24/10/2023
Étienne Faure, Vol en V
L’interférence des yeux sous le porche
où nous nous sommes abrités à cause
de l’eau qui fait rage, bel orage, électrise
l’arcade, commence à nous envouter au point
de non-retour à nos destinées respectives, désirs
qu’il pleuve, qu’il pleuve, bergère urbaine
sous la voûte en abîme que la vie reflète,
inverse,
U
l’air est connu, mais on se fait reprendre
aux yeux de lac artificiel au bord de l’hydro-
électrique décharge entre deux averses — arcane,
c’est un peu moi qui suis là-bas dans ses yeux
quand elle regarde en long et en large où aller,
pressentant l’impossible retrait en arrière-
saison, chez soi, faux domicile, à présent plongée
en son for intérieur, enfance avec,
et tout ce qui s’y verse — la pluie redouble —
si proche et fluide est la vision d’autrui,
soudain clairvoyance.
sous le porche
Étienne Faure, Vol en V, Gallimard, 2022, p. 49.
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25/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
La solitude
Saison changeante, ombre et soleil
font le monde varié, qui dans son aspect riant
nous console, et de ses nuages nous peine.
Et moi, qui à tant de nos apparences et à mes
yeux portait une infinie gratitude
je ne sais aujourd’hui si je dois m’affliger
ou m’en aller joyeux comme quand on sort d’une épreuve :
je suis triste et pourtant la journée est si belle ;
dans mon cœur seulement il fait pluie et soleil.
D’un long hiver je sais faire un printemps ;
quand la route au soleil est une traînée d’or,
le bonsoir, je le dis à moi-même.
J’ai mes brouillards et mes beaux temps en moi tout seul
comme en moi seul est ce parfait amour
pour que l’on souffre tant, moi je ne pleure plus :
en mes yeux en mon cœur je trouve suffisance.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 146.
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14/06/2022
Raymond Queneau, Les Ziaux
Il pleut
Averse averse averse averse averse averse
pluie ô pluie ô pluie ô ! ô pluie ô pluie ô pluie !
gouttes d’eau gouttes d’eau gouttes d’eau gouttes d’eau
parapluie ô parapluie ô paraverse ô !
paragouttes d’eau paragouttess d’eau de pluie
capuchons pélerines et imperméables
que la pluie est humide et que la pluie mouille et mouille !
mouille l’eau mouille l’eau mouille l’eau mouille l’eau
et que c’est agréable agréable agréable de pluie et de gouttes
d’avoir les pieds mouillés et les cheveux humides
tout humides d’averse et de pluie et de gouttes
d’eau de pluie et d’averse et sans un paragoutte
pour protéger les pieds et les cheveux mouillés
qui ne vont plus friser qui ne vont plus friser
à cause de l’averse à cause de la pluie
des gouttes d’eau de pluie et des gouttes d’averse
cheveux désarçonnés cheveux sans parapluie.
Raymond Queneau, Les Ziaux, dans Œuvres complètes, I,
Pléiade/Gallimard, 1989, p. 31.
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06/02/2022
Guillaume Apollinaire, Poèmes de guerre
Pluie
La pluie argente mes beaux rêves
Ce long après-midi d’hiver
Le soleil darde ses petits glaives
Dont le reflet est gris et vert
Nîmes aux ruelles dormantes
Qu’entourent de longs boulevards
Les cafés y sont pleins de tantes
Et de vieux officiers bavards
Soupé de la Maison Carrée
Mais la Fontaine est de mon goût
J’aime la pierre à teinte ambrée
Lorsque le soleil luit partout
Mais c’est au temple de Diane
— Ô liberté de mes rognons
Faites qu’enfin mon cul se tanne —
Que je relis des compagnons
Les inscriptions anciennes
Je les aime mon cher André*
Engravant ces pierres romaines
Roses dans le jour gris cendré
ton Guil Apollinaire
* André Billy
Guillaume Apollinaire, Poèmes de guerre, édition
Claude Debon, Les Presses du réel, 2018, p. 81.
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18/07/2020
Paul Claudel, Connaissance de l'Est
La pluie
Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber intensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi ; autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et, jouissant de la sécurité de mon emprisonnement intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.
Ce n’est point de la bruine qi tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse. La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque puissante et profonde. Qu’il fait frais, grenouilles, à oublier, dans l’épaisseur de l’herbe mouillée, la mare ! Il n’est point à craindre que la pluie cesse ; cela est copieux, cela est satisfaisant.
Paul Claudel, Connaissance de l’Est (1929), Poésie / Gallimard, 1974, p. 82.
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11/06/2020
Paul de Roux, Les intermittences du jour, carnets 1984-1985
Respirer, voir, entendre, sentir, et pour cela se défaire de toute idée de possession, de toute assurance, est-ce imaginable ? Peut-être pas. Mais c’est une direction.
Demandons à la pluie de venir brouiller le paysage pour que nous puissions l’aimer dans cet abandon.
Au loin, derrière les vitres fouettées par la pluie, un gros rosier en fleur, d’un rose noyé.
Le sentiment de cul-de-sac que l’on éprouve lorsqu’on ne croit plus que sa vie puisse être modifiée un tantinet par les « idées ».
Paul de Roux, Les intermittences du jour, Carnets 1984-1985, Le temps qu’il fait, 1989, p. 143, 151, 158, 159.
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22/01/2020
Yosa Buson, Le Parfum de la lune
au bord du chemin
des jacinthes d’eau arrachées fleurissent
la pluie du soir
pluie du cinquième mois
le sentier
a disparu
dans la véranda
fuyant femme et enfants
quelle chaleur !
la lune voilée
les grenouilles brouillent
l’eau et le ciel
pas une feuille ne bouge
terrifiant
le bosquet d’été
Yosa Buson, Le Parfum de la lune, traduction du
japonais Cheng Wing Fun et Hervé Collet,
Moundarren, 1992, p. 80, 83, 88, 101.
