09/12/2021
Camille Loivier, éparpillements
je suis dans la maison des rêves tant
de gens rêvent d’une maison de s’y maintenir
ils passent des années à la réparer à
l’aménager parfois toute une vie si bien
qu’à la fin chaque pièce est pleine à craquer
et le jardin laisse à peine plus de liberté
alors à ce moment-là on s’arrête
(la maison explose)
la main exposée
l’araignée à longues pattes qui grimpe sur le mur
en plein milieu n’est pas craintive elle est
chez elle sans nul doute fine et jeune
la maison file au bout de ses pattes
il n’y a personne à l’intérieur
Camille Loivier, éparpillements, isabelle sauvage,
2017, p. 71.
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12/11/2021
Eugène Savitzkaya, Capolican
Il importe à présent de parler du coq que d’aucuns trouvent infâme et malfaisant. Il est cupide, boutiquier, criard, mais lorsqu’on arrive à le surprendre dans son intimité on ne peut qu’être attendri par cet animal.
Sur l’établi de bois où il a installé sa maison, il joue comme il peut aux heures creuses de la journée. Il s’est fabriqué un chariot rt il fait la navette d’un bout à l’autre de la table. Aux grincements des roues se joignent les raclements de son bec sur la craie du mur. Dessiner la lune n’est pas chose aisée même pour un marabout de cette envergure. Il dresse des plans de machines d’une telle précision que l’on voit tourner les disques et les courroies, la demi-lune prise dans un amas inextricable des fils. Il poursuit des lignes blanches qui disparaissent dans des trous.
(...)
Eugène Savitzkaya, Capolican, 1987, p . 51.
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02/08/2019
Pierre-Albert Jourdan, Ajouts pour une édition revue et augmentée de Fragments
Ceci est ma forêt. J'entretiendrai cette exubérance de piliers, mais que pourraient-ils soutenir, ô maçons ! Et que l'on ait pris soin de balayer le sol quand le feu vient d'en haut, qu'il plonge sur ma forêt !
Ceci est ma forêt. Est-ce ma maison ? Cela ne se règle pas par un jeu d'écriture. Et si c'est ma maison, elle est ouverte. Non pas cette porte en face de moi, ces silhouettes. Ouverte à tout autre chose. À ce tout autre qui est là, que les piliers ne peuvent contenir. Ouverte, simplement ouverte comme une déchirure de lumière. Une déchirure, oui. Les piliers ne sont là, qui paraissent soudain s'épanouir, vivre, que pour m'épauler. « Suis-moi... » Je retrouve en moi ce début de phase. Je m'arrête à ce début. Si encore je pouvais m'accomplir en tant qu'homme, me hausser un tout petit peu. Leçon de piliers sans doute. Si encore j'étais capable de me repêcher, n'est-ce pas ?
Pierre-Albert Jourdan, Ajouts pour une édition revue et augmentée de Fragments, éditions Poliphile, novembre 2011, p. 19.
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18/05/2019
Jean-Yves Masson, Neuvains du sommeil et de la sagesse
Je n'ai pas eu à la chercher longtemps, la maison grise. Soudain
près du grand pont de pierre, au bout de cette rue trop noire,
elle était là. Et si je l'avais imaginée différente,
passé le bref étonnement je crus l'avoir connue depuis toujours.
Enfant, à l'une ou l'autre de ces fenêtres
tu te penchais. Mais point de jardin, point d'allée :
le bruit seulement de la rue — carrioles, chevaux et voitures —
et l'heure au clocher de l'église, les cris d'enfants au loin...
Plus rien ici ne se souvient de ton sourire.
Jean-Yves Masson, Neuvains du sommeil et de la sagesse, éditions Cheyne,
2007, p. 63.
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28/04/2019
Marie de Quatrebarbes, Voguer
Prière pour Pepper LaBeija, mère de la Maison LaBeija, décédé au Roosevelt Hospital de Manhattan en 2003.
Une maison est faite pour y vivre. Une maison est une famille pour ceux qui n’ont pas de maison. C’est une réalité quand on n’a pas de famille. C’est comme ça que naissent les maisons, là où une mère accueille les enfants rejetés par leurs parents biologiques. C’est important pour moi d’être la mère. Aussi, je mène ma maison d’une main de velours. Je prends soin de mes enfants, mes filles et mes fils. J’ai remporté tous les trophées. Et tant que je vivrai, mes filles et mes fils seront protégés, et je mènerai ma maison d’une main de velours. C’est comme traverser le miroir d’Alice. Comme se préparer pour un grand événement. Je me vois sur un lit de roses. Je me vois dans une robe de roses qui s’adapte à chacun de mes gestes. Je me déplace en montgolfière et je jette par-dessus bord des poignées de pétales chiffonnés. C’est mon état d’esprit. Je vais quelque part. Je peux être agressive, mais la plupart du temps je reste calme. Je veille sur mes enfants, mes filles et mes fils. Je me consacre à l’observation des oiseaux et au sport. J’étudie la parade nuptiale des moineaux et leurs stratégies d’accouplement.
