28/03/2022
Apollinaire, Calligrammes
Les fenêtres
Du rouge au vert tout le jaune se meurt
Quand chantent les arts dans les forêts natales
Abatis de pihis
Il y a un poème à faire sur l’oiseau qui n’a qu’une aile
Nous l’enverrons en message téléphonique
Traumatisme géant
Il fait couler les yeux
Voilà une jolie jeune fille parmi les jeunes Turinaises
Le pauvre jeune homme se mouchait dans sa cravate blanche
Tu soulèveras le rideau
Et maintenant voilà que s’ouvre la fenêtre
Araignées quand les mains tissaient la lumière
Beauté pâleur insondables violets
Nous tenterons en vain de prendre du repos
On commence à minuit
Quand on a le temps on a la liberté
Bigorneaux Lotte multiples Soleils et l’Oursin du couchant
Une vieille paire de chaussures jaunes devant la fenêtre
Tours
Les Tours ce sont les rues
Puits
Arbres creux qui abritent les Câpresses vagabondes
Les Chabins chantent des airs à mourir
Aux Chabines marronnes
Et l’oie oua-oua trompette au nord
Où les chasseurs de ratons
Raclent les pelleteries
Étincelant diamant
Vancouver
Où le train blanc de neige et de feux nocturnes fuit l’hiver
O Paris
Du rouge au vert tout le jaune se meurt
Paris Vancouver Hyères Maintenon New York et les Antilles
La fenêtre s’ouvre comme une orange
Le beau fruit de la lumière
Apollinaire, Ondes, dans Calligrammes [1918], dans Œuvres poétiques, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 168-169.
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20/12/2018
Apollinaire, Poèmes en guerre
Le chant d’amour
Voici de quoi est fait le chant symphonique de l’amour
Il y a le chant de l’amour de jadis
Le bruit des baisers éperdus des amants illustres
Les cris d’amour des mortelles violées par les dieux
Les virilités des héros fabuleux érigées comme des pièces contre avions
Le hurlement précieux de Jason
Le chant mortel du cygne
Et l’hymne victorieux que les premiers rayons du soleil ont fait chanter à Memnon l’immobile
Il y a le cri des Sabines au moment de l’enlèvement
Il y a aussi les cris d’amour des félins dans les jongles [sic]
La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales
Le tonnerre des artilleries qui accomplissent le terrible amour des peuples
Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté
Il y a le chant de tout l’amour du monde
Apollinaire, Poèmes en guerre, édition Claude Debon, Les Presses du Réel, 2018, p. 331.
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23/09/2017
Apollinaire, Enfance (Poèmes retrouvés)
Enfance
Au jardin des cyprès je filais en rêvant
Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent
Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées
Jusqu’au bassin mourant que pleurent les saulaies
Je marchais à pas lents, m’arrêtant aux jasmins,
Me grisant au parfum des lys, tendant les mains
Vars les iris fées, gardés par les grenouilles.
Et pour moi les cyprès n’étaient que des quenouilles,
Et on jardin, un monde où je vivais exprès
Pour y filer un jour les éternels cyprès.
Apollinaire, Poèmes retrouvés, dans Œuvres poériques,
Pléiade / Gallimard, 1961, p. 651.
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07/03/2017
Apollinaire, Le Guetteur mélancolique
La nudité des fleurs c’est leur odeur charnelle
Qui palpite et s’émeut comme un sexe femelle
Et les fleurs sans parfum sont vêtues par pudeur
Elles prévoient qu’on veut violer leur odeur
La nudité du ciel est voilée par des ailes
D’oiseaux planant d’attente émue d’amour et d’heur
La nudité des lacs frissonne aux demoiselles
Baisant d’élytres bleus leur écumeuse ardeur
La nudité des mers je l’attire de voiles
Q’elles déchireront en gestes de rafale
Pour dévoiler au stupre aimé d’elles leurs corps
Au stupre des noyés raidis d’amour encore
Pour violer la mer vierge douce et surprise
De la rumeur des flots et des lèvres éprises
Apollinaire, Le Guetteur mélancolique, dans Œuvres
poétiques, Pléiade :Gallimard, 1965, p. 574.
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01/08/2016
Guillaume Apollinaire, La tzigane
La tzigane
La tzigane savait d’avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l’Espérance
L’amour lourd comme un ours privé
Danse debout quand nous voulûmes
Et l’oiseau bleu perdit ses plumes
Et les mendiants leurs Ave
On sait très bien que l’on se damne
Mais l’espoir d’aimer en chemin
Nous fait penser main dans la main
À ce qu’a prédit la tzigane
Guillaume Apollinaire, Alcools, dans
Œuvres poétiques, édition M. Adéma et
M. Décaudin, Pléiade / Gallimard,
1967, p. 99.
