Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/02/2024

Esther Tellermann, Votre écorce

esther tellermann, votre écorce, soudain, corps

Car je n’ai rien 

une mèche 

           un cil 

le plus ténu 

        fut votre 

corps

la façon d’un 

murmure où 

je m’ensevelis 

et m’attarde 

        et m’endors.

Nous étions si 

frêles contre ce qui 

               soudain ne 

craint plus 

               l’ombre.

 

Esther Tellermann, 

Votre écorce, La Lettre volée,

2023, p. 88.

16/02/2024

Claude Chambard, Cet être devant soi

                   Unknown.jpeg

Le crayon est le chemin par lequel je peux parcourir le monde. Il me faut y arriver vivant. Ce n’est pas une mince affaire. J’ai toujours pensé que, dans le livre, le monde ne pouvait être vu qu’à hauteur d’enfance. L’écriture commence & prend fin dans une classe du cours préparatoire, pour  toute la vie & pour tous les livres, dans toutes les bibliothèques. De même la lecture. Manipulations, transgressions, interprétations, variations — archaïques. Encre violette & papier réglé à grandes marges, encrier en porcelaine, plumes Sergent Major, buvards publicitaires… Apprendre à dessiner — les caractères ­ apprendre à dessiner - les traits portraits &c - lisibilité, blanc, équilibre, approche, classe, ce qu’on ne voit pas permet ce que l’on perçoit - comme on oublie la ponctuation lorsqu’elle est juste, lorsqu’elle va de soi la lecture va de soi — l’écriture jamais. Ton corps est dans le livre, personne ne le voit, même pas moi, mais je le reconnais, aussi les oiseaux dans le ciel & le corps des écrivains dans leur écriture.

 

Claude Chambard, Cet être devant soi, Æncrages, 2012, np.

25/01/2024

Monique Laederach, Cette absolue liberté de parole

                      Picture_of_Monique_Laederach.jpg

XIII

Tout a coulé dans l’innocence.

Tellement imbriqués l’amour la nuit le jour

et ce corps qui voulait bien qui

voulait davantage, n’avait

jamais de satiété véritable –

dans l’innocence et pourtant

la douleur.

 

L’amour jetant l’angoisse hors de ses gonds,

tirant, jetant et dans des frénésies

tellement aiguisées

que l’amour tu s’est fait amputation.

 

Alors, parfois, on s’asseyait dans l’herbe,

en restant immobiles,

juste une surface de peau sous le soleil,

à supposer qu’il y ait eu du soleil,,

immobiles dans un temps arrêté,

les précipices de mort à droite à gauche

qu’il fallait voir

qu’il fallait enfin accepter de voir.

 

Monique Laederach, Cette absolue liberté de

parole, dans La revue de belles-lettres, 2023-2, p. 23.

01/07/2023

Antoine Emaz, Erre

antoine emaz,erre,corps,vieillesse

                                    29.08.18

 

le temps va le corps

suit son cours peine un peu à poursuivre

mais c’est le même refus posé

 

on reprend seulement une poignée de sable

dans les mots

toujours rien à céder

sur ce terrain d’être vieux

pour la misère ou pour le désir

 

au bout peut-être on n’aura pas bougé grand-chose

plutôt la vie s’est chargée de changer

la lumière et les angles les êtres les lieux un peu

 

sans bruit on rassemble

un peu de joie sèche

pour aller à demain

 

qui demande autre chose

 

Antoine Emaz, Errz, Tarabuste, 2023, p. 111.

02/04/2022

Maud Thiria, Trouée

 dsc_2996.jpg

toi

corps retombé

exposé là

sang et eau mêlés

à peine corps

encore

failles et fissures

ouvertes

portes d’entrée

trous de toi

 

devenir trou pour respirer

juste trou

concentré de souffle

filet d’air aspiré

à peine

pores et grains de peau

bouchés

 

ça te gratte à la gorge

ça te brûle les poumons

 

Maud Thiria, Trouée,

Lanskine, 2022, p. 42-43.

24/02/2022

Cédric Demangeot, Obstaculaire

  cedric-demangeot.jpg

Mes yeux

pensent à côté de moi.

 

Ma poitrine

s’enfonce

sans fin  

dans le vide

qu’en s’enfonçant elle creuse

au fond de mon effondrement.

 

Mes épaules

me cherchent.

 

Ma bouche

m’insulte et me tait.

 

Cédric Demangeot, Obstaculaire, L’Atelier contemporain, 2022, p. 30.

