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25/05/2016

Ariane Dreyfus, Iris, c'est votre bleu

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Je veux bien essayer au bord mais avec toi.

 

Je vois ta main ton bras, et le deuxième aussi m’entoure quand la lumière baisse.

Chacun s’allonge avec l’autre, calmant son ombre.

 

Un doigt parfois suffit

Au vertige de te toucher

Pas disparu

 

Et puis le ciel !

 

Qui restera,

Lui, immense,

Mais toi aussi, immense et tiède.

 

Serrée entre tes bras et le regard sur la montagne,

Je ne l’aime pas autant, l’éternelle,

Tendres flancs humains.

 

C’est léger une main qui caresse, qui va revenir,

Si légère que nous continuons.

 

Il faut car le temps nous pose plus haut.

 

Ariane Dreyfus, Iris, c’est votre bleu, Le Castor Astral,

2008, p. 30-31.

02/08/2015

Antonin Artaud, L'amour sans trève

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L’amour sans trêve

 

Ce triangle d’eau qui a soif

cette roue sans écriture

Madame, et le signe de vos mâtures

sur cette mer où je me noie

 

Les messages de vos cheveux

le coup de fusil de vos lèvres

cet orage qui m’enlève

dans le sillage de vos yeux

 

Cette ombre enfin, sur le rivage

où la vie fait trêve, et le vent,

et l’horrible piétinement

de la foule sur mon passage.

 

Quand je lève es yeux vers vous

on dirait que le monde tremble,

et les feux de l’amour ressemblent

aux caresses de votre époux.

 

Antonin Artaud, Poèmes (1924-1935), dans Œuvres

complètes, I*, Gallimard, 1976, p. 262.

02/12/2014

Stéphane Bouquet, Un peuple

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Walt Whitman : ce qui m'a touché le plus, au début, dans Feuilles d'herbe, est la fin d'un poème — peut-être bien Song of Myself . Chanson de moi-même : je suis là, je vous attends. Et aussi : d'ici, d'où je suis, je vous contiens déjà, respirations futures. C'est une définition rigoureuse de la poésie ; chaque poème espère quelqu'un, est la patiente diction de l'attente, chaque poème émet le vœu de contenir.

 

Quelqu'un donc : je voudrais qu'un poète, ou même un poème seulement, me soit une sensation aussi douce, aussi frôlement de paume, un sentiment pareil au coiffeur très beau (algéro-vietnamien) dont je sors, et qui me protégea les yeux d'une main pour leur éviter l'air chaud du sèche-cheveux. Je ne dis pas qu'un tel poème n'existe pas, heureusement, de temps à autre.

 

Stéphane Bouquet, Un peuple, Champ Vallon, 2007, p. 24.

04/04/2014

Ossip Mandelstam, Des derniers poèmes

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Me suis égaré dans le ciel... Le remède ?

Vous, qui en êtes proches, répondez-moi

Plus aisé de faire résonner les neuf

disques pour athlètes des cercles de Dante.

 

Nul divorce entre moi et la vie — qui rêve

de massacrer, puis aussitôt de caresser,

afin que l'oreille, les yeux, les orbites

palpitent d'une nostalgie florentine.

 

Sur mes tempes ne posez, ne posez pas

la caresse de cet épineux laurier,

déhiscez(1)-moi plutôt, fissurez mon cœur

en lambeaux qui vibrent de tintements bleus.

 

Et, mourant, mon temps de service achevé,

en ami, ma vie durant, de tout vivant,

que retentisse et plus immense et plus haut

la réponse, écho du ciel, dans ma poitrine.

 

Mars 1937

 

Ossip Mandelstam, Des derniers poèmes, traduction Jean-Claude Schneider, dans Rehauts, 2ème semestre 2013, p. 96.

 

(1) verbe construit sur le latin dehiscere, "s'ouvrir" (note de T. H.)

03/02/2014

James Sacré, Lorand Gaspar, Mouvementé de mots et de couleurs

 

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   Une semaine avec James Sacré

 

Je regarde des photos qui m'accompagnent. Retour

À des endroits connus, croit-on, mais n'en reste

Qu'un brasillement de couleurs dans la mémoire, et l'immense

Mouvement du ciel qui fait aller ses bleus et ses nuées

Comme une caresse exaspérée

À tout ce paysage d'été sec et d'arbres pétrifiés.

Des photos que les nuages

N'y bougent plus.

Leur couleur aussi pétrifiée.

Quelque part un œil méduse opère et c'est nulle part

Entre le temps qui n'existe plus et le paysage arrêté.

Son œil de pierre aveugle,

Celui de l'appareil photo, ou l'œil d'encre

Du poème arrêté.

 

James Sacré [poèmes], Lorand Gaspar [photographies], Mouvementé de mots et de couleurs, Le temps qu'il fait, 2003, p. 50.

17/06/2013

Ghérasim Luca, L'extrême occidentale

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   Tout ce qui nous caresse ou nous déchire, tout ce qui nous frôle, nous hante, nous griffe et nous trouble, tout ce qui nous pousse en avant, en arrière, contre le mur, vers un autre corps ou au bord de l'abîme, tout ce qui se défait irrémédiablement ou, au contraire se cristallise, tout ce qui grimpe, tout ce qui nous fascine, tout ce qui nous contracte, nous pique et nous questionne, tout ce qui nous touche de près, tout ce qui nous étouffe, tout ce qui nous fait signe ou frissonner ou honte et tout ce qui nous plonge, tout ce qui nous absorbe et nous dissimule, tout ce que nous perçons , respirons ou risquons malgré tout, tout ce que nous descendons ou qui nous emporte, tout ce qui nous enlise, tout ce qui rampe, tout ce qui s'élance, tout ce qui est en train de capturer ou de lâcher prise ou de trépigner ou de se recroqueviller et de se détendre, tout ce qui cache une trappe ou deux, tout ce qui rend souple, ivre, invulnérable, tout ce qui d'une touche légère met en mouvement un délicat mécanisme... fait irruption dans ces corps d'hommes et de femmes qui éclatent et s'endorment sous la constante ardeur de leur souffle fondu dans le moule sans forme, sans fond et sans issue praticable d'un labyrinthe de muscles tendus à l'extrême, le seul fil d'Ariane : la joie de l'égarement.

 

Ghérasim Luca, L'extrême occidentale, éditions Corti, 2013, p. 20-21.