04/09/2024
Jacques Roubaud, Octogone
Douce
le ruban de l’air roule autour de la lampe
l’acacia tombe sur elle doucement
le temps vient de l’est
temps de feutre à moitié aussi de crépitements
l’air l’enveloppe d’étamines
douce
mais morte
c’est tout à fait ça douce
mais morte
Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 279.
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03/09/2024
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains
L’automne rue du printemps
Les feuillages du boulevard Pereire (sud)
Roussissent
Déjà
Ça choque
On devrait barrer d’u grand rideau
De toile le bout de cette rue
Résolument terne, et ne le tirer
Que le jour du printemps.
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite,
hélas, que le cœur des humains, Poésie/Gallimard, 1999, p. 66.
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02/09/2024
Jacques Roubaud, In memoriam Edoardo Sanguinati
In memoriam Edoardo Sanguineti
Quelques jours avant la mort nous évoquions
Par lettre écrite, à l’ancienne, ces moments
Antiques (quarante ans !) dans la fosse aux lions
De l’Hôtel Saint-Simon, quadri-dialoguant
Sourds, ce renga occidental : lui, moi, pions
Agités plus qu’erratiques insolents
Dans le jeu par Octavio conçu : sonetto,
Sonnet, la chose italienne où Shakespeare
A passé ; Gongora, Marino, les pires
Poètes, et meilleurs ; Mallarmé, Giacomo
‘Caro padre’ notre, « peu profond ruisseau
Calomnié la mort ». La forme où l’écrire
Fut notre lien en toutes ces années. Dire
Cela soit ma poussière sur ce tombeau.
Jacques Roubaud, Dix hommages, ink, 2011, np.
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01/08/2024
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Mémoire
mémoire : née tardivement
corps continus êtres réels et infinis
loin de l’instant désignés par la souffrance
du souvenir qui ne veut pas que j’oublie
du souvenir qui n’oublie pas ce que je veux
mémoire entretissée de nuits
le temps se reforme autour d’une voix
les surfaces sans nom et le sans nom s’apparient
l’espace s’agrège enfin, se duplique
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis,
Gallimard, 1991, p. 54.
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31/07/2024
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Plénitude
tout ce qu’un monde pourrait être, quoi que ce soit
est, quelque part, en quelque façon,
plénitude des possibles, consistance.
n’importe quelle tête parlante, la mienne,
par exemple, contiguë à ton corps
et
pourquoi non
contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,
mais toutes les places sont prises, tous les mondes
indisponibles,
pour toi.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard,
1991, p. 38.
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07/02/2024
Jacques Roubaud, Quelque chose noir (étude)
Le dernier regard
Sans refaire l'histoire complexe du mot méditation, on peut remarquer qu'il est rapidement passé du sens de « préparation à un discours » en latin classique à celui de « réflexion » chez les auteurs chrétiens, qui portaient pour l'essentiel la réflexion sur la destinée humaine à la lumière des textes sacrés. C'est cette tradition qui nourrit, en prose, les Méditations sur les Psaumes de Jean de Sponde et les Méditations sur l'Évangile de Bossuet, et l'on peut y rattacher les méditations memento mori, qu'il s'agisse des danses macabres ou des vanités du XVIIe siècle. Descartes utilisa le mot avec sa valeur philosophique dans les Méditations métaphysiques comme, à la fin du XVIIIe siècle, Volney, éloigné de toute spéculation religieuse, dans Les Ruines, ou Méditation sur les révolutions des empires (1791). L'arrière-plan religieux, au contraire, est bien présent quand l'usage du mot s'installe dans le domaine poétique avec Lamartine et ses Méditations poétiques en 1820, dans la lignée de la poésie élégiaque.1 Le titre de "méditation" sera repris plusieurs fois au XIXe siècle, par exemple par Jules Laforgue dans une "Méditation grisâtre", sur la solitude de l'homme et son extrême petitesse ; le sonnet s'achève ainsi : « Je reste là, perdu dans l'horizon lointain, / Et songe que l'Espace est sans borne, sans borne,/ Et que le Temps n'aura jamais de fin. »2
Le mot "méditation" apparaît dans plusieurs titres de Quelque chose noir de Jacques Roubaud3, consacré à sa compagne disparue ; Roubaud a repris le titre d'une série de 17 photographies d'Alix Cléo, Si quelque chose noir, et, en effaçant la supposition, il annonce le motif des poèmes. Le livre s'ouvre sur "Méditation du 12/5/85", suivi de "Méditation de la certitude" et, toujours dans la première partie, un autre poème est daté, "Méditation du 21/7/85", sur lequel nous nous arrêterons. Il n'y a pas d'ordre chronologique — "Méditation du 8/5/85" se trouve dans la deuxième partie —, comme si décider d'une position dans le temps après la mort de l'aimée était impossible, et qu'importe seul ce moment et ce qui l'a précédé. On lit ensuite, respectivement dans les quatrième et cinquième parties, cinq "Portrait en méditation" et cinq autres poèmes où "Méditation" est déterminé — l'un, "Méditation de la pluralité", renvoie explicitement à la réflexion sur la mort pratiquée à la fin du XVIe siècle : « L'éparpillement, la variété, pour la poésie de la méditation étaient signe de mort (Sponde) »4.
