12/08/2019
Eugène Fromentin, Les Maîtres d'autrefois
Pendant des siècles, on a cru, on croit encore dans beaucoup d’écoles qu’il suffit d’étendre des teintes aériennes, de les nuancer tantôt d’azur et tantôt de gris pour exprimer la grandeur des espaces, la hauteur du zénith et les ordinaires changements de l’atmosphère. Or considérez qu’en Hollande un ciel est souvent la moitié du tableau, quelquefois tout le tableau, qu’ici l’intérêt se partage ou se déplace. Il faut que le ciel se meuve et nous transporte, qu’il s’élève et qu’il nous entraine ; il faut que le soleil se couche, que la lune se lève, que ce soit bien le jour, le soir et la nuit, qu’il y fasse chaud ou froid, qu’on y frissonne, qu’on s’y délecte, qu’on s’y recueille. Si le dessin qui s’applique à de pareils problèmes n’est pas le plus noble de tous, du moins on peut se convaincre qu’il n’est ni sans profondeur ni sans mérites. Et si l’on doutait de la science et du génie de Ruysdael et de Van der Neer, on n’aurait qu’à chercher dans le monde entier un peintre qui peigne un ciel comme eux, dise autant de choses et les dise aussi bien. Partout c’est le même dessin serré, concis, naturel, naïf, qui semble le fruit d’observations journalières, qui, je l’ai fait entendre, est savant et n’est pas su.
Eugène Fromentin, Les Maîtres d’autrefois, dans Œuvres complètes, Texte établi, présenté et annoté par Guy Sagnes, Pléiade / Gallimard, 1984, p. 663.
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09/08/2019
Hester Knibbe, Archaïques les animaux
Il y a toujours
Il y a toujours une première
tête que tu dessines
ses deux
yeux sans
bouche encore mais
des bras des jambes sans
mains ni pieds. Il y a
toujours une première
bouche qui apparaît
dans la tête
brouillonne encore sans
parler
mais tu comprends
vite comment
dessiner
le rire
rendre le triste
Hester Knibbe, Archaïques les animaux,
traduction du néerlandais K. Andrings
et D. Cunin, éditions Unes, 2018, p. 61.
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04/08/2019
Henri Michaux, Les commencements
Les commencements
L’enfant à qui on fait tenir dans sa main un morceau de craie, va sur la feuille de papier tracer désordonnément des lignes, encerclantes, les unes presque sur les autres.
Plein d’allant, il en fait, en refait, ne s’arrête plus
…………………………………………………………………………………….
En tournantes, tournantes lignes de larges cercles maladroits, emmêlés, incessamment repris
encore, encore
comme on jour à la toupie
Cercle. Désirs de la circularité.
Place au tournoiement.
Au commencement est la
RÉPÉTITION
Emprise
seuls les cercles font le tour
le tour d’on ne sait quoi de tout
du connu,
de l’inconnu qui passe
qui vient, qui est venu
et va revenir
(…)
Henri Michaux, Les commencements,
Fata Morgana, 1983, p. 7-8.
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14/04/2019
Henri Michaux, Les commencements
L’enfant à qui on fait tenir dans sa main un morceau de craie, va sur la feuille de papier tracer désordonnément des lignes encerclantes, les unes presque sur les autres.
Plein d’allant, il en fait, en refait, ne s’arrête plus.
…………………………………………………………………………………….
En tournantes tournantes lignes
de larges cercles maladroits, emmêlés,
incessamment repris
encore, encore
comme on joue à la toupie
Cercles. Désirs de la circularité.
Place au tournoiement.
Au commencement est la
RÉPÉTITION
Henri Michaux, Les commencements, Fata Morgana, 1983, p. 7-8.
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26/05/2018
Jean Arp, Jours effeuillés, Poèmes, essais, souvenirs (1920-1965)
Je me souviens que, enfant de huit ans, j’ai dessiné avec passion dans un grand livre qui ressemblait à un livre de comptabilité. Je me servais de crayons de couleur. Aucun autre métier, aucune autre profession ne m’intéressait, et ces jeux d’enfant — l’exploration des lieux de rêves inconnus — annonçaient déjà ma vocation de découvrir les terres inconnues de l’art. Probablement les figures de la cathédrale de Strasbourg, de ma ville natale, m’ont stimulé à faire de la sculpture. À l’âge de dix ans environ j’ai sculpté deux petite figures, Adam et Éve, que mon père ensuite a fait incruster dans un bahut. Quand j’avais seize ans mes parents consentirent à ce que je quitte le lycée de Strasbourg pour commencer le dessin et la peinture à l’École des Arts et Métiers. Je dois ma première initiation à l’art à mes professeurs strasbourgeois Georges Ritleng, Haas, Daubner et Schneider. En 1904 enfin, malgré mes supplications de me laisser partir pour Paris, mon père, me jugeant trop jeune et craignant pour moi les « sirènes » de la métropole, me fit entrer de force à l’Académie des Beaux-Arts à Weimar. C’est à Weimar que je pris pour la première fois contact avec la peinture française par les expositions organisées par le comte de Kessler et l’éminent architecte Van de Velde.
Jean Arp, Jours effeuillés, Poèmes, essais, souvenirs (1920-1965), préface de Marcel Jean, Gallimard, 1966, p. 443.
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19/04/2017
Renée Vivien, La Vénus des aveugles
Chanson pour mon ombre
Droite et longue comme un cyprès,
Mon ombre suit, à pas de louve,
Mes pas que l’aube désapprouve.
Mon ombre marche à pas de louve,
Droite et longue comme un cyprès,
Elle me suit, comme un reproche,
Dans la lumière du matin.
Je vois en elle mon destin
Qui se resserre et se rapproche.