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26/09/2013
André Salmon, Fééries — Apollinaire, Alcools
Poèmes dédiés à tous les ministres de l'intérieur
Le Tzigane
C'est dans la petite voiture ronde
— et si légère d'avoir couru le monde —
Où mal ou bien vivaient pêle-mêle
Mon père,
Ma mère qui fut aimée pour la gloire de ses seins
Et porta sans pleurer le fardeau des mamelles,
Mes quatre frères, dont le plus beau fut assassin
Et mes deux grandes sœurs qui faisaient en dansant
Fleurir une rose noire dans le cœur des passants,
C'est dans la petite voiture ronde et radoubée comme un ponton
— Le vieux ponton à la dérive —
Que je suis né, mais il y a si longtemps,
Que je ne connais plus ma part de jours à vivre.
[...]
Plus avant ! C'est la loi.
Hélas ! Pourquoi des yeux brillent-ils aux fenêtres ?
Pourquoi faut-il songer au petit toit
De tuiles abritant, peut-être
Le trésor inconnu et dont nul ne dispose ?
Pourquoi se souvenir d'un arbre, d'un lac, d'une lumière,
Qui, un matin d'hiver,
Veillait sue le sommeil de Tiflis, blanche et rose ?
Et je voudrais connaître qui nous mit sur la route
Baladins vagabonds,
Pour perpétuer le rêve et forger le doute,
Mais l'exil a du bon.
Mon orgueil vrai, c'est d'avoir fait danser
Tous les couples du monde avec mon violon ;
Comme mon ours d'Asie qui mourut l'an passé,
En me léchant les mains,
Ayant dansé pour ceux que j'avais fait danser.
[...]
André Salmon, Fééries (1907), dans Créances, Gallimard,
1926, p. 110-111 et 112.
La Tzigane [1907]
La tzigane savait d'avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l'Espérance
L'amour lourd comme un ours privé
Dansa debout quand nous voulûmes
Et l'oiseau bleu perdit ses plumes
Et les mendiants leurs Ave
On sait très bien que l'on se damne
Mais l'espoir d'aimer en chemin
Nous fait penser main dans la main
À ce qu'a prédit la tzigane.
Guillaume Apollinaire, Alcools (1913), dans Œuvres poétiques,
édition Marcel Adéma et Michel Décaudin, Bibliothèque
de la Pléiade, Gallimard, 1967, p. 99.
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02/07/2013
André Salmon, Créances (Les Clés ardentes — Fééries — Le Calumet)
Le poète au cabaret
À Guillaume Apollinaire
La danse des bandits et des épileptiques
S'allonge à la clarté des lampes électriques —
Tes sœurs, pâle miroir des mauvaises fortunes,
Lune, vivant péché du cadavre nocturne.
Les rêveurs excellents boivent au cabaret,
Certains, rongés d'ennuis et de remords muets,
Honnis des filles et des valets harassés,
Griffonnent d'affreux vers sur le marbre glacé.
Hurlant en orphéons des couplets déshonnêtes,
Ivres, certains croient voir sur la ville en goguette,
Pour forcer à l'extase et la Belle et la Bête,
Le gibet triomphal promis au bon poète.
Comme une courisane ourlant ses yeux de khol
Ils fardent leur génie aux flammes de l'alcool
Et, las de souffrir étant si mal payés,
Quelques-uns font des mots pour se désennuyer.
Or, je suis sans génie et je ne suis pas ivre,
L'alcool ne m'offre pas ses caresses de cuivre,
J'ai refusé la paix sans obtenir la gloire,
Je ne sais plus aimer et je ne sais plus boire.
Au moins, dormir un peu dans la bonne chaleur
Des pipes éruptant et dans la bonne odeur
Des boissons, sans songer à tout le mal qu'on fait
Au pauvre criminel ignorant du forfait.
Dormir, dormir un peu ! mais ça n'est pas possible,
On gueule ici ! Oh ! fuir aux campagnes loisibles,
Se mêler aux complots des gueux dans les luzernes !...
Non ! nos culs ont besoin du velours des tavernes.
Pourtant je sais un jour prochain où je fuirai
Aux bois sourds, palais d'ombre où les chênes sont rois
Et dans les chemins nous mettent des fleurs aux doigts
Mais ce soir c'est la noce, amis, ohé ! ohé !
La danse des bandits et des épileptiques
S'allonge à la clarté des lampes électriques
Et je souffre l'amour de tes rayons obliques
Lune, fardeau cruel au cœur des lunatiques.
