18/02/2019
François Cheng, Enfin le royaume
L’immense nuit du monde
semée de tant d’étoiles,
Prendrait-elle jamais sens
hors de notre regard ?
Longues nuits d’hiver, restent croisées nos branches,
la promesse est en nous ;
Nous n’oublierons rien, nous oublierons tout,
déjà proche est la brise.
François Cheng, Enfin le royaume, Gallimard, 2018, p. 35, 43.
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08/11/2018
Rolando Alberti, Magique, extrêmement
Érection
De petits flocons de neige
descendent du ciel gris
fondant à terre comme de petits désirs.
Tu es mon petit flocon de neige
une pente sans terre
un regard sans rencontre.
Être qui vécut dans ma petite éternité
voyageant dans les méandres comme la prière d’un dieu,
pensée qui devient chair
comme l’acte fécondateur
déesse ensorceleuse qui te montra dans l’autre
à l’homme en marche noyé dans les océans du temps.
Rolando Alberti, Magique, extrêmement, traduit de l’italien
par François Bordes, dans L’étrangère, n° 47-48, automne 2018, p. 167.
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21/12/2017
René Char, Aromates chasseurs
Sous le feuillage
Frapper du regard, c’est se dessiner dans les yeux des autres, y découvrir leurs traits modifiés auprès des nôtres, mais pour ombrer notre ceinture de déserts.
Celui qui prenait les devants s’appuya contre un frêne, porta en compte la récidive de la foudre, et attendit la nuit en désirant.
René Char, Aromates chasseurs, Gallimard 1976, p. 35.
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28/06/2017
Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, dans Secousse
Sonnets de la tristesse
I
On voit parfois, quand on traverse un village,
un coin de rideau qui se soulève au bas d’une fenêtre,
puis le mouvement de recul d’un visage ridé
c’est que nous aurons regardé dans cette direction,
attirés par ce mouvement – comme d’une aile d’oiseau –,
soudain, il se sera inscrit dans notre champ de vision.
Rabaissé, le rideau estompe le visage, puis le gomme
comme si depuis la nuit des temps le dessin devait être raté,
celui d’une vie, eau morte qui désormais clapote
derrière une fenêtre qui désormais sert de frontière,
mais transparente pour laisser voir ce qu’il y a d’encore vivant
dehors où nous passons. Et nous n’aurions rien soupçonné
si le rideau n’avait pas été soudain corné, comme la page
d’un livre quand on en interrompt la lecture.
III
Quelle tristesse... Tous ces vieillards assis
sur des fauteuils ou des fauteuils roulants, immobiles,
en rang d’oignons ou en cercle dans la salle commune,
tête qui tombe sur la poitrine et qui semblent
ne plus rien attendre – sinon la mort.
Et quand vous passez, quelques têtes, mais pas toutes,
se relèvent, se tournent lentement à mesure,
vous suivent des yeux – comme des vaches dans un pré.
Une « fin de vie » peut durer très longtemps,
et si l’on a toujours la conscience du temps...
Quelle tristesse... Tous ces regards éteints,
ce silence des vies qui viennent ici finir
et dont on ne soupçonne même pas ce qu’elles furent
ailleurs en leurs lieux et en leur temps.
Jacques Lèbre, Sonnets de la tristesse, dans Secousse,
revue en ligne n° 22, été 2017, éditions Obsidiane.
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29/01/2017
Laure (Laure Colette Peignot), Écrits
La vie répond — ce n’est pas vain
on peut agir
contre — pour
La vie exige
le mouvement
La vie c’est le cours du sang
le sang ne s’arrête pas de courir dans les veines
je ne peux pas m’arrêter de vivre
d’aimer els êtres humains
comme j’aime les plantes
de voir dans les regards une réponse ou un appel
de sonder les regards comme un scaphandre
mais rester là
entre la vie et la mort
à disséquer des idées
épiloguer sur le désespoir
Non
ou tout de suite : le revolver
il y a des regards comme le fond de la mer
et je reste là
quelques fois je marche et les regards sr croisent
tout en algues et détritus
d’autres fois chaque être est une réponse ou un appel
Écrits de Laure, Jean-Jacques Pauvert, 1971, p. 150.
