08/11/2012
Édith Azam, Salle de spectacle du silo d'Arenc
J'écrire ?
J'écrire et ne sais pas pourquoi j'écris
J'écrire me connaît
L'acte d'écrire nous sait par cœur
Écrivant ce n'est pas moi
non ce n'est absolument pas moi qui écrit
Écrire me bouillonne et cherche plus que moi dans moi
Mais je ne décide pas
Je ne décide pas jamais ce que j'écrire
Je n'ai que la volonté d'écrire
mais que j'écrire c'est plus que moi
écrire me boursoufle me fatigue m'épuise
et j'aimerais ne pas j'écrire
j'aimerais plus jamais ça mais j'écrire plus fort que moi
À chaque fois l'acte d'écrire emporte tout et malgré moi
Alors j'écris
J'écris le hurlement d'écrire qui a su remonter jusqu'à moi
Le hurlement d'écrire tient debout dans le corps
Il faudrait retrousser la peau
Il faudrait bien admettre enfin
qu'écrire n'est rien d'autre
que notre chair hurlante
Édith Azam, Salle de spectacle du silo d'Arenc, architecte Roland Carta, photographies Lisa Ricciotti, éditions Al Dante, 2012, n.p.
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07/11/2012
Claude Chambard, Cet être devant soi
J'ignore l'année, j'ignore la saison, je ne sais quand la promesse n'a plus été tenue. Je criais dans le noir, tête bêche dans le lit, étouffé par l'édredon silourd, j'ouvrais les bras en vain. Je n'acceptais pas de vivre dans la terreur. J'ai perdu. C'est ainsi que je suis mort. C'est ainsi que j'ai ramassé mes vêtements & que je suis passé du côté des mortels. C'est ainsi que tu as fait mon portrait pour que je puisse avoir un visage & que je guérisse, que je guérisse d'Elle. Tu as dessiné mon visage quotidien, tu l'as apprivoisé, rendu possible, visible. C'est un visage qui me fait bon usage. Il se défraîchit un peu, mais c'est la suite des jours & des nuits tout simplement. Je sais maintenant qu'il n'y a pas de Paradis, que l'on peut vivre sans, que l'on peut aimer sans s'alarmer. Nous n'en savons rien — pourtant. Quand tu oublies je me souviens. Quand j'oublie tu te souviens. Hui, nous faisons ce qui est possible. C'est peu. C'est suffisant pour tenir l'un & l'autre au fil de mots communs.
*
Sur le motif
en haut de la colline
peinture à la plume
légèreté acérée
mordre le papier
entrer dans la matière
creuser le sillon
— nuées d'oiseaux blancs —
la ville qui dort toi
colombe verte
dans la chambre secrète
la moiteur des draps
autour du corps qui souffre
le gant de toilette sur le front
tu t'éveilleras légère
guérie des fracas de la nuit
en haut de la colline
sur le motif
Claude Chambard, Cet être devant soi, encres de Anne-Flore Labrunie, Æncrages, 2012, np.
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06/11/2012
Anne-Marie Albiach, Figure vocative
Anne-Marie Albiach (9 août 1937-4 novembre 2012
Cette douceur
dans un temps immédiat
ce même souffle ascendant
élague nos gestes musicaux
une architecture sauvage
immémorielle
en deçà des perspectives d'une raison
Respiration, souffle dans ces univers parallèles
pour lesquelles le passage est telle déchirure
d'un arbre qui éclate ses fruits la nuit
jusqu'au redressement de la pierre incessante
Silence de la mutité bleue
une ferveur parcourt les membres endoloris
sous les sarcasmes
Anne-Marie Albiach, Figure vocative, Al Dante,
2006 [1985], p. 24-25
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05/11/2012
Jean-Claude Pirotte, Revermont
L'air de la rue ce sont les miasmes
respirés par les électeurs l'eau croupie
de leurs ablutions empoisonne les chats
un cadavre de pigeon roule à l'égout
j'aurai vu cela de mon vivant dit l'homme
qui s'attarde et pose son sac au pied du mur
il se parle à lui même car il est seul
mais des yeux morts le surveillent
ce ne sont pas les yeux des morts pas encore
mais ceux des vivants les complices
qui espèrent voir enchaîner cet homme
par les gardiens des puanteurs légales
Jean-Claude Pirotte, Revermont, Le temps qu'il fait,
2008, p. 68.
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04/11/2012
Nathalie Sarraute, Enfance
J'ai l'embarras du choix, il y a des livres partout, dans toutes les pièces, sur les meubles et même par terre, apportés par maman et Kolia ou bien arrivés par la poste... des petits, des moyens et des gros...
