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05/07/2013

Geoffrey Squires, Sans titre — éditions Unes (1)

Geoffrey Squires, Sans titre, arbres, comprendre, piège, branches

Trouver des histoires à ces arbres

narratifs dans leur feuillage

une raison à la densité

 

peu de choses résistent à l'interprétation

se défendent avec succès

contre la compréhension

 

et d'une certaine façon tout est dans l'air

pendu    piégé    et nulle part où aller

suspendu au-dessus de ces profondes rivières indolentes

branches traînantes    poissons reposant dans les mares

 

 

To find stories for these trees

narratives of their foliation

some reason for density

 

few things resist interpretation

defend themselves successfully

against comprehension

 

and it is all the air somehow

hanaging    trapped    with nowhere to go

suspended above these deep indolent rivers

with branches trailing    fish lying in ponds

 

Geoffrey Squires, Sans titre [Untitled III], traduit de l'anglais

(Irlande) et préfacé par François Heusbourg, 2ditions Unes,

 

2013, p. 17 et 16.

© Photo Keith Tuma, 2005.

Les éditions Unes, fondées par Jean-Pierre Sintive en 1981 ont été reprises en 2013 par François Heusbourg. 

04/07/2013

Armand Robin, Le temps qu'il fait,

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                         Chevaux Oiseaux

 

[...]

   Les oiseaux se réveillent tous ensemble ; ils se hâtent de tout regarder, se pressent aux vitres du ciel avec mille bruits de cristal : leur bec est près de leur oreille, près de leurs yeux ; ils chantent dès qu'ils voient :

— À chaque aube ordinaire les seigneurs chevaux, Treithir devant, Treitkam derrière, au moment de sortir de leur écurie d'ombre, font tomber de leur tête les quelques brindilles de nuit qui veulent s'y fixer encore. Leurs pâturages de rosée et de gel déjà frémissent sur eux ; leur croupe humide étincelle ; dédaignant à demi l'aube triop basse, ils s'élèvent bientôt plus haut, s'acheminent bien plus loin que tout soleil naissant. Ils vont l'amble comme les cimes d'arbres où nous, milliers et milliers de moineaux, voguons et chancelons, ivres du vin des vents intarissables.

— De leur royaume d'au-delà l'horizon ils ne reviennent qu'au soir tombé, avec cet ait qu'ils prennent tous de ne connaître nul voyage. L'ombre déjà croulante abrite leur regard. Ces grands jaloux du ciel ne lèvent qu'à regret la tête, ne regardent pas les oiseaux et moi, martinet, martinet, ils me dédaignent plus que tout autre. Quand je me pose sur leur croupe, je me sens grand puissant posé ; je leur pardonne, je les chante.

 

 

Armand Robin, Le temps qu'il fait, L'imaginaire /Gallimard, 1986 [1941], p. 103-104.

02/07/2013

André Salmon, Créances (Les Clés ardentes — Fééries — Le Calumet)

André Salmon, Créances, Les Clés ardentes   — Fééries — Le Calumet, Apollinaire, Le poète au cabaret,

          Le poète au cabaret

 

                            À Guillaume Apollinaire

 

La danse des bandits et des épileptiques

S'allonge à la clarté des lampes électriques —

Tes sœurs, pâle miroir des mauvaises fortunes,

Lune, vivant péché du cadavre nocturne.

 

Les rêveurs excellents boivent au cabaret,

Certains, rongés d'ennuis et de remords muets,

Honnis des filles et des valets harassés,

Griffonnent d'affreux vers sur le marbre glacé.

 

Hurlant en orphéons des couplets déshonnêtes,

Ivres, certains croient voir sur la ville en goguette,

Pour forcer à l'extase et la Belle et la Bête,

Le gibet triomphal promis au bon poète.

 

Comme une courisane ourlant ses yeux de khol

Ils fardent leur génie aux flammes de l'alcool

Et, las de souffrir étant si mal payés,

Quelques-uns font des mots pour se désennuyer.

 

Or, je suis sans génie et je ne suis pas ivre,

L'alcool ne m'offre pas ses caresses de cuivre,

J'ai refusé la paix sans obtenir la gloire,

Je ne sais plus aimer et je ne sais plus boire.

 

Au moins, dormir un peu dans la bonne chaleur

Des pipes éruptant et dans la bonne odeur

Des boissons, sans songer à tout le mal qu'on fait

Au pauvre criminel ignorant du forfait.

