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17/12/2023

Roger Giroux, L'arbre le temps

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Que bâtirais-je avec ma langue ?

Quel palais fou de désespoir

Hanté d’absences immobiles ?

Quelle ville, vouée, dès jadis

Aux purs silences de l’oubli ?

 

Arbre, amour, solitude, poussière…

 

Et c’est comme si je n’existais pas

Dans cette immensité qui me sépare de moi-même,

Dans l’intouchable de ce lieu

Frémissant, monstrueux…

 

Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,

2014, p. 41.

10/11/2023

Jules Supervielle, Le Forçat innocent

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Solitude au grand cœur encombré par les glaces,

Comment me pourrais-tu donner cette chaleur

Qui te manque et dont le regret nous embarrasse

                  Et vient nous faire peur ?

 

Va-t’en, nous ne saurions rien faire l’un de l’autre,

Nous pourrions tout au plus échanger nos glaçons

Et rester un moment les regarder fondre

Sous la sombre chaleur qui consume nos fronts.

 

Jules Supervielle, Œuvres poétiques complètes,

Pléiade/Gallimard, 1999, p. 241.

22/10/2023

Étienne Faure, La vie bon train.

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La nuit quand le train va si vite

qu’on ne voit rien

rouler perd tout son sens

— il n’est plus sûr alors qu’une gare attende,

à l’autre bout fasse un trajet qui relie les deux lieux

ordonnancés un départ une arrivée,

car nul retour, aucun aller n’est visible,

à regarder par la vitre envahie de noir :

miroir vide où suis-je ?

 

Voici l’hiver aux jours réduits, qui emporte le corps

engendré vite autrefois, le moral au noir fixe,

dans un état pour une éternité transitoire

d’aucune utilité car jamais abouti

(et donc de ton sperme personne ne sera né)

maillon sans chaîne, wagon désormais sans attache

ni ascendance, ni hoirs, ni rien d’approchant.

 voici l’hiver

 

Étienne Faure, La vie bon train (proses de gare),

Champ Vallon, 2013, p. 119.

04/10/2023

Jean-Luc Sarré, Apostumes

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La préparatrice, en m’injectant un produit à base d’iode avant de me conduire au scanner, s’est excusée d’avoir les mains froides. Était-ce pour que je les regarde ? En tout cas je n’y ai pas manqué et, de fait, elles étaient fort belles.

 

Jamais (à ma connaissance) une robe de deuil n’a clôturé un défilé de mode. Quel manque d’humour mais de réalisme surtout !

 

La solitude ? Un mot, une chimère, la plupart du temps. Ma seule compagnie m’est une agression. Pourtant il m’arrive de me complaire avec plus encombrante compagnie encore.

 

Jean-Luc Sarré, Apostumes, Le Bruit du temps, 2017, p. 40-41, 49, 50.

21/09/2023

Jean Follain, Appareil de la terre

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Solitaires

 

Toujours leur porte s’ouvre mal

derrière eux s’endort la bête

couleur de feu

au seul pas d’homme ou de femme

ils reconnaissent qui passe

sur a route tournante

regardent un instant

pendant du plafond noir

la lampe ornée

une plante verte ocellée meurt

pleure un enfant perdu

sous le vaste ciel bas

puis il neige enfin.

 

Jean Follain, Appareil de la terre,

Gallimard , 1964, p. 79.

15/04/2023

Benoît Casas, Combine

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Nous

partageons

le monde

à nous deux

d’une manière

bizarre

peut-être est-ce

nous-mêmes

que nous

partageons

en deux.

 

580

Seuls

nous ne

sommes pas

nous ne sommes 

jamais

sinon

vertige

et vide.

 

598

Alors

nous en

étions là

et que fallait-il

faire

continuer

bien sûr

continuer

alors j’ai

continué.

 

604

Maintenant

il faut

ne plus

être seuls

ne plus

attendre

ne plus

avoir peur.

 

Benoît Casas, Combine,

NOUS, 2023, np.

09/02/2023

Armand Robin, Le monde d'une voix

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                  Solitaire

 

Je n’ai pas de jour selon vos bonjours ;

Mais jours se veulent bonjours

Que dans l’aube authentique du règne du travail.

 

Mes bonjours ne salueront

Que l’aube authentique du monde du travail.

 

Armand Robin, Le monde d’une voix, Gallimard,

1958, p. 163.

24/10/2022

Gustave Roud, Journal 1916-1976

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Je pense parfois : c’est ma solitude qui a altéré si profondément ma joie au spectacle du monde. Si jadis (sans que je voulusse l’analyser) elle naissait d’une correspondance que j’établissais entre une passion dominante, un sentiment que l’heure exaltait et tout ce qui entourait ma présence centrale, de plus en plus maintenant elle nécessite pour s’épanouir un calme désespéré, une tristesse sans sursauts où je me sens peu à peu descendre. C’est alors que naît pour ainsi parler mon regard véritable. Posé sur chaque chose, il l’épuise lentement, et je savoure tout objet pour lui-même et pour l’accord qu’il forme avec d’autres sans rien sentir d’autre en moi lui répondre et lui donner un sens ; c’est dire que je ne peux plus traduire, et moins encore interpréter le monde visible, mais seulement transcrire ce qui transparaît sous l’incessante variation de l’heure, de ses éléments éternels, par le sens des mots, leur musique, et le rythme de la phrase, l’âme aussi dépouillée qu’un peintre.

 

Gustave Roud, Journal, 1916-1976, Zoé, 2022, p. 91-92.

25/09/2022

Umberto Saba, Il Canzoniere

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                   La solitude

 

Saison changeante, ombre et soleil

font le monde varié, qui dans son aspect riant

nous console, et de ses nuages nous peine.