27/12/2021

Esther Tellermann, Sous votre nom

Unknown.jpeg

Peut-être j’avais

voulu défaire

les écueils dans la

     syllabe

voir où tu

     dors

Si étions le même

     arceau

même mèche

     de l’incendie `

à l’un l’autre

l’épuisement de la

     lumière ?

 

Voulus que corps

     ait hâte.

 

Esther Tellermann, Sous votre nom,

Poésie/Flammarion, 2015, p. 163.

06/05/2021

James Sacré, Donne-moi ton enfance

120350679.jpg

Son corps impossible

 

Je cherche le corps de mon enfance

En mon corps grandi

Qui va bientôt mourir.

J’en aurais rien dit

 

Le corps de mon enfance

Pour te le donner. Et je ne saurai pas

Ce qui est donné.

 

On croit voir quelques gestes

Dans le puits de la mémoire :

 

Si de l’eau brille

Ou de la nuit,

 

Le mot noir ?

 

Quel geste a trop dit sans dire assez

À mon corps d’enfant,

Pour continuer ?

Bientôt la mort, j’attends toujours,

Et vous ?

(...)

James Sacré, Donne-moi ton enfance,

Tarabuste, 2013, p. 79-80.

24/07/2020

André Frénaud, Il n'y a pas de paradis

Frenaud_1945_visuel-1.jpg

       Un par deux

 

J’ai maintenant deux corps,

le mien et le tien,

miroir où se fait beau

celui que je n’aimais pas.

Qui ne me portait pas chance

Des succès qui ne m’accordaient rien.

L’amour que nous nous rendons

nous a délivrés des rencontres,

aussi des vertus inutiles.

 

André Frénaud, Il n’y a pas de paradis,

Poésie/Gallimard, 1967, p. 50.

14/04/2020

Louise Labé, Œuvres, Sonnets

louiselabedet.jpg

                       Sonnet VII

On voit mourir toute chose animée,

   Lors que du corps l'âme futile part :

   Je suis le corps, toi la meilleure part ;

   Ou es tu donc, dame vie aimée ?

Ne délaissez pas si longtemps pamée

   Pour me sauver après viendrais trop tard,

   Las, ne mets point ton corps en ce hazard ;

   Rens lui sa part & moitié estimée.

Mais fais, Ami, que ne sois dangereuse

   Cette rencontre & revue amoureuse,

   L'accompagnant, non de severite,

Non de rigueur : mais de grâce amiable,

   Qui doucement me rende sa beauté,

   Jadis cruelle, a present favorable. 

Louise Labé, Œuvres, Slatkine, 1981, p. 114.

 

23/02/2020

Antoine Emaz, Jours

DSC_0004.jpeg

21.10.07

 

corps mécanique

pantin social

quand il s’affaisse reste

un tas de linge sale

 

un grand après-midi froid d’hiver

on pourrait facile en faire

son affaire

sauf les yeux

 

le reste du corps a déjà reculé

 

ça se joue sur les yeux

qui tiennent

 

tout va se régler avec le soir

 

pas de héros

sauve qui  peut seul

[...]

 

Antoine Emaz, Jours, éditions En forêt/

Verlag im Wald, 2009, p. 65.

© photo T. H., mai 2011.

19/03/2019

Eugène Savitzkaya, À la cyprine

                                                 savitzkaya.jpg

                                           Dans mon corps tout chaud le cœur tremble.                     

Le corps de la crevette dans le corps du poisson

qui broute et qui broute, sa vessie est sa lumière

 

Le corps du poisson dans le corps du héron

gelé sur un pied, son bec est sa pince   à sucre

 

Le corps du héron dans le corps de l’air

ce grand fluide

 

Le corps de l’air dans le corps du vaisseau

en mouvement

 

Eugène Savitzkaya, À la cyprine, éditions de Minuit, 2015, p. 44.

 

Jean-Pierre Richard (1922-2019)

 

J’ai connu la poésie de Jacques Dupin grâce à la lecture de ses Onze études sur la poésie moderne, en 1964. La longue vie de Jean-Pierre Richard a été celle d’un homme d’une immense curiosité, soucieux de transmettre ; ses études sur Flaubert et Stendhal (1954),  Mallarmé et Proust ont nourri des générations de lecteurs. Infatigable, il a écrit aussi au fil des années à propos de ses contemporains— parmi d’autres,  Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Eugène Savitzkaya, Christophe Pradeau, Michel Jullien...