 

Dormir, dormir un peu ! mais ça n'est pas possible,

On gueule ici ! Oh ! fuir aux campagnes loisibles,

Se mêler aux complots des gueux dans les luzernes !...

Non ! nos culs ont besoin du velours des tavernes.

 

Pourtant je sais un jour prochain où je fuirai

Aux bois sourds, palais d'ombre où les chênes sont rois

Et dans les chemins nous mettent des fleurs aux doigts

Mais ce soir c'est la noce, amis, ohé ! ohé !

 

La danse des bandits et des épileptiques

S'allonge à la clarté des lampes électriques

Et je souffre l'amour de tes rayons obliques

Lune, fardeau cruel au cœur des lunatiques.

 

André Salmon, Créances, 1900-1910 (Les Clés ardentes

 — Fééries — Le Calumet), Gallimard, 1926, p. 31-33.

 

 

 

 

01/07/2013

François de Malherbe, Poésies

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                            Chanson :

        Sur le départ de la vicomtesse d'Auchy

  

Ils s'en vont ces rois de ma vie,  

     Ces yeux, ces beaux yeux,

Dont l'éclat fait pâlir d'envie

     Ceux mêmes des cieux.

Dieux, amis de l'innocence,

Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence

     Me va précipiter ?

 

Elle s'en va cette merveille

     Pour qui nuit et jour

Quoi que la raison me conseille,

     Je brûle d'amour.

Dieux, amis de l'innocence,

Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence

     Me va précipiter ?

 

En quel effroi de solitude

     Assez écarté

Mettrai-je mon inquiétude

     En sa liberté ?

Dieux, amis de l'innocence,

Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence

     Me va précipiter ?

 

Les affligés ont eu leur peine

     Recours à pleurer ;

Mais quand mes yeux seraient fontaines,

     Que puis-je espérer ?

Dieux, amis de l'innocence,

Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence

     Me va précipiter ?

 

 

François de Malherbe, Poésie, Librairie de la

Bibliothèque nationale, 1884, p.154-155.

30/06/2013

Pascal Quignard, La nuit sexuelle

Pascal Quignard, La nuit sexuelle, Courbet, Lacan, l'origine du monde, éden, jadis, temps

                               Une scène française

 

    Il existe une étrange scène française. On la découvre dans Mellan. Elle se multiplie à partir de Fragonard. Elle se radicalise avec Courbet. Claude Mellan à vrai dire, s'il l'invente, ne la poursuit pas et ne l'acheva pas. On la nomme La Souricière. Un nourrisson sorti de la vulve sa mère se retourne à quatre pattes et regarde la vulve dont il est issu.

   Courbet peignit ce que le XIXe siècle appela le "con" en 1866. Il en vendit l'image à Khalil Bey. Khalil Bey la transmit à Bernheim Jeune. Bernheim la passa à François de Harvany, François de Harvany la céda au baron Herzog. Elle arriva de façon mystérieuse entre les mains du psychanalyste Jacques Lacan dissimulée sous un cache conçu par le peintre Masson. Je me souviens qu'en ce temps là on nommait origine du monde ce qui n'est que l'origine de chacun.

   Nous ne sommes pas Ulysse. Nous n'avons pas de "chez nous" à la surface de ce monde. Tout Ithaque que nous voudrions rejoindre est interne. Cet internat est celui de la poche maternelle que chaque naissance rompt. L'errance n'aura donc pas de terme à la surface des flots ou de la terre. Pour chaque vivant vivipare un premier monde est perdu. Tout Éden est seuil et expulsion. Où retourner ? Glisserions-nous notre visage dans le sexe d'une femme ? Puis les épaules ? Puis le tronc ? Les hanches ? Le retour impossible, tel est le temps. Notre seul "chez nous" est cette étrange "ek-sistence" où pousse le jadis. Cette poussée est la Nature. L'adieu, le perdre, le ne pas se retourner, l'invisible sont les quatre murs de notre prison.

 

 

Pascal Quignard, La nuit sexuelle, J'ai lu, 2009 [2007], p. 137-138.

