11/03/2019
Henri Heine, 40 poèmes
La Lorelei
Je ne sais ce que veut dire
La tristesse que je ressens,
Une légende des anciens temps
De mon esprit ne peut sortir.
L’air est frais, l’ombre grandit
Le Rhin coule doucement,
Le sommet des monts resplendir
Au soleil couchant.
La vierge la plus belle
Là-haut s’est posée,
Sa parure d’or étincelle
Elle peigne ses cheveux dorés.
Un peigne d’or lui sert
Et pendant ce temps elle chante ;
Ô merveille de cet air,
Ô mélodie puissante !
Le batelier dans son esquif
Est ému jusqu’à la douleur,
Il ne voit plus le récif,
Il regarde vers les hauteurs.
Enfin les flots ont englouti
Le batelier et son bateau,
Et cela, par son chant si beau
C’est la Lorelei qui le fit.
Henri Heine, 40 poèmes, traduction Diane de Vogüe,
Debresse, 1956, p. 55 et 57.
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Henri Heine, 40 poèmes
La Lorelei
Je ne sais ce que veut dire
La tristesse que je ressens,
Une légende des anciens temps
De mon esprit ne peut sortir.
L’air est frais, l’ombre grandit
Le Rhin coule doucement,
Le sommet des monts resplendir
Au soleil couchant.
La vierge la plus belle
Là-haut s’est posée,
Sa parure d’or étincelle
Elle peigne ses cheveux dorés.
Un peigne d’or lui sert
Et pendant ce temps elle chante ;
Ô merveille de cet air,
Ô mélodie puissante !
Le batelier dans son esquif
Est ému jusqu’à la douleur,
Il ne voit plus le récif,
Il regarde vers les hauteurs.
Enfin les flots ont englouti
Le batelier et son bateau,
Et cela, par son chant si beau
C’est la Lorelei qui le fit.
Henri Heine, 40 poèmes, traduction Diane de Vogüe,
Debresse, 1956, p. 55 et 57.
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24/02/2018
Agnès Rouzier, Le fait même d'écrire
La folie
Folie ?
Approche de la folie.
Seulement approche.
Lorsque la folie est, elle n’est plus.
La folie existe : la folie n’a pas d’existence.
C’est dans le pont jeté du rôle qu’est la jubilation du fou.
Quels lieux assigner à la folie ?
Quel point strictement repérable ?
Le regard que nous portons sur elle n’est que distance.
Nous ne la parlons pas.
Nous ne la voyons pas.
Et maintenant tu dis : légende. Nous ne parlerons plus que de la légence.
(Peut-on faire qu’écrire soit entendre et voir ?)
Agnès Rouzier, Le fait même d’écrire, Change / Seghers, 1983, p. 159.
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01/12/2016
Baudelaire, Les fenêtres
Les fenêtres
Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir et lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis.
Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, dans Œuvres complètes, édition Yves Le Dantec, Pléiade / Gallimard, 1961, p. 288.
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25/10/2016
François Rannou, là-contre
l’exactitude ne se plante qu’à la frontière
est-ce une terre promise : la précision peut-elle nous enseigner la vérité ? Quelle vérité ?
ne vaut pas plus qu’une mouche (bombine la poésie sur la vitre liste de nos mots-mots-mots) c’est sa valeur ajoutée : le charme du chant se dissout promet de nous montrer l’énigme à nu sur nos étals
terre d’ailleurs dont la géographie n’a trace (cartes fluctuantes) que lorsque la paume qu’on ouvre montre le revers des paroles intraduisibles
(précision de couleurs (vert, jaune)que distingue quelle légende
François Rannou, là-contre, le cormier, 2008, np.
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13/12/2014
Jorge Luis Borges, Éloge de l'ombre
Labyrinthe
De porte, nulle part, jamais. Tu es dedans
Et l'alcazar embrasse l'univers
Et il n'a point d'avers ni de revers.
Point de mur extérieur ni de centre secret.
N'espère pas que la rigueur de ton chemin
Qui obstinément bifurque sur un autre
Qui obstinément bifurque sur un autre
Puisse jamais finir. De fer est ton destin
Comme ton juge. N'attends point la charge
De cet homme taureau dont l'étrange
forme plurielle épouvante ces rêts
Tissés d'interminable pierre.
Il n'existe pas. N'attends rien. Pas même
Au cœur du crépuscule noir, la bête.