Ne retenir qu'un poème implique qu'il est lu comme miroir du tout, ce tout étant construit autour de la mort de l'aimée, avec pour charpente l'impossibilité de la penser et la nécessité de la dire, les deux motifs étant toujours étroitement intriqués. On se souvient de ce qu'écrivait Boileau de l'élégie dans l'Art poétique (Chant II, v. 39-40) : « La plaintive élégie, en longs habits de deuil, / Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil » ; Quelque chose noir appartient bien au genre par sa thématique : la douleur y apparaît, mais l'idée de l'apaisement y est cependant exclue et c'est pourquoi l'on relève des éléments propres à la méditation lyrique et d'autres qui s'en éloignent.
Méditation du 21 / 7 / 855
Je regardais ce visage qui avait été à moi. de la manière la plus extrême.
Certains, en de semblables moments, ont pensé invoquer le repos. ou la mer de la sérénité. cela leur fut peut-être de quelque secours. pas moi.
Ta jambe droite s'était relevée. et écartée un peu. comme dans ta photographie titrée la dernière chambre.
Mais ton ventre cette fois n'était pas dans l'ombre. point vivant au plus noir. pas un mannequin. mais une morte.
Cette image se présente pour la millième fois. avec la même insistance. elle ne peut pas ne pas se répéter indéfiniment. avec la même avidité dans les détails. je ne les vois pas s'atténuer.
Le monde m'étouffera avant qu'elle ne s'efface.
Je ne m'exerce à aucun souvenir. je ne m'autorise aucune évocation. il n'y a pas de lieu qui lui échappe.
On ne peut pas me dire : « sa mort est à la fois l'instant qui précède et celui qui succède à ton regard. tu ne le verras jamais ».
On ne peut pas me dire : « il faut le taire ».
La méditation est datée alors que très peu d'indications chronologiques sont données dans Quelque chose noir ; la plus marquante forme le titre d'un poème, "1983-janvier 1985-juin", et délimite la période qui suit la mort d'Alix Cléo Roubaud (le 26 janvier 1983), période pendant laquelle Roubaud vit à l'écart de ce qui l'entoure : quand le téléphone sonne, s'il décroche « cela ne prouve pas qu'il est vivant »6. Dans un poème titré significativement "Aphasie", il revient sur ce temps de silence : « Je n'ai pas pu parler pendant presque trente mois // Je ne pouvais plus parler selon ma manière de dire qui est la poésie »7. La date de la méditation, 21/7/85, est le signe du "journal", de l'autobiographie. L'énoncé pris en charge se rapporte au corps de la morte, remémoration de ce qui a été vu (« je regardais ») et non pas directement ce qui était éprouvé ; le regard sur le corps introduit une rupture entre le vivant et la morte, rupture présente dans la méditation qui ouvre le livre (« Je me trouvai devant ce silence »8), qui est infranchissable, et l'idée même de la consolation, de l'oubli, du « repos » est écartée. C'est l'image du corps mort qui s'impose et sa position évoque une attitude ancienne sur une photographie. Mais la photographie renvoie cependant à la lumière, donc au vivant — comme le noir du ventre lié à un temps où il y avait échange, ou le titre "la dernière chambre" — , alors que la jambe sans mouvement est à jamais figée. Le "noir du ventre" est aussi fréquent que le noir de ce "quelque chose" (« Tout se suspend au point où surgit un dissemblable. et de là quelque chose, mais quelque chose noir. »9) ; "noir" a deux valeurs opposées : couleur de la mort, de l'absence, il a aussi été lié au désir, au vivant (« Je te regardais. le sombre. le noir. le noir rangé sur le point vivant. de ton ventre. »10