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30/10/2016
Guido Cavalcanti, Rime
XXIV sonnet
Amour m’a fait revivre un amoureux
regard spirituel, si attirant
qu’il me saisit aujourd’hui beaucoup mieux
et me force à penser d’un cœur ardent
à ma dame, envers qui ne vaut rien
ni merci ni pitié ni d’être patient,
elle qui souvent me cause un chagrin
tel que mon cœur peu de vie en ressent.
Mais quand je sens qu’un aussi doux regard
depuis les yeux jusqu’au cœur m’est entré
et y a mis un esprit tout de joie,
de rendre grâces à elle je ne tarde :
ainsi soit-elle par Amour priée
qu’un peu de pitié ennui ne lui soit !
Guido Cavalcanti, Rime, traduction Danièle Robert,
Vagabonde, 2012, p. 89.
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24/10/2016
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela
Méditatif
Avant l’horreur c’était encore
si peu de chose : vivre, un clin d’œil un regard
mais quel regard quand il appareillait
vers l’espace profond d’une nuit d’août
illuminés par les étoiles déjà mortes
signaux qui viennent d’autrefois pour nous sourire.
Après l’horreur nulle mémoire mais le masque
préparé. Après l’horreur
une outre bue un crâne déserté
ne sont pas plus sonores ni plus vide que de creux
terrible dans la pierre Ici persiste l
a forme exacte de ce couple
pourchassé, ici l’empreinte pure,
ici, seulement bonne pour l’écho
sous le pas des troupeaux paisibles, l
a fuite immobile statue
aveugle et ressemblante.
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela, Gallimard,
1979, p. 35.
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29/03/2016
Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde du jardin
Zone franche
S’avancer sur la pointe des pieds et, crainte de froisser la lumière déclinante d’une fin de journée (si fragile, son équilibre), s’arrêter, interdit, sur le seuil de la clairière, parmi les bruyères, les sphaignes.
Arbre soi-même sur-le-champ au cœur et en dehors du temps.
Jalousement, une zone franche ; aucune traverse zigzaguant entre mottes et touffes, aucune trace n’en violent l’espace.
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En face, si proche — et pourtant ! — court une lignée de bouleaux légers comme neige dans un ciel neuf, fuyants, frêles (limite dérobée du rêve) et cependant fringants, se tenant droits.
Formeraient, serrés étroitement les uns contre les autres, une barrière à claire-voie.
Hampes nues d’arrière-automne.
Où, reprenant, poursuivant sans relâche sa reconnaissance, le regard, oublieux, vagabonde.
Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin, Corti, 2016, p. 21-22.
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19/12/2015
Édith Azam, Vous l'appellerez : Rivière
Elle regarde à nouveau le moulin, pense qu’il a encore vieilli, qu’elle ne lui connaît pas d’enfance, qu’il perd ses osselets en inventant des mots qui ne s’oublient jamais, qu’elle a mille ans d’absence sur tous les dictionnaires, que la vie n’est qu’un tour de passe-passe, que ses yeux s’habituent à la nuit, que dans ses mains à lui, même affaiblies, la lumière sera : toujours belle.
Rivière
ils ont bien vu
oui
en retrouvant le sol
qu’elle pouvait
se glisser
partout
qu’elle était
pour la terre
la source :
le langage
Édith Azam, Vous l’appellerez : Rivière, La Dragonne, 2013, p. 74.
©Photo Chantal Tanet.