[…]
Marie de Quatrebarbes, Voguer, P. O. L, 2019, p. 29-30.
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26/09/2017
Camille Olivier, éparpillements
Cahier 2
chacun va d’une maison à l’autre
de ses parents à soi-même parents
le fil électrique bouge
il y a du vent
se soulèvent les hirondelles
une maison est retranchement
endroit de repos sans oscillation
plus de relations coupées
(enfin on a remis mon carillon à onze heures
du matin vous vous rendez compte quelle honte)
et quand je sors retrouvant le mouvement
entre deux points
les animaux viennent à ma rencontre
pas seulement les veaux bruns aux yeux ronds
mais le faon, mais le pinson
viennent à ma rencontre
pour que je revienne sauvage aussitôt
on m’a mise dans la maison des rêves
mais ce n’était pas le bon moment
et je souffrais comme une bête
une bête folle se cogne contre la vitre
va vers la lumière
on pourrait tout imaginer et
on ne pourrait rien faire
pas même laver un carreau
pas même nettoyer une porte
tu délimitais les parterres faisant le tour
et le centre était envahi d’herbes hautes
Camille Loivier, éparpillements, isabelle sauvage,
2017, p. 61-62.
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26/06/2017
Camille Loivier, éparpillements
Cahier 1
[…]
je suis le minotaure à qui on sacrifie l’enfance
au coin il y a un corps que je vais piétiner
avec le lierre en boule et la glycine
la maison disparaît et s’alourdit
des sortes d’ailes poussent pour s’éloigner de soi
s’enfonce dans ce qui se déforme
des parties s’imbriquent dans les autres
des morceaux s’enjambent puis se fondent
une cicatrice apparaît
au coin se perd
une encoche rappelle
— une prairie et trois buses en cercle dans le ciel planent —
Camille Loivier, éparpillements, isabelle sauvage, 2017, p. 43.
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19/02/2017
Yannis Ritsos, Erotica
Meubles tissus objets
d’usage courant
la vieille lampe
un bouton dans le verre
faux-fuyants — dit-il —
des à-peu-près
pour ce qui n’a pas été nommé —
derrière le rideau rouge
une femme nue
deux oranges dans les mains
moi je monte sur la chaise
j’enlève les toiles d’araignée du plafond
pourtant
si je ne te nomme pas
ce n’est pas toi
ni moi.
Yannis Ritsos, Erotica, traduit du grec par
Dominique Grandmont, Gallimard, 1981, p. 30.
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11/04/2016
Camille Loivier, Poèmes, dans Rehauts
Photo Michel Durigneux
chacun a une maison vide abandonnée
dans un coin de la mémoire chacun a
cette forme au fond de la tête dont il se
sauve où il rentre la nuit
(expecta la mano de nieve
tu sors par la fenêtre sur les toits blancs
car cette main blanche se tend vers toi
tu vois cette main de neige qui te dit viens
sauve toi saute sur le toit car bientôt
tout aura disparu et tu seras survivant
- - - expecta la mano de nieve)
mais derrière la maison il y a quelque chose
une présence
entre dans une maison comme un voleur
un inconnu sans repère qui ne sait pas
où il va
va vite entre les murs
oiseau se tape aux fenêtres
— je regarde dehors le monde est maison
dans le chèvrefeuille je trouve un nid abandonné
dans le chèvrefeuille qui gonfle le mur la maison devenue
végétale s’envole ramifiée au monde
un chevreuil entre pour se protéger
dans le chèvrefeuille chevreuil
Camille Loivier, Poèmes, dans Rehauts, n° 37, printemps
été 2016, p. 78-79.
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22/06/2015
Marie Étienne, extrait de Onze petits contes
3 janvier 2008
Elle constatait avec effroi que son appartement dominait, surplombait la falaise. Ou plus exactement que son prolongement, un espace ni privé ni public, ne se terminait pas, se terminait sur le néant, un vide après lequel il n’y avait plus rien.
Et elle pensait à la petite qui lui rendrait visite, au terrible danger qu’elle y rencontrerait, elle s’étonnait, elle s’insurgeait contre elle-même : comment avait-elle pu ne pas en tenir compte au moment de l’achat ?
Son compagnon disait : la falaise s’effondre. Il avait ajouté quelque chose sur la bêtise des promeneurs qui abîmaient les bords de mer, et sur ceux, qui ensuite, y dressaient leur maison.
Et justement c’était son cas. Devait-elle en changer ?
À quelques jours de là, elle aperçut un pré en pente, très incliné, planté peut-être de lavande — une herbe drue et bleue. En haut du pré, une haie d’arbres, irrégulière, derrière laquelle une maison. « Sa » maison qui l’attend. « Sa » ou « une » mais c’est elle qu’elle attend.
Marie Étienne, Onze petits contes, dans Marie Étienne : organiser l’indicible, textes réunis et présentés par Marie Joqueviel-Bourjea, éditions L’improviste, 2013, p. 117-118.