La vie appartient au passé, c'est pourquoi est répétée sans relâche la description allusive de la morte — la proposition « Cette image se présente pour la millième fois »11 ouvrait la méditation d'ouverture. Il s'agit chaque fois non de la description d'un ensemble, puisque seul un ensemble pourrait se mouvoir, serait une personne, mais seules quelques parties sont retenues (« détails »), comme l'envers d'un blason du corps féminin ; il n'y a rien à dire de chaque partie, seulement nommée, et le tout est perçu non comme représentant le corps humain, « mais une morte ». La répétition de l'image de la morte, et celle parallèle des photographies (« Entouré d'image de toi »12), son appui pour que quelque chose de la femme aimée se maintienne, tout comme l'esquisse des récits titrés "roman". Dans ce cas, les fictions restituent, toujours au présent — « le temps de chaque monde possible est le présent »13 —, un univers où Alix Cléo est encore vivante, univers parallèle qu'il faut sans cesse recréer puisque le présent réel finit par s'imposer : « Quand il n'y a plus qu'un seul monde, où elle est morte, le roman est fini »14. La répétition aide, provisoirement, à aller « contre le temps », tout comme dire, écrire le nom donne l'illusion d'appeler la femme vivante — « Te nommer, c'est faire briller le prénom d'un être antérieur à la disparition »16 ; le nom, stable, s'oppose au désordre de l'incompréhensible néant.
La méditation lamartinienne adoptait la forme strophique, celle de Laforgue le sonnet, et l'ordre des formes figurait d'une certaine manière la tentative, sinon le succès, de canaliser la souffrance, le trouble. De ce point de vue, l'hétérogénéité17 de Quelque chose noirsuggère le contraire de l'apaisement : la mort fait vivre un temps bloqué, « stupéfié » pour reprendre le mot de Dominique Rabaté18. Ce n'est pas que les contraintes formelles soient inexistantes, au contraire ; Quelque chose noir se compose de 9 séquences, chacune de 9 poèmes de 9 vers non comptés, ou paragraphes. Le nombre 9 renvoie clairement à Dante (cité dans un poème), non seulement parce que chez lui l'Enfer compte 9 niveaux qui correspondent aux 9 cieux, mais parce que 9 est le nombre de Béatrice. On sait aussi que, dernier chiffre simple dans une série, 9 annonce une fin — symbole du chemin qui se clôt, donc de la mort — et, traditionnellement, un retour au point de départ, donc une renaissance. Cependant, la voie fermée avec la disparition ne se rouvre pas dans Quelque chose noir ; à l'ensemble 9x9 est ajouté un poème isolé, titré "rien" et daté de 1983, qui accumule les traits négatifs : l'absence de la terre (soit aucun renouveau) répond au rouge du soleil, et la « face aveugle de l'église » s'accorde avec les yeux qui « s'approchent / de rien ». Ces derniers mots, ce sont ceux de la « voix endeuillée [qui] temporalise le deuil à son rythme, qui est celui de la poésie » et qui dit « ce qui justement ne passe jamais : le chagrin sans remède, sans consolation transcendantale »20.
1 C'est encore Lamartine qui, dans Destinées de la poésie,, annonce que, dans l'avenir, « La poésie sera de la raison chantée [...] elle sera intime surtout, personnelle, méditative et grave [...] l'écho profond, réel, sincère, des plus hautes conceptions de l'intelligence, des plus mystérieuses impressions de l'âme. » Destinées de la poésie est le discours de réception à l'Académie française, prononcé en 1830 ; édition citée : Premières méditations poétiques, nouvelle édition augmentée de méditations inédites et de commentaires, Hachette et Cie, 1878, p. 66-67 (Gallica-BNF).
