04/11/2024
Jean Tardieu, Une voix sans personne
Petite suite villlageoise
I
Les délégués du jour
auprès de ce village
ce sont les espaliers solennels ;
une poire dans chaque main
une pomme sur la tête
Entrez entrez Messieurs les Conseillers !
2
Quelle couleur aimez-vous
le bleu le vert le rouge
le jaune qui saute aux yeux
le violet qui endort !
— J’aime toutes les couleurs
parce que mon âme est obscure.
3
Autrefois j’ai connu des chemins
ils se sont perdus dans l’espace
je les retrouve quand je dors
je vais partout rien ne m’arrête
ni le temps ni la mort.
Jean Tardieu, Une voix sans personne, dans
Œuvres, Gallimard, Quarto, 2016, p. 506.
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03/11/2024
Jean Tardieu, Monsieur monsieur
Que dire, quoi penser ? Le jour
par son insistance à paraître,
avouons-le avouons-le
fatigue ses meilleurs amis.
La nuit par contre, sournoise,
à tous nos instants se mélange
elle bat sous nos paupières
elle rampe autour des objets :
inquiétante ! inquiétante !
quant à cette chose sans nom
qui n’est ni le jour ni la nuit
baissez la voix je vous le conseille
mieux vaut n’en point parler ici !
Jean Tardieu, Monsieur monsieur, dans
Œuvres, Gallimard, Quarto, 2015, p. 346.
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02/11/2024
Jean Tardieu, Jours pétrifiés
Jours pétrifiés
Les yeux bandés les mains tremblantes
trompé par le bruit de mes pas
qui porte partout mon silence
perdant la trace de mes jours
si je m’attends ou me dépasse
toujours je me retrouve là
comme la pierre sous le ciel.
Par la nuit et par le soleil
condamné sans preuve et sans tort
aux murs de mon étroit espace
je tourne au fond de mon sommeil
désolé comme l’espérance
innocent comme le remords.
Un homme qui feint de vieillir
emprisonné dans son enfance,
l’avenir brille au même point,
nous nous en souvenons encore,
le sol tremble à la même place.
le temps monte comme la mer.
Jean Tardieu, Jours pétrifiés, dans Œuvres,
Gallimard, Quarto, 2015, p. 267.
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31/10/2024
Jean Tardieu, Jours pétrifiés
L’autre
Depuis que nous sommes séparés
depuis que je t’interroge
les choses ont eu le temps
de tomber en poussière, —
pourtant elles sont là.
Je ne te crains plus.
Tu ouvres la fenêtre
et d’un geste calme
tu endors toutes les bêtes.
Puis tu me prends par le bras
et nous avançons sans bouger
en faisant glisser le monde sur sa pente.
Par toi je suis posé
au milieu des êtres
comme un chemin.
Jean Tardieu, Jours pétrifiés, dans Œuvres,
Gallimard, Quarto, 2015, p. 269-270.
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30/10/2024
Jean Tardieu, Les dieux étouffés
Petit matin
Parle un bâillon sur la bouche !
Que la main étrangle le cœur !
Éteins éteins dans la nuit
Le chant des coqs de l’aurore !
Peut-être le ciel est-il vide
l’astre l’éclair enchaînés
la vie et l’amour trahis
peut-être l’Homme est-il mort ?
Il reste une lente horloge.
Jean Tardieu, Les dieux étouffés, dans
Œuvres, Gallimard, Quarto, 2015, p. 240.
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29/10/2024
Jean Tardieu, Le témoin invisible
Détour
J’entends j’esntends toujours
le marteau du grand jour
qui frappe comme un sourd
enclumes et tambours.
Je vois je vois toujours
fondre aux flammes du jour !
la ligne et le contour,
j’entends j’entends toujours
je vois je vois toujours !
Mais l’espoir est toujours
aveugle à tant de jours,
mais l’espoir est trop lourd
pour d’aussi vains parcours.
Il se cache du jour,
il sait plus d’un détour,
il refuse toujours
cette voix dans la cour,
ce rayon sur la tour,
la ville et ses faubourgs,
le bois et les labours.
Il ne veut nul séjour
que l’éternel amour.
Jean Tardieu, Le témoin invisible, dans
Œuvres, Gallimard, Quarto, 2015, p. 158.
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28/10/2024
Jean Tardieu, Accents
Les dangers de la mémoire
Ils s’assemblent souvent pour lutter
Contre des souvenirs très tenaces.
Chacun dans un fauteuil prend place
Et ils se mettent à raconter.
Les accidents paraissent les premiers,
Puis l’amour, puis les sordides regrets,
Enfin les espérances mal éteintes.
Toutes ces images sont peintes
Au mur entre les fleurs du papier.
Ils pensnet aussi s’habituer
Au poison que leur mémoire transporte.
Mais cependant derrière la porte
Je vois le PRÉSENT fuir avec ses secrets.
Jean Tardieu, Accents, dans Œuvres, Gallimard /
Quarto, 2005, p. 89-90.
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27/10/2024
Jean Tardieu, Le témoin invisible
Ombre
Frange d’invisible,
tremblant de secrets,
l’absent qui te prie
et qui t’a porté
baigné dans son ombre
à travers le jour
lié au silence
à toutes les feuilles,
à toutes les pierres
et à tous les temps,
n’est-ce pas toujours
ce vaste Toi-même
où tu t’es perdu ?
