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22/04/2022

Michel Deguy, Figurations

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10 h

 

Au point qu’implique le poème

     Mire je t’attends partout

            • Quand je prends soin de mon amour

     Il se moque de moi —

 

Les hortensias préfèrent la maison

            • Je lui décris la vie avec exactitude —

Les arbres autour imitent le sentier

     La sève est la taupe du ciel

 

     Rotule d’arbre et du reflet

       Ici s’animait la vie faite

       De nuage de sable et d’eau

     Un couloir brille où l’aquarelle

        Suffit à porter le bateau Ici

      Galerie comme une main s’achève

       Ou quelque extrémité d’encre trace

                 De gauche à droite ici

        Condensé, alcôve, le signe de la terre

 

                     Ressource du mariage

                          C’est le visible

                     Aveuglément choisi

 

Michel Deguy, Figurations, Gallimard, 1969, p. 69.

21/04/2022

Michel Deguy, Figurations

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      Haïku du visible

 

Un     L’équidistant. Lui le lucide

L’impartial quand la terre dormeuse

Se retourne vers lui

 

Deux     La coque azur

Incrustée d’arbres sous la ligne de pendaison

L’air qui cède à l’oiseau

Qui s’efface

 

Trois     Le treillis le réseau le tamis

Le nid d’intervalles

Un feu de paille aussi longtemps que le soleil

Et ces murs une piste de plantigrades

Murs tracés à coups de griffes

Et debout comme un moulage de combat

 

Quatre    L’eau bien épaisse bien ajointée

L’eau remplie remplissant

L’eau sans jour sur le poisson mouillé

 

Et la terre comme fonds la recouverte la patiente

                               L’implicite

 

Michel Deguy, Figurations, Le Chemin, Gallimard,

1969, p. 86.

 

20/04/2022

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île

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                 Ici

 

Ici les maisons cessent comme au bord de l’eau

La rue arpente les labours

Le flux de blé monte jusqu’au trottoir

Les femmes sont chez elles

Usant le jour et la lessive

Les pierres leur sont familières

Elles choisissent un vent propice

Les hommes à droite partent en terre

Ils retournent au champ lointain

Jeter leur filet de fer dans la glaise

 

Je suis venu pour rassembler

Le port où meurt la houle des sillons

La jetée des rives de Loire

Et la lisière humaine de la mer

 

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,

Le Chemin, Gallimard, 1961, p. 37.

19/04/2022

Michel Deguy, Donnant Donnant

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Jaculatio tardiva

 

Et il ne suffirait pas que je dise à celles-ci

Fais comme si tu m’aimais Montre toi montre moi

Tes Dombes ton Rhin tes Seine ton Ombrie

Comme Ronsard faisait son chant de son chantage

Pour de l’argent le sein des seins

La toison de cendre le centre de la terre

Faute de toi les mots ne s’assembleraient pas

Fais ma croissance Sans tes pores le pli n’est jamais pris

Je ne peux même pas sans ton échine ton antenne

Dire le temps sans la clepsydre de ton sang

 

Comme nous disons Allume la lumière

Je leur dirais Donne de la mémoire

Avec tes lombes ton sein tes saignées tes ombres

Il y a à coir aussi sur tes paupières

 

Michel Deguy, Donnant Donnant, Gallimard, 1981, p. 37.

02/02/2022

Michel Deguy, Figurations

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Haïku du visible

 

Un L'équidistant Lui le lucide

L'impartial quand la terre dormeuse

Se retourne vers lui

 

Deux    La coque azur

Incrustés d'arbres sous la ligne de pendaison

L'air qui cède à l'oiseau

Qui s'efface

 

Trois     Le treillis le réseau le tamis

Le nid d'intervalles

Un feu de paille aussi longtemps que le soleil

Et ces murs une piste de plantigrades

Murs tracés à coups de griffe

Et debout comme un moulage de combat

 

Quatre     L'eau bien épaisse bien ajointée

L'eau remplie remplissant

L'eau sans jour sur le poisson mouillé

 

Et la terre comme fonds la recouverte la patiente

    L'implicite

 

Michel Deguy, Figurations, Poème-proposition-études,

"Le Chemin", Gallimard, 1969, p. 86.

