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02/09/2024

Jacques Roubaud, In memoriam Edoardo Sanguinati

 

In memoriam Edoardo Sanguineti

 

Quelques jours avant la mort nous évoquions

Par lettre écrite, à l’ancienne, ces moments

Antiques (quarante ans !) dans la fosse aux lions

 

De l’Hôtel Saint-Simon, quadri-dialoguant

Sourds, ce renga occidental : lui, moi, pions

Agités plus qu’erratiques insolents

 

Dans le jeu par Octavio conçu : sonetto,

Sonnet, la chose italienne où Shakespeare

A passé ; Gongora, Marino, les pires

Poètes, et meilleurs ; Mallarmé, Giacomo

 

‘Caro padre’ notre, « peu profond ruisseau

Calomnié la mort ». La forme où l’écrire

Fut notre lien en toutes ces années. Dire

Cela soit ma poussière sur ce tombeau.

 

Jacques Roubaud, Dix hommages, ink, 2011, np.

 

 

18/05/2024

Étienne Jodelle, Sonnet

 

Le flamboyant, l’argentin, le vermeil,

   Œil de Phebus, de Phebé, de l’Aurore,

   Qui en son rond brule, pallit, decore,

   Midi, minuit, l’entrée du Soleil :

Ses feux, son teint, l’honneur de son réveil,

   Voudrait cacher, brunir, et tenir ore (=maintenant)

   Voyant le feu qui ard, blanchit, honnore,

   Ton jour, ta nuict, et la fin du sommeil.

Phebus alors que plus le ciel alume,

   N’est poinct si beau qu’on le voit par ta plume,

   Phebé n’est poinct, ny l’Aube belle ainsi,

Ô peintre heureux ! mais plus qu’Ange ! qui ores

   As bien tant peu (=pu), que mesme tu colores

Le Soleil mieux, la Lune, et l’Aube aussi.

 

Étienne Jodelle, Sonnet, dans La Pléiade, poésie, poétique,

édition de Mireile Huchon, Pléiade,/Gallimard, 2024,

p. 484.

08/07/2023

Shakespeare, Soonets et autres poèmes

 

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Ton miroir te dira combien tes beautés s’usent,

Tu verras au cadran fuir tes chères minutes,

Les pages blanches seront empreintes de ton esprit,

Et de ce livre tu pourras tirer cette leçon :

Les rides exhibées par ce miroir fidèle

Te feront souvenir de la tombe béante ;

À l’ombre furtive du cadran, tu sauras

Que le temps, ce voleur, va vers l’éternité.

Vois ce que ton souvenir ne peut préserver,

Confie-le à ces pages en friche, et tu verras

Ces enfants bien gardés, issus de ton cerveau,

Prendre de ton esprit connaissance nouvelle.

     Ces devoirs, chaque fois que tu t’y emploieras

     Te seront profitables, enrichiront ton livre.

 

Shakespeare, Sonnets et autres poèmes (Œuvres complètes, VIII), Pléiade/Gallimard, 2021, p.401.

10/03/2022

Pierre Vinclair, L'Éducation géographique

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Je vois deux stratégies d’écriture : tenter,

vénérant la littérature, une Aufhebung

dans un livre total dont quelque qualité

             littéraire (arrêtée par un secret

 

décret de qui ?) traduira quoi ? l’admiration

plutôt que le salut dont nous aurions besoin,

en dédommagement des quinze années perdues

             à donner une forme à ce machin ;

 

ou plus modestement, passer quelques minutes

à écrire un sonnet sans plus de raison d’être

             qu’un pensum affranchi par sa musique,

 

amusé, amusant avant de regagner

le cimetière des ratés prétentieux

             qu’on vénère au rayon littérature.

 

Pierre Vinclair, L’édiucation géographique, Flammarion, 2022, p. 253.

17/02/2022

Pierre Vinclair, L'Éducation géographique

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je vois deux stratégies d’écriture : tenter

vénérant la littérature, une Aufhebung

dans un livre total dont quelque qualité

         littéraire (arrêtée par un secret

 

décret de qui ?) produira quoi ? l’admiration

plutôt que le salut dont nous aurions besoin,

un dédommagement des quinze années perdues

         à donner une forme à ce machin ;

 

ou plus modestement, passer quelques minutes

à écrire un sonnet sans plus de raison d’être

         qu’un pensum affranchi par sa musique,

 

amusé, amusant avant de regagner

le cimetière des ratés prétentieux

         qu’on vénère au rayon littérature.

 

Pierre Vinclair, L’Éducation géographique, Flammarion, 2022, p. 253.

