06/09/2017
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela
Comptine des civilisations
Pigeon vole voici voilà
voici la veuve voilée
harpe des douleurs
fleurie et transpercée
Vierge ou Niobé.
Voici voilà en la aréna
le taureau qui s’est arrêté
il ne sera pas mis à mort
le public le torero
dans un verre d’eau se sont noyés.
Pigeon hibou vautour vole
vol à l’immensité
un fémur renversé
un osselet de pierre
pour prier pour siffler.
Le sphinx Janus Uranus
je ne sais quels dieux trouvés
abandonnés oubliés
inconnus mais révérés.
Les ruines l’ossuaire
civilisations éteintes
les cités imaginaires
inhumaine vérité
bien au-delà de la Terre
s’endorment dans les stellaires
monastères ministères
cimetières.
Première poussière
poussière lumière
désert étoilé.
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela,
Gallimard, 1979, p. 47-48.
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23/03/2017
Ivan Alechine, Enterrement du Mexique
Proche du porc
L’aube soulève le toit de chaume
sans eau sans nourriture
je veux forcer l’enclos
c’est en octobre la fête des premiers fruits et des enfants de moins de cinq ans
je dors d’un œil
l’autre se lève
à travers un trou dans la toile
je vois les feux de la cérémonie à fleur de terre
leurs flammes sont les cris joyeux
des enfants dits akiélis — esprits —
elles montent aux ciel — bataillons de flammes —
combattre les 400 Mimixcoas — les étoiles de l’infini du Nord qui voudraient en finir avec notre vie
il y a un sang de l’aube
comme il y a un sang du soir
le soleil file le coton des nuages
sang de naissance
sang de mort
c’est la lumière saisie par l’eau
que l’on capture dans les coupes votives
demain on sacrifiera trois taureaux
avec leur premier sang on peindra du doigt
le maïs et les fleurs
les flacons d’eau de sources et les flèches votives
hommes esclaves des fleurs
hommes sous le poids des fleurs
Ivan Alechine, Enterrement du Mexique, Galilée, 2016, p. 82-83.
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06/12/2013
Michel Leiris, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour
Fin 1954
(au petit matin, après réveil prématuré)
Par besoin d'argent, je me suis engagé comme taureau dans une corrida. Au moment de la signature des papiers, l'imprésario me fait passer une visite pour s'assurer que je possède bien les cinq cornes stipulées sur le contrat par lequel il s'engage, en effet, à fournir un "taureau à cinq cornes" Deux de ces cornes sont censément sur ma tête ; deux autres sont les sommets de mes omoplates, que l'imprésario palpe pour vérifier. Ma femme est là et je lui dis que cela me fait un peu froid dans le dos d'être palpé en cet endroit, un peu au-dessous de la nuque, là même où pénètrera l'estoc. Elle me dit : « Ce n'est qu'une mauvaise matinée à passer. Après, tu seras tranquille...» Je me révolte : « Après, je serai mort !» Tout à fait furieux, je leur crie à l'imprésario et à elle : « Vous vous foutez de moi ! Je ne marche pas ! » et j'ajoute : « J'aime encore mieux tenter ma chance comme torero ! » Le contrat ne sera pas signé et le rêve s'arrête là.
Presque tous ceux à qui je l'ai raconté m'ont demandé où se trouvait ma cinquième corne.
Michel Leiris, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour, Gallimard, 1961, p.
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25/06/2013
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers
Animaux
4
Quand la pluie. Naïf j'y pressens le bonheur : un pays paraît j'y entre et plus rien ne souffre : le temps devient l'herbe, des toits plus rouges (peu d'herbe : plantain maigre, renouée). Les arbres longtemps sont fans la pluie. Les arbres longtemps sont dans la pluie.
(Dans la lumière que ménage une ouverture de l'écurie (solitude et paille — midi) sous la masse confuse du taureau tout le dessin pesant fin de l'appareil génital tremble (peut-être) ou c'est le jour dans l'été ou la parole du poème : je déchargerais très longtemps tant de foutre ; je devine l'inabordable richesse de mourir.)
Quoi le bonheur ? Le matin naît dans la rencontre d'un gris (pluie, maison délabrée) et d'objets. Un encrier est immédiat — une faïence et des pommes rouges : demandent-ils un poème ? Leur présence est-elle vraie ? J'écris bien ce poème mais où pèse le temps que j'envahis ?
[...]
James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993, p. 39.
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