À travers champs, par les matins,
Mon ombre me suit comme un reproche.
Mon ombre suit, comme un remords,
La trace de mes pas sur l’herbe
Lorsque je vais, portant ma gerbe,
Vers l’allée où gîtent les morts.
Mon ombre suit mes pas sur l’herbe
Implacable comme un remords.
Renée Vivien, La Vénus des aveugles, dans Poésies complètes,
Librairie Alphonse Lemerre, 1944, p. 204-205.
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10/02/2017
Sylvia Plath, Arbres d'hiver
Arbres d’hiver
Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement.
Posé sur son buvard de brume
Chaque arbre est un dessin d’herbier —
Mémoire accroissant cercle à cercle
Une série d’alliances.
Purs de clabaudages et d’avortements,
Plus vrais que des femmes,
Ils sont de semaison si simple !
Frôlant les souffles déliés
Mais plongeant profond dans l’histoire —
Et longés d’ailes, ouverts à l’au-delà.
En cela pareils à Léda.
Ô mère des feuillages, mère de la douceur
Qui sont ces vierges de pitié ?
Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.
Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée,
traduction Françoise Morvan et Valérie Rouzeau,
Poésie / Gallimard, 1999, p. 175.
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29/05/2016
Alberto Giacometti, Écrits
Enfant, j’avais plutôt l’envie d’illustrer des histoires. Et puis, assez vite, j’ai commencé à dessiner d’après nature, et j’avais l’impression que je dominais tellement mon affaire que je faisais exactement ce que je voulais. J’étais d’une prétention, à dix ans… Je m’admirais, j’avais l’impression de pouvoir tout faire, avec ce moyen formidable : le dessin ; que je pouvais dessiner n’importe quoi, que je voyais clair comme personne. Et j’avais commencé à faire de la sculpture vers 14 ans, un petit buste. Et là aussi cela marchait ! J’avais l’impression qu’entre ma vision et la possibilité de faire, il n’y avait aucune difficulté. Je dominai ma vision, c’était le paradis et cela a duré jusque vers 18-19 ans, où j’ai eu l’impression que je ne savais plus rien faire du tout ! Cela s’est dégradé peu à peu… La réalité me fuyait. Avant je croyais voit très clairement les choses, une espèce d’intimité avec le tout, avec l’univers.. Et puis tout d’un coup, il devient étranger. Vous êtes vous et il y a l’univers dehors, qui devient très exactement obscur… J’essayais de faire mon portrait d’après nature, et j’étais conscient que ce que je voyais, il était totalement impossible de le mettre sur une toile. Laligne — je me rappelle très bien — la ligne qui va de l’oreille au menton, j’ai compris que jamais je ne pourrais copier cela tel que je le vyais, que c’était du domaine pour moi de l’impossibilité absolue. S’acharner dessus, c’ »était absurde, c’en était fini à tout jamais de toute possibilité de copier, même très sommairement, ce que je voyais.
Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 261.
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23/02/2016
Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin
Suite vi
les dieux meurent plus facilement que les hommes
venant après les uns parmi les autres ou dans
la plus absolue des solitudes c’est égal
là où ne s’opposent l’air et le geste
matière engendrée du souffle et de la main
nulle matière avant cette dernière
comme ce que peut la main en traçant
l’unicité d’un dessin que la couleur habite
ou non (un oui toujours en son agilité)
le poème de la main et du souffle en
gendré ne crée pas autre mystère — outre
substituer aux chefs-
d’œuvre toute agitation des organes
investis dans l’acte que l’on nomme
(air ou geste sont communs à chacun
le larynx les membres produisent en
multitude) est crime des tribus
mais le tableau est là écho
de son poème où il s’échappe aux soirs
bruyants de nos angoisses
[...]
Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin, La
Lettre volée, 2016, p. 51-52.
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05/05/2015
André du Bouchet, Qui n'est pas tourné vers nous
Sur le foyer des dessins d’Alberto Giacometti
Dessins d’Alberto Giacometti —
par blocs froids détachés de quelque glacier à facettes qui tranchent. La dureté de ce crayon sans ombre qui, à proximité, plus qu’à raison d’une distance, se volatilise. Et, dans l’agrégat rectiligne, ouvertes d’un coup de gomme, avenues par lesquelles l’espace inentamé rapidement afflue. Jusqu’à ce que le trait, repris toujours, et en quête de la dernière surface, toile, air, papier, qui l’en sépare, s’étant interrompu, touche à son objet immatériel. Dessins blancs dans une pièce nue.
Quel est cet objet sur lequel sans cesse il revient, objet qui, croirait-on, ne prend corps qu’à l’issue d’un atermoiement prolongé coûte que coûte au point où nous risquerions de le voir se fondre, et perdre dans la haute paroi ?
[...]
André du Bouchet, Qui n’est pas tourné vers nous, Mercure de France, 1972, p. 9-10. ©Photo Jean-François Bauret.
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20/03/2015
René Char, La pluie giboyeuse
Floraison successive
La chaude écriture du lierre
Séparant le cours des chemins
Observait ue marge claire
Où l’ivraie jetait ses dessins.
Nous précédions, bonne poussière,
D’un pied neuf ou d’un pas chagrin.
L’heure venue pour la fleur de s’épandre
La juste ligne s’est brisée.
L’ombre, du mur, ne sut descendre ;
Ne donnant pas la main, dut prendre ;
Dépouillée, la terre plia.
La mort où s’engouffre le Temps
Et la vie forte des murailles,
Seul le rossignol les entend
Sur les lignes d’un chant qui due
Toute la nuit si je prends garde.
René Char, La pluie giboyeuse, Gallimard,
1968, p. 17.
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