J'inspecte les nouveaux venus, je jauge l'effort que chacun va exiger, le temps qu'il va me prendre... J'en choisis un et je m'installe avec lui sur mes genoux, je serra dans ma main le large coupe-papier en corne grisâtre et je commence... D'abord le coupe-papier, tenu horizontalement, sépare le haut des quatre pages attachées l'une à l'autre deux par deux, puis il s'abaisse, se redresse et se glisse entre les deux pages qui ne sont plus réunies que sur le côté... Viennent ensuite les pages "faciles" : leur côté est ouvert, elles ne doivent être séparées que par le haut, puis quatre "difficiles", et ainsi de suite, toujours de plus en plus vite, ma main se fatigue, ma tête s'alourdit, bourdonne, j'ai comme un léger tournis... « Arrête-toi maintenant, mon chéri, ça suffit, tu ne trouves vraiment rien faire de plus intéressant ? Je le découperai moi-même en lisant, ça ne me gêne pas, je le fais machinalement...»
Nathalie Sarraute, Enfance, Gallimard, 1983, p. 79.
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03/11/2012
Georges Perec, Espèces d'espaces
L'utopie villageoise
Pour commencer, on aurait été à l'école avec le facteur.
On saurait que le miel de l'instituteur est meilleur que celui du chef de gare (non, il n'y aurait plus de chef de gare, seulement un garde-barrière : depuis plusieurs années les trains ne s'arrêteraient plus, une ligne de cars les remplaceraient, mais il y aurait encore un passage à niveau qui n'aurait pas encore été automatisé).
On saurait s'il allait y avoir de la pluie en regardant la forme des nuages au-dessus de la colline, on connaîtrait les endroits où il y aurait encore des écrevisses, on se souviendrait de l'époque où le garagiste ferrait les chevaux (en rajouter un peu, jusqu'à presque envie d'y croire, mais pas trop quand même ...).
Bien sûr, on connaîtrait tout le monde et les histoires de tout le monde. Tous les mercredis le charcutier de Dampierre klaxonnerait devant chez vous pour vous apporter les andouillettes. Tous les lundis, madame Blaise viendrait laver.
On irait avec les enfants cueillir des mûres le long des chemins creux ; on les accompagnerait aux champignons ; on les enverrait à la chasse aux escargots.
On serait attentif au passage du car de sept heures. On aimerait aller s'asseoir sur le banc du village, sous l'orme centenaire en face de l'église.
On irait par les champs avec des chaussures montantes et une canne à bout ferré à l'aide laquelle on décapiterait les folles graminées.
On jouerait à la marelle avec le garde-champêtre.
On irait chercher son bois dans les bois communaux.
On saurait reconnaître les oiseaux à leur chant.
On connaîtrait chacun des arbres de son verger.
On attendrait le retour des saisons.
Georges Perec, Espèces d'espaces, Denoël/Gonthier, 1976 [Galilée, 1974], p. 104-105.
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02/11/2012
Étienne Faure, Légèrement frôlée
Des femmes sont des tombeaux qui passent
avec les désirs dans la rue, où s'enfouissent
les chers secrets, catimini,
le bruit du mâchefer dans la cour traversée
jadis pour elle, un bouquet à la main
— c'était cela sans doute, faire la cour,
ce bouquet sec d'amour aujourd'hui conservé
dans du papier journal aux nouvelles défraîchies.
L'hiver, avant de se quitter,
elle partageait les fleurs
de ses mains froides, le soir
virant au parme ou violet foncé,
qu'il ne s'en aille sans ce bouquet
jumeau du sien — mêmes couleurs passées
qui flétriraient lentement sous leurs yeux —
reliés de loin en leurs deux lieux distincts par les fleurs
pis l'idée qu'il en reste,
un souvenir, des mortes.
nécrologie des fleurs passées
Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007, p. 38
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01/11/2012
Gottfried Benn, Poèmes, traduction Pierre Garnier
Brume
Toi, son qui s'évanouit
et déjà passe,
plaisir à peine né
et déjà fondu dans la bouche,
c'est ainsi qu'heure tu t'écoules,
tu n'as pas d'être
depuis toujours déjà tu t'enveloppes
dans les brumes
Et nous répétons toujours
que cela ne peut finir
et nous oublions que l'éclat de la neige
est toujours neige d'antan
dans le constellé de baisers de larmes
de nuits et de sanglots
coule ce qui s'emprunte aux flots
les brumes tissent leur voile.
Ah, nous appelons et souffrons
les dieux les plus anciens :
toujours au-dessus de nous
« toi : tout et toujours »
mais aux béliers et aux branches
aux autels et aux pierres
où le sacrifice se consume
haut vers les dieux qui se taisent
les brumes tissent leur voile.