Jean Tardieu, Le témoin invisible,
dans Œuvres, Gallimard /
Quarto, 2005, p. 143.
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01/08/2023
Jean Tardieu, Une voix sans personne
Le monde immobile
Puits de ténèbres fontaine sourde lac sans éclat
Présence épaisse battement faible l’instant est là
Rien ni personne une ombre lourde et qui se tait
J’entends les siècles rien ne résonne rien n’apparaît
Sur ce tombeau l’espace bouge c’est ma pensée
pour nul regard pour nulle oreille la vérité
Jean Tardieu, Une voix sans personne, dans Œuvres,
Quarto/Gallimard, 2005, p. 502.
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31/07/2023
Jean Tardieu, Histoires obscures
Mémoire morte
Près des lambris dorés des bureaux
où les corridors filent dans les miroirs sans fin
chaque porte, chaque pilier
cache un tueur qui s’ennuie et bâille ;
le temps est long et le gage est mince.
Cependant au dehors dans l’ombre des immeubles
plus d’un portail abrite de la pluie
une femme debout brillante comme une vitrine
qui regarde avec des yeux vides.
— Allô ? — Oui c’est moi ! ... — Il est temps
— Écoutez... Où êtes-vous ?... Où êtes-vous ?
— Qui parle ? ... qui est là ?... Je n’entendds pas !
La mer a annulé ses avenues :
demain le sable sous le pas des caravanes.
Alors l’archéologie dans les roches
confondra nos siècles et nos jours
et la conque d’un téléphone rouillé
ne livrera aucun secret
sur le bourdonnement de nos paroles.
Jean Tardieu, Histoires obscures, dans
Œuvres, Quarto/Gallimard, 2005, p. 884
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30/07/2023
Jean Tardieu, Le Témoin invisible
Feintes nécessaires
J’appuie et creuse en pensant aux ombres
,je passe et rêve en pensant au roc.
Fidèle au bord des eaux volages
j’aime oublier sur un sol éternel.
Je suis changeant sous les fixes étoiles
mais sous les jours multiples je suis un.
Ce que je tiens me vient de la flamme
ce qui me fuit se fait pierre et silence.
Je dors pour endormir le jour. Je veille
la nuit, comme un feu sous la cendre.
Ma différence est ma nécessité !
Qui que tu sois, terre ou ciel, je m’oppose,
car je pourchasse un ennemi rebelle
ruse pour ruse et feinte pour feinte !
Ô châtiment de tant de combats,
Ô seul abîme ouvert à ma prudence :
Vais-je mourir sans avoir tué l’Autre
qui règne et se tait dans ses profondeurs.
Jean Tardieu, Le Témoin invisible, dans Œuvres,
Quarto/Gallimard, 2005, p. 142-143.
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29/07/2023
Jean Tardieu, Accents
Les dangers de la mémoire
Ils s’assemblent souvent pour lutter
Contre des souvenirs très tenaces
Chacun dans un fauteuil prend place
Et ils se mettent à raconter
Les accidents paraissent les premiers
Puis l’amour, puis les sordides regrets,
Enfin les espérances mal éteintes.
Toutes ces images sont peintes
Au mur entre les fleurs du papier.
Ils pensent ainsi s’habituer
Aux poisons que leur mémoire transporte.
Moi cependant, derrière la porte,
Je vois le PRÉSENT fuir avec ses secrets.
Jean Tardieu, Accents, dans Œuvres, Quarto/
Gallimard, 2005, p. 89-90.
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28/07/2023
Jean Tardieu, Le Témoin invisible
Ombre
Frange d’invisible,
tremblant de secrets,
l’absent qui te prie
et qui t’a porté
baigné dans son ombre
à travers le jour,
lié en silence
à toutes les feuilles,
à travers les pierres
et à tous les temps
n’est-ce pas toujours
ce vaste Toi-même
où tu t‘es perdu ?
Jean Tardieu, Le Témoin
Invisible dans Œuvres, Quarto/
Gallimard, 2005, pp. 143.
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26/07/2023
Jean Tardieu, Essai d'explication de mes recherches en poésie (1943)
Seul le poème, parce qu’il est par excellence l’acte de la pensée, peut se placer dans ce courant réversible, dans ce passage continuel de l’être au néant, et du néant à l’être. La danse du poème, par les pesées et les allègements successifs du rythme, peut seule transporter le mouvement obscur du monde dans la lumière de la parole communicable. Là où la raison ne peut plus aller, la pensée poétique poursuit et là où, dans la sombre étincelle du poème, on se sent bousculé, au-delà de toute élucidation logique, par le choc du pressentiment, c’est alors que le poème devient identique à la permanente contradiction et prend part avec angoisse, avec allégresse, à la « geste » du monde.
Francis Ponge, Jean Tardieu, Correspondance, 1941-1044, édition présentée et établie par Delphine Hautois, Gallimard, 2022, p. 145
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22/03/2023
Jean Tardieu, Da capo
Litanie du « sans »
Et sans visage
et sans image
et sans entendre
sans rien attendre
Partout en rien
partout ce seuil
et sans recours
Mais la splendeur
jamais perdue
qui la retrouve ?
Sans les merveilles
sans les désastres
plus rien qui vaille
Et sans parler
et sans se taire
et la fureur ?
et les délices ?
Et sans rien d’autre
que le même
et qui s’en va
et qui revient
et qui s’en va
Jean Tardieu, Da capo,
Gallimard, 1995, p. 27.
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