18/11/2024
André Breton, Manifestes du Surréalisme
Beauté
Elle est belle et plus que belle : elle est surprenante » (Baudelaire) « Je suis belle et forte, mais je suis femme. » (Cros)
Femme
« Doit être le dernier mot d’un mourant et d’un livre » (Forneret) « Cette fois, c’est la Femme que j’ai vue dans la ville, à qui j’ai parlé et qui me parle » (Rimbaud)
Rêve
« Le Rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de cor
ne qui nous séparent de la mort. » (Nerval) « Rien ne vous appartient plus en propre que vos rêves. Sujet, forme, durée, acteur, spectateur — dans ces comédies, vous êtes tout vous-même ! » (Nietzsche).
André Breton, Dictionnaire abrégé du Surréalisme, dans A. B., Manifestes du Surréalisme, Gallimard, Pléiade, 2024.
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16/07/2024
Constantin Cavafy, Œuvres poétiques
J’ai tant regardé
J’ai tant regardé la beauté
Que mes yeux en sont pleins.
Lignes du corps, lèvres rouges, formes sensuelles,
Des cheveux qu’on eût pris pour ceux de sculptures grecques,
Toujours beaux, même ainsi, dans leur désordre,
Quand ils tombent légèrement sur les fronts blancs.
Visages de l’amour, tels que les désirait
Ma poésie… dans les nuits de ma jeunesse,
Dans mes nuits furtivement rencontrés.
Constantin Cavafy, Œuvres poétiques, traduction
Socrate C. Zervos et Patricia Portier,
Imprimerie Nationale, 1991, np.
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19/05/2024
Pontus de Tyard, Mon esprit ha heureusement porté...
Mon esprit ha heureusement porté
Au plus beau ciel sa force outrecuidée, (=présomptueuse)
Pour s’abbruver en la plus belle Idée,
D’où le pourtrait j’ai pris de ta beauté.
Heureusement mon cœur s’est enretté (= pris au piège)
Dens ta beauté d’un libre œil regardée :
Et ma foy s’est heureusement gardée,
Et t’a ma bouche heureusement chanté :
Mais si encore heureusement j’espere,
Qu’en fin ton cours (ô ma divine Sphere)
Veut asseurer la creinte qui me touche,
J’auray parfait en toy l’heur (=bonheur) de ma vie,
Et toy en moy l’heur d’estre bien servie
D’esprit, de cœur, d’œil, de foy et de bouche.
Pontus de Tyard, dans La Pléiade, Poésie, poétique, édition Mireille Huchon, Gallimard/Pléiade, 2024, p. 665-666.
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08/07/2023
Shakespeare, Soonets et autres poèmes
77
Ton miroir te dira combien tes beautés s’usent,
Tu verras au cadran fuir tes chères minutes,
Les pages blanches seront empreintes de ton esprit,
Et de ce livre tu pourras tirer cette leçon :
Les rides exhibées par ce miroir fidèle
Te feront souvenir de la tombe béante ;
À l’ombre furtive du cadran, tu sauras
Que le temps, ce voleur, va vers l’éternité.
Vois ce que ton souvenir ne peut préserver,
Confie-le à ces pages en friche, et tu verras
Ces enfants bien gardés, issus de ton cerveau,
Prendre de ton esprit connaissance nouvelle.
Ces devoirs, chaque fois que tu t’y emploieras
Te seront profitables, enrichiront ton livre.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes (Œuvres complètes, VIII), Pléiade/Gallimard, 2021, p.401.
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19/11/2022
André Frénaud, Les Rois Mages
Tu es belle
Tu es belle par les relais de la nuit,
tu es belle aux arènes de l’aurore,
tu es toujours dévêtue pour moi,
je veux prendre part à ton visage dans la peine,
je veux nourrir tes yeux par les miens,
je veux garder ma vie entre tes mains.
Répondons aux oiseaux qui sifflent pour nous plaire.
André Frénaud, Les Rois Mages, Poésie Gallimard,
1977, p . 56.
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10/09/2022
Bernard Noël, La Chute des temps
Dispersé
le parfois
les petites pattes du présent
l’abîme sur les talons
la chose de la chance
fait du front
ô grands yeux
un passant parmi les livres
et les douceurs
la beauté désastreuse
comment écrire : c’est ça
voici le mot vent
il ne souffle rien
que souffle le vent
la main touche l’air
et s’envole
Bernard Noël, La Chute des temps,
Poésie/Gallimard, 1993, p. 149.
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16/11/2021
Shakespeare, Sonnets
5
Ces heures, dont l’œuvre raffinée a créé
Ce regard merveilleux où tous les yeux s’attachent,
Seront plus tyranniques envers leur propre ouvrage,
Détruisant tout ce qui excellait en beauté.