14/04/2020

Louise Labé, Œuvres, Sonnets

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                       Sonnet VII

On voit mourir toute chose animée,

   Lors que du corps l'âme futile part :

   Je suis le corps, toi la meilleure part ;

   Ou es tu donc, dame vie aimée ?

Ne délaissez pas si longtemps pamée

   Pour me sauver après viendrais trop tard,

   Las, ne mets point ton corps en ce hazard ;

   Rens lui sa part & moitié estimée.

Mais fais, Ami, que ne sois dangereuse

   Cette rencontre & revue amoureuse,

   L'accompagnant, non de severite,

Non de rigueur : mais de grâce amiable,

   Qui doucement me rende sa beauté,

   Jadis cruelle, a present favorable. 

Louise Labé, Œuvres, Slatkine, 1981, p. 114.

 

13/09/2019

Laurent Fourcaut, Or le réel est là...

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La mer semée de bouées jusques à l’horizon

c’est Grandcamp port romain comme son nom l’indique

on le trouve pas dieu merci sur Amazon

c’est au bout de la terre un demi-dieu sadique

 

fit breveter la lame à couper le gazon

marin depuis ici jusqu’à l’orient indique

l’eau se confond au ciel entrons en oraison

priant que vienne enfin le moment fatidique

 

où le haut et l’envers se conjoignent en bas

le ciel est somptueux châle bleu sur la chose

dont les trous flous donnent sur le rien caramba

de la même façon les mots du sonnet causent

 

vire le bleu au noir d’un monde indifférent

comment sur ce décor ne pas finir errant

 

Laurent Fourcaut, Or le réel est là..., Le Merle

moqueur, 2017, p. 62.

11/07/2019

Fernando Pessoa, Le violon enchanté

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                    35 sonnets, I

 

Jamais nous n’avons d’apparence, que nous parlions

Ou que nous écrivions ; sauf quand nous regardons. Ce

          que nous sommes

Ne peut passer dans un livre ou un mot.

Infiniment notre âme est loin de nous.

Et quelque forte soit la volonté que nos pensées

Soient notre âme, en imitent le geste,

Nous ne pouvons jamais communiquer nos cœurs.

Nous sommes méconnus dans ce que nous montrons.

Aucune habileté de la pensée, aucune ruse des semblants

Ne peut franchir l’abîme entre deux âmes.

Nous sommes de nous-mêmes un abrégé, quand

              nous voudrions

Clamer notre être à notre pensée.

      Nous sommes les rêves des lueurs de nos âmes,

      Et l’un l’autre des rêves les rêves des autres.

 

Fernando Pessoa, Le violon enchanté, traduction des sonnets

Olivier Amiel, Christian Bourgois, 1992, p. 295.

 

21/06/2019

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines

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Plus solitaire oiseau, qui donc le vit ?

Sur quel toit ? ou bête par monts et prés ?

Vide je suis de moi, car m’a laissé

 mon âme même en larmes anéanti.

 

Je pleurerai toujours si grand profit,

peine et fiel me sera chaque bouchée ;

fièvre la nuit et le calme anxiété,

et champ de bataille sera mon lit.

 

Le sommeil, cette image de la mort,

surpasse en moi la mort, tant il est dur,

lui qui de ta vue m’ôte le trésor.

 

Car telle est ta grâce et ta beauté pure

que, si Nature a pu te donner corps,

c’est que miracle a pu faire Nature.

 

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines,

traduction Jacques Ancet, Poésie / Gallimard,

2010, p. 157.

15/06/2019

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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                                   1 sonnet

                       avec la manière de s'en servir

 

                  Réglons notre papier et formons bien nos lettres :

 

Vers filés à la main et d'un pied uniforme,

Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;

Qu'en marquant la césure, un des quatre s'endorme...

Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

 

Sur le railwaydu Pinde est la ligne, la forme ;

Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;

À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,

— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

 

— Télégramme sacré — 20 mots — Vite à mon aide...

(Sonnet — c'est un sonnet —) ô muse d'Archimède !

— La preuve d'un sonnet est par l'addition :

 

— Je pose 4 et 4 — 8 ! Alors je procède,

En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :

« Ô lyre ! Ô délire ! Ô...» — Sonnet — Attention !

 

Tristan Corbière,  Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, Pléiade / Gallimard, 1970, p. 718.

 

07/02/2019

Fernando Pessoa, le violon enchanté

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Sonnets

I.

 

Jamais nous n’avons d’apparence, que nous parlions

Ou que nous écrivions ; sauf quand nous regardons. Ce

                que nous sommes

Ne peut passer dans un livre ou un mot.

Infiniment notre âme est loin de nous.