Gottfried Benn, Poèmes, traduit de l'allemand
et préfacé par Pierre Garnier, Gallimard, 1972,
p. 147.
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31/10/2012
Jean-Pascal Dubost, Vers à vif
N'ayant aucun souvenir de comptine ou de lala bébé, aucun souvenir d'histoire du soir, aucun souvenir de cœur par poème ou d'anadiploses en chaîne, aucun souvenir de tonton conteur,, aucun souvenir d'historiette gentille, aucun souvenir de chanson douce de France, aucun souvenir de marmonnements liturgiques, aucun souvenir de charade en carambar, aucun souvenir de blague polissonne, de calembredaine grasse, de contrepet coquin, aucun souvenir d'hymne daté de messidor an III jusqu'au bout, aucun souvenir de slogan d'ado naissant sur le pavé, aucun souvenir de refrain rock trois accords, d'aucun standard auprès du feu hissé haut, aucun souvenir de romance en tube bon marché —
On tombe de haut une bonne fois pour toutes et de plus pomme, mais je ne creux creuserai pas plus bas, car en dessous de tout ça ne repousse pas et lorsqu'il faudra vous savez quoi, laissez-moi donc un peu de lumière —
Jean-Pascal Dubost, Vers à vif, Obsidiane, 2007, p. 25 et 85.
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30/10/2012
Ariane Dreyfus, La bouche de quelqu'un
La nécessité intérieure
Mon seul livre qui n'aurait pas fini.
Aimer un seul homme, écrire un seul livre
Plus de clôture, plus de barrière finale.
Les pages avançaient, parfois un plus grand baiser
se couchait et ce poème gardait de vraies lèvres
Séduite, la poésie devenait femme
Qui marchait plus vite qu'elle
Puisqu'elle avait ta main
La droite, la gauche
Sur ma cuisse ou ma hanche
Mes chevaux, mes fictions ?
Pas d'autre film que ton sexe de tous les moments.
J'ai vu disparaître la poésie
Et pourtant nous sourions tous les deux
Quand ton souffle me brûle les oreilles presque
Depuis
J'écris encore plus vite
Je lance — nous ne sommes pas morts — tous mes mots
Dans le seul feu que j'ai voulu
Viens voir toi aussi
Nous ne parlerons pas
Il éclaire, il chauffe
Et il danse.
Ariane Dreyfus, La bouche de quelqu'un, Tarabuste,
2003, p. 63-64.
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29/10/2012
François Lallier, Les archétypes
Sources de la Seine
I
Les pièces sur le bitume réparé des routes
Souvent il me semble qu'elles me retiennent,
Comme des trous à la surface du temps,
Et je vois des visages, sur le chemin d'une fête.
Ce sont les visages épurés des vivants, sortis de terre,
Ayant perdu toute croyance dans la mort
Parce que baignés par l'eau invisible
Ils ne regardent que l'ici qui les entoure, où la nuit à venir
Dans le midi encore respire un vent d'étoiles.
Procession pourtant presque immobile, ils parlent,
Souriant sans raison.
Le tournant là-bas se tient dans sa courbe, et il attend
De les accueillir là où change le paysage
Sous une voûte transparente impossédable.
Leur pain a le parfum de l'inutile absinthe,
leur eau la douceur d'ombre et de cristal
Du sang dans les veines —
Comme a le rosier près de la fenêtre,
Un inexplicable cri de joie.
Et j'avance avec eux.
L'infirme trajectoire qui m'emporte
Laisse fuir l'une après l'autre mes ombres,
À chaque tour de roue j'abandonne un regard qui me ressemble
Et va demeurer là, dans un lieu devenu ma mémoire,
Et qui en vérité m'appelle.
Qu'est-ce qui relie ces lieux et ces êtres, je ne sais,
Et pas plus ce qui me relie à eux,
Je ne peux que transposer ce dévoilement et cette mémoire,
Dans les mots à la fois contingents et nécessaires.
Mon seul guide : que l'écorce du sens se recompose
Sous le rythme qui la brise, écoulement, vibration, couleur,
Luttant contre l'oubli.
François Lallier, Les archétypes, Le temps qu'il fait, 2012, p. 35-36.
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28/10/2012
Francis Ponge, Dans l'atelier du « Nouveau Recueil »,
Souvenirs d'Avignon
Notre île cahote comme une marmite ;
Vagues et rochers font autour des bouillons gris.
La pluie. D'accord nous sommes à terre.
Éclair. L'Oiseau passe près du phare.
Nos vaisseaux brûlent.
