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10/02/2015

Étienne Faure, La vie bon train

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   Attendre un amour en face de la voie 13 plusieurs minutes, et voilà le qui-vive des premières fois qui revient. L’express convenu hésite avant de choisir le quai où s’est massé le groupe informé de ses intentions. S’instaure le doute ultime des rendez-vous : la voie, l’horaire et l’encore théorique certitude qu’il sera là dans le compartiment. Un train arrive. des êtres isolés vont se retrouver appariés, combinés avec une amie, un conjoint, un alter ego très lointain ou si ressemblant qu’ils vont bien ensemble. Les secrets de ces assortiments demeurent dérobés aux yeux qui ne percent rien, ou presque rien, de ces choses. Rattrapés en courant, les rendez-vous ratés à cet instant préfigurent, comme les amours, l’inaptitude à se rencontrer. Il était moins une. D’autres sont restés impassibles, la tête hors du cou haut perchée pour apercevoir l’ami qui devait être ici, qui devrait arriver. Le temps resserrant les chances de le voir surgir (il s’en est écoulé, du monde, depuis cinq minutes...) le songe remonte à petits pas dans l’âme à présent pensive.

 

Étienne Faure, La vie bon train, proses de gare, éditions Champ Vallon, 2013, p. 86.

12/06/2013

Étienne Faure, La vie bon train, proses de gare

Étienne Faure,  La vie bon train, proses de gare, train, bruit, oiseau,Apollinaire

 

Lents comme des états d'âme,

après l'été les trains revenaient,

las d'avoir trimballé tous ces corps

à la mer, à la montagne, dans des contrées

dont furent natifs les pères (introuvables sur la carte),

à grincer de nouveau en gare,

y faire leur entrée, annoncer le pire

qui toujours sera à venir,

le soleil ras rougissant la face des ultimes

voyageurs ; c'était l'automne,

chacun se rappelait les vers

d'Apollinaire — un train qui roule, ô ma saison mentale

et la violente espérance de vie :

devait-on revenir

quand il aurait fallu ne partir jamais

— et puis après,

dans la gare sans issue,

on n'allait pas pleurer pour ça.

 

revenir

 

                                                    *

 

Le crissement du fer en copeaux dispersé, taraudé en son cœur puis découpé, reste ancré un moment dans les crânes. Comme un cri presque humain poussé chez un dentiste. En fait ce n'est qu'un rail que l'on répare, une pièce défectueuse à nouveau d'aplomb. Quand les locomotives passées sur les ponts et les viaducs en fer débarquent sous ces charpentes usinées d'autrefois, tous les monuments d'ingénierie, ces tonnes d'acier, les rails et les wagons, se répondent, se parlent en grincements d'époque. Les bruits fabriquant les lieux, les cris de mouettes au-dessus de la gare font resurgir avec le bleu la mer, un port ou alors l'abattoir du même âge, du temps du métal bon marché, où furent montés, au cœur des villes, de tels pavillons. Les mouettes en assemblée générale, concurrentes, associées, se disputent, ailes et becs, prospèrent au-dessus des toits criant leur amour de la viande et des abats. Parfois elles piquent, plongeant vers la basse fosse, ainsi que des oiseaux de proie formant des cercles au-dessus des rails, à la recherche de déchets.

 

 

Étienne Faure,  La vie bon train, proses de gare, Champ Vallon, 2013, p. 91 et 75.

© Photo Tristan Hordé.