 

Et moi, qui à tant de nos apparences et à mes

yeux portait une infinie gratitude

je ne sais  aujourd’hui si je dois m’affliger

 

ou m’en aller joyeux comme quand on sort d’une épreuve :

je suis triste et pourtant la journée est si belle ;

dans mon cœur seulement il fait pluie et soleil.

 

D’un long hiver je sais faire un printemps ;

quand la route au soleil est une traînée d’or,

le bonsoir, je le dis à moi-même.

 

J’ai mes brouillards et mes beaux temps en moi tout seul

comme en moi seul est ce parfait amour

pour que l’on souffre tant, moi je ne pleure plus :

 

en mes yeux en mon cœur je trouve suffisance.

 

Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 146.

05/11/2021

Antoine Emaz, Soirs

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30.01.98

 

accorder la langue

sur peu de choses

 

là ce soir

seul

avec

le jour en vrac

 

tout est passé

 

        *

 

restent l’herbe

quelques feuilles tordues sèches

le froid clair encore le mur

 

entre l’herbe et le mur

la lumière glace

à chaque fois renvoie

une paroi de froid

 

à la fin le crépi

craque gris

dans le soleil qui baisse

 

voilà

 

Antoine Emaz,  Soirs,

Tarabuste, 1999, p. 74-75.

Photo T. H., 2007

15/09/2021

Baudelaire, Fusées

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Dieu est un scandale, — un scandale qui rapporte.

Il n’y a que deux endroits où l’on paie pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.

Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire.

Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré, qu’il ferait horreur même à un notaire. 

Après une débauche, on se sent toujours plus seul, plus abandonné.

 

Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1258, 1258, 1259, 1262, 1265.

14/09/2021

Baudelaire, Fusées

              baudelaire,fusées,amour,solitude,ami

À chaque lettre de créancier, écrivez cinquante lignes sur un sujet extra-terrestre et vous serez sauvés.

De la langue et de l’écriture, prises comme opérations magiques, sorcellerie évocatoire.

Il y a dans l’acte de l’amour une grande ressemblance avec la torture ou avec une opération chirurgicale.

Quand j’aurai inspiré le dégoût et l’horreur universels, j’aurai conquis la solitude.

Beaucoup d’amis, beaucoup de gants — de peur d’attraper la gale.

 

Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1250, 1256, 1257, 1258, 1258.

28/06/2021

Kafka, Journaux

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Avant de s’endormir. Cela paraît si affreux d’être célibataire, et, vieux monsieur, de quémander un accueil en ayant du mal à conserver sa dignité quand on veut passer une soirée avec des gens, rapporter son repas à la maison dans sa propre main, ne pouvoir attendre personne paresseusement et avec une tranquille confiance, ne pouvoir faire de cadeaux qu’à grand-peine ou en s’énervant, prendre congé devant la porte de la maison, ne jamais pouvoir se précipiter en haut de l’escalier avec sa femme, être malade et n(avoir pour seule consolation que la vue de sa fenêtre quand on peut s’asseoir, n’avoir dans sa chambre que des portes de côté qui donnent sur les appartements d’autrui, avoir à ressentir les membres de sa famille comme des étrangers, avec lesquels on ne peurt rester ami que par le mariage, d’abord le mariage de ses parents, ensuite, quand l’effet en est passé, le sien propre (...)

 

Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 216-217.

26/04/2021

Borges, En marge de "Lune d'en face"

                                   Borges, En marge de « Lune d’en face », les allées de Nîmes, solitude

Sur les allées de Nîmes

 

Comme ces rues de ma patrie

Dont la fermeté est un appel dans mon souvenir

Cette allée provençale

Étend sa facile rectitude latine

À travers un vaste faubourg

Généreux et dégagé comme une plaine.

Dans un canal l’eau va disant

La douleur qui convient à sa pérégrination dénuée de sens

Et ce susurrement est une ébauche de l’âme

Et la nuit est douce comme un arbre

Et la solitude incite à l’errance.

Ce lieu est semblable au bonheur,

Et moi je ne suis pas heureux.

Le ciel vit une pleine lune

Et un haut-parleur me déclare une musique

Qui dans l’amour se meurt

Et resurgit en un douloureux apaisement.

Ma difficile obscurité mortifie le calme.

Avec ténacité me harcèlent

L’affront d’être triste dans la beauté

Et le déshonneur d’un espoir insatisfait.

 

Borges, En marge de « Lune d’en face », traduction Jean-Pierre Bernès, dans Œuvres, I, Pléiade/Gallimard, 1992, p. 72.

16/04/2021

Henri Michaux, Lune d'en face

 

               

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                   Un adieu

 

Soir que creusa notre adieu.

Soir acéré, délectable et monstrueux comme un ange de l’ombre.

Soir où nos lèvres vécurent dans l’intimité nue des baisers.

L’inévitable temps débordait

la digue inutile de l’étreinte.

Nous prodiguions une mutuelle passion, moins peut-être à

        nous-mêmes qu’à la solitude déjà prochaine.

Nous allâmes jusqu’à la grille dans cette dure gravité de l’ombre,

                qu’allège déjà l’étoile du berger.

Comme on revient d’une prairie perdue, je revins de ton       étreinte.

Comme on dort d’un pays d’épées, je revins de tes larmes.

Soir qui se dresse vivant, comme un rêve

parmi les autres soirs.

Plus tard je devais atteindre et déborder

les nuits et les sillages.

 

Henri Michaux, Lune d’en face, dans Œuvres, I, traduction Jean-Pierre Bernès, Pléiade/Gallimard, 1993, p. 57.