Victor Hugo emploie "contemplation", mot qui associe la perception (« Oui, contemplez l'hirondelle, / Les liserons », Les Contemplations, II, 19) et l'activité réflexive (« Ô souvenir ! trésor de l'ombre accru ! [...] L'œil de l'esprit en rêvant vous contemple, II, 28 »).
2 Jules Laforgue, dans Œuvres complètes, I, L'Âge d'homme, 1986, p. 401.
3 Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986.
4 ibid., p. 80.
5 ibid., p. 21-22.
6 ibid., p. 54.
7 ibid., p. 131.
8 ibid., p. 11.
9 ibid., p. 76.
10 ibid., p. 43.
11 ibid., p. 11.
12 ibid., p. 78.
13 ibid., p. 51.
14 ibid., p. 52.
16 ibid., p. 87.
17 Pour l'étude d'ensemble de Quelque chose noir, on lira : Michèle Monte, "Quelque chose noir : de la critique de l'élégie à la réinvention du rythme", Babel, 12, 2005, p. 263-286, article disponible en ligne : http/babel-revues-org/1093 ; Benoît Conort, "Tramer le deuil (table de lecture de Quelque chose noir), dans Jacques Roubaud, sous la direction de D. Moncond'huy et Mourier-Casils, "La Licorne", 1997, Presses universitaires de Poitiers, p. 47-58.
18 Dominique Rabaté, Gestes lyriques, "Les Essais", éditions Corti, 2013, p. 197.
20 ibid., p. 205.
Extrait de : La poésie comme espace méditatif, Sous la direction de Béatrice Bonhomme et Gabriel Grossi, p.307-311, collection Rencontres, Classiques Gaenier, 2015, 352 p., 37 €. Repris dans Sitaudis le 5 janvier 2024.
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03/12/2023
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Plénitude
tout ce qu’un monde pourrait être, n’importe quoi
est quelque part, en quelque façon.
plénitude des possibles, consistance.
n’importe quelle tête parlante, la mienne,
par exemple, contiguë à mon corps
et
pourquoi non
contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,
mais toutes les places sont prises, tous les mondes
indisponibles
pour toi.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1991, p. 38.
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17/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Un moment interne troue l’onde d’urgence que raye d’ortie le néant d’attente sans trace
La mémoire, la mort, la main maudit, mélange, montre,
L’instant, l’infini, l’image, irréel, insu, incroyable
Où le terre, où la terre, où la terre, ternit, trafique, tord,
Où le sens, où le non, où la syntaxe siffle, sèche, s’émiette,
D’obole, d’orbite, d’ordre opaque, ozone, organique
Ruisseau, râteau, règle renonce !, racle, rumine !
Oublie, ossifie, oscille, ombre, ongle, onde
Du nuage, du néant, du nombre nié, non-dit, nourris
Que l’arbre, que l’âme, que l’art accorde, annihile, affirme
À la trace, au terreau, à la tombe, sa trace, sa tourmente, son triomphe.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 270.
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15/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
État du monde
N’est pas joyeux l’état du monde, formidable
n’est pas, n’est pas, du tout, en tout, il va venir
le temps en temps, mais peu joyeux, rien réussir
en nul revoir, démontre ta construction, table.
Mais s’il se révélait, nous qu’en indéchiffrable
complicité avec le dispositif (etc), fuir
n’est pas non plus possible. Alors quoi ? au plaisir
de te mâcher, terre, avec tes cailloux en sables ?
Les oiseaux nivelés, les arbres compresseurs
entament la nature à l’horizon factice
recyclés de longs bois déportant nos couleurs
du rouge vers le brun et les verts s’évanouissent
Que nous reconnaissions comme clefs : autre temps
Où du contrôle il sembla qu’un jour il serait temps.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 320.