 

 

02/01/2019

Danielle Collobert, Dire II

                           collobert_MdA.jpg

la seule chose – recommencer encore – si possible – encore une fois des mots – l’équivalent d’une mort – ou le contraire même – ou peut-être rien

 

être ici – le calme – épuisant de tension – le monde autour qui ne s’arrête pas – mais pourrait s’arrêter – le souffle qui pourrait s’arrêter maintenant – un instant après l’autre – même égalité plane –même dureté froide – même goût fade et doux – supporter encore d’aller vers d’autres moments pareils – continuer seulement le souffle – la respiration – prolonger le regard – simplement

 

sans doute – une certaine confusion – auparavant – chaque événement détruit par lui-même – passant d’une chose à l’autre – revenant en arrière – avançant – imprévisible – dans un avenir imaginé  – s’acccrochant autour de lui à toutes les rugosités – à tous les angles

 

Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 211.

 

 

Corps là

noué

noué aux mots

l’étranglement du souffle

perte du sol

pendu

balancement à l’intérieur des mots – trouées –

vide

approche de la folie

peur continuelle de la fuite verticale

les mots en spirale fuyante – aspirée

sans prise

sans arrêt

tremblement

un cri

peur continuelle – absence de mots – gouffre

ouvert – descente – descente

mains accrochées au visage

toucher

corps là

résistance –

entendre encore le souffle – quelquepart

à l’instant savoir – souffle là

à l’écoute du bruit

affolement

tendu pour entendre

tendu pour résister

jusqu’à la limite – l’immobilité

sursaut

cassure

encore sombrer – descendre – ou aspiré au loin

– ou fatigue – désespoir

 

Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 256-257.

01/10/2018

Albert Cohen, Carnets, 1978

                          Cohen-Albert.jpg

  Lorsque je me couche sur ma droite et que je ferme les yeux pour m’endormir, j’ai peur de ma mort et je suis scandalisé. Je n’accepte pas de  perdre mes yeux qui étaient une partie de mon âme. Mon âme n’est pas un impalpable ectoplasme à gogos. Mon âme, c’est moi. Ce n’est pas de la philosophie, cette filandreuse toile d’araignée toute de tromperies, mais une grenue et indestructible petite vérité tout à fait vraie. Oui, tout ce que vous voudrez, dites tout ce que vous voudrez, mais ma petite vérité est bon teint. Mon âme, c’est mon corps et non un magique souffle. Or, je n’accepte pas de ne plus bouger, moi dont la main droite en cette minute studieusement bouge. Je n’accepte pas que moi qui suis ne soit plus, et bientôt plus. Quelle aventure que ce mobile que je suis soit bientôt immobile et de toute éternité.

 

Albert Cohen, Carnets, 1978, Gallimard, 1979, p. 89.

14/09/2018

Pierre Chappuis, Un élan semblable

              Chappuis.jpeg

Un élan semblable

 

  Ravie (impossible de la rattraper), happée vertigineusement par son cri. L’affolement. Embrasée mais inerte. Tension de tout l’être, engouffré, qui ne s’appartient plus, non plus qu’à lui. Dans l’affolement d’une course effrénée pour tenter de la rejoindre, il est lui-même le jouet d’une force qui, souveraine, impérieuse, fait en lui des ravages, l’affouille et le comble tout à la fois. Un manque absolu et une jouissance absolue (mais pour le dire il n’y a, n’y eut jamais de nom). Une vague immense s’est emparée d’eux, les enroule, les traverse, les fait vibrer d’un commun accord. Promesse d’un aboutissement différé. Parviendra-t-il à lui communiquer, enlacée, l’énergie qui le jette dans un transport, oui, presque de détresse ? Confusion des corps qui est aussi écart — infime, infranchissable —, rapprochement extrême en un point brûlant où se noue la jouissance, de là rayonnant jusqu’aux limites de ce que peut recevoir de plus intense la conscience. Jeet tumêlés dans un étrange chacun pour soi. Solidaires. Ensemble par le trait d’union de leurs caresses : les mains donnent vie, explorent les pleins et les déliés les modèlent, les réinventent. Parallèlement, au plus intime — oh ! frémissement ! — reflux, concentration qui est également expansion infinie. Éperdus tous deux à jamais, dans un éclair.

 

  Étreindre (stringere), de la même famille qu’étroit, strict (strictus), racloir, étrille (strigilis) : serrer, étriller, ligoter.

                                                         *

   Telle la poésie : non, sauf s’il s’agit d’exprimer — presser hors de soi — ce qu’on porte en soi de plus secret, enfoui, de plus personnel mais aussi — mots ou semence — commun, anonyme.

Pierre Chappuis, Battre le briquet, "en lisant en écrivant", Corti, 2018, p. 147-148.