*
À cloche-tinte la souris boit
La rampe de bois n'est pas sûre
Un ongle y racle de la cire
Deux chaussures ne sont pas loin
Toute la province d'ailleurs se révolte
Dans toutes les charrettes sur les chemins
Se tiennent de futurs guillotinés en chemise
Les bras croisés derrière le dos
À demain. À demain sonnent les cloches
Grand Branle-bas. Je n'y serai plus
Je serai au contraire très loin
Toutes vos voitures de foin déchargées
Vieux réseau, tu passes à niveau sur les routes
Raison de plus pour l'hirondelle
Qu'on me verse le café chez le garde-barrière
Si j'y passe c'est perpendiculairement
*
[...]
Francis Ponge, Dans l'atelier du « Nouveau Recueil », dans
Œuvres complètes, II, édition publiée sous la direction de Bernard Beugnot, Bibliothèque de la Pléiade, 2002, p. 349-350.
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27/10/2012
William Cliff, En Orient
(l'amour des enfants)
dans mon enfance j'avais pour amie
une putain qui œuvrait au bar de la gare
elle s'appelait Mariette elle m'aimait
je lui portais des fleurs et en échange
elle me donnait de grandes sucettes
elle était ce qu'on appelle une "sotte"
avec beaucoup de rouge sur les joues
et de longs cheveux teints en noir qu'elle faisait
boucler sur son dos elle passait devant la maison
faisant sonner ses hauts talons
et balançant vigoureusement sa sacoche
or Maman n'aimait pas que je fréquente
la "demoiselle de la gare" qui était
pourtant si bonne si aimante et qui souffrait
sans doute d'un manque d'enfant mais moi
je ne pouvais pas je savoir et j'étais tout séduit
qu'on eût tant d'amour pour mon imperceptible personne
enfants négligés enfants mal aimés
laissez-vous dorloter par les pauvres putains
qui rêvent de vous écraser contre leur gorge
déchirée de coups d'ongles et vous vieilles pédales
ne désirez-vous pas étreindre ces enfants
entre vos bras tremblants de tristes peaux pendantes ?
— oh oui ! certainement
William Cliff, En Orient, Gallimard, 1986, p. 48-49.
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26/10/2012
Alberto Giacometti, Écrits
Paris sans fin
Quinze, non, seize mai 1964, dans ma chambre ou plutôt l'atelier transformé en habitation: sur mon lit trente lithos à refaire pour le livre, interrompu depuis deux ans : j'ai essayé de reprendre, vues des rues, intérieurs, cela ne va plus, où, comment reprendre ? Paris réduit pour moi maintenant à chercher à comprendre un peu la racine d'un nez en sculpture : je sens tout l'espace dehors autour de moi, les rues, le ciel, je me vois marchant dans d'autres quartiers un peu partout, mon carton sous le bras, m'arrêtant, dessinant. Sur le quai Montebello, la nef, le chœur de Notre-Dame comme vu l'autre jour, y aller, une espèce de découragement : aussi bien le dossier de la chaise là devant moi ou le petit réveil noir et rond sur la table qui remplit la, non il ne remplit pas la pièce, mais come un point partant duquel on voit le tout et les verrières et le plafond, l'arbre dehors où chante le merle à l'aube, ou même juste avant l'aube, chant qui en juin de l'année passé, en 1963, était pour moi le plus grand plaisir de la journée, de la nuit. Et les nus à refaire, quels nus ? Danny nue debout dans cette grande chambre d'hôtel un peu vide à Vavin ou d'autres ? Le soleil, la rue, l'absence de Paris pendant presque un an, Paris n'était lus que comme un souvenir lointain, comme une vague tache grise moire vague et profonde, lointaine : j'étais dans une autre vie.
Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 91.
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25/10/2012
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
De l'information nulle à une certaine espèce de poésie
C'est bien vrai qu'il faut dire il neige quand il neige
c'est comme ça que l'on se fait comprendre
c'est en disant qu'il neige quand il neige que
c'est agréable de faire la conversation avec des gens qui disent que
c'est le temps qui veut ça qu'il neige quand il neige
c'est comme ça qu'on vit en société sans difficultés aucune et
c'est comme ça qu'on se fait des amis et
c'est si facile de dire qu'il neige quand il neige
plutôt que de dire il pleut
en effet
c'est prétentieux de dire qu'il pleut s'il neige
mais où la poésie va-t-elle se nicher dans tout ça ?
dans un flocon
dans un flocon de neige
arrosé de marsala
un jour d'été sur la grève
d'une plage au Sahara
où si l'on dit : « tiens... mais il neige...»
c'est un peu au hasard...
comme ça...
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline, "Le Point du jour",
Gallimard, 1965, p. 108-109.
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