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12/06/2015
Albane Prouvost, meurs ressuscite
dans la maison glacée
où je ne suis pas autorisée
combien de cerisiers
acceptent de revenir
accepte poirier
ici je commence ici
les pommiers sont des sorbiers
accepte
un pommier accepte-t-il
puis sauvagement il accepte
accepte poirier
accepte puisque tu acceptes
les poiriers sont tous bons
ainsi accepte
cher compatible tu me manques tu me manques tellement
pardonne aux poiriers, bon pardonne aux pommiers puisque c’est fait bon
pardonne aux jeunes glaciers
tu traînes comme un jeune pommier
parce que tu traînes toujours comme un jeune pommier
un jeune glacier est un jeune pommier
tu ne vas pas concurrencer la glace quand même
serait un jeune poirier un jeune cerisier serait un jeune pommier
en train de devenir pratique
j’ai besoin des pommiers
ou j’ai besoin des poiriers
ou j’ai besoin de leur pure capacité
un jeune glacier n’espère plus être un jeune pommier
[...]
Albane Prouvost, meurs ressuscite, P.O.L, 2915, p. 9-13.
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09/05/2015
Jean Daive, Monstrueuse
Une maison basse
en angle dans un parc en fleur
ne dort pas
n’allume rien, la nuit
quelques sons, dedans et dehors
étouffés, résonnent
des bois creux
battent contre des palissades
un homme seul frappe des cuillères
en bois
pour suspendre au-dessus
des jardins en fleur
l’acrobate, l’arlequin, l’écuyère
il remonte le mécanisme d’un conte de fée
autrefois raconté à l’oreille
par une famille qui tourne les tables et les renverse
à transmettre les omissions
Jean Daive, Monstrueuse, Poésie / Flammarion,
2015, p. 128.
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12/03/2015
Hélène Sanguinetti, Alparegho, Pareil à rien
La nuit partout dans la maison.
La nuit partout dans la maison.
Bave tient à la vitre,
avec des pics
et des crevasses.
Escargot,
escargot écrasé,
bouillonnant,
maison sur son dos,
plus de maison !
Il tenait aux feuilles, il y buvait,
la maison brillait, ne brille plus !
Ah bon, ne brille plus.
Voilà pour lui, voilà pour l’espion
qui oublie de rouler sa paillasse, et s’endort
sans pointu de coude dans l’oreille , voilà ce qui est juste.
Aujourd’hui
va dépasser la courbe des montagnes,
prendre les fils, s’y prendre,
et la mer, elle aussi, saura.
Parce qu’entre toutes les choses,
il y a des voix incessantes qui circulent,
indestructibles et lentes elles circulent
sans klaxonner
sans faire de bruit connu
sans geste ou air connu
sans air comme pour nous.
Il y a des voix indestructibles qui circulent.
Ah bon, il y a des voix.
[...]
Hélène Sanguinetti, Alparegho, Pareil à rien, Amandier,
2015, p. 33-35.
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15/06/2013
André Frénaud, Les Rois mages
Paris
à Jean Follain
Gâtée par le soleil tout à coup,
la façade pousse un rire frais.
Pignons où s'emmêlent
des rêves de plusieurs âges.
Tant de patientes imaginations
sur l'avenir des filles, différant
de la réalité de leur avenir,
passé maintenant
avec les filles de leurs filles,
et les ducats et les louis
sont devenus papier monnaie.
On ne porte plus la fraise à l'espagnole,
ni plumes d'autruches ni le chinchilla.
Le vin a été bu par les nouveaux locataires.
On a changé les lustres à pendeloques,
le chaudron, la couleur des cheveux...
La chevelure magnétique du sommeil,
méduse haletante à mille feux de serpents.
Visage net au matin, bonjour mon époux.
Ravalement, avalisant
l'amère joie de vivre
dans les jours quotidiens qui nous trompent
encore demain.
Façade,
à cet instant bleue et rose.
André Frénaud, Les Rois mages[1977], suivi de L'étape dans la clairière [1966], Poésie / Gallimard, 1907, 57-58.
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29/04/2013
Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes
Le sous-sol de la mémoire
Oh, caveau de la mémoire
Khlebnikov
Ainsi donc je vivrais affligée,
Rongée de souvenirs ? Sottises !
Je ne rends pas souvent visite à ma mémoire,
Du reste, elle me joue toujours des tours.
Dès qu'avec ma lanterne, je descends à la cave,
Je crois entendre un éboulement sourd
Gronder dans l'étroit escalier,
Ma lampe fume, je ne peux reculer,
Pourtant je vais droit à l'ennemi, je le sais.
Et comme une faveur, j'implore... Mais
Il fait nuit, pas un bruit. Finie la fête !
Trente ans déjà qu'on a raccompagné ces dames,
Et l'espiègle d'antan, il est mort de vieillesse.
Trop tard. Misère !
Où aller ?
Je touche les murs peints,
Me chauffe au coin du feu. Miracle !
Dans ce moisi, cette fumée et toute cette pourriture,
Deux émeraudes scintillent, vivantes.
Puis un chat miaule... Allons, il faut rentrer !
Mais où est ma maison, où, ma raison ?
18 janvier 1940
Anna Akhmatova, L'églantier fleurit et autres poèmes, traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy, La Dogana, 2010, p. 125.
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