12/04/2022
Jack Kerouac, Mexico City Blues
79° Chorus
Histoire de quoi
(Histoire d'enfance)
En descendant
le boulevard
Contemplant le suicide
Je me suis assis à une table
Et à ma grande surprise
Mon ami faisait l'idiot
à une table
Et à haute voix
Et voici le résultat
De ce qu'il dit.
Faites votre choix
Finit dans une situation
`Tellement fâcheuse
Vous n'saurez quoi faire de vous-mêmes
Vivre ou mourir.
Jack Jerouac, Mexico City Blues, traduction
Pierre Joris, Poésie/Gallimard, 2022, p. 95.
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21/11/2021
Aragon, Les Chambres
VI
Toutes les chambres de ma vie
M’auront étranglé de leurs murs
Ici les murmures s’étouffent
Les cris se cassent
Celles où j’ai vécu seul
À grands pas vides
Celles
Qui gardaient leurs spectres anciens
Les chambres d’indifférence
Les chambres de la fièvre et celle que
Que j’avais installée afin d’y froidement mourir
Le plaisir loué Les nuits étrangères
Il y a des chambres plus belles que blessures
Il y a des chambres qui vous paraîtront banales
Il y a des chambres de supplications
Des chambres de lumière basse des
Chambres prêtes à tout sauf au bonheur
Il y a des chambres à jamais pour moi de mon sang
Éclaboussées
Toutes les chambres un jour vient que l'homme s'y
Écorche vif
Qu'il y tombe à genoux qu'il demande pitié
Qu'il balbutie et se renverse comme un verre
Et subit le supplice épouvantable du temps
Derviche lent le temps est rond qui tourne sur lui-même
Qui regarde d'un œil circuklaire
L'écartèlement de son destin
Et le petit bruit d'angoisse avant les
Heures les demies
Je ne sais jamais si cela va sonner ma mort
Toutes les chambres sont chambres de justice
Ici je connais ma mesure et le miroir
Ne me pardonne pas
Toutes les chambres quand enfin je m'endormis
Ont été sur moi la punition des rêves
Car je ne sais des deux le pis rêver ou vivre
Aragon, Les Chambres, dans Œuvres poétiques complètes, II, Pléiade/Gallimard, 2007, p. 1113-1114.
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15/07/2021
Pierre Reverdy, En vrac
Bien connaître le passé pour pouvoir feindre de prévoir l’avenir, les meilleurs politiques n’ont jamais réussi un tour plus habile que celui-là.
On s’use à vivre et sans pouvoir comprendre quoi que ce soit à ce que peut signifier la vie. On en use autant qu’elle nous use et c’est tout.
Il ne faut pas écrire pour son temps mais dans son temps. Et celui qui ne se mêle que de son temps meurt plus vite que son temps. C’est qu’il n’écrit au fond que pour lui-même — un peu trop peu.
Vivre et vieillir pour qui et quoi que ce soit, êtres et choses, sont synonymes. Mais on ne se rend bien compte de cette évidence que lorsque le phénomène vieillir a déjà très nettement pris le pas sur celui qu’on appelle vivre.
Pierre Reverdy, En vrac, dans Œuvres complètes, Flammarion, 2010, p. 856, 858, 851, 863.
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04/09/2020
Johannes Bobrowski, Ceci vit encore
Et voici que
Et voici que
nous avons les deux mains pleines de lumière —
les strophes de la nuit, les eaux
agitées heurtent de nouveau
la rive, le sentiment âpre, sans regard,
des bêtes dans les roseaux
après l’étreinte — puis
nous voilà debout contre la pente
dehors, contre le ciel
blanc, qui vient
par-dessus la montagne,
froid, cascade-splendeur,
et demeure figé, glace
qui descendait des étoiles.
Sur ta tempe
je veux vivre cette petite
saison, oublieux, sans bruit
laisser errer
mon sang à travers ton cœur.
Johannes Bobrowski, Ce qui vit encore,
traduction de l’allemand Ralph Dutli et
Antoine Jaccottet, L’Alphée, 1987, p. 73.
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21/06/2020
Henri Thomas, La joie de cette vie
Je n’ai pas vécu ce que j’écris maintenant ; je le vis, je le découvre, en l’écrivant — sur le mode de l’écriture, comme on dit en croyant par cette formule expliquer quelque chose.
Un ami — il lui faudrait des qualités que je n’ose rêver de personne, et dont je n’ai pas en moi le modèle. C’est en ce sens que « Ô mes amis, il n’y a pas d’amis ».
Vivre, être, s’exprimer — je ne vois rien de plus — car voir ne passe pas outre.
Une bonne part des ennuis de la vieillesse vient des autres, jeunes ou vieux : ils vous retirent, par prudence ou par indulgence ou par mépris, les outils de la vie, les armes, les fonctions, « dont vous n’avez plus besoin ; Reposez-vous, ce serait risqué, ne vous exposez pas... » Ils n’ont jamais tout à fait raison, mais à la fin, de guerre lasse, par indifférence ou mépris, on lâche prise.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1992, p. 30, 32, 45, 53.
