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22/06/2023

Francis Ponge, Pour un Malherbe

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     Paris 12 février 1955

 

Il faut évidemment noter l’importante influence de Sénèque à cette époque (sur Vauquelin déjà, puis sur Malherbe et Du Vair).

Influence explicable par le stoïcisme naturel aux grands esprits dans les époques de trouble et de fanatisme.

La maîtrise des passions donne en poésie la maîtrise de l’inspiration (ingenium soumis au judicium).

L’usage des règles (beaux préceptes) doit même être opposé à l’inspiration dès l’origine. Autre chose : de ce goût des beaux préceptes, des sentences, résulte une poésie gnomique.

C’est une fondation d’une raison qui est en but.

D’une raison, convaincante, frappante : donc, d’une réson.

 

Francis Ponge, Pour un Malherbe, dans  Œuvres complètes, II, Pléiade / Gallimard, 2002, p. 140.

21/06/2023

Francis Ponge, Le Savon

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                           Thème du savon 

Et maintenant, cher lecteur, pour ta toilette intellectuelle, voici un petit morceau de savon. Bien manié, gageons qu’il y suffira. Portons en main cette pierre magique.

                                              *

Il y a quelque chose d’adorable dans la personnalité, le caractère du savon, d’inimitable dans son comportement.

D’abord une réserve, une tenue, une patience sur sa soucoupe aussi  parfaites que celle du galet. Mais en même temps, moins de rugosité, moins de sécheresse. Quelque chose certes de tenace, compact et qui se tient les rênes courtes, mais d’amène aussi, d’avenant, poli, doux, agréable en main. Et parfumé (quoique non sui generis). Plus vulgaire peut-être, mais en compensation plus sociable.

 Francis Ponge, Le Savon, dans Œuvres complètes, II, Pléiade/ Gallimard, 2002, p. 179.

20/06/2023

Francis Ponge, Nouveau nouveau recueil, I,

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                                Divagations

 

C’est le titre du principal ouvrage en prose d’une des plus grands poètes français, dont on fête ces jours-ci le centenaire.

C’est aussi le terme employé dans les ordonnances municipales pour désigner le vagabondage des chiens sur la voie publique, leurs déambulations autour des poubelles et des troncs d’arbre, le nez actif ou la patte levée.

Une note récente de la mairie de Roanne vient de rappeler à l’ordre les propriétaires de ces promeneurs affairés, qui risquent désormais le fourrière et la mort sans phrases dans les deux ou trois jours  à dater de leur capture.

Posséder un chien à l’heure actuelle est certes légitime, le nourrir est méritoire : le promener est permis, à condition de le surveiller de près.

Mais posséder deux ou trois chiens est devenu paradoxal ; les nourrir est acrobatique et vaguement suspect ; les laisser divaguer, délictueux et sans excuses.

L’hygiène de notre ville— qui pose d’ailleurs d’autres problèmes plus graves — justifie entièrement la mesure qui vient d’être prise, à laquelle les amis des bêtes eux-mêmes ne peuvent qu’applaudir.

                                                           (vendredi 3 avril 1942)

Francis Ponge, Nouveau nouveau recueil, I, dans Œuvres complètes, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 1159.

19/06/2023

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi

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Pour ne savoir point trop ce qu’est la poésie (nos rapports avec elle ne sont qu’indirects), d’une de ces figues sèches, par contre (tout le monde voit cela), qu’on nous sert, depuis notre enfance, ordinairement aplaties et tassées parmi d’autres hors de quelque boîte, comme je remodèle chacune entre le pouce et l’index machinalement avant de la croquer, l’idée que je m’en fais paraît bientôt bonne à vous être d’urgence quittée.

 

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi, dans Œuvres poétiques, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 863.

18/06/2023

Francis Ponge,, Comment une figue de paroles et pourquoi

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La poésie est l’art d’écrire en vers, peut-on lire dans Larousse. Il es évident que cette définition est maintenant (aujourd’hui) dépassée, qu’elle n’est plus juste.