Car, jamais en repos, le temps mène l’été
Jusqu’au hideux hiver et l’anéantit,
Sève toute glacée, feuilles vertes en allées,
Beauté vêtue de neige et partout nudité,
Alors s’il ne restait de l’été un parfum,
Liquide emprisonné entre des murs de verre,
La beauté et sa puissance d’engendrer mourraient
Sans même laisser un souvenir de ce qu’elles furent.
Mais les fleurs distillées, confrontées à l’hiver,
Perdent leur apparence, leur essence survit.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction Jean-Michel Déprats, Pléiade/Gallimard, 2021, p. 257.
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09/04/2021
Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient
Après nous avoir offert tous les soins de l’hospitalité la plus simple et la plus poétique cependant, les jeunes filles vinrent prendre aussi leur place à côté de leur mère, sur le divan, en face de nous. C’est ce tableau que je voudrais pouvoir rendre avec des paroles pour le conserver dans ces notes comme je le vois dans ma pensée ; mais nous avons en nous de quoi sentir la beauté dans toutes ses nuances, dans toutes ses délicatesses, dans tous ses mystères, et nous n’avons qu’un mot vague et abstrait pour dire ce qu’est la beauté. C’est là le triomphe de la peinture : elle rend d’un trait, elle conserve pour des siècles cette impression ravissante d’un visage de femme, dont le poète ne peut que dire : Elle est belle ; et il faut le croire sur parole ; mais sa parole ne peint pas.
Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, arléa, 2008, p. 256.
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08/04/2021
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d'ombre
15 juin 1962
Des oiseaux au-dessus de nous, lointains, qui disent la distance, qui disent : ici est la forêt, ici est le ruisseau dans la forêt, le val qui s’élève en sinuant, qui s’éloigne de nous en s’élevant, qui disent : la beauté est bien visible, mais distante, nous sommes sa voix, son vol, et je voudrais les écouter, les suivre, qui disent : la beauté ne t’appartient pas, mais elle te regarde et sourit. Au-dessus des forêts, leur chant lointain, mais clair.
La nuit, le chant des rossignols comme une grappe d’eau.
Philippe Jaccottet, Taches de soleil, ou d’ombre, le bruit du temps, 2013, p. 46.
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18/10/2020
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride
11 septembre 1951 ( ?)
Mon infériorité — c’est que je n’écris que ce que je puis suivre à la main come une rampe.
Quand il n’y a plus de rampe, je me tais. Je suis moins qu’un homme.
L’espace me déconcerte.
18 novembre 1952
Cette idée de « beauté » est le grand écueil de le poésie — où viennent d’ailleurs régulièrement échouer tous les poètes mineurs. Un poète de cet ordre dira, par exemple :
« Les chants les plus désespérés sont toujours les plus beaux »
— qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que beau veut dire, là ? On le voit, mais cela est dit très faiblement, et n’ouvre rien — sinon une satisfaction un peu courte. Vigny, par exemple, aurait dit autre chose —
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Le bruit du temps, 2011, p. 121, 167.
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20/09/2020
Jacques Réda, L'adoption du sytème métrique
L’insaisissable
Le matin et le soir, quand la foule s’active
Entre les carrefours, déserts après midi
Comme au fond d’un miroir où l’heure s’engourdit,
J’ai vu dans les faubourgs la beauté fugitive.
Je reconnais de loin la teinte un peu trop vive
De sa robe trop courte et le geste arrondi
Qu’elle a vers ses cheveux dont la flamme assourdit
L’éclat des bijoux faux des vitrines.
J’arrive
Parfois à m’approcher d’elle, mais c’est toujours
Quand de nouveau midi submerge ces faubourgs
Dont le silence augmente avec leur étendue.
Elle m’appelle alors, et – joueuse –
M’échappe quand j’allais l’atteindre : dans l’instant,
Plus personne – un couloir sordide l’a happée,
Puis ce miroir au fond duquel, en écoutant
Mon pas elle se tient droite comme une épée.
Jacques Réda, L’adoption du système métrique,
Gallimard, 2011, p. 26.
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03/04/2019
Peter Gizzi, Archéophonies
Tout joli tout beau
Ici il y a de petits animaux
fourrageants et satisfaits
Peut-être est-ce comme ça que cela s’appelle
peut-être l’amour est-il un petit animal fourrageant
entièrement satisfait quand sa bouche ici
quand la fourmi et le soleil et la toison
C’est une drôle de vue
la lueur du soleil et de la toison et une bouche
affairée à la nature
une bouche affairée à se faire fleurir
une beauté à fleurir la bouche
Peter Gizzi, Archéophonies, traduction Stéphane
Bouquet, Corti, 2019, p. 47.