Jorge Luis Borges, Éloge de l'ombre, dans Œuvres complètes II,
traduction Jean Pierre Bernès et Nestor Ibarra,
Pléiade, Gallimard, 1999, p. 161.
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31/10/2014
Dino Buzzati, Bestiaire magique
Les mouches
Une antique légende qui circulait chez les mouches disait ceci : Quand les villes de l'homme seront devenues tellement vôtres et que cet homme vous sera soumis et que la voix du grand peuple s'étendra d'un horizon à l'autre, alors ce sera le temps de l'orgueil et de la fornication mais, au beau milieu de ce triomphe, les armées étrangères surviendront pour tenter de vous exterminer ; et ce sera aussi le temps de la mort. Elles vous lanceront leur souffle et la moitié di grand peuple tombera aussi dru que tombe la pluie. Elles continueront de souffler et le reste du peuple tombera à son tour et le silence s'installera. Alors, ô mouches, c'en sera fini de votre règne.
Mais ce n'était qu'une légende dont il ne convenait pas de s'effrayer. D'ailleurs les mouches n'y croyaient pas. Pas plus que n'y croyait l'inspecteur de la Salubrité publique des régions du Sud, le professeur Santi Liguori, homme de nature sceptique et fondamentalement pessimiste. Obtempérant aux ordres du gouvernement, il avait fait appliquer dans les villes et dans les bourgs les mesures prescrites pour l'élimination des insectes fâcheux. Sans aucune illusion toutefois. Au contraire, le dépérissement dû à l'âge et la renonciation à certains des rêves de sa jeunesse avaient provoqué en lui un fort ressentiment à l'encontre de la science qu'il était censé servir. Une joie amère le prenait même à la vue de la prolifération de ces bestioles qu'il aurait dû haïr, et dont il prenait en secret le parti. [...] Pendant ce temps, dans les cours de fermes, des nuées de mouches noires et visqueuses s'agglutinaient sur les petits enfants, formant de véritables grappes au bord de leurs paupières, se précipitaient sur le lait, sur la soupe, sur les bouteilles de vin, et on les sentait soudain entre ses dents pendant qu'on buvait, les mouches tourbillonnaient autour des mulets, des paysans, des curés, des femmes en couches. Du matin au soir, ce maudit bruissement. Point d'orgue de la misère humaine.
[...]
Dino Buzzati, Bestiaire magique, traduit de l'italien par Michel Breitman, 10/18, 1997, p. 88-89.
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21/03/2013
Georges Limbour, Soleils bas
Les bergers sans moutons
à Max Jacob
Nous sommes d'un pays
qui n'a pas d'arbres fruitiers
Nos mains ont pressé le lait
du sein de la cornemuse
Nos cœurs saignent dans les mûriers
pourquoi nos sœurs sont-elles laides
si les légendes nous abusent
Nous clouons les papiers blancs
des bouquetières du midi
sur les croix des cerfs-volants
aux migrations indéfinies
À ces cœurs mal équilibrés
toute la plaine se suspend
en avant-garde ils guideraient
des peuplades d'ambulants
Herbes rases séchées sans même de troupeau
Vous fleurissez très haut vos cœurs vains de papier
Trainant comme un regret leur queue de bigoudis
qui n'ont dans le sommeil frisé de chevelure
en ce morne pays rongé de roussissures.
Notre vie est penchée ainsi que des fumées
nos gestes de sonneurs n'énervent pas le ciel
Tels des bouquets noyés nos cerfs-volants dérivent
et le monde paraît les suivre.
Georges Limbour, Soleils bas, suivi de poèmes, de
contes et de récits (1919-1968), préface de Michel Leiris,
Poésie / Gallimard, 1972, p. 23-24.
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05/06/2012
Guillaume Apollinaire, La Loreley (Alcools)
Le rocher de la Loreley
La Loreley
À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté
O belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie
Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m'ont regardé évêque en ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé
Évêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège
Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien
Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j'en meure
Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla
L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Mener jusqu'au couvent cette femme en démence
Va-t-en Lore en folie Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc
Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves
Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là-bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle
Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil
Guillaume Apollinaire, Alcools, dans Œuvres poétiques avant-propos, chronologie, établissement du texte, bibliographie et notes par Marcel Adéma et Michel Décaudin, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p. 115-116.
© Photo Chantal Tanet, mai 2012.
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