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08/10/2015
Bernard Noël, Poèmes, I, espace pour ombre
espace pour ombre
espace
de quelle eau lente
fait
un sourire s’épuise
trop devenu sourire
tu
déchires la glace
et
la surface tombe
*
qui parle
si le temps est désert
si ta place gelée
on
pose un souvenir
la nuit écume
le corps se fend
hier
comme une pierre au fond de l’eau
*
regard
de quel regard tombé
cette durée t’exile
l’amour te traverse
et
l’intouchable
la vitre refuse l’ongle
le miroir boit le visage
le rire même
s’éparpille cassé
[...]
Bernard Noël, Poèmes I, Textes / Flammarion,
1983, p. 139-141.
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14/09/2015
Raymond Queneau, L'instant fatal, II
Quelqu’un
Quand la chèvre sourit
quand l’arbre tombe
quand le crabe pince
quand l’herbe est sonore
plus d’une maison
plus d’une coquille
plus d’une caverne
plus d’un édredon
entendent là-bas
entendent tout près
entendent très peu
entendent très bien
quelqu’un qui passe et qui pourrait bien être
et qui pourrait bien être quelqu’un
Pins, pins et sapins
Le ciel la mer saline et les rochers plein d’eau
le cœur de l’anémone auprès des pins têtus
la marche auprès du ciel la marche auprès de l’eau
et la course assoiffée auprès des pins têtus
herbes mousses lichens et toutes les bestioles
le regard s’est perdu sous les sapins têtus
le regard qui s’égare après tant de bestioles
les peuples effarés sous les sapins têtus
le ciel la mer saline où sabre le soleil
tranche la tête plane aux sapins éperdus
se cabrant dans le ciel et se cabrant dans l’eau
tandis qu’une bestiole à l’ombre d’un lichen
cerne de son trajet le bois des pins têtus
sans qu’un regard disperse une route inutile
Raymond Queneau, L’instant fatal, II, dans Œuvres complètes, I, édition Claude Debon, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 96-97.
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08/07/2015
Chloé Bressan, Claire errance
Nous ressentons le simple, le tors, le vain, le secourable, altération profonde, vit là le solitaire. Nous ressentons le ténu, le dense, le palpitant, le hors d’atteinte. Nous entrons. Nous disparaît. Nous n’est plus possible à surveiller. On ne surveille pas deux ciels à la fois. On passe un après un. Et encore, tout juste. On longe l’étrange ligne qui semble ne pas finir au fond du regard. Accepter de faire le guet pour les autres pendant qu’ils traversent le jour dans la poussière conforme.
Vient l’heure où il devient urgent de faire passer devant un motif d’absence.
Chloé Bressan, Claire errance, éditions sabelle sauvage, 2015, p. 36.
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27/05/2015
Ingeborg Bachmann, Trois sentiers vers le lac
Problèmes, problèmes
« Alors à sept heures. Oui mon chéri. J’aimerais mieux. Café du Hochhaus. Parce que par hasard je... Oui, par hasard, de toute façon il faut que j’aille chez le coiffeur. À sept heures, c’est à peu près ce que je prévois si j’ai le temps de... Quoi, ah bon ? Il pleut ? Oui, je trouve aussi. Il pleut sans arrêt. Oui, moi aussi. Je suis contente. »
Beatrix souffla encore quelque chose dans le micro du combiné et posa le récepteur, soulagée elle se tourna sur le ventre et appuya de nouveau sa tête sur les coussins. Pendant qu’elle s’efforçait de parler avec animation, son regard était tombé sur le vieux réveil de voyage avec lequel jamais personne ne voyageait, il n’était effectivement que neuf heures et demie, ce qu’il y avait de mieux dans l’appartement de sa tante Mihailovics, c’état les deux téléphones, et elle en avait un dans sa chambre à côté de son lit, pouvait à tout moment parler dedans, se mettant alors volontiers les doigts dans le nez quand elle faisait semblant d’attendre posément une réponse, ou préférant encore, aux heures tardives, faire des pédalages ou exécuter des exercices encore plus difficiles, mais à peine avait-elle raccroché qu’elle était déjà rendormie. Elle était capable dès neuf heures du matin de répondre avec une voix claire et nette, et ce brave Erich pensait alors qu’elle était, comme lui, debout depuis longtemps, qu’elle était peut-être même déjà sortie et se trouvait en cette journée prête à toute éventualité.