Pour moi la poésie est l’at d’assembler et d’abord de traiter les mots (les paroles) de façon à mordre dans les choses (dans le fond obscur des choses) et de s’en nourrir.

Las poésie est l’art de traiter les paroles de façon à permettre à l’esprit de mordre dans les choses  et de s’en nourrir.

(Il s’agit donc plus que d’une connaissance : d’une assimilation.)

 

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi, dans Œuvres complètes, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 788.

06/10/2022

Francis Ponge, La fabrique du pré

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31 mars 1970

I

 

Il ne fait, pour mon expérience, aucun doute que l’amour des mots (c.a.d la référence (révérencieuse) à une vision traditionnellement humaine et (osons le dire) nationale des choses (il faut expliquer cela) (que l’amour des mots soit cela) soit le chemin à la création (je veux dire, par l’expression sans tricherie d’une sensibilité individuelle, sans seulement la fabrication d’objets de satisfaction, de jouissance pour le goût commun des usagers de la langue, mais l’auto création de l’individu lui-même dans sa ressemblance et sa différence à ceux que l »’on appelle ses semblables.

 

Francis Ponge,  La fabrique du pré, Gallimard, 2021, p. 16.

01/05/2022

Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel,

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   Chaque mot a beaucoup d’habitudes et de puissances ; il faudrait chaque fois les ménager, les employer toutes. Ce serait le comble de la « propriété dans les termes ».

   Mais tout mot est obscur s’il voile un coin du texte, s’il fascine comme une étoile, s’il est trop radieux.

   Il faudrait dans les phrases les mots composés à de telles places que la phrase ait un sens pour chacun des sens de chacun de ses termes. Ce serait le comble de la « profondeur logique dans la phrase » et vraiment « la vie » par la multiplicité infinie et la nécessité des rapports.

   C’est-à-dire que ce serait aussi le comble du plaisir de la lecture pour un métaphysicien.

   Et la cuisinière à sa façon pourrait la trouver agréable. Ou comprendre.

   La règle de plaire serait ainsi autant que possible obéie, ou le désir de plaisir satisfait.

 

Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel, Hermann, 1984, p. 40.

28/04/2021

Francis Ponge, Petite suite vivaraise

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Plateau de la Suchère

6 juillet

 

Tout de suite avant la fenaison, des champs immenses d’une tisane merveilleuse (herbes et fleurs fanées, rousses sur tiges encore droites), limités par des chemins creux comme des filons de pierres et de fleurs vives. D’autres champs de blé encore verts mais légers et tout étoilés à mi-hauteur de bleuets. Et, plus loin, des genêts jusqu’aux sapinières de moyenne hauteur, précédant elles-mêmes ces vieux bois de grands pins éclaircis à leur base, à travers quoi l’on aperçoit la merveilleuse silhouette des hautes Cévennes nues et bleues, aussi nobles et sévères que les Apennins de Mantegna. Et quel temps ! Quel air ! Pour ces premiers plans de Van Gogh et ces fonds de Mantegna.

 

Franci Ponge, Petite suite vivaraise, Fata Morgana, 1983, p. 8-9.

24/12/2019

Francis Ponge, Pratiques d'écriture

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                                          L’écolier

 

Le langage est donné comme fait. Les hommes parlent et croient se comprendre. Les hommes parlent et croient s’exprimer.

J’y éprouve, tu y éprouves, ils y éprouvent sinon un plaisir du moins la satisfaction naturelle (quoique illusoire absolument) d’un besoin certain.

La littérature est à ce bas niveau de l’expression des hommes, de la conversation. Elle est en partie de l’erreur, de l’imparfait social. Quant à ses rapports avec le besoin d’infini, l’aptitude métaphysique de l’homme, elle n(a pas d’avantages sur le langage courant, elle n’a aucune vertu particulière.

Ce qui précède exprimé de la sorte paraît évident : « inutile de le dire ».