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23/02/2018
Giorgio Manganelli, Amour
[L’Amour]
A. Ainsi deviserons-nous de l’amour.
B. Et d’opportune manière, puisque discourant sur la vertu, la mort, la fuite, l’abolition de l’être, nus avons toujours et uniquement parlé de solitudes, d’abstractions et, même en dialoguant, nous ne sommes en fait jamais sortis du monologue.
A. Tandis que l’amour est mouvement de l’âme, qui exige un destinataire
B. C’est aussi mon avis.
A. Bref, en amour nous aurons un amant et un aimé.
B. Qui aime doit aimer quelque chose.
A. Quelque chose qui existe ? Ou d’aventure serait-il possible d’aimer ce qui n’existe pas ?
B. Quelque chose qui existe, je présume.
A. Une chose aimée, existante, mais aussi, puis-je supposer, distincte, jamais confondue avec qui aime.
B. Bien entendu, constamment distincte.
A. Dans tous les cas ?
B. Assurément, dans tous les cas.
A. Et, à ton avis, la dignité de l’amour réside davantage en celui qui aime, ou en celui qui est aimé ?
B. En celui qui aime, je crois ; ce dernier souffre, médite, s’acharne, s’agite, s’inquiète, il est noctambule et insomniaque, se méprend et ne voit pas ; bref, s’il n’était là pour aimer, quelle condition pourrait bien échoir à l’objet d’amour ? Si l’amour ne le touchait, ce ne serait que pauvre chose, à tous égards semblable à d’autres possibles objets d’amour, qui en aucun cas n’échappent à leur solitude.
A. Ainsi affirmes-tu que le dignité de l’amour, voire l’amour lui-même, sont privilège de l’amant.
B. Tout à fait.
A. Mais penses-tu que l’amant puisse destiner son amour à n’importe quel objet ? J’entends : est-il indifférent à la beauté, la sagesse, la grâce et le gloire ? Peut-il aimer toute chose, même minuscule et inanimée ?
B. Certes non ; l’amant aimera une chose non dénuée de grâce, pourvue d’un je-ne-sais-quoi, une parfaite douceur, de la noblesse.
A. Donc, l’objet aimé n’est pas étranger ou indifférent à ce mouvement de l’âme que nous appelons « amour ».
B. Non, assurément.
A. Et si l’amant aimait une chose d’une totale inconvenance, un homme de lettres mettons, un mathématicien épris d’un singe, un hérisson, une lame rouillée, verrions-nous encore en lui le dépositaire de la dignité de l’amour.
B. Il pourrait l’être, mais sa dignité serait profondément frustrée par le choix malheureux de son amour.
A. Donc, si je comprends bien, qui aime doit aimer un objet convenable ; s’il lui échoit au contraire d’aimer une chose inconvenante, il est alors dépossédé de la la dignité de l’amour.
[…]
Giorgio Manganelli, Amour, traduction de l’italien Jean-Baptiste Para, Denoël, 1986, p. 103-105.
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26/03/2016
Branimir Scepanovic, La bouche pleine de terre
Je ne sais plus qui je suis ni où je me trouve : je guette le moindre signe de vie, son, odeur ou forme visible, qui me convaincrait qu’avec ma mémoire ne s’est pas tarie l’ultime lumière. Mais j’espère en vain : dans des ténèbres opaques où sont abolis l’espace et le temps, je flotte, sans même sentir mon corps, comme un grain de poussière perdu qui n’a que la conscience de son infime existence.
C’est la mort, me dis-je, et j’ouvre les yeux.
Je gis sur le dos, immobile, dans une herbe parfumée. La nuit d’été se balance comme une cloche incandescente dont le bourdonnement fait naître des essaims d’étincelles. Écrasé par tant de beauté, je ne décèle en moi ni souffrance, ni peur, ni joie. Mais le ciel violet s’apaise soudain et l’éclat glacé des étoiles le rapproche de mes yeux vides.
Branimir Sepanovic, La bouche pleine de terre, traduit du serbo-croate par Jean Descat, 10/18, 1983, p. 163.
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16/02/2016
Claude Minière, C'est
C’est
C’est parti
c’est parti pour le jour et la nuit
comme c’est parti ça durera
une barque se détache du quai
on remonte l’ancre et les cordages
la mer est incertaine mais réelle
belle rebelle
à jamais
cette flèche est lâchée
elle résonne sur sa cible virtuelle
sa nudité
cette fleur me fait une fleur
Europe
anthropos
entropie
ces fleurs s’appellent héliotropes
le soleil défroisse leurs corolles
la beauté que nous avons aimée
seule la beauté peut nous sauver
un instant la phrase est parfaite
sans oubli je n’y touche plus
Claude Minière, C’est, dans il particolare, n° 29, 2015, p. 9.
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