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02/12/2019
Cioran, De l'inconvénient d'être né
Nous n’avions rien à nous dire, et, tandis que je proférais des paroles oiseuses, je sentais que la terre coulait dans l’espace et que je dégringolais avec elle à une vitesse qui me donnait le tournis.
Se tuer parce qu’on est ce qu’on est, oui, mais non parce que l’humanité entière nous cracherait à la figure !
Vivre, c’est perdre du terrain.
Pour nos actes, pour notre vitalité tout simplement, la prétention à la lucidité est aussi funeste que la lucidité elle-même.
Cioran, De l'inconvénient d’être né, Idées/Gallimard, 1973, p. 112, 114, 115, 116.
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22/10/2019
Philippe Jaccottet, Nuages
Thoreau écrit quelque part dans Walden : « Vie et mort, ce que nous exigeons, c’est la réalité. Si nous sommes réellement mourants, écoutons le râle de notre gorge et sentons le froid aux extrémités ; si nous sommes en vie, vaquons à nos affaires. »
Voilà une sagesse à laquelle j’adhère presque* sans réserve. Mais quelle est "notre affaire" ? La suite le dit très bien, par métaphore : « Le temps n’est que le ruisseau dans lequel je vais pêchant. J’y bois ; mais tout en buvant j’en vois le fond de sable et découvre le peu de profondeur. Son faible courant passe, mais l’éternité demeure. Je voudrais boire plus profond ; pêcher dans le ciel, dont le fond est caillouté d’étoiles. Je ne sais pas compter jusqu’à un. Je ne sais pas la première lettre de l’alphabet. [...] Mon instinct me dit que ma tête est un organe pour creuser [...] et en même temps je voudrais miner et creuser ma route à travers ces collines. Je crois que le filon le plus riche se trouve quelque part près d’ici : c’est grâce à la baguette divinatoire et aux filets de vapeur qui s’élèvent que j’en juge ainsi ; et c’est ici que je commencerai à creuser. »
Je crois n’avoir pas fait autre chose que creuser ainsi, mais tout près de moi ; refusant au souci de la mort de me faire lâcher mon outil.
* Pourquoi ce "presque", ce mot prudent devenu chez moi d’un usage presque (encore !) machinal ? Ma réserve tiendrait à ceci, que l’affirmation pourrait être trop belle, la proclamation trop assurée ; et cela, justement, par rapport à la "réalité" de l’expérience vécue. Qui sait si nous serons à la hauteur de ce vœu ? Le vœu, autrefois, je l’ai fait mien.
Philippe Jaccottet, Nuages, Fata Morgana, 2002,p. 9-12.
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27/09/2018
Julien Bosc, Le verso des miroirs
juillet 2017
Julien Bosc
Julien Bosc (1964-2018) est brutalement décédé à la fin de la semaine dernière. Devenu spécialiste de l’art Lobi du Burkina Faso, il avait aménagé un espace consacré à la sculpture Lobi au Musée du Quai Branly. Installé dans la Creuse, il y a fondé en 2013 les éditions le phare du cousseix, du nom du village où il vivait. Il a édité, entre autres, des plaquettes de Françoise Clédat, Fabienne Courtade, Paul de Roux, Erwann Rougé, Ludovic Degroote, Franck Guyon, Antoine Emaz, Édith de la Héronnière, Étienne Faure, Jacques Josse… Poète, il a publié ces dernières années De la poussière sur vos cils (2015), Le Corps de la langue (2016), La Coupée (2017), Le Verso des miroirs (2018). C’est un homme de culture, généreux et attentif, qui disparaît.
Jacques Lèbre et Tristan Hordé
Poème qui ouvre son dernier livre, Le verso des miroirs
je vis aux lisières de la terre et la mer
le long d’une rivière défaite
un vertige
une bascule
une volée d’étourneaux dans la brume
les portes se referment
le vent bégaie
une étincelle allume la bougie
les livres forgent un rivage
deux premiers mots murmurent
Julien Bosc, Le verso des miroirs, Atelier de
Villemonge, 2018, p. 3.
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26/06/2018
Sanda Voïca, Trajectoire détournée
On vit en immortels,
On meurt en mortels.
L’urgence de ce qui m’a toujours accueillie :
mon propre lit
mon propre livre ;
Mais je
flotte
plane
vacille
erre
m’absente
de ces mots mêmes.
Comment réinventer les mots évidés ?
Chaque jour un peu plus vers
l’espace inédit, mien,
qui se crée et augmente,
autour du tronc de mon tulipier,
entre les branches qui s’en éloignent.
J’enveloppe
et m’éloigne du tronc
d’un savoureux arbre :
les guêpes en raffolent.