Et quelque forte soit la volonté que nos pensées

Soient notre âme, en imitent le geste,

Nous ne pouvons jamais communiquer nos cœurs ;

Nous sommes méconus dans ce que nous montrons.

Aucune habileté de la pensée, aucune ruse des semblants

Ne peut franchir l’abîme entre deux âmes.

Nous sommes de nous-mêmes un abrégé, quand nous voudrons

Clamer notre être à notre pensée.

   Nous sommes les rêves des lueurs de nos âmes,

   Et l’un l’autre des rêves les rêves des autres.

 

Fernando Pessoa, le violon enchanté, traduction Olivier Amiel pour

les sonnets, Christian Bourgois, 1992, p. 295.

07/01/2018

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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                 Toit

 

Tiens, non ! j’attendrai tranquille,

            Planté sous le toit,

Qu’il me tombe quelque tuile,

            Souvenir de Toi !

 

J’ai tondu l’herbe, je lèche

            La pierre, — altéré

Comme la Colique sèche

            De Miserere

 

Je crèverai — Dieu me damne ! —

Ton tympan ou la peau d’âne

            De mon bon tambour !

 

Dans ton boitier, ô Fenêtre !

Calme et pure, gît peut-être

……………………………..

            Un vieux monsieur sourd !

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans

Charles Cros, T. C., Œuvres complètes,

Pléiade / Gallimard, 1970, p. 748.

30/03/2017

Étienne de la Boétie, Vers français

 

                    Étienne de la boétie,vers français,dans Œuvres complètes,ii,sonnet,poésie amoureuse,fidélité,éloge         

Ores je te veux faire un solennel serment,

Non serment qui m’oblige à t’aimer davantage,

Car meshuy je ne puis, mais un vray tesmoignage

A ceulx qui me liront, que j’aime loyaument.

 

C’est pour vray, je vivray, je mourray en t’aimant.

Je jure le hault ciel, du grand Dieu l’heritage,

Je jure encor l’enfer, de Pluton le partage,

Où les parieurs auront quelque jour leur tourment ;

 

Je jure Cupidon, le Dieu pour qui j’endure ;

Son arc, ses traicts, ses yeux & sa trousse je jure :

Je n’aurois jamais fait : je veux bien jurer mieux.

 

J’en jure par la force & pouvoir de tes yeux,

Je jure ta grandeur, ta douceur & ta grâce,

Et ton esprit, l’honneur de ceste terre basse.

 

Étienne de la Boétie, Vers français, dans Œuvres complètes,

II, édition par Louis Desgraves, Conseil général de la

Dordogne/William Blake & Co, 1991, p. 121.

 

 

25/03/2017

Louise Labé, Sonnet III

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               Sonnet IIII

 

Depuis qu’amour cruel empoisonna

   Premierement de son feu ma poitrine,

   Tousjours brulay de sa fureur divine,

   Qui un seul iour mon cœur n’abandonna.

Quelque travail, dont assez me donna,

   Quelque menasse & procheine ruïne :

   Quelque penser de mort qui tout termine,

   De rien mon cœur ardent ne s’estonna.

Tant plus qu’amour nous vient fort assaillir,

   Plus il nous fait nos forces recueillir,

   Et toujours frais en ses combats fait estre :

Mais ce n’est pas qu’en rien nous favorise,

   Cil qui les Dieus & les hommes mesprise :

   Mais pour plus fort contre les fors paroitre.

 

Louis Labé, Sonnets, dans Œuvres, Slatkine,

1981, p. 95.

16/08/2016

Pierre Reverdy, Sable mouvant

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   Il faut donc se décider à dire que la poésie n’est intelligible à l’esprit et sensible au cœur que sous la forme d’une certaine combinaison de mots, en quoi elle se concrète, se précise, se fixe et assure une réalité particulière qui la rend incomparable à toute autre. Je dis une certaine combinaison de mots à dessein, parce que, en effet, si dans la forme arbre on est toujours sûr de trouver la matière bois, dans la forme sonnet, par exemple, on est beaucoup moins sûr de trouver, à tout, coup, son compte de substance poétique. Un sonnet peut être absolument parfait de forme sans que la moindre parcelle de poésie y soit incluse. À l’assemblage de mots que je laisse pour l’instant libre, la qualité, la richesse de la matière donneront la forme qui, si peu orthodoxe qu’elle apparaisse, sera — et je n’oublie pas les objections qu’on ne manquera pas de me faire — toujours préférable à celle pré-établie, dans laquelle on aurait coulé une substance pauvre et sans vertu.

 

Pierre Reverdy, Soleil mouvant, édition E.-A. Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 114.