur chemin et lançant des signaux aux autres animaux restés au sol, cet ennui lentement scruté derrière la vitre avait changé progressivement de sens, glissé par la force des ans — nouveaux cirrus, autre altitude — parmi les nuages qui commençaient à s’amonceler, non plus singuliers mais pluriels — les ennuis. Et de loin le rire clair qui tout balaie au ciel de mars, à nouveau en mouvement.
Étienne Faure, Et puis prendre l’air, Gallimard, 2020, p. 103.
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08/04/2021
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre
15 juin 1962
Des oiseaux au-dessus de nous, lointains, qui disent la distance, qui disent : ici est la forêt, ici est le ruisseau dans la forêt, le val qui s’élève en sinuant, qui s’éloigne de nous en s’élevant, qui disent : la beauté est bien visible, mais distante, nous sommes sa voix, son vol, et je voudrais les écouter, les suivre, qui disent : la beauté ne t’appartient pas, mais elle te regarde et sourit. Au-dessus des forêts, leur chant lointain, mais clair.
La nuit, le chant des rossignols comme une grappe d’eau.
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d’ombre, le bruit du temps, 2013, p. 46.
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26/10/2019
James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine
Oiseaux qui sont au loin dans la plaine
Courlis qui sont passés loin quel
cri jeté brille encore à l’extrémité
(peut-être) d’une plaine oh si petite
ou d’une enfance oiseaux poursuivis
précaution fusil pour rien après
des guérets traversés des prairies rases
un autre cri jeté plus loin quel
poème brille (bonheur peut-être oiseaux
solitaires et vrais) que je chasse avec
un autre poème.
Oiseau ventolier les branches
mesurent son effort son aile
sait décliner croître pour
quel point haut dans l’air nul
secret ni leçon à montrer
le vent large l’emporte
un peu plus loin je regarde
à travers un poème un arbre comme
nul moment ni désir mais dans le vent
[...]
James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine,
La Cécilia, 1991, p. 15.
© Photo Tristan Hordé
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15/10/2019
George Oppen, Poèmes retrouvés
Barbarie
Nous menons nos vies réelles
en rêve, disait quelqu’un signifiant par là
puisqu’il était éveillé
que nous sommes cloîtrés en nous-mêmes
Ce n’est pas de cela qu’il rêvait
dans chaque rêve
il rêvait l’étrange matin
d’un oiseau qui s’éveille
George Oppen, Poèmes retrouvés, traduction
Yves di Manno, Corti, 2019, p. 53.
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11/09/2019
Jean-Baptiste Para, Une semaine dans la vie de Mona Grembo
Sommeil du temps, de l’espace. Des entailles de corde, des cordes de poussière. Si loin déjà le soir, où gorge et couteau face à face se cabrent.
Oiseau, l’oiseau des cahiers d’enfance. Les ailes étaient une accolade. Mais aucun vol ne se bâtit dans le regret.
Si je dois dédier mon vol, est-ce aux hommes nus, poings fermés, qui cherchent des poches dans leurs flancs ?
Mieux que les poings, le vent s’engouffre.
Jean-Baptiste Para, Une semaine dans la vie de Mona Grembo, Arcane 17, 1985, p. 50, 51, 57.
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26/07/2019
Bashô seigneur ermite
Elles mourront bientôt
et pourtant n’en montrent rien —
Chant des cigales
Obscurité de la nuit —
Un pluvier pleure
son nid perdu
Jour après jour
les orges rougissent —
Chant d’alouettes
Souffle le vent d’automne —
Mais les bogues des châtaignes
encore vertes
Invisible printemps _
Des fleurs de pruniers dessinées
au revers du miroir
Bashô, seigneur ermite, édition bilingue
par Makoto Kemmoku et Dominique Chapot,
La table ronde, 2012, p. 255, 272, 276, 285, 293.
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29/06/2019
Hester Knibbe, Archaïques les animaux
Il y a toujours
Il y a toujours une première
appréhension. Dans les baies ça fermente sec, soûls
des oiseaux tanguent au-dessus de l’argousier, au plafond
pendent encore dans des toiles
de l’été des mouches mortes
racornies poussiéreuses.
Mais il est déjà trop tard pour sauver l’âme d’une cigale.
Le moût se clarifie
et se laisse boire, nous transvasons les bouteilles
dans les verres, laissons le dépôt pour des jours moins fastes
et trinquons
myopes à un avenir rouillé.
Hester Knibbe, Archaïques les animaux, traduction du néerlandais
Kim Andrings et Daniel Cunin, éditions Unes, 2019, p. 67.
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23/06/2018
Nelly Sachs, Brasier d'énigmes
Et tu as traversé la mort
comme en la neige l’oiseau
toujours noir scellant l’issue…
Le temps a dégluti
les adieux que tu lui offris
jusqu’à l’extrême abandon
au bout de tes doigts
Nuit d’yeux
S’immatérialiser
Ellipse, l’air a baigné
la rue des douleurs…
Und du gingst über den Tod
wie der Vogel im Schnee
immer schwarz siegelnd das Ende –
Die Zeit schluckte
was du ihr gabst an Abschied
bis auf das äusserste Verlassen
die Fingerspitzen entlang
Augennacht
Körperlos werden
Die Luft umspülte – eine Ellipse –
die Strasse der Schmerzen –
Nelly Sachs, Brasier d’énigmes et autres poèmes, traduit de l’allemand par Lionel Richard, Denoël, 1967, p. 258-259.
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