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19/11/2018
Basho, seigneur ermite
Cette eau de source,
est-ce la pluie printanière
s’égouttant des cimes des arbres ?
Séparons-nous maintenant
comme un bois de cerf se ramifie
au premier nœud
Pieds lavés,
je m’endors pour une courte nuit
tout habillé
À l’extrémité de la feuille
au lieu de tomber
la luciole s’envole
Ruines d’un château —
je visite en premier
l’eau limpide de l’ancien puits
Basho, seigneur ermite, l’intégrale des haïkus,
édition bilingue Makoro Kemmoku et
Dominique Chipot, La Table ronde,
2012, p. 168, 172, 175, 177, 180.
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30/08/2018
Yosa Buson, Haïku (traduction Joan Titus-Carmel)
La pauvreté
m'a saisi à l'improviste
ce matin d'automne
Près d'un poirier
je suis venu solitaire
contempler la lune
Le batelier —
sa perche arrachée des mains
tempête d'automne
Il brama trois fois
puis on ne l'entendit plus
le cerf sous la pluie
Une solitude
plus grande que l'an dernier
fin d'un jour d'automne
Le mont s'assombrit
éteignant le vermillon
des feuilles d'érables
Yosa Buson, Haiku, traduits du japonais et
présentés par Joan Titus-Carmel, Orphée/
La Différence, 1990, n.p.
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01/02/2018
Rainer Maria Rilke, Le Livre des images
Solitude
La solitude est comme une pluie.
Montant de la mer à la rencontre des soirs,
venue des confins des plaines oubliées,
elle gravit le ciel, sa demeure,
et parvenue là-haut retombe sur la ville.
Elle pleut ici-bas, entre chien et loup,
quand toutes les rues virent au matin
et que les corps qui n’ont rien trouvé
déçus et tristes se désunissent ;
et quand des êtres qui se haïssent
doivent dormir dans le même lit ;
La solitude s’en va suivre le cours des fleuves…
Rainer Maria Rilke, Le Livre des images, traduction
Jean-Claude Crespy, dans Œuvres poétiques et théâtrales,
Pléiade / Gallimard, 1997, p. 213.
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10/01/2018
Samuel Beckett, Poèmes, suivi de mirlitonnades
je suis ce cours de sable qui glisse
entre le galet et la dune
la pluie d’été pleut sur ma vie
sur moi ma vie qui me fuit me poursuit
et finira le jour de son commencement
cher instant je te vois
dans ce rideau de brume qui recule
où je n’aurai plus à fouler ces longs seuils mouvants
et vivrai le temps d’une porte
qui s’ouvre et se referme
Samuel Beckett, Poèmes , suivi de mirlitonnades,
Editions de Minuit, 1978, p. 22.
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10/09/2017
Buson, Le parfum de la lune
les journées lentes
s'accumulent
si loin autrefois
le poirier en fleurs
sous la lune
une femme lit une lettre
je marche, je marche
songeant à des choses et à d'autres
le printemps s'en va
au bord du chemin
des jacinthes d'eau arrachées fleurissent
la pluie du soir
la nuit, des voix d'hommes
irriguant les champs
la lune d'été
la nuit voilée
les grenouilles brouillent
l'eau et le ciel
Buson (1716-1783), Le parfum de la lune,
traduction Cheng Wing fun et Hervé
Collet, Moundarren, 1992, p. 55, 59,
68, 80, 90, 93.
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23/05/2017
Georges Perec, La clôture et autres poèmes
Un poème
Est-ce que j’essayais d’entourer ton poignet
avec mes doigts ?
Aujourd’hui la pluie strie l’asphalte
Je n’ai pas d’autres paysages dans ma tête
Je ne peux pas penser
aux tiens, à ceux que tu as traversés dans le noir et
dans la nuit
Ni à la petite automobile rouge
dans laquelle j’éclatais de rire
L’ordre immuable des jours trace un chemin strict
c’est aussi simple qu’une prune au fond d’un compotier
ou que la progression du lierre le long de mon mur.
Mes doigts ne sont plus ce bracelet trop court
Mais je garde l’empreinte ronde de ton poignet
Au creux de mes mains ambidextres
Sur le drap noir de ma table.
Georges Perec, La clôture et autres poèmes, dans Œuvres, II,
édition Christelle Reggiani, Pléiade / Gallimard, 2017, p. 800.
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06/05/2017
64 Dodoïstu, Les montagnes, les rizières et la mer
L’homme avec qui j’ai rompu
Le voilà au détour du chemin
Vite frottons nous les yeux
Une poussière y est entrée
Le long des berges
Par temps de pluie
Des grenouilles se tiennent
Vigiles de l’autre monde
La pluie tombe
Les mauvaises langues se délient
La pluie s’arrête
Les mauvaises langues continuent
Cœur de femme
Corps de luciole
Sans un mot
Se consument
64 Dodoïstu, Les montagnes les rizières et la mer,
traduction du japonais Alain Kervern,
Calligrammes,1984, np.
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16/04/2017
Erwann Rougé, L'enclos du vent
la brûlure a une odeur de fleuve
elle bascule sur l’autre rive
noue et délivre
le toucher des genoux et des épaules
guette
ce qui se met en déséquilibre
elle croit qu’elle mène la lumière
sous la langue
veut le retour d’une pluie
Erwann Rougé, L’enclos du vent, photographies
Magali Ballet, éditions isabelle sauvage, 2017, np.
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