Ingeborg Bachmann, Trois sentiers vers le lac, traduction de l’allemand Hélène Belleto, Actes Sud/Babel, 2006, p. 51-52.
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22/05/2015
Sandra Moussempès, Vestiges de fillette
Reflet 1
Lèvres dévastées, le rouge vif déborde, les yeux sans fin au contour aguicheur, elle s’accroupit (pagne mauve lèvres offertes tee-shirt près du corps), regarde au loin, les traces noires autour des yeux, sourcils maladroitement repeints de la main d’une enfant, la lumière opaque, moue d’une fillette, rayons roses sur le corps, secret de la paille autour de ses cuisses refermées, elle s’imagine de l’autre côté du miroir.
Reflet 2
Les draps noirs sur les seins, dessein caché de l’autre monde. La dentelle d’une bretelle soutient la gorge dorée, dorure éternelle, les cheveux blonds, délavés par temps orageux, embroussaillés, sa bouche enflammée, le rouge dévie, regard docile presque doux (les pleurs ou le discours indicible d’une nuit blanche) elle tient au cœur du corps le drap froissé, elle, blonde à gémir, l’œil glauque et langoureux, désir tiède de l’autre corps, luxure des lumières, l’éclat de sa peau, en plein jour, émaillée.
Sandra Moussempès, Vestiges de fillette, Poésie / Flammarion, 1997, p. 103-104. © Photo Didier Pruvot.
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18/12/2014
Nathalie Quintane, Les années 10
Les prépositions
Pour les pauvres. Ou est-ce que ce ne serait pas plutôt vers les pauvres ? Est-ce qu'il ne faudrait pas plutôt indiquer — une direction ? Parmi les pauvres est par exemple douteux, même si parmi maintient une disjonction — on peut être parmi et tout à fait distinct, soit : à côté ; oui, mais on peut être à côté sans être aux côtés, là est le problème. Par les pauvres — ce qui se dit peu de nos jours — est tactique et manipulateur, donc on oublie. J'aime avec, sa brutalité simple, son absence de chichi ; mais ce n'est pas adéquat dans cette situation : évidemment que je ne parle pas ici avec les pauvres. Ils vivent dans leurs coins, dans leurs banlieues ou fin fond de zones rurales ravitaillées par les corbeaux, tandis que moi je suis au-dessus de mon clavier, je tape, et par la fenêtre une brise de printemps en janvier courbe à peine mes roseaux, dans mon jardin, mon épicéa, et cet arbuste dont j'ai oublié le nom, qui a eu tellement de mal à démarrer parce que je ne l'avais pas suffisamment arrosé et qui depuis un an pousse parmi des branches, si bien qu'il va falloir en couper ; la ville est à dix minutes à pied, j'en ramène sans klaxons, mes baguettes, mes côtelettes de chez le boucher, en comptant les noisetiers qui bordent le ruisseau, et je m'apprête chaque fois à m'arrêter au beau milieu du chemin pour laisser passer, sans l'effrayer, l'écureuil.
Il y a bien des pauvres en ville, mais nos relations se limitent, pour ma part, à l'hésitation, au moment d'hésitation anticipatrice qui me fait visualiser les centimes d'euros que contiennent mon portefeuille ou ma poche, et pour leur part, je suppose, à l'analyse rapide de ma vêture et de mon comportement, qui leur font supputer la menue somme que je leur verserai, ou pas. Mais ce sont les pauvres pauvres.
[...]
Nathalie Quintane, Les années 10, La Fabrique, 2014, p. 61-63.
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