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12/06/2013

Étienne Faure, La vie bon train, proses de gare

Étienne Faure,  La vie bon train, proses de gare, train, bruit, oiseau,Apollinaire

 

Lents comme des états d'âme,

après l'été les trains revenaient,

las d'avoir trimballé tous ces corps

à la mer, à la montagne, dans des contrées

dont furent natifs les pères (introuvables sur la carte),

à grincer de nouveau en gare,

y faire leur entrée, annoncer le pire

qui toujours sera à venir,

le soleil ras rougissant la face des ultimes

voyageurs ; c'était l'automne,

chacun se rappelait les vers

d'Apollinaire — un train qui roule, ô ma saison mentale

et la violente espérance de vie :

devait-on revenir

quand il aurait fallu ne partir jamais

— et puis après,

dans la gare sans issue,

on n'allait pas pleurer pour ça.

 

revenir

 

                                                    *

 

Le crissement du fer en copeaux dispersé, taraudé en son cœur puis découpé, reste ancré un moment dans les crânes. Comme un cri presque humain poussé chez un dentiste. En fait ce n'est qu'un rail que l'on répare, une pièce défectueuse à nouveau d'aplomb. Quand les locomotives passées sur les ponts et les viaducs en fer débarquent sous ces charpentes usinées d'autrefois, tous les monuments d'ingénierie, ces tonnes d'acier, les rails et les wagons, se répondent, se parlent en grincements d'époque. Les bruits fabriquant les lieux, les cris de mouettes au-dessus de la gare font resurgir avec le bleu la mer, un port ou alors l'abattoir du même âge, du temps du métal bon marché, où furent montés, au cœur des villes, de tels pavillons. Les mouettes en assemblée générale, concurrentes, associées, se disputent, ailes et becs, prospèrent au-dessus des toits criant leur amour de la viande et des abats. Parfois elles piquent, plongeant vers la basse fosse, ainsi que des oiseaux de proie formant des cercles au-dessus des rails, à la recherche de déchets.

 

 

Étienne Faure,  La vie bon train, proses de gare, Champ Vallon, 2013, p. 91 et 75.

© Photo Tristan Hordé.

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