29/06/2013

Bashô, Le Manteau de pluie du Singe, traduction René Sieffert

 

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          ÉTÉ

 

Pousses de bambou

au temps de ma tendre enfance

dessinées par jeu

 

Dans le pot le poulpe

poursuit un songe vain

lune de l'été

 

Viens à la lumière

toi qui sous les vers à soie

chantes ô crapaud

 

Vers l'astre du jour

le tournesol toujours penche

saison des pluies

 

De la brosse à sourcils

elle a emprunté la forme

la fleur de carmin

 

Regardant les lucioles

le batelier s'est saoulé

démarche incertaine

 

Que bientôt mourront

ne se laisse deviner

au cri des cigales

 

 

Bashô, Le Manteau de pluie du Singe, traduit du japonais par René Sieffert, POF, 1986, p. 43, 45, 47, 51, 53, 55, 59

28/06/2013

Edoardo Sanguineti, Corollaire, traduction Patrizia Atzei et Benoît Casas

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1.

acrobate (n.m.) est celui qui marche tout en pointe (des pieds) : (tel, du   moins,

pour l'étymon): mais ensuite il procède, naturellement, tout en pointe de doigts, aussi,

de mains (et en pointe de fourchette) : et sur sa tête : (et sur les clous,

en fakirant et funambulant) : (et sur les fils tendus entre deux maisons, par les rues

et les places : dans un trapèze, un cirque, un cercle, sur un ciel) :

il voltige sur deux cannes, flexiblement, enfilées dasn deux verres, deux chaussures,

deux gants : (dans la fumée, dans l'air) : pneumatique et somatique, dans le vide

pneumatique : (dans de pneumatiques plastiques, dans des fûts et bouteilles) : et il saute mortellement :

et mortellement (et moralement) il tourne :

                                            (ainsi je tourne et saute, moi, dans ton cœur) :

 

 

1.

acrobata (s.m.) è chi cammina tutto in punta (di piedi) : (tale, almeno,

è per l'etimo) : poi procede, però, naturalmente, tutto in punta di dita, anche,

di mani (e in punta di forchetta) : e sopra la sua testa : (e sopra i chiodi,

fachireggiando e funamboleggiando): (e sopra i fili tra due case, per le strade

e le piazze: dentro un trapezio, in un circo, in un cerchio, sopra un cielo):

volteggi su due canne, flessibilmente, infilzate in due bicchieri, in due scarpe,

in due guanti: (dentro il fumo, nell'aria): pneumatico e somatico, dentro il vuoto

pneumatico (dentro pneumatici plastici, dentro botti e bottiglie) : e salta mortalmente:

e mortalmente (e moralmente) ruota:

                                           (cosi mi ruoto e salto, io nel tuo cuore):

 

 

Edoardo Sanguinetti, Corollaire, traduit de l'italien par Patrizia Atzei et Benoît Casas, Préface de Jacques Roubaud, NOUS, 2013, p. 13 et 71.

27/06/2013

Michel Leiris, Nuits sans nuit et quelques jours sans jour

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                            19-20 mai 1942

 

   Condamné à mort par les Allemands, je prends la chose courageusement jusqu'au moment où l'on me dit qu'on viendra me faire la barbe au début de l'après-midi, dernière toilette avant l'exécution. Cette dernière toilette, événement sur lequel toute mon attention était fixée, m'avait masqué l'événement ultime que serait l'exécution. Or, maintenant que j'en connais l'heure, ma pensée peut aller au-delà, de sorte que je vois disparaître le dernier écran placé entre la mort et moi par ce détail de protocole. Rien ne me séparant plus de l'exécution elle-même, mon courage fait place à une angoisse indescriptible. Je sens que je ne tiendrai pas le coup, que je pleurerai et hurlerai quand on me mènera au poteau.

   Je rêve ensuite qu'on publie des souvenirs de mon collègue du Musée de l'Homme, Anatole Lewitzky (fusillé effectivement par les Allemands le 23 février de cette même année). Notant jusqu'à la dernière minute ses impressions de condamné, il raconte comment l'exécution a eu lieu dans une sorte de parc d'exposition désaffecté, aux abords du Mont Valérien. Ses compagnons et lui, on les a fait s'adosser chacun à une reconstitution de case ronde africaine, en pisé ou en argile séchée. Lewitzky raconte que, devant la porte de la case qui lui tiendrait lieu de poteau d'exécution, il y avait sur le sol un poulet ou un squelette de poulet (comme on peut voir en Afrique, sur des autels domestiques, des plumes provenant de volailles égorgées pour des sacrifices, ainsi que des crânes ou mâchoires d'autres animaux). Le texte se termine par une sorte de testament politique ou profession de foi : mots d'ordre, pronostics plein de confiance quant à l'issue de la guerre.