 

 

 

31/10/2020

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île

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Le miroir

 

Ville aveuglée à moins que ne la montre

À soi une rivière

Elle tire partage de l’eau

Et s’assied chez soi sur les berges

Un côté garde l’autre ils s’opposent et se voient

La rive se reflète en l’autre

Et chacune soi-même en le fleuve

Lui la dédouble et ainsi la redouble

Et permet qu’elle se connaisse.

 

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,

Gallimard /Le Chemin, 1961, p. 79.

19/09/2019

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île

                                                                                                                         michel-deguy_1.jpg

                                        Le vent

 

    Du vent sur le village ! Stères des maisons qui branlent, et les flaques gelées des vitres craquent sous ses pas puissants. Tout est ébauche de fable, et moi de rares poèmes. Sous les yeux dessertis tourne le documentaire.

   Comment être à ce nouveau monde

   Arbre et tête de sang et vent et trous et vides et murmures, l’oreille bat sous le vent du sang.         

   Tête à tête bruissant, deux arbres hagards aux ocelles de vide, grands ossuaires aux mille orbites. Un souffle fait bruire les rets de dendrites.

   Un souffle... il attise une parole.

 

   Le vent, là-bas !

   Un vent qui tente la racine, inventant à l’aveugle l’espace !

   Passant le souffle érige les oreilles

   Il plante au sol l’arbre de ma stupeur et va se ruer sous l’essieu de la nuit.

 

Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île, Gallimard, 1961, p. 18.

31/05/2017

Karel Čapek, Lettres à Véra

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Prague, le 30/1/1924

 

Madame Věra,

À vrai dire, j'ai voulu adresser cette lettre à votre membre inférieur malade mais il ne me semblait pas opportun de commencer ma lettre par "Madame la Jambe" ou bien par "Membre très estimé", je dois donc renoncer à mon intention d'entamer un dialogue avec ladite partie de votre corps. Maintenant, je tiens à vous féliciter pour votre résurrection et à exprimer en même temps ma profonde surprise face à la source mystérieuse de l'intoxication de votre jambe. Peut-être qu'un serpent, déguisé en cheville de bois dans votre soulier, a choisi votre talon pour cible. Vous avez bien fait d'avoir enduit sa tête ; il ne faut jamais se laisser faire. — J'ai oublié de vous signaler que, récemment, mon chat Vasek avait fini ses jours remplis d'espoir ; lui aussi avait été empoisonné. Pour le remplacer, le bon Dieu des chats m'a envoyé une chatte errante qui, d'après certains signes, semble enceinte. Ne savez-vous pas ce qu'on est censé faire de ses petits ? Ma bonne affirme que les noyer porte malheur ; je ne voudrais pas être malheureux, surtout pas en hiver.

Karel Čapek, Lettres à Věra, traduction Martin Daneš, éditions Cambourakis, 2016.

07/12/2015

Michel Deguy, Biefs

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   J’ai connu un vieux couple qui se déchirait de procès à dessein — peu conscient — de remettre en question son propre passé : féroce anamnèse, jusqu’au premier regard de fiancés, déjà truqué.

   O salves du cœur, fantasia des yeux, l’état sauvage, l’impatience de toute conséquence ( j’ai connu un fervent cavalier peut-être à cause d’une image des Huns tôt imposée). Gestes perdus, balles perdues, enfant perdu, si perdu que pas une théorie du lapsus n’y retrouvera ce qui fut sien.

   Et qu’elle y retrouve une trace, elle entendra l’éclat de rire du gitan ! Liberté brisée brisante, vague incalculable sur le corail errant, torrent jeune.