 

Francis Ponge, Pratiques d’écriture, Hermann, 1984, p. 66.

21/08/2019

Francis Ponge, Pratiques d'écriture ou L'inachèvement perpétuel

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                                                L’écolier

 

Le langage est donné comme fait. Les hommes parlent et croient se comprendre. Les hommes parlent et croient s’exprimer.

J’y éprouve, tu y éprouves, ils y éprouvent sinon un plaisir du moins la satisfaction naturelle (quoique illusoire absolument) d’un besoin certain.

La littérature est à ce bas niveau de l’expression des hommes, de la conversation. Elle est partie de l’erreur, de l’imparfait social. Quant à ses rapports avec le besoin d’infini, l’aptitude métaphysique de l’homme, elle n’a pas d’avantages sur le langage courant, elle n’a aucune vertu particulière.

Ce qui précède exprimé de la sorte paraît évident : « inutile de le dire ».

 

Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou L’inachèvement perpétuel, Hermann, 1984, p. 66.

16/04/2019

Francis Ponge, L'Atelier contemporain

            Francis Ponge, L’Atelier contemporain, œuvre, hiérarchie, saisissement, Giacometti

23 août 1951

   Saisissantes…

   Notons-le (avouons-le) : très peu de chose, de distance sépare dans la qualité, dans la hiérarchie de la qualité, les œuvres (les productions artistiques) des hommes. D’un dessin de caricaturiste à un dessin de grand artiste il n’y a que de très légères différences (vus d’un haut point de vue). (D’un dessin de Forain à un Daumier, d’un Daumier à un Seurat.)

D’une épingle, aux plus extrêmes et minces petites figures d’A. Giacometti.

Craignons de nous tromper, de nous laisser abuser. Comment faire ici pour distinguer ?

Un certain sérieux, une certaine maladresse, un certain tremblement de mains ne trompent pas… (Est-ce cela ?)

Durée, persistance du saisissement. Aussi sa qualité.

Les figures de Giacometti n’ont d’abord besoin d’aucune justification. Elles sont tout à fait saisissantes. Mais ce saisissement, ne devons-nous pas nous en méfier ? Ce qui est extrêmement maigre, extrêmement ample est également saisissant.

 

Francis Ponge, L’Atelier contemporain, Gallimard, 1977, p. 166.

12/04/2018

Francis Ponge, Prose ou poésie

 

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                                Prose ou poésie

Bien sûr j'ai lu les Poèmes en prosede Baudelaire et les proses de Mallarmé dans Divagations: sont-ce des poèmes en prose ? Cette antinomie entre poésie et prose est un non-sens. [...] J'aime Connaissance de l'Estde Claudel, mais non pas Les Nourritures terrestresde Gide, un livre que l'on peut appeler de prose poétique. Le fait qu'il n'y a plus de règles fixes de prosodie, proésie, signifie qu'il est impossible de classer intelligemment des proses comme poèmes et d'autres non. Une des premières anthologies de poèmes en prose d'après-guerre s'achève, je pense, sur moi. [...] L'anthologie commençait avec Parny au XVIIIesiècle. Ensuite venaient Aloysius Bertrand, Michaux, moi-même. Mais mes textes critiques, mes textes sur les peintres par exemple, sont tout aussi difficiles, souvent plus difficiles, à écrire que ceux considérés comme poétiques. Je ne fais pas de différence. Mes audaces et mes scrupules sont les mêmes, quelque genre que vous assigniez au texte. Mon premier recueil, publié en 1926, s'intitulait Douze petits écritset s'ouvre avec trois ou quatre po... choses que l'on peut considérer comme des poèmes, si cela vous plaît.

 

Francis Ponge, "entretien avec Anthony Rudolf", 4 mai 1971, Modern poetry in Translation, n°21, juillet 1974, dans Œuvres complètes, tome II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2002, traduction de l'anglais par Bernard Beugnot, p. 1409.