André Salmon, Créances, 1900-1910 (Les Clés ardentes
— Fééries — Le Calumet), Gallimard, 1926, p. 31-33.
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12/06/2013
Étienne Faure, La vie bon train, proses de gare
Lents comme des états d'âme,
après l'été les trains revenaient,
las d'avoir trimballé tous ces corps
à la mer, à la montagne, dans des contrées
dont furent natifs les pères (introuvables sur la carte),
à grincer de nouveau en gare,
y faire leur entrée, annoncer le pire
qui toujours sera à venir,
le soleil ras rougissant la face des ultimes
voyageurs ; c'était l'automne,
chacun se rappelait les vers
d'Apollinaire — un train qui roule, ô ma saison mentale
et la violente espérance de vie :
devait-on revenir
quand il aurait fallu ne partir jamais
— et puis après,
dans la gare sans issue,
on n'allait pas pleurer pour ça.
revenir
*
Le crissement du fer en copeaux dispersé, taraudé en son cœur puis découpé, reste ancré un moment dans les crânes. Comme un cri presque humain poussé chez un dentiste. En fait ce n'est qu'un rail que l'on répare, une pièce défectueuse à nouveau d'aplomb. Quand les locomotives passées sur les ponts et les viaducs en fer débarquent sous ces charpentes usinées d'autrefois, tous les monuments d'ingénierie, ces tonnes d'acier, les rails et les wagons, se répondent, se parlent en grincements d'époque. Les bruits fabriquant les lieux, les cris de mouettes au-dessus de la gare font resurgir avec le bleu la mer, un port ou alors l'abattoir du même âge, du temps du métal bon marché, où furent montés, au cœur des villes, de tels pavillons. Les mouettes en assemblée générale, concurrentes, associées, se disputent, ailes et becs, prospèrent au-dessus des toits criant leur amour de la viande et des abats. Parfois elles piquent, plongeant vers la basse fosse, ainsi que des oiseaux de proie formant des cercles au-dessus des rails, à la recherche de déchets.
Étienne Faure, La vie bon train, proses de gare, Champ Vallon, 2013, p. 91 et 75.
© Photo Tristan Hordé.
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05/06/2012
Guillaume Apollinaire, La Loreley (Alcools)
Le rocher de la Loreley
La Loreley
À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté
O belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie
Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m'ont regardé évêque en ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé
Évêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège
Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien
Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j'en meure
Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla
L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Mener jusqu'au couvent cette femme en démence
Va-t-en Lore en folie Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc
Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves
Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là-bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle
Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil
Guillaume Apollinaire, Alcools, dans Œuvres poétiques avant-propos, chronologie, établissement du texte, bibliographie et notes par Marcel Adéma et Michel Décaudin, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p. 115-116.
© Photo Chantal Tanet, mai 2012.
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06/08/2011
Apollinaire, Les fenêtres (Calligrammes)
Marie Laurencin (Apollinaire au centre, Picasso à gauche)
Les fenêtres
Du rouge au vert tout le jaune se meurt
Quand chantent les arts dans les forêts natales
Abatis de pihis
Il y a un poème à faire sur l’oiseau qui n’a qu’une aile
Nous l’enverrons en message téléphonique
Traumatisme géant
Il fait couler les yeux
Voilà une jolie jeune fille parmi les jeunes Turinaises
Le pauvre jeune homme se mouchait dans sa cravate blanche
Tu soulèveras le rideau
Et maintenant voilà que s’ouvre la fenêtre
Araignées quand les mains tissaient la lumière
Beauté pâleur insondables violets
Nous tenterons en vain de prendre du repos
On commence à minuit
Quand on a le temps on a la liberté
Bigorneaux Lotte multiples Soleils et l’Oursin du couchant
Une vieille paire de chaussures jaunes devant la fenêtre
Tours
Les Tours ce sont les rues
Puits
Arbres creux qui abritent les Câpresses vagabondes
Les Chabins chantent des airs à mourir
Aux Chabines marronnes
Et l’oie oua-oua trompette au nord
Où les chasseurs de ratons
Raclent les pelleteries
Étincelant diamant
Vancouver
Où le train blanc de neige et de feux nocturnes fuit l’hiver
O Paris
Du rouge au vert tout le jaune se meurt
Paris Vancouver Hyères Maintenon New York et les Antilles
La fenêtre s’ouvre comme une orange
Le beau fruit de la lumière
Apollinaire, Ondes, dans Calligrammes [1918], dans Œuvres poétiques, édition de Marcel Adéma et Michel Décaudin, avant-propos d’André Billy, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p. 168-169.
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