Sanda Voïca, Trajectoire déroutée, Lanskine, 2018, p. 55.
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14/11/2017
Jean de Sponde, Œuvres littéraires
Tandis que dedans l’air un autre air je respire,
Et qu’à l’envy du feu j’allume mon désir,
Que j’enfle contre l’eau les eaux de mon plaisir,
Et que me colle à Terre un importun martyre,
Cet air tousjours m’anime, et le désir m’attire,
Je recherche à monceaux les plaisirs à choisir,
Mon martyre eslevé me vient encore saisir,
Et de tous mes travaux le dernier est le pire.
À la fin je me trouve en un estrange esmoy,
Car ces divers effets ne sont que contre moy ;
C’est mourir que de vivre en cette peine extrême.
Voilà comme la vie à l’abandon s’espard,
Chaque part de ce Monde en emporte sa part,
Et la moindre à la fin est celle de nous mesme.
Jean de Sponde, L’essay de poèmes chrétiens, dans Œuvres
littéraires, Droz, Genève, 1978, p. 259.
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29/10/2017
Georges Perros, Henri Thomas, Correspondance 1960-1977
11 août 1975, Georges Perros à Henri Thomas
Dans le fond — de quoi ? ce qu’on appelle notre destin c’est peut-être tout ce qu’on a aimé à moitié sans le savoir, tout aussi, ce qui nous a échappé, parce qu’on n’y tenait pas tellement. Trop mortel. D’où ce fumier infranchissable dont tu parles ? On sait peut-être l’essentiel trop vite. L’inacceptable si l’on tient à vivre un peu. La vie ça tient dans un dé à coudre. Mais, faut se taper tout le reste.
Georges Perros, Henri Thomas, Correspondance, 1960-1977, collection Théorodre Balmoral, Fario, 2017, p. 55.
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05/09/2017
John Ashbery (1927-3 septembre 2017), Fragment, Clepsydre, poèmes français
C’est sûrement sur une des pages intérieures
Que l’histoire de sa timidité sera écrite
Avec toutes les pensées libertines d’un trajet
Grossièrement en forme de cœur autour d’un marais
Qui pour beaucoup de nous sera le voyage ultime
Vu la petite quantité de grâce qu’on nous a accordée.
Cette banalité qui est en fin de compte notre
Possession la plus précieuse, parce que permettant de
Nous élever au niveau de nous-mêmes, ce qui serait peu de chose
Sans la présence d’un tas d’amis et d’ennemis, tous
Disposés à nous prêter serment, nous comptant
Peu sur cet anoblissement de dernière heure, restent
Colossaux, leurs chapeaux à larges bords figurant
Toute la honte de la gloire, nous enfermant dans l’idée du nombre :
L’éther divisant nos victoires, anciennes et futures : dents et sang.
John Ashbery, Fragment, Clepsydre, poèmes français), traduction Michel Couturier, Seuil, 1973, p. 19.
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21/06/2017
Christophe Manon, Au nord du futur
Nous n’étions rien il y avait
du silence en nous et nous
dansions dansions dressant nos désirs comme à l’assaut
de quelle falaise quelle enceinte quelle cime au
hasard n’obéissant à aucune loi aucun ordre nous enfantions
des bombes franchissions des portes allant de deuil en deuil au travers de la poussée du temps qui nous porte infailliblement
à l’échéance n’étant
que des hommes dépouillés
de ce que nous possédions encore de destin nous arpentions
les terres étrangères couverts
de nuit où étions-
nous nul ne le sait mais
comme il faisait sombre et comme
cependant nous vivions.
Christophe Manon, Au nord du futur, NOUS, 2016, p. 31.
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29/03/2017
Bernard Noël, Des formes d'elle
Des formes d’elle
I
vivre dis-tu
c’est la venue
d’un mystère il s’empare
de nous tu vois cette ombre
sur le corps
tu vois
ce fantôme en dessous
la matière a besoin
de matière
ce besoin
est notre infini
ma langue
touche en toi une serrure
intime
tu fais de moi
un moi par-dessus les morts
par-delà les vivants
Bernard Noël, Des formes d’elle, dans
Les Plumes d’Éros, Œuvres I, P.O.L,
2010, p. 279.
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30/12/2016
Jacques Lèbre, L'immensité du ciel
Inquiétude
Serait-ce l’inquiétude de tout revivre ?
L’angoisse de sentir ou d’éprouver de nouveau
ce que déjà j’aurais pu sentir, éprouver ?
À moins que ce ne soit une sorte de rattrapage
pour revivre plus intensément
(et sans commettre les même erreurs)
ce que déjà j’aurais pu vivre ?
Cela, il me semble difficile d’y croire.
Comme si cette vie, celle-ci déjà vécue,
devait à jamais rester de l’ordre du rêve ?
Jacques Lèbre, L’immensité du ciel, La Nouvelle
Escampette, 2016, p. 11.
© Photo Carole Florentin
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