27/04/2023
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie
Tentative de jalousie
Comment ça va la vie avec une autre,
Plus simple, n’est-ce pas ? — Rames, claquez ! —
S’est-il vite, le profil de la côte,
Le souvenir s’est-il vite masqué,
De moi, de moi, île désamarrée ?
(Voguant de par le ciel, non sur les flots !)
Âmes ! Jamais amantes ne serez !
Sœurs vous serez ! Sœurs : vous ! C’est votre lot !
Comment ça va la vie près d’une femme
Simple ? C’est comment sans divinités ?
Votre souveraine, prince profane,
Détronâtes (ledit trône quitté),
Comment ça va la vie, les froissis d’ailes,
Les tracas ? Le lever, comment se passe ?
Pauvre créditaire de l’immortelle
Médiocrité, comment faites-vous face ?
« Tressauts et syncopes, stop ! Je suis quitte !
Un toit me louerai ! Suffit, le déluge ! »
Comment ça va avec n’importe qui,
Dites, comment, quand on est mon élu ?
Pour sûr plus comestible, domestique,
La table ? Qu’on s’en lasse, la faute à qui ?
Comment ça va la vie près d’un pastiche
Pour vous qui trahîtes le Sinaï ?
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie, traduction
E. Malleret, La Découverte, 1986, p.91.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marina tsvétaïéva, tentative de jalousie, amante, sinaï | Facebook |
09/12/2014
Bilhana, Poèmes d'un voleur d'amour
illustration pour Poèmes d'un voleur d'amour
48
Encore aujourd'hui
Il me souvient
Dans les jeux de l'amour
De ce combat qu'elle livrait,
Les mains nues,
Dans l'union, de ses étreintes,
Du sang
Sur ses lèvres qu'avaient meurtries mes dents
Et sur sa chair qu'avait blessée mes ongles
Et de la tyrannie qu'elle exerçait sur son amant.
49
Encore aujourd'hui
Comment pourrais-je
Endurer la séparation d'avec ma bien-aimée
La plus accomplie d'entre les amantes ?
Ô mes frères, je vous le dis
À ma détresse la mort seule peut mettre un terme.
Qu'elle me cueille au plus vite !
Poèmes d'un voleur d'amour [XIème s., Cachemire], attribuées à Bilhana, traduit su sanskrit par Amina Okada, Connaissance de l'Orient, Gallimard / Unesco, 1988, p. 64-65.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bilhana, poèmes d'un voleur d'amour, cachemire, amante, étreinte, séparation, mort | Facebook |
06/07/2013
Maurice Benhamou, Tréfonds du temps — éditions Unes (2)
I
Gorge de nuit
buveuse d'étoiles.
Pourrons-nous jamais
concevoir
ce qui se passe ?
Se voiler.
Elle se voile,
la face des mots.
Éplorée
elle pleure
plongeant au fond des nuits.
Nuit qui anéantis
notre ardente attente
de la nuit.
Le corps de l'espace
s'étire
indéfiniment
élargissant nos plaies.
Voici
de tout son long
le nuit
exaltant la lunule de l'ongle.
Nuit rêche
dans la bouche.
Proche
ce qui n'a pas de nom.
.
Mais au Noir
le regard n'atteint pas.
Des barbelés d'étoiles
l'accrochent et le déchirent.
Inaccessible
entre les cordes du jour
fut aussi le visage de l'aimée.
Quelle voix de personne
dans l'épaisse forêt de la nuit
appelle
frémit
selon les souffles anciens
de la terre furtive ?
[...]
Maurice Benhamou, Tréfonds du temps, suivi de
Trait-fond, encres de chine de Jean Degottex,
éditions Unes, 2013, p. 9-10.
Les éditions Unes, fondées par Jean-Pierre Sintive en 1981,
ont été reprises par François Heusbourg en 2013.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : maurice benhamou, tréfonds du temps, jean degottex, nuit, nom, étoiles, amante | Facebook |
17/05/2013
Paul Celan, La Rose de personne [Die Niemandsrose]
Avec toutes les pensées je suis sorti
hors du monde : tu étais là,
toi, ma silencieuse, mon ouverte, et —
tu nous reçus.
Qui
dit que tout est mort pour nous
quand notre œil s'éteignit ?
Tout s'éveilla, tout commença.
Grand, un soleil est venu à la nage, claires,
âme et âme lui ont fait face, nettes,
impératives, elles lui ont tu
son orbe.
Sans peine,
ton sein s'est ouvert, paisible,
un souffle est monté dans l'éther,
et ce qui s'est nué, n'était-ce pas,
n'était-ce pas forme, et sortie de nous,
n'était-ce pas
pour ainsi dire un nom ?
Mit allen Gedanken ging ich
hinaus aus der Welt : da warst du,
du meine Leise, du meine Offne, und —
du empfingst uns.
Wer
sagt, dass uns alles erstarb,
da uns das Aug brach ?
Alles erwachte, alles hob an.
Gross kam eine Sonne geschwommen, hell
standen ihr Seele und Seele entgegen, klar,
gebieterisch schwiegen sie ihr
ihre Bahn vor
Leicht
tar sich dein Schoss auf, still
stieg ein Hauch in den Äther,
und was sich wölkte, wars nicht,
wars nicht Gelstalt und von uns her,
wars nicht
so gut wie ein Name ?
Paul Celan, La Rose de personne [Die Niemandsrose], traduction de Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979 [1963], p. 31 et 30.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul celan, la rose de personne [die niemandsrose], martine broda, amante, nom | Facebook |
01/12/2012
Jude Stéfan, Disparates
Elle
elle allait en bottes, yeux en amande,
anneaux aux oreilles, surgissant au
grenier et penchée, Gitane abandonnée,
sauvage et sévère, aux jambes de balle-
rine, éprise du bleu, tentures, châles,
gants, soudain un furtif baiser, courait
à la mer au loin s'y aventurant, grimpait
aux arbres, dérobait des bagatelles, jouait
à la belote contrée, sifflait son chat,
attaquait la carambole, faubertait son
pavé, grugeait ses noix, frottait des pommes
à son coude, « ma beauté » à son oreille, un
peigne écarlate, gênée des tourterelles
et du sumac, effrontée, téméraire, palpée
sous tous les pores, impérieuse, ni rosée
ni perle, ni nymphe ni soleil, mais chair
même, peau, amie amante épouse, un bienfait
une chance. Elle
qui m'eût tué
qui me voulait
Jude Stéfan, Disparates, Gallimard, 2012, p. 108.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jude stéfan, disparates, amour, amie, amante | Facebook |