 

 

Michel Leiris, Nuis sans nuit et quelques jours sans jour, Gallimard, 1961, p. 143-144.

26/06/2013

Gaston Chaissac, Hippobosque au bocage

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                J'en reste sardine

 

C'est la magie des mots d'amour

D'une turbine regret d'un jour,

J'en reste sardine.

 

Mon estomac est en lambeaux et mon frère

Dagobert m'a dit : restaure-toi d'amour, de mors,

d'une sardine. Et ma petite turbine

quelle piètre petite combine,

je l'offre au vent pour un mégot.

 

Je n'ai à paître qu'un escargot

Mon estomac grimace dans ma bedasse

et ma denture s'escrime en vain à mordre dans la faim.

 

Qu'elle est coriace, et au monde un refrain

qui fait serin s'évanouir derrière

les fagots dans une nuit illusoire.

 

Comme la sardine sous un ciel de lit

pour se protéger de l'orage, un sondeur

de temps, tout magicien qu'il est ne sait qu'en dire

et se tait longtemps.

 

Gaston Chaissac, Hippobosque au bocage, L'Imaginaire /

 

Gallimard, 1995 [1951], p. 13-14.

25/06/2013

James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers

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                            Animaux

 

                                         4

 

Quand la pluie. Naïf j'y pressens le bonheur : un pays paraît j'y entre et plus rien ne souffre : le temps devient l'herbe, des toits plus rouges (peu d'herbe : plantain maigre, renouée). Les arbres longtemps sont fans la pluie. Les arbres longtemps sont dans la pluie.

 

(Dans la lumière que ménage une ouverture de l'écurie (solitude et paille — midi) sous la masse confuse du taureau tout le dessin pesant fin de l'appareil génital tremble (peut-être) ou c'est le jour dans l'été ou la parole du poème : je déchargerais très longtemps tant de foutre ; je devine l'inabordable richesse de mourir.)

 

 Quoi le bonheur ? Le matin naît dans la rencontre d'un gris (pluie, maison délabrée) et d'objets. Un encrier est immédiat — une faïence et des pommes rouges : demandent-ils un poème ? Leur présence est-elle vraie ? J'écris bien ce poème mais où pèse le temps que j'envahis ?

[...]

 

James Sacré, Des animaux plus ou moins familiers, André Dimanche, 1993, p. 39.

 

 

 

24/06/2013

Jean-Luc Parant, Les très-hauts

Jean-Luc Parant, Les très-hauts, les yeux, le soleil, les livres, lumière

   Il n'a fait que nuit, le soleil était très loin et très petit dans le ciel, sa lumière nous parvenait à peine, nos yeux n'étaient que des points sur notre visage comme le soleil n'était qu'un point dans le ciel. Quand le soleil s'est approché, nos yeux se sont agrandis ; nous nous sommes mis debout et nous avons eu des mains pour pouvoir maintenir le soleil entre nos doigts, et empêcher qu'il ne grossisse trop dans le ciel, et pour pouvoir toujours nous cacher derrière notre main pour qu'il n'éblouisse pas nos yeux et ne brûle pas notre corps.

   Notre corps n'a pas brûlé parce que nous avons écrit avec lui, nous avons écrit des livres avec notre main qui nous cachait le soleil, comme nos yeux n'ont pas été éblouis parce que nous avons lu avec eux et que nous avons lu des livres avec nos yeux qui nous montraient le soleil et nos mains qui écrivaient et nos yeux qui lisaient ont repoussé le feu, le feu est resté à sa place, immobile dans l'espace pour nous faire découvrir l'intouchable.

 

 

Jean-Luc Parant, Les très-hauts, Argol, 2013, p. 27-28.

23/06/2013

Jean-Paul Michel, « Quand on vient d'un monde d'Idées, la surprise est énorme »,

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« Nos ennemis dessinent notre visage » (1997-1998)

 

« Nos ennemis dessinent notre visage »

Cette vérité effraie.

Pour survivre nous cachons ce que nous sommes.

Nous masquons des vertus en vices.

Nous montrons des richesses que nous n'avons pas.

