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17/07/2015

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail

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[...]  

  Tu t’endors. Ta main froisse des feuilles noires. Tes ongles brillent. Ton nom s’efface... Mes deux mains ennemies pétrissent la terre noire, avant de dormir.

 

   Un profil, et l’absence de récit. Je ne meurs pas. Je ne dessine plus. J’émiette le trait à l’écoute d’un visage. Affilement de la lune à son premier quartier.

 

   Pierres dressées, marches forcées. Il n’a jamais respiré plus librement qu’à travers cette lapidation immobile d’un corps, d’un autre corps contre le ciel.

 

   De toi et de personne, j’ignore le bord et le cœur. Comme un agonisant debout...

 

Tendresse du vide dans la scansion des pierres sèches du muret. Lourdeur des figues sous les feuilles, la lumière. Et devant elle, mes doigts cassés, ivres morts...

 

   Marques de dents de singe sur ton corps errant. Marques vertes, douleur ambiguë. Je m’enfonce, comme un glacier, dans le soleil...

[...]

 

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail, Gallimard, 1962, p. 61-66.

12/12/2014

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail

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Toi, immobile sur la pont de fer. Regardant un autre récit. Regardant avec mes yeux. Regardant le temps immobile.

 

J'ai croisé dans la rue le rire d'un aveugle. Les nuages, les falaises, la mer : serrés contre sa poitrine. La musique commence dans les fenêtres...

 

... Et reculant sur l'échiquier enfantin. L'absence de sujet déchire le sommeil de tous. Perd du terrain. Tire un oiseau en vol.

 

Un essai de lumière sous la porte, et ce long possessif dol reptilien aiguisant la langue. A travers la porte, devant l'élévation de la nuit...

 

Une serpillière à grande eau sur les roses du carrelage. Et le bec de la charbonnière contre la vitre. Quand la pensée du double compense la faiblesse du bras.

 

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail, Gallimard, 1982, p. 12-16.

16/06/2013

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail

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[...]

   Les nuages traversent la chambre au delà des cimes qui nous retiennent. La chambre abandonnée aux nuages... Les nuages laissés à la mer...

 

   Une vieille sur son séant, toutes ses forces regroupées en un seul fil, de laine rouge... Elle ajuste le point de crochet, à l'infini, simplement. Du nœud de ses phalanges grises, à l'écoute de l'intensité...

 

   Le sentier de montagne, le simple, le nu... Imprégné de la couleur du ciel. Le sentier perdu. Effacé... S'écrivant à travers les flammes. Tourneboulant la frayeur subite des chevaux...

 

   Le vent souffle dans l'oreiller  que ta nuque écrase. Le même vent qui m'exile. La lumière qui te soustrait. Notre bouche s'emplit de boue.

 

   Des herbes et des nombres, blessés, la musique s'empare. Les arbres sont à l'abandon. Ta cuisse s'éteint longuement. Dans mon sommeil. Sous les arbres.

 

   Frappant la pierre, le basalte de ma naissance, — l'orgue réfractaire. Frappant ingénument. Absurdement. Lapidant la lumière...

   Je n'ai de forces que pour dormir. Dormir entre les coups de la masse et mes tempes de pierre.

[...]

 

 

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail, Gallimard, 1982, p. 70-75.

30/12/2011

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail

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   J'étais le seul. L'œil en activité. Elle était le nombre. Dormant. Le nombre, et le monstre. Dormant. Elle est le trait, la soif, l'herbe folle. Elle est la veuve, et l'éclair, d'un orage futur...

 

   Comme s'affile la lame, commence l'écoute, la dictée... Quelques gouttes de sang, et cet étirement du vide entre chien et loup...

   Difficulté des étoiles à me suivre. Allégresse du corps à les réfracter.

 

Séquence de l'eau qui te presse, te divise — te divinise. Qui m'enserre dans l'étreinte de son épaisseur liquide. Et noie le souffle, la voix. Sous son scintillement, sa divination. Sa course...

 

   Écrire sans casser le silence. Écrire, en violation d'un lieu qui se retire ; quadrature du texte, visage désencerclé, non-lieu... La rapacité du vide, le calme, — étonne ses proies...

 

   La terre et le ciel. Et la peur, la ligne d'horizon. Leur complicité et leur agonie. Fertilisant le fond de l'œil. Et leur guerre, les arrérages de la nuit.

 

   On me crève les yeux. C'est le jour. Je m'expose, en cette infirmité, écrivant : c'est le jour. Intouchable, désœuvré. Mal dégrossis par la dénégation du JOUR.

 

   Quelle créance claire oscille entre tes seins... Accompagnant, niant, le battement des étoiles contre la vitre... Broyant la couleur sur ma bouche... Ouvrant une veine de nuit dans la voix...

Rien... Soulevant l'herbe. Relevant sa trace dans l'herbe...

 

Jacques Dupin, Une apparence de soupirail, Gallimard, 1992, p. 91-97.