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13/06/2013

Alberto Giacometti, Écrits

 

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                             Paris sans fin

 

Quinze, non, seize mai 1964, dans ma chambre ou plutôt l'atelier transformé en habitation ; sur mon lit trente lithos à refaire pour le livre, interrompu depuis deux ans ; j'ai essayé de reprendre, vues des rues, intérieurs, cela ne va plus, où, comment reprendre ? Paris réduit pour moi maintenant à chercher à comprendre un peu la racine d'un nez en sculpture ; je sens tout l'espace dehors autour de moi, les rues, le ciel, je me vois marchant dans d'autres quartiers, un peu partout, mon carton sous le bras, m'arrêtant, dessinant. Sur le quai Montebello, la nef, le chœur de Notre-Dame, comme vu l'autre jour, y aller, une espèce de découragement ; aussi bien le dossier de la chaise là devant moi ou le petit réveil noir et rond sur la table qui remplit la, non il ne remplit pas la pièce, mais comme un point partant duquel on voit le tout et les verrières et le plafond, l'arbre dehors où chante le merle le matin à l'aube, ou même juste avant l'aube, chant qui en juin de l'année passée, 1963, était pour moi le lus grand plaisir de la journée, de la nuit. Et les nus à refaire, quels nus ? Danny nue debout dans cette grande chambre d'hôtel un peu vide à Vavin ou d'autres ? Le soleil, la rue, l'absence de Paris pendant presque un an. Paris n'était plus que comme un souvenir lointain, comme une vague tache grise noire vague et profonde, lointaine ; j'étais dans une autre vie.

 

Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 91.