 

Nous inclinons dès l'enfance à l'injure et au mépris.

Adolescents, nous mettons un point d'honneur à blesser le cœur de   qui nous aime.

Nous désirons communément le pire malgré les supplications et les larmes.

Nous rugissons comme des tigres sous l'injure.

Nous sommes pour nous-même notre pire ennemi.

 

Nous nous heurtons à ce qui est.

Nous appelons cela connaître.

Nous allons à nos fins sans savoir avec zèle.

Nous appelons notre folie savoir.

Nous pensons en cela échapper.

 

Nous éprouvons de la honte de ce qui devrait nous donner de la         fierté, de la fierté de ce qui devrait nous donner de la honte.

Nous désirons jusqu'aux plus grandes souffrances.

Nous avons le goût surprenant de nous avilir.

Nous répétons des erreurs anciennes.

Ces inconséquences nous apparaissent.

Nous nous livrons à leur peu de sens.

 [...]

 Jean-Paul Michel, « Quand on vient d'un monde d'Idées, la surprise est énorme », 'When One comes from a World of Ideas, Vast is the Surprise', Quarante poèmes choisis, traduits et post-présentés par Michael Bishop, VVV / William Blake & Co, 2013, p. 71.

 

 

22/06/2013

Guillevic, Lexiquer, dans Accorder

 

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          G

 

 

Le mot garenne

 

Pour vivre en nostalgie

Dans le grouillement

 

Terreux

D'un sous-bois.

 

              *

 

Le geai,

 

On dirait à l'entendre

Qu'il connaît son nom.

 

               *

 

Des mots

Ne supportent pas

Leur généalogie.

 

                *

 

Tous les yeux

Relèvent

De la géologie.

 

                *

 

Une goulée de cidre

Est plus sinueuse

Qu'une gorgée d'eau.

 

                 *

 

Je pratique

La grammaire.

 

La grammaire

M'enseigne.

 

                 *

 

La grange reçoit

La fermentation de l'aube.

 

                  *

 

La grêle

En tombant

Doit se faire mal.

 

Guillevic, Lexiquer, dans Accorder, édition établie et postfacée par Lucie Albertini-Guillevic, Gallimard, 2013, p. 122-123.

21/06/2013

Pierre Reverdy, Pierres blanches

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La rue qui chante

 

Les voix qui tournaient

Dans la rue en pente

Celui qui montait

La tâche accomplie

Il y a des lettres sur le mur

Et tout le monde qui regarde

Les étoiles pendent

Les becs de gaz tremblent

                        Le vent

Je marche

Et l'air entier passe devant

Quand la terre tourne plus vite

Où pourrait-on se retenir

C'est peut-être la peur

Qui nous empêche de courir

Et ce sont les mots qui s'envolent

Les feuilles

Et tous les rideaux

Pour voir ce qu'il y a derrière

Dessous

Les larmes sur la gouttière de la cour

 

Pierre Reverdy, Pierres blanches, dans Œuvres complètes, II, édition préparée, annotée et présentée par Pierre-Alain Hubert, Flammarion, 2010, p. 245.

20/06/2013

Leonardo Rosa, Épigraphe pour un amour

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Épigraphe pour un amour

 

Nos jours ont été si brefs et si hauts dans le ciel ami

les rêves de la maisonnette blanche

avec l'ombre tendre du cerisier

qui s'élargit dans le jardin pour nous protéger

En toi il ne restera de moi que les larmes

ensevelies dans la région d'enfance et peut-être le nom

qui fut le premier don de mon père

et que tu aimais dire jadis

comme une chose à toi.

 

Pour les nuits du froid dans le cœur

il ne me restera que l'ombre de ton corps dénudé.

 

 

Epigrafe per un amore

 

Furono brevi i nostri giorni e alti nel cielo amico

i sogni della bianca piccola casa

con l'ombra molle del ciliego

adagiata in giardino a coprirci.

In te di mio non resterà che il pianto

sepolto nell'angolo d'infanzia e forse il nome

che fu il primo dono di mio padre

e che tu amasti pronunciare un tempo

come cosa tua.

 

Per le notti fredde nel cuore

io non avrò che l'ombra del tuo corpo nudo.

 

 

Leonardo Rosa, dans NU(e) n° 29, "Leonardo Rosa", coordination Raphaël Monticelli, p. 83.