 

Michel Deguy, Biefs, Gallimard, 1964, p. 75.

05/09/2013

Michel Deguy, Donnant donnant

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L'amour est plus fort que la mort disiez-vous

Mais la vie est plus forte que l'amour et

L'indifférence plus forte que la vie — La vie

Mienne ou tienne et nôtre en quelque manière

Est ensemble la seule séquence de métamorphoses

(Le néoténique se mue en héros à sexe

Plus tard en ventru chauve pourrissant comme un dieu)

Et bains-douches au Léthé tous les mois

Et un vieillard muet en nous depuis longtemps

Survit sans douleur au charnier des enfants

 

                                                        40° Ouest 60° Nord

 

 

Michel Deguy, Donnant donnant, "Le Chemin", Gallimard, 1981, p. 28.

09/01/2013

Michel Deguy, Poèmes de la presqu'île

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                                   Le pommier

 

  J'ai attendu, comme un amant aux champs prend rendez-vous sous le pommier rigide, et dans l'herbe qui jaunit, attend tout l'après-midi sous des tonnes de nuages. L'amante ne vient pas.

 

   Ce qui est rien, peut-il être entouré en l'âme et ainsi deviné — margelle des poignets tordus ; tresse des yeux de plusieurs amis en rond ; spirale des croassements qui vrillent, défoncent ; anneau de voix ; mon mal, mon mal, transcendance qui irrompt, jetant à terre ici le fourbu geignant de cette naissance, déposé, Ulysse rustique (il chasse les poules ataxiques) aux yeux charnus, du vent plein la face, l'évanoui qui ne cesse « où suis-je, où suis-je ? » Faire mémoire de ce don des choses prudentes qui tâtonnent sur la mince couche de glace du monde.

 

   Sous un pommier charmant, étendu mais trop bavard pour le poème (pourtant la marée grimpe dans les branches basses cherchant un nid dans l'abri vert), est-ce notre lot de ne plus avoir à méditer que des conflits d'hommes ?

 

Michel Deguy, Poèmes de la presqu'île, collection "Le Chemin", Gallimard, 1961, p. 40-41.

07/02/2012

Michel Deguy, Ouï dire

 

michel deguy,ouï dire,couleurs

Moraine bleue dans le glacier du soir

 

La vigne rentre sous le vert, le bleu reprend le

ciel, le sol s'efface dans la terre, le rouge

s'exhausse et absorbe en lui les champs de Crau.

Les couleurs s'affranchissent des choses et

retrouvent leur règne épais et libre avant

les choses, pareilles à la glaise qui précédait Adam.

 

Le saurien terre émerge et lève mâchoire

vers la lune, les années rêveuses sortent des grottes

et rôdent tendrement autour de la peau épaisse. Falaise se

redresse, Victoire reprend son âge pour la nuit. Les nuages

même s'écartent, les laissant.

 

   En hâte quittée cette terre qui tremble

ils se sont regroupés dans la ville, bardée de portes.

 

Michel Deguy, Ouï dire, Gallimard, 1966, p. 64.

28/12/2011

Michel Deguy, Figuration

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Haïku du visible

 

Un    L'équidistant Lui le lucide

L'impartial quand la terre dormeuse

Se retourne vers lui

 

Deux    La coque azur

Incrustés d'arbres sous la ligne de pendaison

L'air qui cède à l'oiseau

Qui s'efface

 

Trois     Le treillis le réseau le tamis

Le nid d'intervalles

Un feu de paille aussi longtemps que le soleil

Et ces murs une piste de plantigrades

Murs tracés à coups de griffe

Et debout comme un moulage de combat

 

Quatre     L'eau bien épaisse bien ajointée

L'eau remplie remplissant

L'eau sans jour sur le poisson mouillé

 

Et la terre comme fonds la recouverte la patiente

    L'implicite

 

Michel Deguy, Figurations, Poème-proposition-études, "Le Chemin",

Gallimard, 1969, p. 86.