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13/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Nuit puis jour à Paris
val urbain cousu d’oisons
brun noir noircir fut doux plus
tard un air froid par l’afflux
sourd du matin aux maisons
tordit son azur prison
sous un pont pour chalands (glu
d’un tourbillon) l’or inclus
dans l’ourcq parut sans raison
alors dut d’un blanc gris d’ail
couvrant carton soupirail
loup fuir puis au bois vacant
un chat donna coloris
qui sut avant tout passant
qu’un jour abordait Paris
Jacques Roubaud, C et autre poésie,
NOUS, 2015, p. 109.
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12/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Présent
On n’écrit plus au passé. Il paraîtrait
Le temps des dominateurs du monde devoir être
Le présent. L’imparfait est solipsiste
Nominatif. Qu’un langue dérive en autre
N’étonne pas. La langue du bel aujourd’hui
Est statistique spasmodique : téléphones
Portables dans vos mains déportables du bord
Inférieur des jours aux soirs du peu de constat
La terre que tu lus n’était pas confortable
Les mots dits l’’avenir flottaient dans un bouillon
De sang épais où baignait beau le bleu factice.
Cela ne veut pas dire qu’il faudrait abso-
Lument que cette morasse* te satisfasse
*dernière épreuve faite généralement
à la Bourse quand la mise en forme du jour
est terminée
Jacques Roubaud, C et autre poésie (1962-2012),
NOUS, 2015, p. 321.
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17/11/2022
Jacques Roubaud, Autobiographie, chapitre dix
La mémoire
ma mémoire se brouille souvent,
la neige incessante des sensations recouvre de son grand
silence blanc les pistes plus anciennes.
Avec quelle bêche creuserai-je ce manteau pour découvrir
sans les effacer les traces du renard de la jeunesse ?
Alors, je pisse dedans.
Jacques Roubaud, Autobiographie, chapitre dix, Gallimard, 1977,
p. 114.
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16/11/2022
Jacques Roubaud, Octogone
À P. L. pour son 70e anniversaire
« J’ai moins de souvenirs que si j’avais deux ans »
« Ma mémoire n’est plus qu’un souvenir ». Je cite
souvent ces mots. Ce sont deux vers. C’est un peu vite
dire que ce sont vers. Aphorythmr au présent
continuel est leur statut. C’est au hasard
d’une recuisson de langage que la suite
de mallarméennes syllabes reste juste
comptable, tu n’as jamais montré tant d’égards
pour Alexandre que pour Bach (Johann Sebas-
tian). Le second est un décasyllabe ly-
rique, une invention de trouvères. Pali
est le feuillet crayonné d’ans où tu jetas
sa ligne de poids métrique. Sombres paroles.
Ô dure incomplétude des pensives époques.
(var. : ô rude incomplétude des poussives systoles)
Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 230.
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05/10/2020
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde
Le lézard
Le lézard est sur son mur
comme sur une grande plaine
il regarde le mur d’azur
où le soleil rouge peine
C’est drôle, dit le lézard,
comme le soleil s’obstine
à se chauffer l’hémoglobine
moi je suis froid et j’en suis fier.
Lézards gris et lézards verts
n’ayons donc pas d’inquiétude
mais pour ne pas mourir de faim
Guettons la mouche ingénue
de notre œil oblique et malin l
lézards gris et lézards verts !
Jacques Roubaud, Les animaux de tout
le monde, Seghers, 1990, p. 13.
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04/10/2020
Jacques Roubaud, Les animaux de personne
Le Coati Sociable
Dans la cordillère des Andes
Au fond des grandes forêts
Vont les Coatis en bandes
En grognant dans les fourrés
Ils grognent ils grognent ils grognent
Sans jamais se séparer
Ils grognent ils grognent ils grognent
Pleins de sociabilité.
On entend jusqu’en Islande
On entend jusqu’en Corée,
Zélande, Nouvelle-Zélande,
Hollande, Courlande, Irlande,
Ostende, Mende, Marmande,
Tende, Villesséquelande,
Samarkand, Chamarande,
Jutland, Betchouanaland,
Jusqu’au département des Landes,
Du fond des grandes forêts
De la cordillère des Andes
Les grands Coatis grogner.
Ils grognent ils grognent ils grognent
Sans jamais se séparer
Ils grognent ils grognent ils grognent
Pleins de sociabilité.
Jacques Roubaud, Les animaux de
personne, Seghers, 1991, p. 52.
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