21/11/2022
Eugène Savitzkaya, Bufo bufo bufo
Au feu, à l’étang, le visage couleur de la nuit,
odeur de la journée, le visage d’innocente,
de pourpre fleur, de garçon livide, de porc
blanc, de poisson roi, de sale enfant,
qui criait, au feu, à l’étang, au sumac,
à la saveur des baies et des tiges,
la morte répandue, la robe éparpillée, la salie,
tout au feu, à l’étang, les draps, les nuages autour,
autour de la cheminée, même le héros, le premier parleur
au baiser, le premier loup qui dort, au feu,
à l’étang, au parfum.
Eugène Savitzkaya, Bufo bufo bufo, éditions de Minuit,
1980, p. 36.
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10/02/2018
Pierre Mabille, C'est cadeau
Tout ce qui est à moi mon abandon mon absence
mon activisme mon addiction mon admiration
mon adolescence mon adresse mon affection
mon ailleurs mon allure
mon ambiguïté mon ambition
mon âme mon amitié mon amoralité
mon angélisme mon angle d’attaque
mon animalité mon animosité
mon anti dictionnaire mon anti héroïsme
mon antipathie
mon appartenance
mon après
mon ardeur
Tout ce qui est à moi mon art contemporain
mon attente mon audience mon augmentation
mon autrefois mon avance
mon avant mon avenir
mon aventure mon bégaiement
mon blaze mon blues
mon bon caractère mon bon conseil
mon bordel mon bout du rouleau mon caprice
mon caractère pas facile
mon cauchemar
mon chagrin
mon charisme
mon code mon cosmos mon coach
mon courage mon courroux
mon creux mon cri
mon cv mon cynisme
mon défaut mon dégoût mon délire
(…)
mon vocabulaire mon voile
mon voyage tout ce qui est à moi
tout ce qui est à moi c’est
pour toi tout ce qui est
à moi et toi et moi est à toi
est à tu
et à toi est à toi
Pierre Mabille, c’est cadeau, éditions Unes,
2018, p. 27-28 et 31.
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24/04/2016
André Frénaud, La Sainte Face
La femme de ma vie
Mon épouse, ma loyale étoffe,
ma salamandre, mon doux pépin,
mon hermine, mon gros gras jardin,
mes fesses, mes vesses, mes paroles,
mon chat où j’enfouis mes besoins,
ma gorge de bergeronnette.
Ma veuve, mon essaim d’helminthes,
mes boules de pain pour mes mains,
pour ma tripe sur tous mes chemins,
mon feu bleu où je cuis ma haine,
ma bouteille, mon cordial de nuit,
le torchon pour essuyer ma vie,
l’eau qui me lave sans me tacher.
Ma brune ou blanche, ma moitié,
nous n’aurons fait qu’une couleur,
un soleil-lune à tout casser,
à tous les deux par tous les temps,
si un jour je t’avais reconnue.
André Frénaud, La Sainte Face,
Poésie /Gallimard, 1985, p. 61.
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17/06/2013
Ghérasim Luca, L'extrême occidentale
Tout ce qui nous caresse ou nous déchire, tout ce qui nous frôle, nous hante, nous griffe et nous trouble, tout ce qui nous pousse en avant, en arrière, contre le mur, vers un autre corps ou au bord de l'abîme, tout ce qui se défait irrémédiablement ou, au contraire se cristallise, tout ce qui grimpe, tout ce qui nous fascine, tout ce qui nous contracte, nous pique et nous questionne, tout ce qui nous touche de près, tout ce qui nous étouffe, tout ce qui nous fait signe ou frissonner ou honte et tout ce qui nous plonge, tout ce qui nous absorbe et nous dissimule, tout ce que nous perçons , respirons ou risquons malgré tout, tout ce que nous descendons ou qui nous emporte, tout ce qui nous enlise, tout ce qui rampe, tout ce qui s'élance, tout ce qui est en train de capturer ou de lâcher prise ou de trépigner ou de se recroqueviller et de se détendre, tout ce qui cache une trappe ou deux, tout ce qui rend souple, ivre, invulnérable, tout ce qui d'une touche légère met en mouvement un délicat mécanisme... fait irruption dans ces corps d'hommes et de femmes qui éclatent et s'endorment sous la constante ardeur de leur souffle fondu dans le moule sans forme, sans fond et sans issue praticable d'un labyrinthe de muscles tendus à l'extrême, le seul fil d'Ariane : la joie de l'égarement.
Ghérasim Luca, L'extrême occidentale, éditions Corti, 2013, p. 20-21.
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